Il existe des alternatives à la logique d’austérité aveugle prônée par la Commission européenne et que le gouvernement fédéral met en œuvre. Une gouvernance économique basée sur la seule maîtrise du déficit et de la dette publics et sur la réduction des dépenses publiques n’offre pas de porte de sortie durable de la crise. Refusant de faire du social la variable d’ajustement de la gestion de la crise, les syndicats proposent leurs alternatives à cette logique – socialement régressive et économiquement inefficace – qui préside aux derniers ajustements budgétaires. Démonstration.

 

 Fin décembre 2011, le gouvernement fédéral a décidé un premier train de mesures d’assainissement destinées à rapporter 11,3 milliards d’euros en 2012. La somme est gigantesque. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, un tel effort n’avait été réalisé. Quelques mois plus tard, le 11 mars dernier, le même gouvernement s’accordait sur un assainissement budgétaire supplémentaire de 2,5 milliards, supposé être indolore pour le citoyen. Outre qu’il ne rectifie pas la répartition injuste des efforts budgétaires réalisés en décembre 2011 et ne met pas suffisamment à contribution le secteur financier, les grandes entreprises (qui, au travers des intérêts notionnels, continuent à échapper à l’impôt sans contrepartie pour l’emploi ni soutien à l’activité économique) ou la rente nucléaire, cet ajustement repose en grande partie sur des gels de dépenses (650 millions) et des réductions et reports de dépenses à 2013 (295 millions) qui ne seront pas sans conséquence sur les services aux citoyens.
De plus, il n’est pas certain que les acteurs politiques aient pris toute la mesure du rétrécissement drastique des marges de manœuvre que vont bientôt imposer à la Belgique les nouveaux dispositifs de la gouvernance européenne 1 dans l’élaboration de son budget. L’exercice réalisé selon le principe de la « râpe à fromage » qui prétend prendre un peu à tous pour préserver chacun ne pourra pas résister au rouleau compresseur de la Commission qui entend avant tout réduire les dépenses publiques, sans se soucier de la répartition équitable de l’effort budgétaire, ni d’un soutien à l’activité économique. Les pressions exercées par la Commission sur la Belgique, qui passe à ses yeux quasi pour le cancre de la classe, sont à cet égard à la fois inquiétantes pour l’avenir et révélatrices des réelles options de la gouvernance économique dans l’Union européenne.

Impasses de l’austérité

Une politique économique européenne se justifie dès lors que les États partagent une monnaie unique. La crise n’a fait que rendre plus évidente et plus aiguë cette nécessité pour l’Union européenne de coordonner ses politiques publiques et budgétaires.
Nous constatons toutefois que la nouvelle gouvernance économique européenne s’engage sur une voie qui risque de conduire à une triple impasse : économique, sociale et écologique. Aveuglée par ses certitudes idéologiques situées à droite, la Commission ne semble pas avoir tiré les leçons de la politique imposée à la Grèce. Dans ce pays, les prescriptions de la Commission qui ont plombé l’économie réelle, sont la cause de désastres sociaux et ont sapé par conséquent les fondements d’un assainissement durable des finances publiques.

• La gouvernance européenne conduit la Belgique, comme les autres pays européens, à une impasse économique. Tout un chacun comprendra aisément qu’une logique d’austérité poussée à l’extrême ne peut que plomber l’économie réelle en sabrant dans les dépenses publiques, en fragilisant la demande intérieure et en sapant ainsi les ressorts de l’activité économique. Dans le contexte d’une union monétaire, une sortie par le haut de la crise nécessiterait au contraire de renforcer la coordination européenne pour freiner la concurrence fiscale et sociale accrue qui résulte de l’impossibilité pour les États de dévaluer leur monnaie. Privés de cette possibilité, les États européens sont bien souvent tentés, en cas de perte de compétitivité, de jouer sur d’autres variables d’ajustement comme la diminution des impôts ou la baisse des salaires. Une harmonisation des politiques fiscales permettrait d’endiguer « the race to the bottom » (la course vers le bas) de l’impôt des sociétés qui s’ensuit dans l’ensemble des pays européens, offrant ainsi aux États de précieuses recettes fiscales complémentaires. Dans le même temps, l’instauration d’un salaire minimum européen pourrait donner un coup d’arrêt à la constante pression à la baisse des salaires (baisse des salaires dans le secteur public, baisse du salaire minimum, etc.) ; laquelle menace les revenus des ménages et, partant, la croissance économique et la cohésion sociale. Certes, une telle coordination, centrée sur le souci de garantir les recettes des États par une juste contribution de chacun des acteurs économiques et la garantie de salaires équitables, s’établit à contre-courant d’une gouvernance européenne obnubilée par la réduction des dépenses et la maîtrise des salaires. Elle n’en est pas moins valide en termes de maîtrise des déficits et des dettes publiques et de réponse à la concurrence mondiale. Sans compter son équité sociale.

• Mettant en péril les services publics et fragilisant les systèmes de protection sociale par la réduction unilatérale des dépenses publiques, l’approche européenne de la gouvernance mène aussi selon nous à une impasse sociale. La Grèce apparait ici comme le révélateur de l’envers social des politiques néolibérales d’austérité budgétaire, de modération salariale et d’affaiblissement systématique des conditions de travail (licenciement plus facile des travailleurs, promotion du travail intérimaire et du travail à durée déterminée…) menées dans le seul but d’accroître la compétitivité des entreprises. En Grèce, la logique d’austérité aveugle creuse les inégalités et tue tout espoir de cohésion sociale, sans jeter les bases d’une sortie de crise. Nous ne pouvons accepter que le social serve comme principale variable d’ajustement de gestion de la crise de l’endettement. Pour ne citer que quelques chiffres, en Grèce, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est aujourd’hui de 47,2 % ! Il est de 20,7 % en Belgique, de 23,8 % en France, 48,7 % en Espagne. Près d’un jeune sur deux dans la Péninsule ibérique... Les chiffres sont effrayants. En Grèce, des études récentes mettent en évidence la montée de l’émigration. Entre début 2008 et début 2011, 10 % des 20-29 ans ont quitté le pays. Autres indicateurs dramatiques en Grèce, le nombre de sans-abris a augmenté de 25 % en 2 ans. On constate également une forte augmentation du nombre de suicides. Si Athènes est le laboratoire social de l’Europe, il y a de quoi frémir…

• Ultime impasse de la gouvernance européenne, l’oubli de la transition écologique. L’Europe semble avoir perdu de vue qu’un défi à rencontrer absolument était celui du changement climatique. Dans les discours, le repère utilisé et l’objectif est à nouveau celui de la croissance économique. Et celle-ci est totalement déconnectée de la question environnementale. Tout se passe comme si l’on avait oublié depuis 2008 l’importance de la crise écologique pour ne plus raisonner qu’en termes de croissance, fut-elle durable...

Propositions progressistes

Finalement, le contrôle budgétaire de la fin de l’hiver et l’ajustement de ce printemps sont de nouvelles occasions manquées. Car la justice fiscale n’est toujours pas au rendez-vous. Mais l’assainissement des finances belges n’est pas terminé. Il devrait, selon nous, s’appuyer sur plusieurs volets.

La fiscalité sur le patrimoine reste très lacunaire en Belgique. Il a été question d’apporter des corrections lors des discussions de l’été 2011. Mais aucune décision concrète n’a été prise. On le sait, une fiscalité juste sur le patrimoine exige la mise en place d’un cadastre. Un tel outil permettrait de taxer les grandes fortunes, comme le font d’autres pays européens. En matière de taxation des plus-values, des corrections doivent également être apportées. Lors de l’élaboration du budget 2012, le gouvernement « papillon » a décidé d’introduire partiellement une taxation des plus-values réalisées par les entreprises. Cette mesure doit encore être mise en œuvre. Les libéraux se sont opposés à ce que les particuliers doivent également supporter une telle taxe. Nous considérons que cette situation doit être corrigée. Plus précisément, un impôt à part entière doit être mis en place pour toutes les plus-values, tant celles réalisées par les entreprises que par les particuliers. Outre une plus grande justice fiscale, une telle mesure contribuerait également à freiner la spéculation.


Corriger l’impôt des sociétés
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le taux d’imposition effectif moyen des entreprises est passé de 19,9 % en 2001 à 11,8 % en 2009. Le moins qui puisse être dit est qu’on est largement en dessous du taux d’imposition légal, qui est de 33,99 %. Si les entreprises payaient ne fusse qu’un un taux de 20 %, les pouvoirs publics auraient perçu plus de 7 milliards de recettes supplémentaires… En France, même le candidat Sarkozy considère que la situation est devenue indécente et qu’il faudrait mettre en place un taux d’imposition minimum pour les sociétés. En Belgique, la droite considère que l’idée est stupide et elle a été enterrée en quelques heures lors du dernier contrôle budgétaire. Indéfendable. Selon nous, la correction de l’impôt sur les bénéfices des entreprises devrait en gros prendre les formes suivantes...

• La déduction des intérêts notionnels doit être revue pour introduire des limites plus strictes, tant pour les grandes entreprises que pour les PME. • Un taux minimum d’imposition doit être fixé pour les bénéfices des sociétés. Il est indécent que l’ingénierie fiscale permette à des entreprises d’échapper totalement à l’ISOC.
• Le système des revenus définitivement taxés (RDT) doit être durci. Ce mécanisme consiste à ne pas taxer les revenus réalisés par une entreprise et qui ont déjà imposés dans un pays tiers. Le régime belge très favorable en matière de revenus définitivement taxés est l’un des moyens que les grandes entreprises établies en Belgique utilisent pour échapper à l’impôt.

Lutter contre la fraude fiscale
Elle doit s’appuyer sur la suppression complète du secret bancaire, ce qui n’est pas encore le cas. L’administration fiscale doit pouvoir avoir un accès automatique aux données bancaires. Et une nouvelle amnistie fiscale doit être exclue. Ceux qui ont fraudé doivent en supporter les conséquences. En matière de procédure, les contrôleurs et les tribunaux doivent pouvoir s’appuyer sur des outils clairs, qui permettent de ne pas faire durer les procédures jusqu’à la prescription.

Une fiscalité plus verte
Taxer les billets d’avion, notamment en classe business ou en première classe, est une piste qui a été évoquée à plusieurs reprises dans le cadre de l’assainissement des finances publiques. Le gouvernement précédent avait pris une décision, mais ne l’a pas concrétisée. La coalition «papillon» n’a elle non plus pas tranché. Promouvoir une mobilité plus durable est pourtant un enjeu majeur, qui dépasse le cadre de l’assainissement budgétaire.
Les pistes réalistes qui permettraient à la fois de tendre vers l’équilibre budgétaire, mais aussi de renforcer l’égalité et plus de justice sociale ne manquent décidément pas.

(*) Service d’études CSC et FEC



1. Les six règlements sur la gouvernance économique (« sixpack »), Pacte Euro + adopté le 24 mars 2011, nouveau traité intergouvernemental engageant les États à introduire une « règle d’or » sur la maîtrise des budgets publics dans leur Constitution, sans oublier les deux nouvelles propositions législatives de la Commission européenne (le « twopack ») rendues publiques le 23 décembre 2011 sont actuellement discutées au Conseil et au Parlement européens. Ces propositions renforcent la supervision des déficits publics. Voir à ce propos l’excellent dossier de Bérengère Dupuis (service d’études de la CSC) sur la gouvernance européenne, à paraître.

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