Dans les débats actuels, le concept de fiscalité environnementale est particulièrement flou. Il intègre des taxes avec un objectif environnemental clair — comme les « écotaxes » —, mais aussi des impôts très anciens, qui existaient bien avant la mise en place de politiques environnementales — comme les accises sur les carburants. La définition retenue par les instances internationales (OCDE, UE) comprend les paiements obligatoires, faits aux administrations publiques, sans contrepartie directe, qui sont établis sur des bases considérées comme étant d’une importance particulière du point de vue environnemental. Cette définition exclut clairement les redevances, payées en contrepartie d’un service, comme le paiement à l’unité de sacs poubelles qui finance le traitement des déchets. Les certificats verts ne rentrent pas non plus dans le champ de la fiscalité environnementale puisqu’ils ne sont pas payés à une administration publique.
La fiscalité, en général, remplit trois grandes missions : apporter des moyens pour assurer le financement des fonctions collectives, participer à la redistribution des revenus, et influer sur les comportements par des incitations ou des pénalités. En matière d’environnement, les discussions se focalisent sur l’aspect incitatif, en oubliant parfois les éléments de redistribution et l’effet sur les finances publiques. Les taxes ne constituent qu’un des instruments possibles de la politique environnementale. Celle-ci peut recourir d’abord à l’information, à la sensibilisation. Elle peut aussi se traduire par des normes obligatoires qui prennent en compte des retombées environnementales (par exemple les normes de construction ou de rénovation des bâtiments, la décision européenne sur les émissions CO2 des voitures). La fiscalité environnementale fait appel aux mécanismes de marché. Elle a dès lors les faveurs des économistes. Il s’agit, par des taxes, de corriger les prix des biens et services qui ont une incidence particulière sur l’environnement. En général, les prix de marché n’intègrent pas spontanément les retombées des consommations pour la société dans son ensemble. C’est ce qu’on appelle généralement les « externalités ».
Les mécanismes de marché, taxes ou certificats ont deux avantages par rapport aux réglementations. Le premier est qu’ils laissent des choix aux consommateurs et aux entreprises : ne rien changer et payer plus, ou changer et payer moins. L’effort de dépollution peut être mieux réparti qu’avec une règlementation linéaire. Le deuxième élément intéressant est que l’instrument de marché incite à faire toujours mieux, tandis qu’une fois la norme atteinte, il n’y aucun gain à faire mieux.
Les taxes apportent des moyens aux pouvoirs publics, qui peuvent être utilisés pour réduire des nuisances ou d’autres prélèvements, notamment sur les salaires. Les instruments économiques, dont les taxes environnementales, sont par contre moins efficaces pour traiter des dommages environnementaux locaux ou variables. Il faudrait les différencier, ce qui complexifie le processus. L’évaluation des coûts externes est une composante essentielle pour l’efficacité des instruments de marché. Des progrès ont été accomplis dans les méthodes d’évaluation ; mais les fourchettes sont parfois grandes 1. La fiscalité environnementale, agissant essentiellement au travers d’une augmentation des prix, peut créer des difficultés pour la redistribution des revenus du côté des ménages et pour la compétitivité du côté des entreprises.
Où en est-on ?
Pour les besoins de la statistique, les taxes environnementales sont classées en trois catégories :
– les taxes sur l’énergie (accises, taxes CO2…) ;
– les taxes sur les transports, hors carburants (taxe de circulation, eurovignette) ;
– les taxes sur la pollution et sur les ressources (écotaxes).
Les incitants fiscaux constituent également un instrument de la politique environnementale. Alors que la Belgique a un taux global de prélèvement obligatoire élevé par rapport aux pays européens, les recettes des taxes liées à l’environnement y sont relativement faibles (2,1 % du PIB en 2007, pour 2,7 % de moyenne européenne). La Belgique se classe 22e sur 27. Mais beaucoup de pays se trouvent autour de 2,5 % du PIB, soit une différence absolue limitée (1,4 milliard d’euros pour la Belgique)2. Par rapport aux pays voisins, la Belgique est proche de la France (2,1 %) et de l’Allemagne (2,2 %). Les Pays-Bas connaissent une fiscalité environnementale plus importante (3,9 % du PIB, 2e en Europe). Le Danemark, « hors catégorie », affiche 5,9 % de PIB de taxes liées à l’environnement. Lorsqu’on décompose les taxes, c’est surtout du côté de l’énergie que la taxation en Belgique est relativement plus faible que celle des autres pays (25e sur 27). Dans les statistiques, les taxes sur les carburants sont classées du côté de l’énergie et pas du transport.
L’évolution dans le temps de l’apport des taxes environnementales n’indique pas une augmentation en Belgique ou dans la zone euro, alors que la question est de plus en plus présente dans les déclarations politiques au plan national ou international. Il est à noter que dans tous les pays qui pratiquent des taxes importantes sur l’énergie, les industries les plus utilisatrices d’énergie sont exemptées d’une manière ou d’une autre de l’essentiel des prélèvements qui dépassent les minimaux européens.
Où va-t-on ?
Pour illustrer comment la fiscalité environnementale peut rencontrer ou entrer en conflit avec les objectifs sociaux du développement durable, il est utile de partir de pistes concrètes. La préoccupation environnementale essentielle est actuellement le réchauffement du climat, dû à des émissions de gaz à effet de serre dont le CO2. Des objectifs de réduction ont été fixés. Un des instruments à la disposition des pouvoirs politiques pour atteindre ces objectifs est la fiscalité environnementale, sur l’énergie en particulier.
Si l’on considère que l’émission de CO2 est le critère principal à prendre en compte du point de vue de l’environnement, il faut bien constater un très grand décalage, à la tonne de CO2 émise, entre la taxation des carburants et celle de l’énergie utilisée par l’industrie, les services et les particuliers pour produire de la chaleur et faire fonctionner les appareils électriques (voir ci-dessous). La taxation des carburants est élevée, en regard du seul critère CO2. Ce qui frappe aussi est l’écart entre les taxes sur l’essence et celles sur le diesel, qui a conduit les ménages et les entreprises belges à acquérir plus de véhicules diesel. Une même source d’énergie est taxée très différemment selon son usage, comme carburant ou non, usage industriel ou résidentiel, alors que les émissions sont identiques à l’unité utilisée.
Le Bureau fédéral du Plan indique que pour atteindre ses futurs objectifs de réduction de CO2, la Belgique devrait augmenter le coût du carbone de l’ordre de 30 euros par tonne de CO2 émise3. Le transport routier, outre son utilisation d’énergie fossile, génère aussi d’autres nuisances ou coûts sociaux, comme la dégradation des infrastructures, le bruit, la congestion, les accidents… La tarification au kilomètre parcouru est une piste qui permettrait d’appliquer le principe « pollueur-payeur ». L’outil fiscal au travers des réductions d’impôt est aussi de plus en plus utilisé pour inciter à certains comportements, comme réaliser des investissements qui économisent l’énergie.
Quel impact social ?
Les éventuelles mesures prises en matière de fiscalité environnementale peuvent entrer en conflit avec l’objectif de redistribution des revenus. En ce qui concerne l’énergie, en particulier, une tarification supplémentaire de 30 euros la tonne de CO2 représente une augmentation substantielle des taxes sur le mazout de chauffage, le gaz naturel et l’électricité. Les dépenses de chauffage diminuent en part du budget des ménages quand le revenu augmente. Augmenter la taxation grève le pouvoir d’achat de tous les ménages ; mais proportionnellement plus ceux qui ont de plus faibles revenus.
Pour éviter ces effets anti-redistributifs, deux solutions sont possibles : l’exonération ou la compensation. L’exonération enlève l’effet sur les prix et risque de réduire l’impact environnemental attendu. La compensation, par une réduction d’impôt ou un transfert supplémentaire, permet d’améliorer l’impact sur la redistribution, tout en préservant le principe « pollueur-payeur ». L’effet sur la distribution des revenus dépend aussi de la manière dont les moyens récoltés sont utilisés. Pour le quart des ménages avec les revenus les plus bas, les dépenses liées à l’énergie représentaient 7 % des revenus (voir graphique page 4). Cette part est divisée par deux pour le quart de ménages belges avec les revenus les plus élevés. Un relèvement des prix correspondant à 30 euros par tonne de CO2 aurait un impact de l’ordre de 200 euros par an pour ceux qui se chauffent au mazout4, 100 euros pour ceux qui se chauffent au gaz, et de 30 euros par an sur la facture d’électricité. Une compensation est nécessaire, en fonction du type de chauffage utilisé, au moins pour les personnes qui ont les revenus les plus bas.
En matière de transport par route, activité dont les émissions sont en forte croissance tant du côté des particuliers que des entreprises, l’idée d’une taxation par kilomètre parcouru est de plus en plus étudiée, voire mise en œuvre pour ce qui concerne les camions. Pour les camions, il serait possible de transformer l’eurovignette actuelle, qui est un montant forfaitaire, en une redevance par kilomètre. Environ la moitié des kilomètres parcourus par les camions sur le territoire belge est un trafic de transit, pour lequel la contribution actuelle est quasi nulle. Une proposition de directive européenne permettrait de tenir compte de certains facteurs externes en plus du coût de l’infrastructure (bruit, congestion à condition de faire payer aussi les voitures… mais pas le CO2 — accises — ou les accidents). La mise en place d’une redevance au kilomètre pour les camions, en coordination avec les pays voisins, permettrait de rencontrer des objectifs environnementaux sans trop d’impact social. La concurrence entre transporteurs belges et extérieurs ne serait pas amplifiée.
L’extension d’un tel système aux voitures particulières permettrait aussi une meilleure prise en compte des coûts externes, via le paiement en fonction de l’utilisation. Des questions pratiques se posent, comme le respect de la vie privée, le coût des équipements individuels et collectifs nécessaires pour faire fonctionner le système, les coûts de contrôle, de perception. La vitesse ou la manière de conduire peuvent amener de fortes différences de consommation réelle de carburants et donc d’émissions de CO2.En outre, il n’y a pas partout des alternatives au déplacement automobile, en particulier pour les déplacements « indispensables » comme ceux entre le domicile et le lieu de travail. On constate également que plus on a les moyens, plus on se déplace. Renforcer le prix des déplacements risque d’accentuer les écarts entre les « mobiles » et ceux qui le sont moins. Avant d’en arriver là, il sera nécessaire de revoir le système des voitures de sociétés et de celles utilisées par les indépendants, qui encourage l’usage tant privé que professionnel de la voiture, même si quelques correctifs ont été apportés, comme une cotisation sociale en fonction des émissions théoriques des véhicules et la déduction des frais inversement proportionnelle aux émissions des voitures.
Les incitants sont aussi utilisés ou envisagés pour amener les ménages et les entreprises à adopter des comportements plus favorables à l’environnement. Les subsides sont nombreux et variés, accordés par des communes, des provinces et les Régions. La fiscalité n’est pas en reste avec la réduction d’impôt pour les dépenses faites en vue d’économiser l’énergie et pour maisons passives. Les économistes et les organismes internationaux nous enseignent qu’un impôt juste et efficace doit reposer sur la base imposable la plus large possible et afficher le taux le plus bas possible. La multiplication des déductions ou réductions d’impôts, et leur élargissement se sont clairement manifestés depuis 1999. Il ne se passe pas six mois, une loi-programme, sans de nouvelles dépenses fiscales. L’article 145 du code, qui rassemble un grand nombre de déductions, est passé de 23 à 32 rubriques5. À titre d’exemple, voici quelques mesures du printemps 2009 : bonification d’intérêt (1,5 %) accordée sur des emprunts destinés à des investissements « verts » ; ajout de l’isolation des murs et du sol dans la déduction pour les dépenses qui économisent l’énergie ; en cas de rénovation (>5 ans) report possible sur plusieurs années ; augmentation de 0,15 à 0,20 euro/km de l’indemnité « vélo » exonérée ; exonération de l’avantage de toute nature « vélo », amortissement accéléré.
Ces dépenses fiscales sont la plupart du temps socialement peu justifiées :
– il faut payer de l’impôt pour en bénéficier et environ 20 % de la population, dont la fraction la plus précarisée, n’a pas un revenu imposable suffisant pour en bénéficier ;
– il faut être au courant des mesures et savoir déjà bien calculer pour l’inscrire correctement dans sa déclaration ;
– le montant effectivement déduit augmente avec les revenus ;
– les locataires ont de fait moins de possibilités d’obtenir ce type d’aide, alors qu’ils en ont souvent le plus besoin.
De plus, leur accumulation réduit les moyens disponibles pour les besoins collectifs. Les diverses déductions représentent au moins 6 % de l’impôt des personnes6. Sur le plan de l’efficacité aussi, pas mal de questions se posent. L’effet d’aubaine joue un rôle important en ce qui concerne les investissements qui économisent l’énergie. Si quelqu’un a vraiment besoin de l’aide, peut-il attendre deux ans en moyenne avant de l’obtenir ? D’un point de vue environnemental, il n’y a pas de hiérarchie dans les déductions fiscales. L’aide fiscale pour l’installation de double vitrage est la même pour une rénovation ou pour une nouvelle construction. L’incitant ne dépend pas de l’impact attendu sur l’environnement, et n’est pas lié à un audit énergétique qui pourrait indiquer les investissements les plus utiles.
Pour conclure
Une fiscalité verte qui tient compte du pilier social du développement durable est possible, mais ne va pas de soi. Chaque proposition doit être étudiée, analysée et éventuellement accompagnée de mesures correctrices. Une tarification au kilomètre pour les camions, un meilleur système de déductions fiscales et de primes pour les investissements qui économisent l’énergie devraient avoir un impact social positif. Une augmentation de la fiscalité sur le chauffage doit aller de pair avec un complément de revenu pour les personnes qui ont les revenus les plus faibles. La répartition des compétences fiscales en matière d’environnement est assez complexe. Les accises sont de compétence fédérale, les taxes liées aux véhicules sont régionalisées. Pour modifier les choses de manière cohérente et sans développer trop de concurrence fiscale entre les Régions, il faut un accord entre elles. Cela concerne en particulier une révision de la taxe de circulation, qui pourrait mieux prendre en compte les facteurs environnementaux et une éventuelle taxation au kilomètre parcouru.
1 Le coût externe d’une tonne de CO2 varie, selon les études, de 3 à 300 $.
2 Les données ne prennent pas en compte la TVA sur les produits ou services concernés. Les taux de TVA sont plus élevés en Belgique que dans les pays voisins.
3 F. Bossier, …, Impact of EU Energy and Climate Package on the Belgian energy system and economy, WP 21-08 (Scénario 30/20).
4 Consommations : mazout = 2000 l/an ; gaz = 13 mWh ; électricité 4 mWh.
5 Quelques exemples d’extensions : accueil des enfants au-delà de 3 ans ; logements extension aussi pour les acquisitions ; relèvement des montants pour l’épargne pension. Quelques exemples de nouvelles dépenses fiscales : sécurité (alarme), voitures propres, économie d’énergie avec une liste qui s’allonge, maison passive, rénovation urbaine, obligations publiques ciblées…
6 Source : Inventaire des dépenses fiscales 2006, Chambre des représentants doc 52 1527/010. Les derniers chiffres publiés en février 2009 se rapportent à l’année 2005. Ne sont pas considérées ici comme dépenses fiscales les réductions d’impôt pour revenus de remplacement.