Transferts financiers injustifiés entre Flandre et Wallonie, volonté d’« homogénéiser » les compétences et de confier de larges pans de la sécurité sociale aux Régions et/ou Communautés, mise en avant des « différences culturelles » irréductibles entre Flamands et francophones dans les dépenses de soins de santé… Les partisans d’une « défédéralisation » des soins de santé ou de la politique de l’emploi font flèche de tout bois. D’autres arguments plaident au contraire en faveur d’une sécurité sociale fédérale et du maintien d’une solidarité interpersonnelle la plus large. Dans ce numéro de Démocratie, nous analysons le débat sous l’angle économique. Dans le prochain numéro, nous examinerons ce débat sous l’angle juridique.

À la veille du grand débat institutionnel belgo-belge, il vaut la peine de passer en revue les arguments des uns et des autres en faveur de — ou contre — la « défédéralisation » de la sécurité sociale, c’est-à-dire le transfert de celle-ci, ou de certains secteurs de celle-ci, du niveau fédéral vers le niveau régional et/ou communautaire. Dans les lignes qui suivent, nous analysons cette discussion principalement à la lumière d’études économiques qui échappent au manichéisme ambiant. Les positions des partis flamands et francophones sont fort éloignées les unes des autres sur la question d’une défédéralisation partielle de la sécurité sociale. Qui plus est, les modalités concrètes de mise en œuvre d’une telle réforme ne semblent qu’à peine esquissées. C’est du moins ce que laissent penser les contributions universitaires sur le sujet, et notamment un texte conjoint d’économistes francophones et néerlandophones 1, remarquable pierre à l’édification d’un compromis. L’intérêt de l’analyse universitaire réside dans son potentiel de dépassionalisation du débat, même si cette rationalisation ne doit pas faire oublier la question du renforcement de la solidarité, une question qui, sinon, risquerait de faire les frais de la recherche de « solutions gestionnaires ».

« Transferts injustifiés »

Historiquement parlant, la première revendication des partisans d’une défédéralisation de la sécurité sociale portait sur une plus grande transparence en matière de transferts financiers entre Nord et Sud du pays, et partant, sur la suppression des transferts non justifiés par des « facteurs objectifs ». Ce ne sont pas les transferts liés aux différences de revenus, et donc de cotisations, entre Régions qui étaient en cause, mais bien ceux liés aux différences de dépenses. Ainsi, certains ont défendu le maintien du financement fédéral de la solidarité, mais la régionalisation des dépenses sur la base de critères objectifs représentatifs des facteurs de risque. En cas de budget insuffisant, les dépenses supplémentaires auraient été, dans ce scénario, à charge des entités fédérées sans mécanisme de solidarité entre elles.
D’emblée se pose la question de savoir quels indicateurs et facteurs justifient — ou non — lesdits transferts. Ainsi, les différences dans l’offre de soins entre Régions et/ou Communautés en matière de nombre de lits d’hôpitaux, de nombre de spécialistes dans diverses disciplines, de programmation des maisons de repos et des services de soins à domicile, etc. ne seraient pas prises en compte à profil de risques constant. Pourtant, ces différences interrégionales remontent souvent à une époque lointaine et les résorber prend du temps. De plus, il y a des effets de substitution : plus de soins à domicile et dans les soins intra-muros psychiatriques en Flandre, plus de soins en hôpital général en Wallonie et à Bruxelles, et en maisons de repos (MR) et maisons de repos et de soins (MRS) à Bruxelles, moins de consultations de généralistes et plus de spécialistes à Bruxelles. Il y a également des effets « prix » : consultations de spécialistes relativement plus « coûteux » et présence de plus d’hôpitaux universitaires, à prix de journée dès lors plus élevés à Bruxelles, etc.
On observe également des consommations supérieures en actes techniques à Bruxelles et en Wallonie, plus de dépenses pour prothèses et implants en Flandre, moindres voire sous-consommations de soins dentaires en Wallonie. Bref, il existe de nombreuses différences interrégionales de volume et de prix, dans un sens ou dans l’autre, selon les secteurs de soins.
Dans ce contexte, l’argument des transferts « injustifiés » a perdu beaucoup de poids. En effet, depuis les « rapports Jadot », du nom de l’ancien président du Conseil général de l’ Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) (quatre rapports successifs depuis 1992), la transparence en matière de dépenses de santé existe largement. Ces rapports ont révélé que les différences non expliquées par les facteurs de risque étaient globalement limitées et en forte diminution. Une analyse récente des Mutualités chrétiennes 2 montre pour 2005 un léger surcroît de dépenses de 0,02 % en Flandre par rapport aux dépenses attendues vu le profil de risque des habitants3, une dépense inférieure de 0,66 % en Wallonie et une dépense supérieure de 3,5 % à Bruxelles. Des différences qui se sont fort estompées entre 1996 et 2005. Si les écarts entre Régions se réduisent, ils sont un peu plus importants entre provinces (jusqu’à un peu plus de 8 % de moindres dépenses au Luxembourg et quelque 3,5 % de dépenses supplémentaires en Flandre occidentale). Autant d’études explicatives des transferts qui relativisent le problème…
Dès lors, pour les auteurs, le véritable enjeu est de savoir comment organiser le système de soins et l’assurance maladie de sorte que les meilleurs soins restent accessibles à tous. Un enjeu auquel pourraient parfaitement être associées les Communautés et les Régions, « permettant ainsi les échanges de vues, le partage des connaissances et des expérimentations en vue d’améliorer la qualité des soins au bénéfice de tous » 2.

« Compétences homogènes »

Un autre argument a ensuite pris le dessus : il s’agit de transférer des compétences aux Communautés et/ou Régions, déjà largement compétentes en politique familiale et en politique de santé, afin d’obtenir des paquets de compétences plus homogènes et plus cohérents. Cet argument — essentiellement d’ordre politique — est souvent confondu avec celui de la responsabilisation, par exemple lorsqu’on avance que des soins communautarisés inciteraient les Communautés à en réduire les dépenses par la prévention.
En matière de santé, les positions politiques flamandes ont divergé, certains proposant de ne défédéraliser que certaines matières comme les soins aux personnes âgées. D’autres y ajoutant le secteur hospitalier, soit entièrement soit uniquement la partie financée par le Service public fédéral Santé publique (prix de journée, y compris les soins infirmiers) et non les soins médicaux pris en charge par l’INAMI. L’évolution des revendications a évolué vers la communautarisation de toutes les politiques de la santé et de la famille. Mais la réforme du financement des hôpitaux par le ministre Rudy Demotte a réduit ces velléités. En politique sociale et de santé, la notion de paquets homogènes de compétences peut être considérée comme peu pertinente vu les interactions entre des politiques qui sont transversales et qui relèvent des différents niveaux de pouvoirs (prévention, éducation à la santé, protection du travail, sécurité routière, environnement, politique fiscale, etc.). L’homogénéité serait donc un mythe, car il y aura toujours des chevauchements entre niveaux de pouvoir et des interactions entre Régions. « Poussée à l’extrême, cette logique des paquets homogènes risque de vider complètement l’échelon fédéral de ses pouvoirs »… tout comme elle pourrait justifier une refédéralisation. Une meilleure coordination entre fédéral et entités fédérées est alors présentée comme l’alternative .

Préférences collectives et « différences culturelles »

Autre argument pour une défédéralisation des soins de santé : les différences de dépenses reflèteraient des différences de pratiques liées à des différences culturelles. Ainsi, les Flamands préfèreraient les soins à domicile aux soins hospitaliers, ils privilégieraient la consultation d’un généraliste avant de recourir au spécialiste… Toutefois, les différences entre provinces ou arrondissements étant plus importantes — ainsi qu’entre prestataires ou institutions de soins dans certains domaines —, il est improbable que le facteur culturel puisse les expliquer grandement.
En fait, il a pu être démontré que pour certains types de soins, ces différences sont en grande partie liées à la densité de praticiens et d’institutions de soins : une forte densité induit une production plus importante de soins, sans doute pour pouvoir récolter des honoraires et financements suffisants. Par ailleurs, les différences de pratiques seraient dues à des défauts de diffusion des indications scientifiques et à des différences entre universités plutôt qu’entre Communautés du pays. Comme ces différences de pratiques sont bien plus grandes entre praticiens et institutions au sein d’une même région qu’entre Régions ou Communautés, une défédéralisation ne règlerait pas automatiquement le problème .
En revanche, les scientifiques s’accordent sur l’impact des différences socioéconomiques (niveau d’éducation, état des logements, revenu…) pour expliquer par exemple la tendance à substituer des soins intensifs hospitaliers à la médecine de première ligne 4. Les préférences collectives que l’on évoque aujourd’hui sont donc surtout des choix politiques qui dépendent probablement autant ou davantage des rapports d’influence des courants politiques et du poids des partis dans la Communauté que de facteurs culturels. L’enjeu serait alors de permettre aux entités fédérées d’imprimer leur propre volonté politique en transférant davantage de compétences, de préférence avec des balises, des collaborations entre niveaux de pouvoir, et même des objectifs communs.

Meilleure gouvernance

L’argument suivant est parfois utilisé pour défédéraliser les soins de santé : dans beaucoup de pays, fédéraux ou non, le système de santé est très décentralisé. Il faut distinguer ici les pays disposant d’un système national de santé géré par les pouvoirs publics et souvent décentralisé ou régionalisé, et les pays où la gestion du système se situe à la fois au niveau des pouvoirs publics et à celui d’organismes assureurs comme les mutualités, qui généralement opèrent sur plusieurs régions du pays et qui constituent en soi une forme de décentralisation suffisante.
Le système belge n’est pas vraiment celui de mutualités en concurrence dans le champ de l’assurance obligatoire, sauf en ce qui concerne la qualité du service aux membres. En effet, les mutualités gèrent ensemble le système au sein de l’INAMI, avec les pouvoirs publics et une implication des institutions et professionnels de santé, mais aussi des partenaires sociaux. Elles sont toutefois collectivement et individuellement partiellement responsables d’une partie de déficits éventuels du fait qu’elles s’entendent sur la gestion du système au niveau central et mettent cette gestion en œuvre chacune pour ses affiliés. La responsabilité financière et les instruments restent toutefois essentiellement centralisés au niveau du gouvernement et de l’INAMI.
Pour Schokkaert et Van de Voorde (KUL) , l’enjeu de la gouvernance du système serait de savoir de quelle manière doivent être organisés des incitants qu’ils estiment nécessaires pour que le système de santé reste finançable et solidaire (pas de médecine à deux vitesses). La responsabilité principale de la régulation doit-elle rester au niveau des pouvoirs publics et, si oui, au niveau de quels pouvoirs publics ? Ou doit-elle être davantage transférée aux mutualités moyennant les instruments nécessaires ? Une concurrence régulée donnant davantage de rôle à chaque union de mutualités accentuerait la logique de la responsabilité financière des mutuelles introduite dans le système il y a plusieurs années. Les options alternatives seraient de mettre en concurrence les mutualités avec des compagnies d’assurance, ou d’évoluer vers un service national de santé, éventuellement communautarisé ou régionalisé.
Les deux universitaires estiment que des options différentes entre nord et sud sur la réforme ne justifient pas une scission. Dans un système politique, il faut toujours conclure des compromis. Le conflit politique sur la défédéralisation, « solution trop facile », a pour désavantage de bloquer les réformes vraiment nécessaires visant à remédier aux inefficiences révélées par les différences de pratiques. Si une défédéralisation est aisée dans l’option d’une régulation purement étatique du système, elle n’est pas forcément adéquate avec une autre option donnant plus de rôle aux acteurs. Car certaines mutualités et organisations représentatives des professionnels ou institutions de soins seraient des quasi-monopoles dans la Communauté où elles sont le mieux implantées. Ces auteurs concluent en évoquant la nécessité d’avoir une vision sur la frontière entre solidarité et responsabilité — ce qui sous-entendrait que plus de responsabilité, c’est moins de solidarité —, et sur les rôles respectifs des pouvoirs publics et des autres acteurs, laissant percevoir par là que, selon eux, un système plus « efficient » passerait par un plus grand rôle des mutualités 6.

Diversité des situations

Dans le domaine de l’emploi, les problèmes sont différents d’une Région à l’autre : taux de chômage plus bas en Flandre et pénuries particulières de main-d’œuvre dans certains arrondissements, taux de chômage plus important en Wallonie et à Bruxelles et en particulier celui des jeunes. Ces différences nécessiteraient de différencier les politiques. Les blocages ou la difficulté d’arriver à des compromis fédéraux en témoigneraient, n’étant qu’en partie seulement liés à des différences de contexte politique (lancement des chèques-services, pacte de solidarité entre générations…) . Le fédéral ne pourrait différencier sa politique entre les Régions, car ce serait considéré comme discriminatoire par les bénéficiaires potentiels des mesures auxquels ils n’auraient pas accès. La régionalisation pourrait introduire une différenciation sans poser un tel problème juridique.
Si la nécessité de différencier devient presque une évidence dans le champ politique, il est aussi fait observer que nombre de problèmes sont identiques (faible taux d’emploi des plus de 50 ans) et que des problèmes sont « complémentaires » (pénurie de travailleurs en Flandre/manque d’emplois en Wallonie), ce qui devrait inciter les Régions à coopérer, notamment pour stimuler la mobilité 7. La mobilité et l’intensification des politiques actives constitueraient une alternative à la différenciation et surtout à la concurrence salariale, sorte de solution de dernier recours pour certains, mais qui risque de mettre en cause le maintien de la sécurité sociale fédérale. Si certains considèrent qu’il y aurait une perte de ressources à focaliser les mêmes groupes cibles (jeunes, plus de 50 ans), d’autres considèrent que ces groupes cibles méritent une intervention dans toutes les Régions, et que ces interventions ne sont pas concurrentes 5. En somme, la question à approfondir serait : la régionalisation est-elle nécessaire et suffisante pour répondre aux besoins de différenciation et/ou de modulation d’intensité des politiques entre Régions (voire entre arrondissements) ?

Responsabiliser

Les économistes qui s’expriment sur le sujet sont presque unanimes à plaider pour des systèmes de responsabilisation, comportant généralement une incitation financière. Ils ne signalent quasi jamais que la bonne gouvernance peut être promue à travers le rôle du Parlement et notamment de l’opposition, celui des acteurs sociaux et des associations, celui de la presse, par la sanction de l’électeur, ou grâce au sens de l’intérêt général qui doit inspirer les mandataires politiques. Un auteur fait tout de même remarquer que les Communautés font de la prévention même si cela leur coûte sans leur rapporter sur le plan financier. Mais par ailleurs, il laisse entendre que la solidarité fédérale pourrait empêcher la Région la plus pauvre de mener des politiques qui amélioreraient sa situation, même si une meilleure croissance régionale a des effets-retour notamment sur les recettes régionales.
La régionalisation/communautarisation de matières fédérales est la manière la plus radicale de responsabiliser les entités fédérées. Des économistes néerlandophones et francophones préconisent l’introduction d’une responsabilisation financière des Régions sur la base de critères objectifs. Ceci se ferait moyennant le maintien de la solidarité interpersonnelle, et donc du financement fédéral, le transfert de budgets aux Régions et la prise en charge des éventuels dépassements par les moyens propres de la Région ou des contributions des assurés qui y habitent. Ce système pourrait être appliqué en matière d’activation et, peut-être, de prépension, de crédit-temps, d’augmentation de la pension légale des fonctionnaires régionaux suite à l’augmentation de leurs rémunérations, d’impact de mesures dans l’enseignement sur la durée de versement des allocations familiales (par exemple, master en deux ans plutôt qu’en un), etc. . Il est vrai qu’aujourd’hui les Régions utilisent des budgets du fédéral pour l’activation sans devoir rendre des comptes, et que leurs efforts ne sont pas récompensés proportionnellement aux économies dont bénéficie le fédéral.
Ils prônent aussi une véritable coopération entre Régions et État fédéral en matière d’emploi, qui détermineraient des objectifs en commun et des engagements en matière d’échange d’informations, de sanctions des chômeurs, etc., et un système d’évaluation annuelle « de réalisation des objectifs » (obligation de moyens, mais pas de résultat), par des instances appropriées et des bonus-malus 7.
Responsabiliser les Régions pour le financement de la totalité des allocations de chômage n’aurait que peu de sens, car une partie de l’évolution du chômage échappe à leur contrôle (conjoncture, fermetures, délocalisations...) 8. En matière d’activation des chômeurs de longue durée, une responsabilisation financière partielle aurait du sens vu que les instruments se situent principalement au niveau des Régions, à condition de veiller à choisir des indicateurs de performance appropriés. Il s’agirait de transférer des moyens fédéraux d’activation moyennant évaluations annuelles et modalités de coordination via un accord de coopération entre État fédéral et Régions. Par contre, Robert Deschamps défend que le niveau et la durée des allocations de chômage devraient rester de compétence fédérale, pour ne pas influencer le niveau des salaires dans les négociations interprofessionnelles et ne pas entraîner à terme une régionalisation de l’ensemble de la sécurité sociale 7.
Certains se demandent comment se mettre d’accord sur la qualité des politiques (plutôt que sur leurs résultats), estimant qu’à défaut, il faut au moins rechercher la transparence et le débat critique, car la légitimité de la solidarité requiert de rendre des comptes, sans ingérence… . La phrase suivante jette un peu plus de doutes : « Tant la différenciation que la responsabilisation ouvrent la porte à une double déperdition en termes de solidarité, réduisant les transferts interrégionaux et en attisant la concurrence sociale, sans être une garantie de gains d’efficacité » 5.

Maintenir la solidarité interpersonnelle

Le maintien de la solidarité interpersonnelle est, semble-t-il, défendu comme balise par la plupart des acteurs politiques et socioéconomiques et des universitaires flamands, parfois sous condition(s) plus ou moins forte(s). Les économistes reconnaissent qu’elle constitue la pierre angulaire de la structure fédérale 8. Au sein d’un État, il est préférable de maintenir l’organisation de la solidarité — dont la sécurité sociale — au niveau le plus large afin d’éviter la concurrence « par le bas » via des réductions de cotisations ou d’impôts, et d’éviter qu’une amélioration des revenus de remplacement décidée dans une seule Région ne donne lieu pour celle-ci qu’à de faibles effets retour en terme d’activité économique régionale, vu qu’une partie importante de l’impact positif sur la consommation se traduirait par des « importations » supplémentaires en provenance des autres régions. Il s’agit également de répartir les risques et de limiter la sensibilité du système à des chocs locaux, de maintenir des économies d’échelle dans l’administration des assurances sociales, d’éviter les obstacles administratifs à la mobilité professionnelle, et de permettre le plus haut niveau de protection dans les Régions qui ne pourraient se le permettre isolément 5.
Une autre approche consiste à maintenir la solidarité fédérale tout en incitant les Régions à faire en sorte que les risques sociaux se réduisent et que les capacités contributives augmentent, et en leur permettant de mener des politiques répondant à leurs potentialités, besoins et préférences, ce qui peut conduire à une défédéralisation partielle des dépenses, voire des recettes. D’une part, le fait de permettre à la Région la plus riche de faire profiter à ses habitants de ses potentialités conduirait à améliorer leur protection sociale en se réservant une partie des moyens qui échapperait ainsi au pot commun de la sécurité sociale fédérale. D’autre part, on peut craindre qu’une réforme n’entraîne des revendications plus fortes de régionalisation des prestations, notamment si une régionalisation du marché du travail entraîne des salaires relativement plus élevés encore en Flandre et donc une encore plus grande contribution des Flamands au financement de la sécurité sociale. Pour éviter cela, un auteur propose de conditionner une réforme au « bétonnage » de la solidarité (loi à majorité spéciale) 5. Mais un tel « bétonnage » pourrait être perçu comme une remise en cause en sursis. Surtout si les attentes de la Région la plus riche vis-à-vis des autres Régions, en termes de réduction des besoins en prestations sociales, de relèvement de la richesse économique et donc de capacité de leurs entreprises, travailleurs et contribuables à financer la sécurité sociale, étaient interprétées comme des conditions du maintien de cette solidarité.
On le voit : les économistes ont un apport ambivalent. Ils tentent de rationaliser le débat, de rapprocher les points de vue et de trouver des solutions opérationnelles. Mais ils contribuent à légitimer une approche de responsabilisation et d’incitation financière, et cela, sans prôner un renforcement de la solidarité dont devraient bénéficier les Régions en décrochage économique et/ou social. D’aucuns reconnaissent que le degré de solidarité dépend de la proximité culturelle et du sentiment « national », d’autres estiment que les institutions ont pour rôle de transcender ces motivations.

(1) Collectif, Pour une réforme des institutions belges qui combine flexibilité et coordination, 26/01/2008.
(2) Hervé Avalosse, Koen Cornélis, Karolien Geurts, Raf Mertens, Jean Hermesse, Les différences de consommation de soins de santé en Belgique. Où sont les vrais enjeux ?, contribution au 17e Congrès des économistes belges de langue française, 2007.
(3) Suivant seulement 4 paramètres : statut d’assuré (« actif », sans distinguer ceux qui ont un emploi de ceux qui sont au chômage ; « invalide » ; « pensionné » ; etc.), âge, sexe, bénéficiaire ou non de « l’intervention majorée », ce qui dépend du statut social et du revenu.
(4) Kristian Orsini, La défédéralisation des soins de santé : existe-t-il un consensus dans les revendications flamandes ?, Reflets et Perspectives de la vie économique, XLIII, 2004/3.
(5) Étienne de Callataÿ, Réformer la solidarité dans un État réformé, 12 sept 2007, intervention lors de la journée d’étude « Réflexions sur le fédéralisme social ».
(6) Erik Schokkaert, Carine Van de Voorde, Defederalizering van de Belgische gezondheidszorg ?, intervention lors de la journée d’étude « Réflexions sur le fédéralisme social », mai 2007.
(7) Robert Deschamps, La politique de l’emploi et la négociation salariale dans l’État fédéral belge, oct 2007, intervention lors de la journée d’étude « Réflexions sur le fédéralisme social ».
(8) Collectif, Questions en suspens dans le débat relatif à la réforme de l’État, intervention lors de la journée d’étude « Réflexions sur le fédéralisme social ».

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