À l’échelle de l’histoire humaine, et encore plus à celle de notre planète, la révolution industrielle n’occupe qu’une toute petite place. Elle n’a pas plus de 150 à 200 ans en Belgique, guère plus d’une trentaine d’années dans certains pays asiatiques. Et cependant, ce qui à l’échelle du temps long ne représente que l’équivalent de quelques secondes aura non seulement chamboulé de fond en comble les structures sociales, mais aussi rudement affecté l’équilibre écologique de la planète.


Le mode de développement dominant centré sur un usage intensif de pétrole a suscité d’importantes interrogations portées sur la place publique depuis plus de trente ans : menace d’épuisement de ces énergies non renouvelables, dégâts pour la santé et pour l’environnement... Aujourd’hui, c’est l’équilibre global qui est menacé. Vu la gravité du diagnostic du GIEC dès 1990, les Nations unies ont établi une convention sur les changements climatiques, signée à Rio de Janeiro en juin 1992. Il s’agit de préserver un climat "viable" ou " soutenable " en réduisant les émissions globales. Mais le défi est de taille, car cela signifie toucher au cœur du fonctionnement de nos économies : l’énergie. Il s’agit de déconnecter croissance économique et croissance de la consommation énergétique. Il faudra encore attendre 1997 et le fameux " Protocole de Kyoto " pour que des objectifs précis de réduction soient assignés. Et ce n’est, finalement, qu’en octobre 2001, au travers des "accords de Marrakech", que seront affinés les instruments et les règles du jeu. Les tensions entre pays, entre continents, entre Nord et Sud reposent en effet sur la manière de répartir la charge, et sur les types de moyens à utiliser. À juste titre, les pays du Sud estiment que ceux du Nord ont une dette écologique à leur égard, et qu’ils ne sont qu’au début de leur phase d’industrialisation. Européens et Américains avaient mis beaucoup de temps à trouver un compromis entre instruments flexibles ou de marché et instruments contraignants, tels une taxe CO2 mondiale. Entretemps, il eut le lâchage du président américain, George Bush.

Chez nous
Et la Belgique? Elle accuse beaucoup de retard dans la mise en œuvre d’une politique digne de ce nom. Or, elle est une grande consommatrice, bien au-dessus de la moyenne européenne. Ceci tient en partie aux structures industrielles héritées du passé, mais aussi à une attitude fort défensive de la plupart des acteurs. Le partage des compétences entre fédéral et régions ne facilite bien sûr pas les choses, de même que le blocage du ministre des Finances, qui s’assied sur le principal dossier susceptible d’enfin donner un signal clair à tous les acteurs économiques : celui de la taxe CO2.
La politique climatique belge a reçu pour la première fois une forme bien définie en 1994, en tant que Programme national de réduction des émissions de CO2. Ce programme faisait suite à la décision du gouvernement fédéral de réduire, pour l’année 2000, les émissions de CO2 de 5% par rapport à 1990. Mais peu de mesures ont été concrétisées et il est devenu clair que l’on n’atteindrait pas la réduction de 5%. Néanmoins, la Conférence interministérielle pour l’environnement (CIE) a confirmé, en 1996, l’objectif de 5% tandis que pour 2010, on a tablé sur une réduction comprise entre 10 et 20% par rapport à 1990, à condition que les autres pays industrialisés consentent à faire des efforts comparables et qu’un certain nombre de mesures collectives soient mises en œuvre. En approuvant le Protocole de Kyoto, la CIE a décidé d’élaborer un plan climat pour la fin de l’année 1999, en fonction de l’objectif de 7,5% pour les six gaz à effet de serre. Finalement annoncée pour le début de la présidence belge de l’Europe, sa publication fut encore différée pour, enfin, se voir adoptée définitivement par la conférence interministérielle de ce 6 mars 2002. Comme convenu à Kyoto, tous les pays industrialisés, dont la Belgique, devront réduire considérablement leurs émissions de CO2. L’effort belge représente une baisse de 7,5% d’ici 2012. De 1990 à 1999, le volume des rejets de gaz en Belgique est passé de 140 à 150,8 millions de tonnes de CO2 équivalents (MTCO2). Si rien n’est entrepris, ces rejets atteindront 164,8 MTCO2 en 2008-2012, soit 34,3MT de plus que l’objectif fixé par le protocole de Kyoto. La Belgique a donc fort à faire. D’où l’importance de ce plan qui fixe une série de mesures concrètes applicables à court et à moyen terme, dans tous les secteurs émettant des gaz à effet de serre (l’industrie, les transports, le secteur énergétique, l’agriculture…). L’effort sera réparti entre les trois Régions, chacune selon des plans précis qu’il est évidemment impossible de détailler ici. La Flandre, par exemple, mise sur l’utilisation d’énergies renouvelables, sur la création d’un plan lisier visant à réduire les émissions de méthane, et sur la mobilité " douce ". En Wallonie, l’accent est mis, notamment, sur le puits de carbone (1) ou la création d’un fonds Énergie. Bruxelles, enfin, prévoit de limiter le trafic automobile et d’installer des capteurs solaires. Mais " la " grande mesure de ce plan, c’est l’introduction éventuelle d’une taxe énergie CO2 (11,5 EUR par tonne d’émission). À ce propos, le secrétaire d’État à l’Énergie, M. Olivier Deleuze, a annoncé trois points : le lancement d’une étude menée par l’université d’Anvers censée mesurer l’impact d’une telle taxe sur les ménages, la concertation entre l’État fédéral et les Régions (qui négocient avec les secteurs industriels), et la réalisation par le Bureau du plan d’une étude économique évaluant l’impact de ce scénario. Mais, du point de vue de la taxe CO2, le plan paraît bien faible; le blocage met en péril la stratégie mise en place. Ainsi, pièce maîtresse de réduction des émissions, les accords de branche avec les secteurs et les entreprises les plus grandes consommatrices d’énergie que les Régions flamande et wallonne négocient de leur côté sont menacés. En effet, ces négociations reposent sur le contrat suivant : "nous nous concertons avec vous pour définir des objectifs qui tiennent compte des contraintes de votre secteur ; mais si vous ne les atteignez pas, vous serez soumis à la taxe CO2". Tant que la taxe n’existe pas, il n’y a pas de bâton, et donc pas de sanction !
Pour compléter ces mesures, la Belgique entend appliquer, avant la fin 2002, les fameux " mécanismes de flexibilité " prévus à Kyoto (échange des droits d’émission, projets communs entre pays industrialisés… lire article page suivante). Le plan climat – intégré à l’accord de coopération signé par les douze (!) ministres compétents – doit maintenant être soumis au Conseil d’État, avant d’être approuvé par les Parlements fédéraux et régionaux. Parallèlement, il s’agira d’harmoniser les méthodes d’évaluation des émissions de gaz à effet de serre entre les quatre niveaux de pouvoirs concernés.

Catastrophe nationale ?
Baptisant le plan climat de " catastrophe nationale ", les principales ONG environnementales jugent très sévèrement la situation actuelle (2). " Le manque d’ambition est flagrant. Si rien ne change en Belgique, notre pays émettra à l’horizon 2012 quelque 165 millions de tonnes des émissions de gaz à effet de serre. Ce qui constitue un ‘surplus’ de 34 millions de tonnes par rapport aux objectifs définis dans le cadre du protocole de Kyoto. Dans le cas d’un scénario combinant des mesures fiscales (taxe CO2 de 11,5 EUR par tonne) et non-fiscales, le Plan prévoit, à l’horizon 2010, une réduction des émissions de quelque 13,7 millions de tonnes. Ce qui voudrait dire qu’il resterait 20,6 millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre en trop. Les ‘mécanismes flexibles’ (permis de polluer, puits de carbone…) sont censés combler ce trou… à l’étranger. Le Plan climat national n’est rien d’autre que l’énumération de mesurettes sans vision globale, dont certaines ne sont qu’à l’étude. "
On le voit : le plan aurait dû se baser davantage sur des instruments macroéconomiques tels que la taxe CO2/énergie qui fait apparaître des prix économiquement et écologiquement plus justes. Faut-il rappeler que la fiscalité sur l’énergie dans notre pays demeure la plus basse de toute l’Europe ? Les recettes d’une telle taxe pourraient en outre servir à l’utilisation plus rationnelle de l’énergie et à une réduction de la fiscalité sur le travail. Mais qui, aujourd’hui, a le courage d’aller à contre-courant du discours officiel du "stop à l’impôt" ? Qui a le courage de réexpliquer les objectifs de la taxe CO2, instaurée déjà par la plupart de nos voisins, et de démystifier le débat ? Même les écolos, on ne les entend plus à ce sujet.
Myriam Gérard (Fec)

  1. Un puits de carbone correspond à un écosystème capable de puiser et de fixer le CO2 en excès dans l’atmosphère afin de lutter contre l’effet de serre (ex. : forêt, océan…).
  2. Extrait du communiqué de presse du
    6 mars 2002 émanant de Bond Beter Leefmilieu, Climate Network Europe, Greenpeace Belgique et Inter-Environnement Wallonie.

 

Plan national climat, quelques explications…

Le Plan
Le plan national climat 2002-2012 comprend 130 pages réparties en quatre chapitres clés : les engagements de la Belgique en matière de changements climatiques ; la politique climatique belge ; l’évaluation globale du plan ; ainsi que les axes principaux et le suivi de ce plan (comprenant la répartition des compétences, les mesures non fiscales et l’accord de coopération).

Mesures
Le chapitre relatif aux différentes mesures ("existantes", " prévues ", " conceptuelles" et "en phase d’étude"), soit 50 pages au total, vise à la fois l’énergie, l’industrie, l’agriculture, les services publics, résidentiels et tertiaires, les déchets, le transport, l’aménagement du territoire, les mécanismes de flexibilité, les accords de branche et les puits de carbone.

Acteurs
Douze ministres fédéraux et régionaux sont associés de près ou de loin à ce document, ce qui fait pas mal de monde à accorder : le secrétaire d’État à l’Énergie (Deleuze), les quatre ministres de l’Environnement (Alvoet, Gosuin, Dua et Foret), les trois ministres-présidents des gouvernements régionaux (Dewael, Van Cauwenberghe et de Donnea), les ministres de l’Énergie (Tomas, Dua et Daras) et enfin la ministre fédérale de la Mobilité (Durant).