Dans le projet d’une société basée sur l’égalité, la solidarité, l’ouverture et le respect, l’école tient incontestablement une place centrale. Lieu incontournable de l’apprentissage du « vivre ensemble » et de l’acquisition des savoirs et compétences nécessaires à l’autonomie et l’émancipation de chacun, l’école reste, par delà les crises, les questionnements et les changements qui la traversent, une institution sociale et démocratique fondamentale. Les enjeux sont considérables. Si l’égalité d’accès et la « gratuité » scolaire sont théoriquement assurées, notre système scolaire n’en demeure pas moins très inégalitaire, relativement inefficace et financièrement trop lourd pour de nombreuses familles.

L’école de service public, égalitaire et émancipatrice est un chantier largement inachevé. Deux fléaux la menacent conjointement : la dualisation et la marchandisation. Un engagement collectif et des changements structurels sont nécessaires pour les contrer. C’est pourquoi lors des élections de 2004, nous avions mis l’accent sur trois exigences fondamentales : l’égalité scolaire, l’efficacité scolaire et la gratuité scolaire. Le coût social payé pour la formation d’une « élite » scolaire est inacceptable, parce qu’un nombre important de jeunes très majoritairement issus des milieux populaires sont chaque année condamnés à l’échec et à la relégation scolaire, prélude à relégation culturelle, sociale et professionnelle. Ce coût est aussi inefficace, car les puissantes logiques de sélection et de « ghettoïsation » des publics « élèves » à l’œuvre dans l’enseignement en Communauté française tirent son niveau d’efficacité moyen vers le bas, le plaçant en dessous de la moyenne des autres pays industrialisés. En outre, les frais scolaires parfois insupportables pour de nombreuses familles constituent dans les faits un déni de droit à la scolarité.
L’accord de gouvernement PS-cdH pour la Communauté française concernant l’enseignement obligatoire était structuré autour d’un projet de contrat stratégique pour l’École se donnant pour finalité de renforcer la qualité et l’équité de l’enseignement ainsi que d’améliorer l’efficacité de son organisation (prise en compte, notamment, des résultats alarmants des enquêtes PISA 2000). Pour ce faire, trois pistes d’actions ont été mises en avant par le gouvernement : recentrer l’enseignement sur les savoirs de base ; revaloriser les filières d’enseignement qualifiant ; améliorer l’organisation, la régulation et le pilotage du système éducatif.
Ces trois pistes étaient couplées à la volonté d’instaurer un nouveau mode de gouvernance publique. Ce qui donna lieu à la signature d’une Déclaration commune, le 29 novembre 2004, entre le gouvernement, les organisations représentatives de la communauté éducative et les partenaires sociaux. Tous les acteurs du système éducatif y reconnaissaient que le système scolaire en Communauté française est déficient en termes d’équité, de qualité et d’efficacité. Et tous s’accordaient sur six objectifs qualitatifs et quantitatifs à atteindre à l’horizon 2013 (voir encadré ci-dessous), en demandant au gouvernement d’articuler son projet politique autour de trois axes prioritaires : renforcement de la qualité, lutte contre les inégalités, et plan de modernisation du système éducatif.
Étant donné que la situation de l’enseignement en termes d’équité, de qualité et d’efficacité est variable d’un endroit à l’autre, il était en outre précisé que les objectifs à atteindre seraient déclinés, quantifiés, échelonnés et évalués en fonction des réalités locales, par « bassins scolaires ». Ces bassins scolaires étaient envisagés comme des dispositifs de régulation du marché scolaire, sur un modèle de responsabilité collective, et ayant notamment comme objectifs une coordination optimalisée entre écoles proches de l’offre d’enseignement, une meilleure gestion des flux de population scolaire et une coordination accrue inter-écoles pour certaines tâches de gestion et d’administration. Il s’agissait donc d’un outil important en matière de lutte contre la concurrence scolaire et partant, contre les logiques de ségrégations produites par celle-ci.
Enfin, il était prévu d’établir une procédure de suivi et d’évaluation des mesures prises et de leur efficacité par un Comité stratégique composé de l’ensemble des signataires de la Déclaration commune. Un Contrat pour l’École est finalement adopté en mai 2005 par le gouvernement, reprenant les constats et objectifs présents dans la Déclaration commune. Ce contrat, véritable feuille de route en matière d’enseignement obligatoire, fixe dix priorités déclinées en 50 mesures relativement concrètes et budgétisées (voir encadré page suivante).

Mesures prises

Quel est le bilan de la législature écoulée ? Les points importants sont les suivants :
– encadrement renforcé dans l’enseignement fondamental (1 200 enseignants supplémentaires) ;
– mise en place, à partir de la rentrée 2009, d’une politique d’encadrement différencié : plus de 1 400 enseignants en plus pour les 25 % des écoles les plus défavorisées ;
– décret concernant l’intégration scolaire d’enfants à besoins spécifiques ;
– systématisation et amplification des évaluations externes ;
– réforme de l’inspection ;
– fixation d’un cadre pour les écoles fondamentales et secondaires s’engageant dans l’« immersion linguistique » ;
– réforme du premier degré commun du secondaire pour renforcer l’acquisition des compétences de base et éviter la pré-orientation (et organisation d’un premier degré différencié pour aider les jeunes en difficulté) ;
– redéploiement de la Commission communautaire des profils et des qualifications (devenue Service francophone des métiers et des qualifications) ;
– labellisation et financement de 31 centres de technologies avancées pour les jeunes inscrits dans les filières qualifiantes ;
– politique de régulation des inscriptions via un décret articulant :
1. une prise en compte, pour l’établissement accueillant, de chaque élève renvoyé, en termes d’encadrement et de subventions/dotations de fonctionnement ;
2. des restrictions aux possibilités de changements d’école en cours d’année ou entre deux années au sein des différents degrés de l’école dite du fondement (de la première primaire à la deuxième année du secondaire), pour éviter le zapping de type « commercial » qui a tendance à se répandre ;
3. la régulation des inscriptions en première année du secondaire dans un souci de transparence et d’équité.

Quelle évaluation ?

Toutes ces mesures devront être évaluées en regard des objectifs de la Déclaration commune. Mais des questions peuvent d’ores et déjà être posées à propos de l’efficacité de certaines d’entre elles. Ainsi en va-t-il de l’efficacité réelle de l’accroissement de l’encadrement dans les deux premières années de l’enseignement primaire. N’aurait-il pas été plus cohérent et plus efficace de dédicacer cet encadrement supplémentaire dans les écoles et les classes accueillant principalement un public défavorisé, selon un principe d’encadrement différencié, plutôt que de saupoudrer ces moyens nouveaux sur l’ensemble des écoles fondamentales ? On peut aussi s’interroger sur la nécessité et la pertinence d’officialiser la reconnaissance de l’enseignement en « immersion ». Ce type d’enseignement, n’étant (et ne pouvant être) généralisé, ne risque-t-il pas de constituer une filière « d’excellence » réservée à quelques-uns et renforçant la dualisation du système ? De même, la réforme du premier degré constitue-t-elle un véritable premier degré commun préparant à une orientation positive des élèves, sachant qu’au-delà du renforcement de la grille horaire commune (une heure de plus de français en première et une heure de plus de math en deuxième…), les activités complémentaires restent encore très diversifiées et donc susceptibles de constituer autant de voies de pré-orientation potentielles ?
On peut également se demander si le vaste projet d’encadrement différencié permettra de promouvoir une réelle égalité des chances en matière de réussite scolaire ou s’il se bornera à limiter les dégâts pédagogiques et sociaux provoqués par la dualisation scolaire sans (vouloir) toucher aux mécanismes qui en sont à l’origine. Enfin, en ce qui concerne les décrets « inscription » (Aréna) et « mixité sociale » (Dupont), ils poursuivaient le légitime objectif de rendre les procédures d’inscriptions plus transparentes et objectives, de lutter contre les mécanismes de sélection des élèves à l’entrée de l’enseignement secondaire et de favoriser la mixité sociale au sein des établissements scolaires. Mais les difficultés importantes rencontrées lors de l’application de ces mesures (problématique des multiples inscriptions) et les résistances suscitées par celles-ci n’indiquent-elles pas qu’une politique de mixité sociale efficace et acceptable au sein de l’école doit plus globalement et radicalement s’attaquer aux mécanismes structurels générateurs de la concurrence et de la hiérarchisation des écoles ?
Par ailleurs, il faut reconnaître que deux chantiers, désignés comme prioritaires dans la déclaration de politique communautaire, ont avancé — à petits pas. Le premier concerne la nécessaire revalorisation des filières d’enseignement qualifiant. L’objectif était de transformer ces filières, trop souvent perçues comme filières de relégation, en filières d’excellence débouchant sur de réelles perspectives d’emploi. Des efforts ont porté sur les équipements (labellisation et création des centres de technologie avancée, refinancement du fonds des équipements) et sur la définition d’un statut pour les jeunes qui suivent une formation en alternance. Mais on reste loin d’une véritable, nécessaire et urgente politique générale de refonte et de revalorisation de l’enseignement technique et professionnel.
Le deuxième de ces chantiers concerne le pilotage et la régulation du système éducatif par bassins scolaires. La Déclaration de politique communautaire annonçait la volonté du gouvernement de s’attaquer aux effets pervers du quasi-marché scolaire « en renforçant les capacités d’actions au sein des bassins scolaires ». Dans ce cadre, était évoquée la nécessité d’harmoniser l’offre d’enseignement pour éviter les doubles emplois et la dispersion des options dans chaque bassin, de renforcer les synergies, les complémentarités et les spécialisations entre écoles, entre PO et entre réseaux, et de rendre tous les établissements de même caractère responsables de la prise en charge collective des élèves d’un même bassin scolaire. Dans cette perspective, une expérience-pilote, limitée à l’enseignement qualifiant, menée en fin de législature et sur une base volontaire sur le « bassin » de Charleroi, a inspiré un décret 1 instaurant une dynamique de concertation en interréseaux sur les dix zones d’enseignement de la Communauté française qui devrait permettre à toutes les écoles techniques et professionnelles de proposer, en concertation, des formations cohérentes, complémentaires et efficaces.

Revendications

Un véritable enseignement de service public s’oppose à toute forme de marchandisation et de privatisation. On ne peut le réduire à un outil d’adéquation de la formation des jeunes aux besoins économiques des entreprises. L’actuelle crise économique et les difficultés budgétaires qui vont en découler ne peuvent servir de prétexte à des politiques de rationalisation aveugles ou d’instrumentalisation économique de certaines filières d’enseignement. S’il semble nécessaire d’opérer certaines formes d’économie d’échelle, celles-ci doivent être menées dans le cadre de l’amélioration de la gouvernance, du pilotage et de la régulation du système scolaire et dans l’objectif d’en améliorer significativement l’efficacité 2 et l’équité. À cet égard, les acteurs sociaux et économiques devraient être davantage associés au fonctionnement de l’enseignement (via les bassins scolaires) tout en maintenant au sein des Communautés, le pilotage, la régulation et l’évaluation du système scolaire.
Les objectifs d’équité, d’efficacité et de qualité doivent guider les mesures qui seront prises sous la prochaine législature en matière d’enseignement obligatoire. Il faut s’attaquer aux logiques de ségrégations et d’inégalités scolaires qui délégitimisent les missions de service public de l’école et entraînent sa marchandisation. Des réformes structurelles doivent s’attaquer aux principes mêmes du fonctionnement quasi-marchand du système éducatif, et il faut mettre en place une politique de régulation forte du marché scolaire, à un niveau intermédiaire (zones ou bassins), selon une optique de synergies (entre PO, réseaux, niveaux et filières d’enseignement), et dans une perspective de co-responsabilisation de tous les acteurs concernés. Cette politique de régulation par « bassins » doit prioritairement porter sur l’ensemble de l’offre d’enseignement, en inter-réseaux et en inter-niveaux, et selon des critères de non-concurrence, de complémentarité et de pertinence, eu égard au(x) contexte(s) socio-économique(s) des régions et sous-régions.
Une telle régulation doit s’accompagner d’une évaluation et d’une refonte de l’ensemble des processus d’harmonisation et de programmation de l’offre d’enseignement en vigueur en Communauté française. L’expérience-pilote menée sur le bassin de Charleroi doit être pérennisée, amplifiée et généralisée.
Une politique de régulation et la poursuite d’une plus grande mixité socioculturelle au sein des écoles nécessite également une régulation des inscriptions. La révision annoncée du décret « mixité » ne doit pas aboutir, en fin de compte, à son annulation et à un retour de fait à la situation qui prévalait. Le scénario dit de « la gestion collective des préférences », tel que proposé dans l’étude interuniversitaire sur les bassins scolaires, devrait faire l’objet d’un examen approfondi par la prochaine majorité.
Le MOC souhaite par ailleurs l’instauration d’une réelle école du fondement, commune à tous les élèves de 6 à 14 ans. Cette mesure nécessite l’organisation de premiers degrés de l’enseignement réellement autonomes.
Un pilotage efficace du système éducatif nécessite que la Communauté française se concentre sur son rôle fondamental de régulateur, définissant les missions, objectifs et niveaux de compétence à atteindre, se chargeant de leur mise en œuvre (affectation des ressources et modalités) et du pilotage global du système (fixation d’indicateurs, évaluation, remédiation). Dans cette perspective de clarification des rôles et des compétences et dans un souci d’efficacité accrue du pilotage du système éducatif, le gouvernement de la Communauté française devrait abandonner son rôle d’opérateur d’enseignement (en retirant au ministre sa fonction de Pouvoir Organisateur de l’enseignement de la Communauté française, et en la confiant à une structure ad hoc, à l’instar de ce qui a été fait en Communauté flamande) pour se centrer sur sa fonction, devenue de la sorte impartiale et efficace, de régulateur.
La refondation et la revalorisation de l’enseignement qualifiant doivent constituer l’une des priorités du prochain gouvernement. Près de 50 % des élèves poursuivent leur scolarité dans ce type d’enseignement au troisième degré. C’est un chantier de très grande envergure et impliquant une très large concertation. Le sens, la pertinence et l’organisation globale de ce type d’enseignement doivent être réinterrogés, dans son articulation avec les autres niveaux et filières d’enseignement, avec les opérateurs de formation, dans son rapport avec les évolutions du contexte socio-économique et en étroite collaboration avec l’ensemble des partenaires concernés. Dans ce cadre, l’enseignement en alternance doit constituer une voie de formation spécifique d’excellence réellement qualifiante et donnant accès à un contrat de travail légal et harmonisé.
La complexité croissante du métier d’enseignant, sa nécessaire revalorisation, le renforcement de son attractivité ainsi que les défis auxquels est confronté notre système éducatif en matière d’équité et d’efficacité imposent une révision en profondeur de la formation initiale des enseignants et de leurs conditions de travail. Il faut sérieusement envisager l’allongement de la formation initiale des enseignants à 5 ans, alliant renforcement du bagage académique, travail d’immersion dans le métier et sensibilisation accrue aux dimensions socio-politiques du travail et du système éducatif. De même, il s’agit de promouvoir, soutenir et accompagner toutes les initiatives et expériences-pilotes susceptibles d’accroître la qualité du travail pédagogique et le soutien aux jeunes enseignants (travail en équipe, tutorat par les pairs, aménagement qualitatif des horaires, etc.). Dans le même sens, il conviendrait d’harmoniser les statuts permettant une plus grande mobilité des enseignants entre écoles et réseaux.
La maîtrise de la langue de l’enseignement est une condition indispensable à la réussite scolaire. De nombreux efforts restent à faire, et le système des classes passerelles pour les élèves primo-arrivants doit être significativement amplifié, notamment à Bruxelles.
L’implication des familles dans la vie de l’école et dans la scolarité des enfants — gage de réussite — est parfois rendue très problématique tant est devenu complexe et incompréhensible pour beaucoup le système scolaire. Dix ans après leur instauration, il faut une évaluation sérieuse du fonctionnement des conseils de participation et une politique de soutien et d’accompagnement de tous processus et projets participatifs et de collaborations entre les écoles et les familles, notamment en milieux populaires. Toutes les initiatives visant à forger des alliances éducatives en faisant de l’école des « lieux de vie » ouverts sur son environnement socio-culturel doivent être soutenues et accompagnées.
Concernant les enfants à besoins spécifiques, nous resterons attentifs à ce que les avancées proposées sous la précédente législature soient mises en œuvre dès la rentrée scolaire 2009. Des moyens humains et en infrastructures devront être dégagés pour améliorer l’intégration d’enfants handicapés dans l’enseignement ordinaire. Dix ans après l’entrée en vigueur du décret « Mission », une évaluation rigoureuse de l’applicabilité des socles de compétences que les élèves sont censés maîtriser au terme de chaque cycle s’impose. Enfin, des dispositions devront être prises pour garantir la gratuité effective de l’enseignement obligatoire, quel que soit le réseau.


 

1 Attendu au Parlement en toute fin de législature.
2 Rappelons à simple titre d’exemple que les retards scolaires auraient généré à eux seuls un surcoût s’élevant à environ 44,8 millions d’euros dans le primaire et à 289,9 millions d’euros dans le secondaire (année 2005-2006), soit 5,9 % du budget global de l’enseignement obligatoire.