La venue d’un enfant ayant un handicap, et un handicap de grande dépendance en particulier, entraîne des changements importants dans la vie des familles. Faire face à ces changements relève souvent du parcours du combattant tant les aides adaptées sont rares. Premières victimes : les mamans qui doivent souvent renoncer à une carrière professionnelle.


«J’avais décidé de reprendre le travail à l’entrée de mon fils à l’école maternelle : c’est alors que le diagnostic est tombé. Je suis donc mère au foyer », un témoignage comme celui-ci est loin d’être unique : arrêt brusque du travail, travail à temps partiel dans le meilleur des cas, des centaines de mères d’enfants handicapés ont vu ainsi leur vie basculer à l’annonce du handicap de leur enfant. « Notre rôle de ‘Mères’ nous a appelées tout d’abord à nous pencher sur les besoins décuplés de ce petit enfant différent et a amené certaines d’entre nous à prendre la décision de quitter leur emploi souvent plus précaire ou moins bien rémunéré que celui de notre compagnon de vie. ». Ce devoir d’accompagnement de l’enfant va à l’encontre de leur choix de carrière professionnelle et provoque une modification évidente de la place que les mamans avaient dans la société. Bien souvent, une décision doit se prendre, contre toute attente, par un des deux parents.
Certes, toutes les femmes et toutes les mères n’ont pas fait ce choix et certains pères restent aussi à la maison— mais s’agit-il d’un choix quand les alternatives sont plus qu’insatisfaisantes ? Certaines mamans ont «préféré» confier très tôt leur enfant à des institutions; d’autres se sont efforcées de garder leur emploi tout en assumant l’éducation de leur enfant porteur d’un handicap — mais à quel prix ? Parfois au prix de l’entente du couple ! Parfois aussi — mais dans un nombre de cas très limité — avec succès, aidées des membres de leur famille ou d’amis compréhensifs.
Pour s’aider les uns les autres, des parents se sont regroupés et se mobilisent, notamment au sein du groupe « Ensemble pour le dire » (1). Des familles ayant un enfant présentant un handicap de grande dépendance se démènent pour que la société reconnaisse leurs droits et leur octroie les moyens de vivre parmi les autres. Ainsi, dans le cadre des États généraux des familles initiés par l’ex-secrétaire d’État aux familles et aux personnes handicapées, Isabelle Simonis, « Ensemble pour le dire » a rédigé un rapport des besoins rencontrés et émis une série de revendications (cf. ci-contre).

Concilier les temps
Selon « Ensemble pour le dire », un manque de choix de solutions caractérise ces situations : peu d'écoles ou de services disponibles, peu de garanties au niveau de l'emploi, peu de personnes « compétentes », … Les besoins s'expriment sur divers plans, tant au niveau financier que sur le plan de l'adéquation des prestations. Les difficultés vont croissant avec l'âge des enfants car les solutions générales offertes aux familles sont de moins en moins adaptées à leur réalité quotidienne. Chaque famille doit échafauder un plan de survie, et le réactualiser en permanence, par rapport à sa situation : handicap de l'enfant, situation géographique de l'habitat, niveau de revenus et d'éducation, disponibilité de l'entourage, emploi des parents, état de santé et capacité de résistance des parents, offre de services locaux…
Les possibilités d'épanouissement personnel pour ces parents, et les mères en particulier, se trouvent de plus en plus réduites, tant dans leur travail que dans leurs loisirs. À l’heure actuelle, les familles sont encore obligées de compter sur la « débrouille » et s’épuisent.
Pouvoir confier son enfant gravement handicapé à une structure d’accueil de jour, le temps d’un week-end ou d’une soirée, nécessite des aides ponctuelles qui soulageraient la famille et permettraient aux parents d’avoir des vies professionnelle et sociale en maintenant l’enfant handicapé dans son milieu familial. La conciliation des temps, familial, professionnel et social reste difficile. Il n’existe pas de mesures particulièrement adaptées qui assouplissent les horaires professionnels. Au travail, les absences des parents sont justifiées par des jours pris sur les congés annuels. Tous les temps de la famille s’égrènent au rythme de vie de l’enfant handicapé, bien souvent au péril de l’équilibre du couple ou de la fratrie. Les relations sociales sont dès lors sacrifiées.
Au niveau des services et de l’aide extérieure à apporter aux familles, le rapport pointe notamment la nécessité de proposer divers services adaptés, comme des loisirs, des haltes-garderies, du baby-sitting, des gardes d’enfants-malades, des structures d’accueil extra-scolaire aussi pour les enfants handicapés, l’adaptation de titres-services pour permettre leur utilisation le week-end et en-dehors des heures de bureaux. Il suggère la création de « maisons de répit » pour permettre aux parents de souffler, de lieux de vie pour les situations d’urgence.
Certaines de ces revendications ne demandent pas nécessairement des budgets énormes. Pour les représentants des familles de handicapés, le plus dur est de se faire entendre. Les conclusions des États généraux des familles ont malheureusement fait peu d’échos à leurs revendications. À la veille des négociations interprofessionnelles, espérons que les partenaires sociaux soient plus à l’écoute…

Catherine Morenville


1 « Ensemble pour le dire », c/o Afrahm, l'Association francophone d'aide aux handicapés mentaux, av. Albert Giraud, 24 à 1030 Bruxelles, porte-parole : Catherine Oleffe, tél. : 02 247 60 18, courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Revendications


l Allonger le congé de maternité à 22 semaines plus un congé d’accueil de l’enfant de 8 semaines dans le cas de naissance d’un enfant handicapé. (Ligue des Familles) ;
l Prévoir un congé de paternité obligatoire et plus long en regard des obligations à prendre quand cela est nécessaire et pas forcément dans le mois qui suit l’accouchement ;
l Prolonger le congé parental en permettant aux parents d’enfant lourdement handicapé de prendre ce congé au cours de la vie de l’enfant en fonction des besoins de l’enfant et en donnant la possibilité d’en bénéficier de manière fractionnée. Ne pas limiter le congé parental à l’âge de 8 ans dans le cas d’enfant handicapé ;
l Rendre le crédit-temps plus accessible en assouplissant les conditions d’ancienneté permettant d’avoir droit à cet aménagement de temps de travail ;
l Créer d’autres modalités de crédit-temps : à tiers-temps, à quart temps ou selon le rythme des vacances scolaires ;
l Étendre la protection sociale durant la totalité du crédit-temps ;
l Valoriser le temps partiel :
– Par une valorisation financière avec une augmentation du salaire minimum garanti ;
– Par une valorisation des conditions de travail avec une attention particulière aux horaires en vue d’une conciliation possible du temps de travail et du temps familial et une amélioration de la protection sociale.

Des chiffres évocateurs…


¸ Plus de 100.000 personnes sont concernées de près ou de loin par un handicap de grande dépendance en Wallonie et à Bruxelles (1) .
¸ 43% des parents ont arrêté de travailler et 39% ont réduit leur temps de travail (2) .
¸ Dans 54% des cas, ces modifications ont été accomplies par nécessité plutôt que par choix (3) .
¸ 41% des parents ne reçoivent aucune aide de leur entourage et 26% des familles sont monoparentales (4) .
¸ 51% des prises en charge par les services d’accueil et d’hébergement wallons se trouvent en Province du Hainaut (5) .
¸ Aucune place n’est disponible à Bruxelles pour les adultes autistes et polyhandicapés.
¸ 684 personnes (en majorité avec un handicap mental modéré à profond) ont recours à des services qui ne bénéficient pas de subventions de l’Awiph alors qu’elles ont droit à des services subventionnés (6).


1. Il est communément admis que 0,005% de la population souffre d’un handicap de grande dépendance, nombre auquel il faut ajouter l’ensemble de leur entourage familial et autre.
2. Sur base des réponses des familles au questionnaire du projet « des femmes, des mères », 2000-2001.
3. Résultats de l’enquête d’Autisme-Europe sur l’accès au travail des personnes atteintes d’autisme ou autre handicap de grande dépendance et de leurs familles, 2001-2002.
4. Sur base des réponses des familles au questionnaire du projet « des femmes, des mères », 2000-2001. D’après les chiffres de l’Institut national de statistiques pour l’ensemble de la population, en 2000, le nombre de pères seuls avec enfant était de 4,4% et le nombre de mères seules avec enfant de 13,7%.
5. Sur base du rapport d’activités de l’Awiph 2000, p.79, T1 (services agréés, agréés et subventionnés, et en autorisation de prise en charge).
6. Sur base des résultats de l’enquête relative aux services bénéficiant d’une autorisation de prise en charge, commanditée par le ministre des Affaires sociales et de la Santé de la Région wallonne à l’AFrahm, 2002.