La fiscalité a trois grandes fonctions. Elle permet, tout d’abord, de financer les biens et services collectifs comme l’enseignement, les routes, la justice, le transport collectif, la sécurité, les services aux personnes… Elle permet aussi de redistribuer les revenus et de réduire les inégalités. C’est particulièrement le rôle de l’impôt progressif sur les revenus (même si c’est la sécurité sociale qui est, de très loin, le moteur de la redistribution en Belgique, la fiscalité vient en complément). Les impôts peuvent enfin inciter ou désinciter les contribuables à faire quelque chose : par exemple construire un logement, investir… Ajoutons encore que la fiscalité pourrait aussi être utilisée pour favoriser la croissance, si du moins une politique économique européenne digne de ce nom existait.


L’impôt des sociétés représente 8,5 milliards d’euros. Il apporte environ 8 % des moyens collectifs belges, sécurité sociale comprise. Il s’agit du principal impôt sur les revenus du capital. L’impôt des sociétés est un élément de concurrence entre les pays pour attirer ou garder des investisseurs externes. L’Union européenne a lancé un processus de limitation de la concurrence fiscale dommageable entre les pays européens, qui vise pour la Belgique, les centres de coordination. Les grosses sociétés utilisent les différences d’imposition entre les pays, les régions. À terme la mise œuvre de la société européenne pose le débat d’un impôt européen des sociétés

Mesures favorables aux entreprises
Le taux nominal de l’impôt des sociétés diminue, passant de 39 % à 33 %, à majorer de la contribution complémentaire de crise qui n’est pas supprimée pour les sociétés (ce qui fait 33,99 %). Pour les petites et moyennes entreprises, les taux réduits, qui sont applicables à certaines d’entre elles, sont diminués pour toutes les tranches. Cela concerne principalement des indépendants passés de l’impôt des personnes à celui des sociétés. À ces taux s’ajoute la contribution complémentaire de crise (3 %). Les PME, qui bénéficient des taux réduits, pourront utiliser une nouvelle dépense fiscale : la réserve d’investissement.
La moitié du bénéfice mis en réserve chaque année, avec un plafond de 37 500 euros, ne sera pas imposée. Ces bénéfices exonérés devraient être ensuite investis. Les nouvelles sociétés (PME) ne seront pas sanctionnées d’une majoration d’impôt, si elles font des versements anticipés insuffisants durant les trois premiers exercices.

Mesures compensatoires
Le gouvernement envisage la création d’une cellule en vue d’élaborer un plan d’action pour soumettre à l’impôt des sociétés de « fausses asbl », intensifier la lutte contre certaines pratiques des sociétés de liquidité, lutter contre les abus de la personne morale. Il a également été décidé d’appliquer un précompte mobilier de 10 % sur les bonis de liquidation, en cas de rachat par une société de ses propres actions ou de partage total ou partiel de l’avoir social. La mesure entrera en vigueur avec effet rétroactif au 1er janvier 2002 et quelques exceptions (sociétés cotées, coopératives, fusions, sociétés d’investissement).
En matière de revenus définitivement taxés, qui concernent les dividendes (cf. lexique page suivante) venant de filiales, la condition de participation dans une filiale est renforcée (minimum 10 % ou 1,2 million d’euros), la durée de détention minimale des actions passe de 6 mois à 12. La loi prévoit que les bénéfices de ces filiales à l’étranger doivent être réellement imposés à 15 % au moins pour bénéficier du mécanisme. Les « nouveaux » impôts régionaux ne seront plus déductibles à l’impôt des sociétés. Il s’agit des impôts qui ont été créés par les régions, souvent pour l’environnement, et pas ceux qui ont été transférés du fédéral vers les régions.
Le premier amortissement (cf. lexique page suivante) d’un investissement se fera prorata temporis. Un investissement acquis en décembre ne comptera plus pour toute l’année. Les frais accessoires seront amortis au même rythme que le principal au lieu de pouvoir être pris directement en charge. Ces modifications ne sont toutefois pas applicables aux PME bénéficiant de l’application des taux réduits. Selon le gouvernement, la réforme est budgétairement neutre. Les mesures pèsent pour environ 1,2 milliard d’euros.
La Cour des Comptes est chargée, dans le projet de loi, d’un monitoring (contrôle) des recettes de l’impôt des sociétés. Si, pour les deux premiers exercices de la réforme, les recettes sont en diminution, il y aura des mesures compensatoires. Si les recettes sont plus élevées, il y aura de nouvelles mesures de réduction de l’impôt des sociétés. L’échéancier est le suivant : à l’exception des dispositions relatives aux bonis de liquidation, qui trouvent déjà à s’appliquer en 2002, les dispositions relatives à l’impôt des sociétés entrent en vigueur à partir de l’exercice fiscal 2004 (donc généralement par rapport aux revenus de 2003). La date d’entrée en vigueur des dispositions concernant les centres de coordination et le ruling (cf. lexique) dépend de la réaction que la Commission européenne aura par rapport au texte qui lui a été notifié à l’issue du Conseil des ministres du 19 avril 2002.

L’argumentaire de l’arc-en-ciel
Considérant que la fiscalité « pèse » trop fortement sur les entreprises, le gouvernement entend l’abaisser progressivement pour atteindre le niveau prévalant dans les pays voisins. Durant la seconde moitié des années nonante, tant l’OCDE que la Commission européenne ont souligné de manière croissante le danger que représentait la concurrence fiscale entre pays. Dans un même temps, nombre de pays industrialisés entamèrent une restructuration de leur régime d’impôt des sociétés ; principalement par le biais d’une diminution du tarif nominal, couplé à un élargissement de la base imposable. La Belgique fut mise sous pression pour revoir les régimes préférentiels qu’elle pratiquait. La réglementation en matière de centres de coordination est mise en conformité avec les critères européens qu’il convient de respecter sous peine d’être accusé de Harmful Tax Competition (concurrence fiscale dommageable). Le système de ruling fait l’objet d’une réforme approfondie, de sorte que nous puissions reconquérir une bonne position dans la liste des pays intéressant les grands investisseurs étrangers.
Il convient de souligner ici le traitement particulier réservé dans le cadre de cette loi aux petites et moyennes entreprises. Non seulement elles ne sont pas soumises au renforcement des règles d’amortissement qui s’appliquent néanmoins aux autres entreprises, mais il a en outre été spécialement prévu pour elles la possibilité de constituer des réserves d’investissement exonérées d’impôt à concurrence de 50 % des réserves imposables (limité à 37 500 euros) et issues des bénéfices annuels. Ces mesures représentent ensemble un effort en faveur des PME qui se chiffre à environ 100 millions d’euros par an qui viennent s’ajouter à l’avantage qui découle de la réduction tarifaire.

Qu’en penser ?
La terminologie utilisée (charges, pression, poids…) est issue de l’idéologie libérale, pour laquelle tout impôt est une charge qu’il faut absolument tenter d’alléger au maximum. Concernant particulièrement l’impôt des sociétés, le postulat semble partagé par tout le gouvernement et bien entendu par le monde des entreprises. Notre principale critique porte sur la « soi-disant » neutralité budgétaire. Selon le gouvernement, la réforme est compensée sur papier. La variation des rendements attendus est assez saisissante et indique bien le caractère politique, plutôt que mathématique des chiffres présentés : les mesures prévues n’ont pas varié, sauf pour les voitures de sociétés où la proposition a été très vite remisée. Certaines mesures ont un rendement très aléatoire, parce que leur contenu réel reste imprécis, la réaction des contribuables et de leurs conseillers fiscaux inconnue, les moyens donnés à l’administration pour un meilleur contrôle peu précis (RDT, fausses asbl…). Ces mesures incertaines comptent pour un tiers du financement ou près de 400 millions d’euros.
La modification des amortissements n’a qu’un effet temporaire ; les amortissements seront plus étalés dans le temps (40 % du financement) mais ils se feront à 100 %. Le coût budgétaire de la réforme pourrait être d’au moins 400 millions d’euros, au départ, pour augmenter ensuite, au rythme des amortissements (8 ans en moyenne). L’ordre de grandeur de ces chiffres a été confirmé par l’Inspection des Finances. L’intervention de la Cour des Comptes pourrait être un garde-fou, mais son action est limitée aux deux premières années, alors que le coût de la réforme est progressif. Les marges budgétaires globales, déjà réduites, risquent d’être encore amoindries, au détriment, entre autres, de la politique sociale et des services publics. La réforme décidée est orientée en faveur des petites sociétés (« nos petites et moyennes entreprises ») plutôt qu’en faveur de la compétitivité internationale, alors que sa justification officielle part de cette dernière. Les partis libéraux donnent satisfaction à une partie de leur électorat. L’attrait pour les personnes de passer à l’impôt des sociétés est renforcé plutôt que freiné. L’idée émise par le Conseil supérieur des finances, de rapprocher les petites sociétés de l’impôt des personnes n’est pas reprise. Les recommandations de l’OCDE et de l’Union européenne, qui visent à réduire le taux d’imposition en élargissant la base imposable, en supprimant les dépenses fiscales, ne sont pas suivies d’effet en Belgique. Au contraire, une nouvelle dépense fiscale est introduite au bénéfice des PME.
Aucune mesure n’est prise pour limiter, encadrer ou contrôler l’exonération des plus-values sur actions. Le régime des centres de coordination va se transformer progressivement avec le « ruling », accord négocié avec l’administration. Les avantages devraient toutefois rester. Le seul changement perceptible est l’inclusion des frais de personnel et financiers dans la base imposable des centres. Le principe d’une base imposable fixée en pourcentage des coûts exposés demeure, de même que l’exonération du précompte mobilier et des droits d’enregistrement. Le contrôle démocratique de ce processus risque d’être encore plus complexe. Les centres resteront donc des paradis fiscaux pour les activités financières des groupes.
En attendant, le gouvernement a renouvelé une série de centres dès le début de la législature et a une position très défensive au plan européen, contrairement à la législature précédente. Ce volet de la réforme doit recevoir l’aval de la Commission européenne avant d’être mis en œuvre. Les centres actuels font en effet l’objet d’une remise en cause, parce qu’ils faussent la concurrence en Europe.