Du 21 au 29 septembre s'est déroulée la Semaine de la mobilité durable, un événement qui tente de promouvoir des modes de transport « alternatifs » à l'automobile particulière. Redécouvrir la marche à pied, le vélo, les transports en commun ou le co-voiturage : une initiative bien utile, surtout lorsqu'on fait le compte des nuisances générées par la croissance du trafic motorisé en milieu urbain.


Cette semaine s'inscrit dans le prolongement de la journée « En ville, sans ma voiture ! » du dimanche 22 septembre dernier : une quinzaine de villes wallonnes ainsi que les 19 communes bruxelloises fermées à la circulation automobile. Voilà qui rappellera à certains les fameux « dimanche sans voiture » des années 70, lorsque ce n'étaient pas les préoccupations environnementales qui l'emportaient mais... la crise pétrolière. Cette année, la semaine de la mobilité durable a permis de promouvoir des projets dans cinq domaines privilégiés : les cheminements piétons, le partage de la rue, les rangs scolaires à vélo et à pied, le covoiturage et la journée « En ville sans ma voiture ! ». L'idée est d'encourager l'usage des modes de transport et de déplacement alternatifs à la voiture particulière, de sensibiliser et d’informer les citadins sur les enjeux liés à la mobilité durable en ville et sur les risques liés à la pollution. Mais aussi, de montrer la ville sous un autre jour grâce notamment à un trafic motorisé réduit au sein de périmètres réservés. Nous publions ci-contre le témoignage d’un cycliste dans la ville, ainsi que quelques faits tirés de l'argumentaire des organisateurs de ces événements.

Pour en savoir plus :
- http://semaine.mobilite.wallonie.be
- http://www.22september.org
- http://www.iewonline.be/Pageaccueil.htm
« Dimanche 22 septembre : en ville sans ma voiture ». Oui, pourquoi pas… Lundi 23 septembre : en ville avec mon vélo ? Là, c’est autre chose ! L'expérience du vélo dans une grande ville est une expérience à la fois redoutable et très instructive.
Prendre son vélo à l’heure de pointe dans les artères de la capitale, c'est se plonger en l'espace de quelques minutes dans le monde, au mieux, de l'indifférence féroce, au pire, du mépris. Bienvenue dans l’univers des minorités et des sans-droits ! Une expérience “sociale” en quelque sorte, puisqu’elle rend tangible pour le cycliste le sentiment de l’exclusion et de la vulnérabilité dans un monde construit autour du plus fort. Frissons garantis. Se trouver à vélo sur un grand boulevard, entouré d'autos vrombissantes, ce n'est pas l’éléphant dans un magasin de porcelaine, c'est la porcelaine au beau milieu d'un troupeau d'éléphants ! Sans doute une expérience assez proche de celle de l’étranger face aux autochtones, de la personne handicapée face aux bien-portants, du chômeur face aux travailleurs… Aussi, l'endroit idéal, à déconseiller toutefois aux enfants et aux personnes âgées, pour contempler le comportement de nos contemporains motorisés. Tentez le coup, cela vous changera.
À vélo au milieu des autos, les impressions se succèdent : celle d'être de trop, celle de ne pas être à sa place, celle d’être isolé face à une meute d’individus potentiellement dangereux, celle d’être un gêneur (“mais qu'est-ce qu'il fout là, celui-là ?”). Ai-je quelques chances d’être considéré moi aussi comme un simple usager de la route ? C’est peu probable. Bon, c'est vrai, je suis lent, et ne peux rivaliser avec les bolides. Mais je ne demande pas grand-chose. Juste une bande de bitume d'environ 60 centimètres de largeur, à côté des trois ou quatre bandes de circulation qui leur sont dévolues. Est-ce de trop ? Certain(e)s font mine de vous ignorer, pensant qu'entre le fort et le faible, c'est à ce dernier de se prémunir contre les risques d’une mauvaise rencontre. D'autres tentent de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Il leur faut alors consentir d'abaisser leur moyenne, mais en rongeant leur frein. Et lorsque l'heure du bureau approche, ce n'est plus, je vous l’assure, un vélo qui les mettra en retard. D’autres encore, le GSM collé à l’oreille, ne vous verront jamais ; ceux et celles-là, incontestablement les plus délétères, ne les quittez surtout pas des yeux…
À vélo, on vous frôle, on vous coupe la route, on vous bloque le passage, on vous réduit à la portion congrue, on vous pousse, on vous tire, on vous coince, on vous pollue... Aussi, on vous intimide, on vous dupe. Il est difficile de ne pas prendre tous ces comportements pour de violentes provocations. J'ai vu des cyclistes excédés cracher sur les pare-brise des voitures. Pourtant, le plus souvent, le motorisé ne cherche pas à nuire. Non, plus simplement il ignore l’existence d’autrui (entendez : du non-automobiliste). À vélo, vous devenez comme transparent. Ou plutôt : il n’est pas vraiment prévu que vous vous trouviez là, sur cet étrange moyen de transport… D'où cet autre enseignement qu'apporte le bicycle en ville : la notion de droit est relative. Le code de la route lui-même devient flexible. Certes, j'ai la priorité de droite, mais le conducteur venant de droite et moi savons tous les deux pertinemment bien qui, de nous deux, prend un risque en faisant valoir son droit. Un vélo ne va tout de même pas s'imposer face à un véhicule qui pèse une tonne ? Une expérience sociale ? Cela me fait penser à une certaine propagande de l'extrême droite face aux étrangers: ils ne vont tout de même pas prendre nos pains et voler nos emplois ! J'ai aussi vu un automobiliste – furieux d'avoir dû céder le passage à un cycliste – le dépasser pour ensuite l'envelopper dans un épais nuage de fumée de diesel en guise de représailles. “Prendre sa place dans le trafic”, chante Cabrel...
Le vélo aux heures de pointe, c'est l'expérience de la faiblesse, des droits ignorés, de l'indifférence vécue et aussi d'une certaine forme d'isolement. Car à vélo, vous êtes seul. Les cyclistes représentent un groupuscule de non-motorisés dispersés dans la ville et largement minoritaire. Comment faire entendre sa voix ? Conséquence : l'absence d'une véritable politique d'aménagement des voiries ou, dans d'autres cas, des aménagements qui défient le bon sens. On rencontre des situations parfois franchement aberrantes ! À se demander, une fois de plus, si l’on est considéré, mais cette fois par nos responsables politiques, comme un usager de la route. Et à cet égard, une journée sans voiture ne peut bien sûr pas dissimuler l’absence d’une politique pour le développement du transport à vélo. Sur les grandes artères de nos villes, être cycliste c'est accepter de se vivre comme un étranger, comme un handicapé de la mobilité – même si, bien souvent, le vélo est plus rapide. C'est également être forcé d’accepter le risque de la vulnérabilité ; être une porcelaine au milieu d'un troupeau d'éléphants, et pas de gaieté de cœur.
Mais alors, pourquoi le vélo ? Pas par activisme, pas par militantisme politique, pas par passion sportive (le Tour de France est le cadet de mes soucis). Simplement, parce que le vélo, c’est bien plus qu'un simple moyen de transport. C’est une philosophie, une manière de vivre. C’est un instrument de redécouverte de l'espace-temps lorsque la voiture nous l'a fait oublier. L'expérience de prendre son vélo et de se balader dans des quartiers même familiers, c'est l'expérience de la redécouverte. On y voit des choses que l'auto nous cache : une façade de maison, un jardin, un arbre... Aussi, à vélo, on voit les gens, les passants, les enfants ; on les entend, on peut même leur parler, vous vous rendez compte !... On redécouvre ce que signifie “cheminer”, le temps que cela demande et l’effort que cela coûte. »