Depuis plus de vingt ans, le secteur de l'insertion socioprofessionnelle (ISP) assure la formation de stagiaires pour leur permettre d'acquérir des compétences techniques et non techniques. Grâce à une pédagogie adaptée, l'objectif est de leur permettre d'intégrer le marché de l'emploi tout en leur proposant un accompagnement psychosocial. Cette approche intégrée de la formation se trouve confrontée aux politiques européennes qui encouragent l'acquisition des compétences et la transparence des certifications. Ce qui apparaît comme une opportunité comporte aussi des risques. À commencer par celui d'enfermer le secteur dans le champ des métiers en gommant le volet social qui est sa spécificité.

 

La fédération AID – Actions intégrées de développement 1 – défend depuis plus de vingt ans l'insertion tant professionnelle que sociale de ses membres. La cible de ce secteur ISP est un public adulte dont le niveau de qualification ne dépasse pas le seuil du certificat d'enseignement secondaire du deuxième degré, actuellement nommé C2D, anciennement CESS. Ses diverses missions consistent à permettre à ces publics d'acquérir des connaissances, des compétences et des comportements nécessaires à leur intégration directe ou indirecte sur le marché de l'emploi, à leur émancipation sociale et à leur développement personnel.

Des décrets, spécifiques pour chaque région, régissent ces objectifs et missions. Le secteur a toujours défendu sa spécificité ; tant la pédagogie développée au sein de ses centres que l'encadrement psychosocial offert afin d'atteindre les objectifs décrétés 2. C'est pourquoi, dès la fin des années 1990, la fédération AID s'est impliquée activement dans le développement du système de formation et d'enseignement professionnels afin d'améliorer les parcours de formation de ses publics.

 Contexte européen et évolution du secteur

À cette époque, tant la Belgique que l'Union européenne se sont penchées sur la problématique de la fluidification des parcours de formation comme vecteur de développement économique durable. La gestion des compétences devenant un des facteurs principaux sur lesquels investir pour construire « l'Europe des connaissances ». Afin de devenir « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » 3, le Conseil de l'Europe a décidé d'insuffler des politiques qui encouragent l'acquisition de compétences tout au long de la vie (LifeLong Learning) et organisent la transparence des certifications.

Notons que la « certification » au sens européen du terme est moins restrictive que celle utilisée en Fédération Wallonie-Bruxelles. En effet, en Wallonie et à Bruxelles, le terme « certification » se réfère aux droits et implications des diplômes valorisés par les autorités publiques. Au sens européen du terme, les « certifications » se réfèrent à un résultat formel d'un processus d'évaluation et de validation obtenu par n'importe quel opérateur lorsqu'une autorité compétente établit qu'un individu possède au terme d'un processus d'apprentissage les acquis correspondants à une norme donnée.

C'est dans ce contexte que la fédération AID s'est mobilisée en participant à plusieurs projets européens visant la reconnaissance des compétences acquises en formation. Dans un premier temps, début des années 2000, au vu de l'offre de formation alors très disparate, le projet « Equal Valid » a eu pour objectif de concevoir et développer une méthodologie permettant de favoriser les passerelles entre les différents opérateurs de formation. Le problème résidait dans l'absence d'articulation structurée entre les différentes offres. Il revenait à l'usager de faire concorder, quand il le pouvait, les formations qui lui étaient proposées.

Un manque avéré de méthodologie commune

Or, force est de constater que lorsque les passerelles ne sont pas construites par les opérateurs, il subsiste des fossés entre les formations, et ce pour diverses raisons:

• pas de formation complémentaire ;
• des prérequis à l'entrée dans un type de dispositif trop élevés pour le public qui voudrait y entrer;
• des recouvrements de formation obligeant l'usager à recommencer des choses qu'il a déjà faites.

De plus, du fait de la quasi-inexistence de reconnaissance automatique des acquis, l'usager se voit contraint, à chaque nouvelle demande de formation complémentaire de présenter des tests d'entrée où l'on vérifie sa maîtrise des prérequis. En effet, les seuils d'entrée et de sortie établis de part et d'autre ne correspondent pas et induisent l'impression pour les personnes en formation de tourner en rond.

Des pistes méthodologiques

La reconnaissance automatique des acquis : un seuil de sortie chez un opérateur qui corresponde au seuil d'entrée en formation chez un autre ! Voilà les solutions qui se sont dégagées et furent expérimentées pour construire des passerelles entre opérateurs et améliorer en conséquence la fluidification des parcours et des filières.

Après le premier volet visant l'expérimentation de la fluidification des parcours de formation, la méthodologie Thésée a vu le jour. Il fallait mettre sur pied des outils permettant à tous, et non plus aux simples partenaires directs du projet, de s'approprier la méthodologie Thésée ou méthodologie référentielle, permettant en outre son appropriation par les formateurs.

En quoi consiste cette méthodologie et en quoi répond-elle aux recommandations et injonctions européennes et décrétales belges dans le cadre du développement du « LifeLong Learning » (LLL) et de la reconnaissance des compétences acquises en formation ?

Toute formation professionnelle se doit aujourd'hui de se référer à un métier, ou du moins à un secteur professionnel. Cela doit être la base de construction d'une filière de formation professionnelle. Or, il n'appartient pas au secteur de la formation de définir ces référentiels métiers/compétences. En Belgique francophone, la chambre des métiers du Service francophone des Métiers et des Qualifications (SFMQ) 4 regroupant les partenaires sociaux et les Services publics de l'Emploi a pour fonction de définir les profils métier en partant de sources fiables. Ensuite, ces profils sont appropriés par la chambre de la formation du SFMQ qui doit les traduire en profils de formation et d'évaluation.

Il s'agit de la réponse impulsée par le cadre européen qui prône la mise en concordance entre le monde du travail et la sphère de la formation. La stratégie de Copenhague souhaite emmener la formation professionnelle, quel que soit son niveau, dans une aventure semblable à celle que l'enseignement supérieur a connue avec Bologne. Il s'agit de rendre comparables et capitalisables les acquis des formations européennes. Suivant la méthode ouverte de coordination, nouveau principe pour la construction européenne, les techniciens européens ont adopté un Cadre Européen des Certifications (CEC) 5 à huit niveaux, que les pays sont appelés à traduire dans un Cadre National de Certification en vue de faciliter la transposition avec les systèmes de certification existant tant à un niveau national qu'européen. Il était recommandé que, en 2012, toutes les formations se réfèrent à l'un des huit niveaux, mais tous les états membres, dont la Belgique francophone, ne l'ont pas encore développé. Le cadre et ses niveaux correspondent à des démarches et des acquis de formation, sans tenir compte du mode d'apprentissage 6, ni de l'opérateur, ni de la durée d'apprentissage. La certification au sens européen du terme peut être sans lien immédiat et obligatoire avec des droits et des implications afférents à la « certification » délivrée en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ainsi, une attestation peut être appelée « certification » dans le sens européen du terme à partir du moment où elle est reconnue par une autorité compétente.

Le CEC décrit les connaissances (savoirs), les aptitudes (savoirs-faire) et le niveau d'autonomie et de responsabilité (compétence) requis pour situer les qualifications-diplômes-certifications à l'un des huit niveaux.

La grande sagesse a été d'ancrer la comparabilité en termes de résultats d'apprentissage (learning outcomes), c'est-à-dire ce dont la personne est capable à l'issue de la formation, laissant totale la liberté pédagogique, temporelle, pratique des formations. Il est important que cette liberté reste le mot d'ordre dans la construction du cadre national francophone belge. Le second élément important, est que ces indicateurs ne disent finalement que très peu de choses sur les compétences transversales. On peut estimer que cela laisse la place ouverte pour tout ce qui concerne les spécificités de l'ISP, la remédiation générale, l'accompagnement pédagogique, l'éducation permanente, etc. Donc, tout ce qui n'est pas strictement lié au métier ! Mais on peut aussi craindre que cela ferme une porte, en reléguant ces activités hors du champ de la formation professionnelle. Cela repositionnerait toute une série des actions de l'ISP dans le champ du « social », hors de la formation professionnelle.

Or, l'ISP a prouvé qu'aborder de front les questions sociales et professionnelles a une efficience, et doit se retrouver dans l'offre de formation professionnelle, car elle propose une pédagogie spécifique qui convient à un certain public, souvent éloigné de l'emploi.

Opportunités et risques pour le secteur

L'approche par compétences, déclinée au travers de la méthodologie référentielle peut être une force pour le secteur des EFT/OISP et donc pour les demandeurs d'emploi qui le fréquente. Ceci principalement par la structuration de l'offre de formation amenée par les référentiels avec pour conséquences :

• une amélioration probante de la lisibilité de l'offre de formation, gage de servir une meilleure orientation;
• des meilleurs outils d'évaluation permettant aux formateurs et aux stagiaires de mieux identifier les compétences acquises de celles qui restent à travailler et de pouvoir évaluer de manière plus fine le parcours qu'il reste à faire au stagiaire pour atteindre son projet professionnel ;
• des supports objectifs et reconnus pour pouvoir positionner les formations des EFT/OISP dans le champ global de la formation professionnelle. Devant permettre une meilleure reconnaissance des formations via celle des compétences acquise, cette approche offre par voie de conséquence d'obtenir une plus grande fluidité dans les parcours de formation et d'insertion des stagiaires. Elle aide aussi à renforcer l'articulation des formations aux actions des autres opérateurs de formation et d'insertion.

En revanche, ces outils peuvent faire peser un double risque :

• la standardisation des formations dans l'expectative de l'imposition des programmes de formation et donc la perte de liberté pédagogique des opérateurs de formation ;
• l'adéquation des offres de formations aux seuls besoins du marché du travail.

Les opportunités en termes de reconnaissance pour les formations en insertion socioprofessionnelle ne sont pas à négliger.

Articulation des projets

Une autre mesure qui résulte de la mise en place du CEC est le système ECVET (European Credits for Vocational Education and Training) 7. Ce système en gestation au niveau européen, vise le transfert, la capitalisation et la reconnaissance des acquis des apprentissages en Europe. Il devrait comprendre :

• un processus de transfert des acquis basé sur la formalisation de processus d'évaluation, de validation, de transfert, de capitalisation, donc de reconnaissance des acquis par des autorités compétentes ;
• un principe de description (et donc de découpage) en termes d'unité d'acquis d'apprentissage (ensemble de savoirs, savoirs-faire et de compétences) est présenté comme une structure devant être lisible par tous ;

• une proposition de convention sur des points de crédits, c'est-à-dire la détermination de valeur (relative) pour chaque unité de crédit par rapport à l'ensemble de ce qui est visé.

La méthodologie référentielle poursuit les mêmes finalités : la transparence des évaluations, la portabilité des acquis d'apprentissage, la collaboration entre opérateurs à des niveaux nationaux et transnationaux permettant la mobilité des apprenants.

Une société de la connaissance pour tous

La fédération AID continue son travail d'investissement dans le développement de ces systèmes de reconnaissance des acquis afin d'une part de rester vigilante aux risques qu'ils pourraient générés pour son public et son secteur et aux opportunités de valorisation des uns et des autres. Elle est investie dans plusieurs projets européens de type Leonardo TOI 8 portant sur le déploiement du système ECVET avec les acteurs publics et privés de l'enseignement et de la formation : Forem, Bruxelles Formation, IFAPME, Consortium de validation des compétences, SFMQ et l'enseignement de promotion sociale. La fédération AID y défend les spécificités du secteur afin qu'elles soient reconnues dans la mise en place des systèmes belges (SFMQ, Consortium de validation des compétences...) et européens (CEC, CNC...) de reconnaissance des acquis d'apprentissage au long de la vie.

Les retombées régionales

Pour l'heure, la fédération AID coordonne aussi des projets régionaux de développement de référentiels dans sept filières de formation ISP (projet commandé par le cabinet du ministre wallon de l'Emploi et de la Formation), mais elle a aussi dirigé les travaux menant à la réalisation du « référentiel métier/compétences et formation du formateur ISP classe 1 » en collaboration avec les formateurs et directeurs de centres de formation professionnelle et validé par la commission pédagogique de l'Interfédération 9. Ce référentiel a pour objectifs de renforcer le professionnalisme du secteur, d'élaborer un cadre de référence pour permettre la coordination de l'offre de formation continuée des travailleurs et de formaliser les compétences des formateurs en respectant la dynamique de « LifeLong Learning » et de la mise en place du nouveau Service Francophone des Métiers et des Qualifications en Belgique francophone. Fluidifier les parcours de formation tout en garantissant l'épanouissement des apprenants : les prochains mois seront déterminants.



1. AID asbl: Réseau d'Organismes d'Insertion socioprofessionnelle (OISP) et d'Entreprises de Formation par le Travail (EFT) www.aid-com.be
2. Un projet de décret «Centre d'Insertion Socio Professionnelle» modifiant le décret d'avril 2004 a été adopté en 1er lecture par le Gouvernement wallon en juin dernier. Ce texte, supposé hamroniser et simplifier les législations laisse à ce stade le secteur très perplexe.
3. Déclaration de Lisbonne « Conclusions du Conseil européen sur l'emploi, les réformes économiques et la cohésion sociale », 23-24 mars 2000.
4.SFMQ :
5. CEC :
6. CEDEFOP, Terminology of Education and Training Policy. A selection of 100 key terms, 2008, p.112 :
7. Le système ECVET :
8. Projets LEONARDO TOI 2011-2013 : ECVET IN PROGRESS : et PROPER CHANCE :
9. L'Interfédération des EFT-OISP asbl promeut les actions des Entreprises de Formation par le Travail et des Organismes d'Insertion socioprofessionnelle. Elle effectue des missions d'information, de formation et de conseil dans les domaines économiques, sociaux et pédagogiques.