La Belgique fédérale se dotera-t-elle prochainement d’un plan pour un développement durable pour les années 2000-2003? C’est en tout cas la tâche à laquelle le présent gouvernement devra s’atteler, et la présence des Verts n’y est pour rien, il s’agit d’une obligation légale.


En effet, l’accord conclu au sommet de Rio en 1992 prévoyait l’élaboration par les pays signataires de dispositifs destinés à mettre en œuvre le nouveau concept de développement durable (voir précédent numéro de Démocratie). En 1997, soit cinq ans après ce "sommet de la Terre", la précédente législature s’était dotée d’une loi destinée à "la coordination de la politique fédérale de développement durable" (cf. page 7). Celle-ci définit une série de procédures amenant la Belgique à développer des outils d’évaluation, afin de pouvoir ensuite définir des objectifs et des moyens. Ainsi, la loi charge le Bureau fédéral du plan de rédiger tous les deux ans un rapport scientifique dressant un bilan du cap adopté par la Belgique, ainsi que de contribuer, à côté des fonctionnaires réunis dans la CIDD (voir encadré), à l’élaboration d’un avant-projet de plan, et ceci, tous les quatre ans. Avant que le gouvernement ne se saisisse du projet, la loi prévoit également une consultation de la population. L’avis d’un conseil fort large, créé dans le sillage de Rio, le Conseil fédéral du développement durable (CFDD), se voit octroyer un poids tout particulier. En effet, une fois l’avant-projet adopté par le gouvernement, si ce dernier ne suit pas l’avis du CFDD, il devra s’en justifier. D’après les délais fixés par la loi, c’est en juin 2000 que le gouvernement devait se prononcer.
Le document qui a été soumis à l’enquête publique est un document austère de cent pages. Rédigé dans des délais impossibles (moins de quatre mois), il lui manque un complément synthétique et pédagogique. Néanmoins, il a le mérite d’adopter une structure claire, et a bénéficié du débroussaillage de terrain réalisé par le Bureau du plan dans son rapport. Ce dernier rapport fait par la "task force Développement durable" du Bureau du plan est un document de référence (1), réalisé dans de meilleures conditions que l’avant-projet de plan fédéral, rédigé, lui, dans l’urgence. S’appuyant sur 5 des 27 principes définis à Rio, il couvre d’abord une série de thèmes sociaux, économiques et environnementaux regroupés de la manière suivante : pauvreté et exclusion sociale, surendettement, santé, mode de production, consommation, agriculture, milieu marin, biodiversité, énergie, transport, ozone et changements climatiques. Pour chacun des sous-thèmes, des objectifs dits stratégiques et des mesures sont proposés. C’est la partie la plus volumineuse du plan. Suivent ensuite trois autres parties : les moyens d’exécution (politique internationale, fiscale, scientifique, etc.), un chapitre sur la participation ainsi que le dernier sur dix lignes directrices.
Les perspectives développées sont tantôt fort générales, tantôt très précises, voire pointillistes. Par contre, les implications budgétaires des mesures proposées sont absentes.
D’excellents chapitres – tel celui sur l’énergie et le transport – coexistent avec d’autres, beaucoup plus faibles, tel celui sur la pauvreté, supposé représenter la face "sociale du développement durable", ou sur l’agriculture. Notons au passage qu'en ce qui concerne l’agriculture, le texte est en bonne partie représentatif des modes de pensée du ministère du même nom. Dans les objectifs stratégiques, il renvoie à ceux de la politique agricole commune, et rajoute comme seul élément concret l’encouragement à la conversion vers l’agriculture biologique afin d’atteindre 4% de la superficie agricole en 2004. Aucun objectif clair n’est fixé pour les 96% de superficie restante!
Pour le reste, de nombreux objectifs fixés manquent d’ambition, et on observe en outre de curieuses lacunes, telles que l’analyse de l’évolution des conditions de travail, du stress, de la flexibilité des horaires avec leurs interactions d’une part, avec les modes de gestion "just in time" et l’augmentation du trafic routier ou aérien ainsi que la pollution de l’air, sans parler de leurs effets de déstructuration sociale, à commencer par leur impact sur les conditions de vie des très jeunes enfants, présents en milieu d’accueil jusqu’à 15 heures par jour. Le document a cependant le mérite d’exister, et d’avoir permis un important débat dans la société.

Consultation populaire
L’idée d’un plan pour le développement durable a reçu un bon accueil auprès du public. Malgré la difficulté d’accès du document, et le temps ridiculement court pour réagir (deux mois), pas moins de 16.000 remarques ont été communiquées au sein de 2.100 avis enregistrés début avril. Si 11% des avis proviennent d’organisations, il est remarquable de constater que les citoyens représentent 80% des avis exprimés. Mais il ne faudrait bien sûr pas évaluer l’impact de cette consultation uniquement en fonction du nombre d’avis introduits à la CIDD. En effet, de très nombreux débats ont eu lieu en février et mars, encouragés d’ailleurs par un financement public modeste, certes, mais bien à propos. L’avis le plus attendu est bien sûr celui du CIDD, qui a accompli le tour de force de produire un avis commun à grosso modo 90%. Original, quelques remarques y figurant sont signalées comme ne faisant pas l’objet d’un consensus de tous les membres. L’empreinte de la dimension mondiale des problèmes y est remarquablement soulignée (2). La FEB a émis un avis extrêmement élaboré, de même que la FGTB et le Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (CRIOC). La CSC souligne dans son avis l’importance à accorder à l’emploi et à la couverture sociale comme bouclier le plus sûr contre la paupérisation. Soulignons également l’originalité du travail de formation réalisé par la Fondation des générations futures, avec une quarantaine de jeunes entre 16 et 25 ans, lesquels ont produit d’intéressantes propositions. L’université de Gand a été chargée du dépouillement. La CIDD devra intégrer ces remarques dans un nouveau projet de plan.

Et après?
Le Conseil des ministres était chargé, en principe en juin, d’adopter le plan définitif. Celui-ci, sans avoir de valeur contraignante, devrait cependant guider la politique du gouvernement de 2000 à 2003. Le conditionnel s’impose : l’idée même d’intégration des politiques implique une collaboration étroite entre les cabinets du niveau fédéral, mais aussi avec les Communautés et Régions, ce qui prend du temps. Les implications budgétaires des différentes mesures devront également être précisées. Le pari du secrétaire d’État reposait précisément sur l’intégration de celles-ci dans le débat estival sur le budget 2001-2002, ainsi que sur la réforme fiscale.
Quant à l’avenir de la loi de 1997, beaucoup d’acteurs s’accordent sur les problèmes posés par les procédures qu’elle prévoit, parmi lesquels on peut citer l’absence de mandat politique des fonctionnaires réunis dans la CIDD, les délais trop courts, etc. La révision de la loi est à l’ordre du jour pour la fin de cette année. Elle fera vraisemblablement l’objet de débats difficiles au CFDD, qui devra remettre un avis sur la question. En effet, la consultation aura mis en lumière une série de conflits entre divers lieux de consultation, jusqu’alors bien discrets. Une analyse approfondie de ceux-ci serait bien utile, de même qu’une évaluation des progrès réalisés dans chaque commission dans sa capacité à décloisonner les approches sociales, économiques et environnementales. Une synthèse des innovations méthodologiques ou institutionnelles serait ainsi bienvenue pour aller de l’avant.

Vive la croissance?
Un immense défi à relever non seulement par le gouvernement, mais également par l’ensemble de la société belge, et en particulier les interlocuteurs sociaux, est lié au redémarrage rapide de la croissance économique. Les économistes se réjouissent, mais sont hélas fort silencieux sur le contenu de cette croissance, ainsi que sur ses impacts sociaux et environnementaux à anticiper. Une croissance qui s’inscrirait dans la perspective du développement durable serait davantage créatrice d’emplois (3) et plus juste dans la répartition de ses fruits que le modèle de croissance actuellement dominant. Si l’on ne change pas d’orientation dans les modes de production et de consommation actuels, il faudra s’attendre vraisemblablement à une augmentation encore plus rapide du nombre de camions sur les routes, à davantage de pollution des eaux par l’agriculture intensive, etc. À voir les tendances récentes en Belgique (augmentation de 25% des immatriculations de voitures neuves d’avril 1999 à 2000), à tempérer toutefois par une augmentation (temporaire?) de 7% de l’usage du train depuis la hausse des produits pétroliers, l’évaluation risque d’être douloureuse dans les prochaines années. Un engagement et un cadre politique clair s’imposent certes pour infléchir les tendances du passé. Mais encore faudra-t-il que les chercheurs, et les économistes en premier, fournissent des outils et des méthodes susceptibles d’aborder les interactions et les imbrications des politiques, de même que de toute décision prise dans les milieux économiques. Par ailleurs, un énorme chantier culturel est encore à poursuivre pour contrer les représentations du monde et de soi véhiculées par les messages publicitaires, ainsi que le mode du travail et de la vie "just in time". Et qu’un vaste débat se rouvre : que veut-on produire comme biens et services, pour qui, et à quel prix? Quelle répartition des richesses produites nous paraît-elle la plus légitime?

Myriam Gérard

Loi du 5 mai 1997 relative à la coordination de la politique fédérale de développement durable

Cette loi prévoit :
  • un plan fédéral de développement durable établi tous les quatre ans sur la base du rapport fédéral . "Ce plan, structuré suivant la classification de l’agenda 21, détermine les mesures à prendre au niveau fédéral en vue de la réalisation des objectifs du développement durable dans une perspective d’efficacité et de cohérence interne de la politique en cette matière."

  • un rapport fédéral de développement durable établi tous les deux ans par le Bureau du plan;

  • une Commission interdépartementale du développement durable (CIDD), composée d’une trentaine de fonctionnaires représentant les différents ministères fédéraux. Les Communautés et Régions ont également un représentant. La CIDD est la signataire de l’avant-projet;

  • un Conseil fédéral du développement durable (CFDD), composé d’un représentant de chaque ministre ou secrétaire d’État de chaque Région et Communauté, ainsi que de représentants d'ONG de développement (6), de défense de l’environnement (6), de défense des intérêts des consommateurs (2), des syndicats (6), des employeurs (6), des producteurs d’énergie (2), et du monde scientifique (6).
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  1. Rapport fédéral sur le développement durable, 1999, 445 p., 500 F.
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    URL : http://www.plan.be
  2. CFDD, site Web :
    http://www.belspo.be/frdocfdd
  3. "Les liens structurels entre environnement et emploi", étude réalisée par la FTU, et Arbeid en milieu pour les services fédéraux de l’environnement, rapport final, décembre 1996.