Réalité mal connue, parce qu’éclatée, que celle des aidants proches, ces personnes qui apportent leur aide au moins une fois par semaine, en dehors de leur profession, à une ou des personne(s), à l’autonomie limitée de leur famille ou de leur entourage, à domicile ou en maison de repos. S’il est relativement aisé de donner une définition théorique de l’aidant proche, il est en revanche beaucoup plus difficile de cerner la réalité qu’il vit, ses problèmes, ses angoisses.

 
Interpellées par cette situation, et sa relative méconnaissance, plusieurs associations se sont regroupées autour de ce thème. La Plate-forme « aidants proches » a ainsi été créée, regroupant la Croix-Rouge, la Fédération de l’aide et des soins à domicile, la Mutualité chrétienne, Permanence soins à domicile, les Pensionnés prépensionnés chômeurs âgés/CSC, et l’UCP, mouvement social des aînés.
Cette Plate-forme s’est donné pour but de sonder les besoins des aidants proches et d’apporter des réponses concrètes à leurs attentes. Dans un premier temps, il s’agissait donc de déterminer les profils des aidants et leurs besoins pour répondre ensuite aux besoins de ceux-ci. Cette étude initialement commandée à l’UCP a pour but de mieux cerner la réalité qu’ils vivent et leurs besoins pour leur proposer ultérieurement l’aide la plus adéquate.
Dans un premier temps, l’UCP a mené une enquête quantitative sur la base de questionnaires afin d’établir le profil général des aidants proches. Dans un second temps, des entretiens collectifs ont été organisés afin de compléter et d’enrichir l’analyse quantitative. Ce sont eux qui nous ont permis d’approcher cette réalité complexe tantôt crue, tantôt empreinte de tendresse. Enfin, la dernière étape consistait à conjuguer ces deux types d’analyses complémentaires pour obtenir une analyse rigoureuse et complète.

Le profil

Âgés de 58 ans en moyenne, les aidants représentent la « génération sandwich », qui doit se partager entre les parents, les enfants et petits-enfants. Par ailleurs, près de 65 % des aidants proches sondés sont des femmes. En outre, 36,5 % des aidants exercent encore aujourd’hui leur profession contre 55 % au moment où leur aide a commencé. Environ 44 % des aidants sont à l’heure actuelle prépensionnés ou pensionnés contre 25 % au début de l’aide.
C’est dans le cercle familial que 65 % des aidants, apportent leur aide. Que le lien soit familial ou non, le lien qui unit l’aidant et la personne en perte d’autonomie est, dans tous les cas, très fort. Certains aidants parlent même de l’aide comme d’un acte d’amour envers la personne en perte d’autonomie. Comment serait-il possible, en effet, de surmonter toutes les difficultés inhérentes à l’aide pour une personne qui n’est pas chère à l’aidant ?
D’une manière générale, l’aide évolue au fil du temps et au rythme de la maladie ou du handicap de la personne aidée. D’une visite occasionnelle, les aidants passent vite à des visites régulières pour apporter repas, courses, médicaments, etc. Évoluant d’une aide morale et légère à une aide physique plus lourde, les aidants n’ont pas pu « prendre la mesure » de ce qui les attendait et peuvent se sentir piégés, en n’étant pas préparés à l’évolution de la maladie ou du handicap.
Ainsi, au fil du temps, les aidants rencontrent diverses difficultés à apporter cette aide. Tout d’abord, l’aide a de multiples répercussions sur la profession de l’aidant. Pour 13 % des aidants, l’aide a une incidence sur leur situation professionnelle. Si certains réduisent leur temps de travail, d’autres, au contraire, souhaitent travailler davantage afin de faire appel à des services professionnels et ainsi garantir une qualité de vie à la personne aidée.
Ensuite, l’aide peut également avoir un impact sur le revenu - très variable selon les cas, depuis le coût des déplacements jusqu’au paiement des services ou soins professionnels à domicile. Signalons qu’environ 32 % des aidants sondés par questionnaire n’ont qu’un revenu net mensuel se situant entre 750 et 1 500 euros pour l’ensemble de leur ménage. Si le lien est matrimonial, l’impact financier est encore plus considérable. Pour ces aidants, il y a souvent une réduction du « train de vie » du couple mais aussi des activités qui s’organisent en fonction de la maladie ou du handicap. Le coût de la maladie (en terme de visites médicales, de médicaments, etc.) pèse alors fortement sur les revenus du couple.
À ces difficultés professionnelles et financières, s’ajoutent des difficultés physiques et psychologiques. En effet, pour 60 % des aidants sondés, l’aide peut sembler difficile physiquement. Cette fatigue physique s’accompagne et se renforce d’une fatigue morale. De manière générale, l’aide apportée laisse 31 % des aidants fatigués ou très fatigués. Seulement 35 % des aidants ne se déclarent pas du tout fatigués par l’aide qu’ils apportent. Outre la difficulté physique, la plupart des aidants reconnaissent négliger leur vie sociale, culturelle et familiale. Ainsi, ne pas s’oublier peut relever du défi pour l’aidant.
Par ailleurs, 46 % des aidants admettent que l’aide est parfois difficile à vivre sur le plan psychologique. Au total, ils sont 68 % à rencontrer - parfois, souvent ou toujours - des difficultés de ce point de vue. Les témoignages récoltés en entretien collectif confirment et mettent en avant la détresse psychologique que vivent les aidants.
Les aidants estiment souvent ne pas avoir la possibilité de refuser de venir en aide. S’ils ne l’expriment pas explicitement, l’analyse met en évidence le fait qu’ils se sentent redevables vis-à-vis de la personne à aider. L’aide serait alors le « juste retour des choses ». Ce qui peut donc a priori passer pour un choix délibéré est en réalité une « décision contrainte et contraignante ». L’aide est alors vécue comme une obligation morale, guidée par un sentiment d’obligation plutôt que par la raison.
En résultent parfois en retour, de l’anxiété, de la révolte ou encore de la déprime. L’aide comme acte d’amour, comme source d’anxiété, comme obligation morale, etc. sont autant de représentations qui reflètent la réalité psychologique complexe et contrastée que vivent les aidants.
Dans 95 % des cas, l’aide volontaire cohabite avec l’aide professionnelle : médecin généraliste, infirmière, kinésithérapeute, logopède, aide familiale, garde à domicile, aide ménagère, service de repas à domicile, etc. L’analyse qualitative confirme la présence et le soutien fondamental des aides professionnelles à domicile. Alors qu’initialement, cette aide professionnelle est destinée à la personne en perte d’autonomie, elle joue également un rôle primordial pour l’aidant. En dispensant des informations, en assurant une présence, en prodiguant des soins, les aidants professionnels soulagent le travail de l’aidant bénévole. Ils peuvent être par ailleurs un soutien moral à l’aidant proche mais aussi un moyen de le rassurer quant au bien-être et au confort de la personne aidée.

Les besoins des aidants

Environ 45 % des aidants sondés estiment avoir eux-mêmes besoin d’un soutien. Les trois besoins prioritaires cités sont respectivement « quelqu’un pour me remplacer » (51 %), « des informations sur des services d’associations de bénévoles » (42,5 %) et enfin « des informations sur des services professionnels disponibles » (38 %). Ensuite, près de 20 % mentionnent « un lieu pour échanger, rencontrer des personnes qui vivent une situation similaire ». Ajoutons que les femmes sollicitent davantage que les hommes un soutien (49 % des femmes contre 39 % des hommes).
Les entretiens collectifs confirment, voire accentuent le besoin des aidants d’être soutenus dans leur tâche. En réponse à la fatigue physique et morale, et à la solitude, le besoin d’être remplacé (afin de retrouver du temps pour soi, de souffler, de partir une semaine, de s’occuper des petits-enfants…) est souvent répété en entretien. Si cette demande est récurrente chez les aidants, certains se sentent coincés par la personne aidée qui ne souhaite la présence et l’aide que de son aidant. Par ailleurs, lorsque l’aide apportée est uniquement d’ordre moral ou psychologique, se faire remplacer semble plus délicat.
Si le besoin d’informations concernant les associations de bénévoles n’est pas évoqué en entretien collectif (contrairement à ce qui est relevé dans l’analyse quantitative), les aidants expriment leur besoin d’être correctement informés sur les services professionnels disponibles. Les aidants vont plus loin encore en entretien et complètent cette demande en exprimant l’idée d’une information centralisée car les aidants dépensent beaucoup d’énergie et de temps à trouver le bon interlocuteur et la bonne information.
Outre le besoin d’informations claires et centralisées sur les services professionnels, les aidants mentionnent un manque de personnel dans ce secteur, un manque de formation et enfin, un accès encore trop onéreux à ces services.
Par ailleurs, une autre manière d’aider les aidants dans leur tâche est de les soutenir moralement et donc de diminuer leur charge émotionnelle. Pour certains aidants, un groupe de parole permettant de partager, d’évacuer le stress, de déculpabiliser apparaît comme une réponse appropriée à leurs difficultés psychologiques. D’autres privilégieraient davantage l’écoute individuelle et professionnelle d’un psychologue ou psychiatre au groupe de parole.
Une autre manière de répondre à cette charge morale serait de reconnaître le rôle et les compétences des aidants. En effet, le manque de reconnaissance du travail des aidants par l’extérieur, tant par la famille que par le corps médical, est souvent mal vécu.
Les besoins exprimés ici ne peuvent être généralisables : si des tendances se dégagent, nous ne pouvons en tirer une seule et unique « solution miracle » qui soulagerait tous les aidants mais bien plusieurs pistes de réflexions. En effet, les besoins varient d’un aidant à l’autre en fonction de sa situation et de celle de l’aidé. Les meilleures solutions seraient individualisées de façon à répondre aux besoins d’une situation particulière.

Le Gavroche

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