Les besoins sociaux restent énormes dans le secteur des personnes handicapées. Notre société intègre encore beaucoup trop peu la préoccupation du handicap dans son fonctionnement quotidien, dans les services qu’elle organise, dans l’accueil et les structures qu’elle propose.

 

Dans la vie ordinaire, ce sont souvent des problèmes d’accès et de fonctionnement qui font obstacle à l’intégration de la personne handicapée. Elle doit pouvoir accéder à une diversité d’offres correspondant au mieux à ses attentes. Le quotidien des personnes handicapées est truffé de difficultés pratiques ou de réalités non adaptées à leur handicap. La mobilité pose problème. L’accès matériel aux services publics les plus communs peut poser problème. L’exercice d’une activité professionnelle ou simplement l’accès à l’emploi est problématique. Même l’environnement familier est source de difficultés. On pourrait multiplier les exemples. Certes, la préoccupation de la personne handicapée dans l’organisation de la vie en société a fait de nets progrès. Mais la situation reste largement insuffisante et le combat est quotidien. L’enjeu est évidemment d’abord culturel : comment faire en sorte que cette préoccupation soit présente partout ? Comment l’intégrer dès la conception des services et initiatives que l’on met en place ? Comment permettre aux personnes handicapées d’avoir accès à tous les services et aides dont dispose l’ensemble des citoyens ? Privilégier l’accueil et la participation des personnes handicapées dans les services ordinaires est un préalable à une réelle intégration. Les services d’aides familiales l’intègrent-ils ? Et les services « Population » des administrations communales ? L’aménagement du territoire est-il conçu en tenant compte des réalités des personnes handicapées ? Les transports en commun sont-ils adaptés ? Autant de questions que l’on peut multiplier et qui démontrent l’ampleur du travail qui reste à accomplir pour améliorer la qualité de l’accueil des services de proximité. D’un point de vue global, une réflexion et une action spécifiques doivent donc être menées par l’ensemble des opérateurs de services pour apporter des solutions adéquates en milieu « ordinaire », comme on dit. Le rôle des organismes publics ou parastataux comme l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées (AWIPH) doit donc rester résiduaire, c’est-à-dire porter sur ce qui n’est pas pris en charge par les services ordinaires.

Vers des logements « modulables » ?
Le logement est un exemple parlant des difficultés quotidiennes rencontrées par les personnes handicapées. Il constitue souvent leur premier et principal lieu de vie. Parce qu’il se confine au cœur des situations privées, on pourrait être facilement tenté d’en laisser reposer la responsabilité sur les seules familles. Dieu sait pourtant si d’importants enjeux collectifs sont en cause. Et ils concernent le logement privé comme le logement social. Une solution porteuse aujourd’hui est sans nul doute le logement modulable. Autrement dit un logement qui, dès la construction, prévoit des possibilités d’adaptation en fonction des besoins de la famille et particulièrement en cas d’une maladie de longue durée ou d’un handicap qui pourrait survenir à l’un de ses membres. La construction de ce type de logements doit être encouragée et faire l’objet de mesures collectives ou publiques, parce qu’elle anticipe des situations possibles et facilite les solutions à y apporter. La Région devrait ainsi soutenir la construction de ce type de logements privés, par exemple en donnant un avantage financier et en octroyant un label de conformité. C’est la solution qui devrait d’ailleurs être généralisée pour les nouveaux logements sociaux, plutôt que de prévoir, comme aujourd’hui, un pourcentage de logements strictement réservés aux personnes handicapées.

Et l’emploi ?
L’emploi joue un rôle essentiel d’intégration dans la société, a fortiori pour les personnes handicapées. Elles sont nombreuses à exercer une activité professionnelle en milieu dit « ordinaire ». Plusieurs mesures favorisent actuellement cette situation.
Inciter, pas obliger. Les services publics, par exemple, doivent obligatoirement employer un certain nombre de personnes handicapées (2,5 % du personnel). Le résultat visé est intéressant. Mais, outre le fait que cette exigence est aujourd’hui très loin d’être appliquée, on peut s’interroger sur les situations que la contrainte d’engagement peut amener. En matière de relations de travail, par exemple, où il est toujours délicat d’être considéré comme « celle ou celui qu’on a dû engager »… Par ailleurs, obligation ne rime pas toujours avec compétence. La mesure risque donc de créer dans certains cas plus de problèmes qu’elle n’en résout, y compris pour la personne handicapée. Il n’est pas sûr que le résultat soit une intégration réussie. Et cela risque de l’être moins encore dans les entreprises privées où l’exigence de compétences est plus aiguë. Les mesures d’incitation à l’embauche de personnes handicapées sont sans doute plus porteuses. Elles prévoient des compensations financières destinées à l’employeur privé. On ne peut que regretter que, paradoxe budgétaire, le gouvernement ait réduit ces compensations, alors que les demandes étaient en augmentation et que les résultats obtenus étaient globalement probants…
L’emploi protégé reste indispensable.
Pour de nombreuses personnes handicapées, l’emploi en milieu ordinaire n’est cependant pas adapté. D’où l’importance de maintenir et développer l’emploi protégé. C’est le rôle des ETA – entreprises de travail adapté, anciennement connues sous le nom d’ateliers protégés. Des conditions de travail adaptées aux personnes et un fonctionnement dans une optique de véritable entreprise : tel est le défi que les ETA sont appelées à relever. Le nombre subsidié par l’AWIPH a été récemment augmenté (de 5 313 à 5 863), ce qui est encourageant.


L’accueil en institution
L’accueil en institution est une autre dimension cruciale des politiques dans le secteur. Indispensable dans bien des cas, le placement en institution spécialisée est, pour certaines personnes, la solution la mieux adaptée à leurs attentes. De nombreux problèmes – anciens ou récents – se posent de manière spécifique à l’enjeu de l’accueil en institution aujourd’hui.
Comment financer tous les besoins ? Le manque de places pour les adultes est un premier enjeu. La question du financement public est évidemment à la source du problème, mais il n’est pas le seul : aujourd’hui, des moratoires existent qui limitent les possibilités de créer de nouvelles places d’accueil subsidiées. Cela crée de fait une injustice : les personnes qui ne trouvent pas de place en institution subsidiée sont accueillies, pour autant qu’elles en aient les moyens financiers suffisants, au sein de structures non-subsidiées. Autour de cette question se dessine ainsi le double problème du financement public de l’accueil en institution et des moratoires qui limitent les possibilités d’offres nouvelles.
Le vieillissement de la population est un deuxième enjeu. L’augmentation de la durée de vie concerne fort heureusement aussi les personnes handicapées. Mais la situation pose des problèmes d’une ampleur nouvelle aux institutions. Elle nécessite des adaptations d’infrastructures et d’encadrement. Les institutions accueillant des personnes handicapées âgées sont confrontées aux problèmes du handicap et à ceux rencontrés par toutes les maisons de repos pour personnes âgées. Le coût de l’accueil est un troisième enjeu : il a pour conséquence que la part d’argent laissée à la personne handicapée dont les revenus sont bas est souvent trop faible pour lui permettre de développer une vie sociale et culturelle. On en revient à l’insuffisance de la subsidiation, mais on touche également au problème du montant des allocations sociales (compétence fédérale). On touche aussi à la délicate question des activités d’occupation. Dans certains homes ou centres de jour, il n’est pas toujours simple de distinguer ce qui relève de l’activité de loisir valorisant et ce qui relève de l’activité productive. L’objectif de ces activités n’étant pas de financer les services, le gain réalisé par l’institution pourrait être déduit de la part contributive de la personne handicapée… Relevons également l’inquiétude de nombreuses institutions face aux nécessités des infrastructures. Elles vieillissent, exigent des travaux de transformation, de modernisation, d’aménagement ou de réparations. Les institutions concernées sont donc confrontées à l’obligation de dégager des financements pour de nouvelles constructions. Une réalité qui s’ajoute aux autres besoins financiers.
La complexité administrative est un souci supplémentaire. La plupart des institutions dénoncent un mode de subventionnement devenu trop complexe, qui engendre un surcroît de travail administratif. C’est également le cas en matière de justification du handicap de la personne. En résumé, des moyens nettement insuffisants pour les besoins du secteur alors que le travail administratif lié à ce subventionnement se complexifie…


Encore à faire
Deux dimensions spécifiques traversent la réalité du secteur des personnes handicapées :
- la dimension du « milieu ordinaire » : celle qui concerne la personne handicapée dans un quotidien majoritairement conçu et pensé en fonction des personnes valides ;
- la dimension de l’accueil en institution : celle qui concerne tout ce qui a rapport à la prise en charge des personnes handicapées au sein des homes, des centres, etc.
Les deux dimensions se rejoignent et sont complémentaires, mais chacune d’elle doit faire l’objet d’améliorations spécifiques.
1. Développer la qualité des services de proximité. L’effort est à porter de manière globale et générale par l’ensemble des services ordinaires à la population, qu’ils soient publics ou subsidiés. Il s’agit de multiplier l’ensemble des initiatives et législations qui peuvent faire progresser l’intégration de la personne handicapée dans la vie quotidienne. Qu’il s’agisse d’accès à des services, de qualité des services, d’aménagements de l’espace ou du fonctionnement des services proposés.
2. Inciter à la construction de logements modulables. Le logement modulable est une idée porteuse. Elle permet d’intégrer, dès la construction, la possibilité qu’une personne handicapée habite un jour ce logement (qu’il soit membre de la famille qui l’habite ou futur locataire). Le logement est construit en prévoyant des possibilités d’adaptation. Avantage important : il permettra à la personne de rester plus longtemps à son domicile ou simplement d’y vivre mieux. Il nécessitera donc moins de dépenses liées soit à des aménagements ou aides publiques futures, soit à des coûts d’hébergement en institution. Idem en matière de logement social où le logement modulable peut avantageusement remplacer les logements spécifiques. Les Régions doivent soutenir ces initiatives via un avantage financier et un label de conformité.
3. Réinvestir dans les compensations liées à l’emploi de personnes handicapées. L’emploi de personnes handicapées en milieu de travail ordinaire est une des meilleures formes d’intégration. Les mesures compensatoires destinées aux employeurs privés qui engagent des personnes handicapées ont fait la preuve de leur efficacité : ce système permet de recruter en fonction des compétences et non d’une obligation. Ce qui facilite une intégration réussie. Ces compensations ont été réduites. Il est nécessaire de les redéployer.
4. Agir sur les coûts de l’accueil en institution. La part contributive des personnes handicapées au coût de l’accueil reste trop importante. En dehors d’une action (fédérale) nécessaire sur le montant des allocations sociales, les Régions doivent agir sur les coûts de l’accueil : étendre et accroître les subventions, mais aussi explorer des pistes comme une réglementation des bénéfices générés par les « activités d’occupation » organisées dans certains homes qui pourraient ainsi contribuer à une diminution des frais d’accueil.
5. Développer des droits et moyens similaires à ceux des Maisons de repos et de soins. Le vieillissement de la population est aussi une réalité chez les personnes handicapées. Les institutions cumulent de plus en plus souvent les problèmes spécifiques au handicap et ceux liés au vieillissement. Les personnes âgées handicapées doivent pouvoir bénéficier des mêmes dispositions que celles en vigueur dans les MR et MRS, et les institutions qui les accueillent des mêmes moyens financiers (prix de journée INAMI pour les problèmes de santé).

Pour en savoir plus
Consultez la fiche « Personnes handicapées » réalisée par le MOC dans le cadre de l’évaluation des politiques régionales et communautaires de la dernière législature : http://www.moc2003.be/pdf/11Personneshandicapees.pdf

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