Le transport génère un important coût écologique : impact sur l’environnement, sur les modes de production, engorgement des grandes villes, etc. Pendant de nombreuses années, ces « coûts externes » du transport ont pu être plus ou moins négligés par les politiques mises en œuvre au niveau régional, national et européen. Il n’en est plus de même aujourd’hui, avec en particulier l’enjeu pressant du réchauffement climatique. La Commission européenne doit présenter, ce mois de juin, des propositions pour prendre en compte ce coût externe.

 Depuis quelques années, des études tentent de chiffrer le coût externe — ou indirects — du transport. Il s’agit, en résumé, des coûts qui ne sont pas pris en charge directement par l’usager, mais se répercutent progressivement sur l’ensemble de la société : pollution atmosphérique et maladies qui lui sont liées, réchauffement climatique, coûts des infrastructures et de la congestion des villes. Calculer ces coûts collectifs réels est une étape vers l’élaboration d’une politique de mobilité durable. De manière générale, ces coûts externes sont majoritairement imputables au transport individuel ; vient en seconde position le transport routier de marchandises (fret), et enfin le transport aérien.
Il y a quelques années, la Commission européenne a procédé à une évaluation monétaire des coûts imposés à la collectivité par le transport 2. Pour ce faire, elle a calculé les niveaux des coûts générés par le parcours sur 100 kilomètres d’un poids lourd sur une autoroute de campagne aux heures creuses. Dans ce calcul, ont été pris en considération les coûts liés à la pollution atmosphérique (coûts sur la santé), au changement climatique (inondations et endommagement des cultures), aux infrastructures, au bruit (coûts sur la santé), aux accidents (coûts médicaux) et à la congestion (perte de temps). Exprimée en euros, la fourchette moyenne du coût externe et d’infrastructure d’un parcours sur 100 km d’un poids lourd sur une autoroute peu encombrée va de 8 à 36 euros (voir tableau).
Bien entendu, une partie de ces coûts est déjà couverte par les charges supportées par ce poids lourd : taxes sur le carburant et sur le véhicule, redevances d’infrastructure (dans certains pays de l’Union européenne seulement).
Dans une étude récente, l’Agence européenne de l’environnement se penche sur une comparaison entre différents modes de transport (route, rail, air, mer), sur les aides et subventions publiques accordées à ces différents modes de transport (réduction ou exemptions des taxes sur les carburants, financement des infrastructures, etc.) ainsi que sur leurs coûts externes (bruit, pollution, changement climatique, accidents, dégradation de la nature et de l’environnement) 3. Les résultats de cette étude montrent le déséquilibre flagrant des coûts externes du transport par route (voir graphique ci-dessous). Il ressort de ces études que la situation actuelle n’est ni optimale, ni efficace, ni équitable.

En Belgique

Même s’il est difficile de chiffrer le coût externe de manière précise, en Belgique, le Conseil fédéral du développement durable l’évalue à quelque 13 milliards d’euros par an 4. Cette étude se fonde notamment sur l’étude de la Commission, et englobe le coût :
– de la pollution atmosphérique ;
– de l’impact sur les changements climatiques ;
– de la destruction de la nature et des paysages ;
– du bruit ;
– des accidents ;
– des retombées urbaines.
Elle ne tient pas compte de deux éléments supplémentaires :
– le coût de la congestion du réseau routier (dans l’Union européenne, ce coût représenterait environ 1 % du produit intérieur brut européen)
– le coût de l’usure des infrastructures.
Signalons qu’une étude de l’Université de Leuven (groupe de recherche Transport and Mobility) évalue le seul coût de la congestion en Belgique à 114 millions d’euros par an. Quant aux coûts environnementaux, ils s’élèveraient à 361 millions d’euros par an. Il apparaît en tout cas que c’est la mobilité individuelle (les voitures surtout, un peu les motos) qui est la principale source de coûts externes (68 %), suivie par les camions (26 %) et les transports collectifs (6 %).

Limites atteintes

Une série de politiques mises en œuvre progressivement depuis des dizaines d’années a abouti à privilégier le mode de transport qui a les coûts externes les plus importants, qui est le moins sûr, et qui entraîne le plus de dépenses publiques en infrastructures, à savoir le transport routier. Aujourd’hui, la réduction de ces coûts doit être l’un des objectifs premiers d’une politique de tarification efficace et équitable (redevance d’infrastructure, vignette, taxe sur les carburants, etc.). L’enjeu du réchauffement climatique nécessite une réponse politique au niveau régional, national et européen. Globalement, les transports intérieurs européens sont responsables de 21 % des émissions de gaz à effet de serre ; ces émissions ont augmenté de 23 % depuis 1990. Les transports urbains génèrent à eux seuls 40 % des émissions de CO2 imputable au transport routier, et les normes de qualité de l’air ne sont pas atteintes dans de nombreuses villes européennes… Au total, le coût environnemental des transports pour la société est évalué à 1,1 % du produit intérieur brut. C’est dans ce contexte que la Commission doit présenter, ce mois de juin, une proposition de révision de la directive « Eurovignette » (taxation des poids lourds pour l’utilisation de certaines infrastructures) afin de prendre en compte les coûts externes du transport. Il s’agirait d’introduire ce critère de coût dans le calcul des redevances. Si, selon certaines informations, l’ambition de la proposition de la Commission est limitée, cette initiative reflète en tout cas un constat auquel on ne peut se dérober : notre système de mobilité a atteint ses limites.

La fiscalité des transports en Belgique


Voici, selon Christian Valenduc 1, l’état de la fiscalité appliquée aux différents modes de transport en Belgique (les * signifient qu’il s’agit d’un impôt général non spécifique au transport) :
– voiture individuelle : accises sur les carburants, taxes de circulation et de mise en circulation, TVA sur l’achat du véhicule*, taxes sur les contrats d’assurance* ;
– camion : idem + Eurovignette. Par ailleurs, les entreprises de transport routier récupèrent la TVA, car elles sont assujetties ;
– transports en commun : incitants fiscaux pour les déplacements domicile-travail, exonération d’accises, de la taxe de circulation et de la taxe de mise en circulation, non-assujettis à la TVA.
Concernant les frais de déplacement domicile-travail, les principes de déductibilité suivants sont d’application :
– les frais incombent aux salariés et sont déductibles fiscalement ;
– l’intervention de l’employeur constitue un revenu taxable dans le chef du salarié, qui peut toutefois être immunisé dans certains cas :
• sous le régime des charges forfaitaires, l’intervention de l’employeur dans les frais de transport public est intégralement immunisée, alors qu’en cas d’utilisation d’une voiture individuelle, l’immunisation est limitée à 160 EUR.
• sous le régime des charges réelles, tout remboursement effectué par l’employeur est taxable. La déductibilité des frais de déplacement est de 0,15 EUR/km pour la voiture, et correspond aux frais réellement payés pour les transports en commun.
Les pistes fiscales qui permettraient de rendre la mobilité plus durable sont :
– taxe de mise en circulation et de circulation modulée en fonction de critères générateurs des coûts externes, mais avec deux écueils : il s’agit d’impôts régionaux qui doivent faire l’objet d’un accord de coopération pour toute modification, ce qui rend difficile et lente toute avancée en la matière ; il y a un risque d’immatriculation à l’étranger pour les camions ;
– faire payer l’utilisateur de l’infrastructure. Deux pistes sont ici possibles : la taxation sur les carburants et la taxation/km. M. Valenduc se montre davantage favorable à la taxation/km comme en Allemagne, afin d’éviter le recours au tourisme à la pompe. Cette piste nécessite toutefois un accord avec les États voisins. Les recettes de cette taxation/km pourraient être affectées à un « fonds pour l’infrastructure ferroviaire et les TEC » éventuellement préfinancé, afin que les transports publics constituent de véritables alternatives à la voiture. En Suisse, la taxation est fonction de trois critères : le nombre de kilomètres parcourus, la charge du véhicule et le taux d’émission de CO2. Les recettes sont utilisées notamment pour le transfert modal.
Il importe en tout cas de garder un « signal prix » pour toutes les formes de mobilité, tout en prévoyant des compensations pour les personnes à bas revenu, par exemple des chèques mobilité de base.

(1) Exposé de Christian Valenduc, Conseiller général au Service d’études des finances, aux groupes de travail conjoints Mobilité et Environnement de la CSC – 2007.
(2) « La politique européenne des transports à l’horizon 2010 – l’heure des choix », COM(2001) 370 final, du 12 septembre 2001.
(3) Agence européenne pour l’environnement, « Transport and environment : on the way to a new common transport policy », EEA Report n°1/2007.
(4) Conseil fédéral du développement durable, « Avis cadre pour une mobilité compatible avec le développement durable », approuvé par l’assemblée générale du 19 février 2004, avec abstention des six représentants des organisations d’employeurs. Signalons que les coûts externes des transports font l’objet d’études et de recherches depuis plusieurs années déjà.