Malgré certaines (petites !) avancées, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour intégrer de jeunes handicapés dans l’enseignement ordinaire en Communauté française. En effet, à peine plus de 800 enfants handicapés fréquentent l’école ordinaire, sur les plus de 30 000 enfants à besoins spécifiques que compte la Communauté. Et il est frappant de constater que le nombre d’enfants inscrits dans l’enseignement spécialisé ne cesse d’augmenter. Tour d’horizon d’une question de société, 40 ans après la création de l’enseignement spécialisé.


 Si désormais plus personne ne remet en cause les bénéfices de l’intégration pour les jeunes handicapés dans l’enseignement ordinaire (autonomie, stimulation, estime de soi) ainsi que pour les autres acteurs de l’enseignement (parents, autres élèves, professeurs, écoles), la réalité sur le terrain en Communauté française de Belgique laisse perplexe. Malgré le nouveau décret de 2009 portant sur l’élargissement de l’intégration à tous les types (voir page 2), la fréquentation immédiate de la classe ordinaire, l’obligation pour les écoles d’inscrire l’intégration dans leur projet pédagogique et l’augmentation du nombre d’enfants à besoins spécifiques intégrés dans des classes ordinaires (de 200 à 800 environ ces deux dernières années scolaires), force est de constater que la situation est loin d’être satisfaisante. Un chiffre éclaire ce constat : en 2010, moins de 1 % des enfants à besoins spécifiques étaient intégrés de manière permanente dans l’enseignement ordinaire en Communauté française contre 53% en Finlande ! 1
Plus inquiétant, le fait que l’enseignement spécialisé accueille toujours plus d’élèves malgré une baisse générale de la population scolaire. En 15 ans, les effectifs ont augmenté de près de 25% dans le fondamental spécialisé, et d’environ 20% dans le secondaire. L’enseignement spécialisé scolarise 4,6 % des élèves de la Communauté française ; c’est sensiblement plus que dans la majorité des pays européens qui scolarisent moins de 3% des élèves dans ce type de structure. 2
Même si l’enseignement spécialisé peut représenter aujourd’hui une solution pour les enfants à besoins spécifiques et leurs parents, grâce à l’encadrement renforcé ou à l’approche pluridisciplinaire, il ne manque pas de soulever des questions fondamentales, notamment en termes d’égalité des chances et de discrimination.
A titre d’exemple, les services d’accompagnement et le suivi des élèves à besoins spécifiques ne peuvent se faire que dans le cadre de l’enseignement spécialisé. Cela rend donc plus difficile l’intervention précoce indispensable au maintien de l’élève dans le cursus ordinaire. L’enseignement spécialisé permet alors d’alléger les « problèmes » de l’enseignement ordinaire, en retirant de la classe les élèves dits « à difficultés ». L’école ordinaire, utilisant toujours plus les structures spécialisées, perd de sa capacité à faire face aux difficultés scolaires. 3 Cette fonction de « soupape » ne favorise pas le questionnement d’un enseignement qui relègue de plus en plus d’élèves vers des structures spécialisées, évitant un questionnement sur le rôle inclusif que devrait avoir tout système éducatif.
Ceci semble d’autant plus vrai que les statistiques montrent une corrélation entre le niveau socioéconomique des élèves et leur scolarisation dans l’enseignement spécialisé. Selon une étude du Ministère de la Communauté française : « […] il a été observé que la part des élèves scolarisés dans l’enseignement spécialisé augmente lorsque le niveau socio-économique du lieu de résidence diminue ». 4 C’est particulièrement vrai pour le type 8 (plus du tiers des effectifs de l’enseignement spécialisé) où plus de 80% des élèves sont issus de milieux sociaux défavorisés ! 5
Hélas, les chiffres et les études manquent pour faire une analyse détaillée des autres types. Ce n’est pas un constat univoque, mais les tendances montrent que l’enseignement spécialisé joue souvent un rôle d’école de relégation pour le système éducatif ordinaire; de quoi remettre en cause la légitimité de deux systèmes à ce point séparés. L’intégration supposerait quant à elle d’aller à contre-courant de cette tendance lourde.

L’impossible intégration?

Si la séparation des deux systèmes (ordinaire et spécialisé) y est pour quelque chose, il apparaît aussi que l’organisation du système éducatif ordinaire belge, un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE, n’est pas à même d’intégrer les enfants à besoins spécifiques.
• Le quasi marché scolaire et le droit de véto des écoles
Le système éducatif belge est caractérisé par la liberté d’enseignement qui suppose la possibilité pour les parents de choisir leur école et pour l’école de choisir son projet pédagogique. Si d’un point de vue théorique cette liberté semble louable, sur le terrain la réalité est bien différente.
En effet, ce quasi marché laisse une marge de manœuvre extrêmement importante à certains acteurs tels les directions d’établissements ce qui, dans le cas de l’intégration, revient à un droit de véto pur et simple. Pour intégrer une classe ordinaire, un enfant à besoins spécifiques doit obtenir l’approbation de la direction de l’école ordinaire concernée ; aucune obligation donc d’accueillir l’enfant dans une école ordinaire, même si ses capacités pourraient le lui permettre. Malgré des législations qui tendent à favoriser la mixité sociale dans les écoles, la situation ne se modifie guère.
A titre d’exemple, et dans un autre registre, même s’il est interdit légalement de refuser une inscription sur des facteurs tels les résultats scolaires précédents ou encore la religion de l’élève, on s’étonne des résultats d’une étude PISA (2003) 6 qui montrent que près de 60 % des directions d’écoles utilisent le premier critère comme facteur de sélection (17 % environ en font même une condition préalable). Plus grave encore, 58 % des chefs d’établissements interrogés affirment prendre en compte la religion des parents dans le processus de sélection (plus de 16 % en font une condition préalable) ! On voit mal dès lors, comment dans un tel système ségrégatif, un enfant handicapé ou à besoins spécifiques trouverait sa place… On peut espérer que ces chiffres ne reflètent plus la situation de 2011, mais il est permis d’en douter.
• La pédagogie de la performance et l’échec scolaire
Autre obstacle d’importance à l’intégration, la pédagogie de la performance. Hiérarchisation des élèves et des filières, sélection précoce ou encore échec scolaire en sont les conséquences inquiétantes. La Belgique est ici encore dans le bas du classement européen. C’est près de 100 000 enfants en Communauté française qui sont chaque année en échec scolaire, via le redoublement, l’orientation précoce ou encore l’abandon scolaire. 7 A n’en pas douter, ce contexte renforce les difficultés que pourraient rencontrer les enfants à besoins spécifiques pour s’intégrer dans l’enseignement ordinaire.
• Une image du handicap
Dépasser la vision que l’on a encore du handicap est une tâche primordiale, également dans le système éducatif. Savoir reconnaître et valoriser les capacités de chacun est une tâche tant institutionnelle qu’individuelle. Il reste encore malheureusement beaucoup d’a priori et de préjugés sur les personnes handicapées. C’est également le cas dans le système éducatif. Cet obstacle à l’intégration, plus sociétal, est une priorité pour les organisations de défense de la personne handicapée et doit être combattu par des actions de sensibilisation.

Propositions

Pour résumer, il semble que les difficultés d’intégration que rencontrent les enfants à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire sont de deux ordres :
– La séparation institutionnelle des deux entités, à savoir l’école spécialisée et l’école ordinaire, qui fait de l’école spécialisée une « soupape » pour l’école ordinaire et qui participe à la hiérarchisation des élèves et des filières.
– Les problèmes globaux de l’école en Belgique et particulièrement en Communauté française : quasi marché scolaire qui transforme le « libre choix » en développement inégal, hiérarchisation et discrimination, pédagogie de la performance et du mérite favorisant l’échec scolaire ainsi que la non-obligation pour les établissements d’accueillir des enfants à besoins spécifiques.
Il faut donc s’attaquer à ces deux réalités pour que l’intégration ne reste pas un fait marginal. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. D’une part, le débat doit être mené en termes de suppression (du moins en grande partie) de la filière spécialisée et de son intégration dans le système éducatif ordinaire. La Finlande l’a fait avec succès en l’accompagnement d’une décentralisation territoriale (municipalisation). D’autre part, les organisations de défense de la personne handicapée doivent s’intéresser au débat sur l’école en général et y prendre position afin d’y prôner une vision inclusive, respectueuse des différences. Cela passe par une remise en question du quasi marché scolaire et du « culte » de la performance et de l’échec scolaire. Enfin, et comme les bonnes intentions ne suffisent pas, il s’agit d’obliger les écoles à accueillir des enfants à besoins spécifiques en leur sein. Il est frappant de constater que l’on ne dispose que de très peu d’informations statistiques et d’analyses sur la filière spécialisée. Il y a donc là un travail préalable à effectuer pour faire un bilan réel et pragmatique de l’enseignement spécialisé qui permettrait de tirer toutes les conclusions et de se diriger vers une autre voie.
Le chemin de l’inclusion est encore long pour les enfants à besoins spécifiques, et plus largement pour tous les enfants. Les résistances des acteurs favorisés par notre système seront fortes. Il faut les démasquer et les dénoncer comme étant la défense, directe ou indirecte, d’une école élitiste et discriminatoire que nous ne voulons plus.

(*) Altéo

Enseignement spécialisé

Depuis les années 70, la Belgique connaît un système d’enseignement spécialisé séparé du cursus ordinaire. Il comprend les niveaux maternel, primaire et secondaire et organise les enseignements en huit types :
• Type 1: retard mental léger
• Type 2: retard mental léger modéré ou sévère
• Type 3: troubles du comportement
• Type 4: déficiences physiques
• Type 5: maladies ou convalescence
• Type 6: déficiences visuelles
• Type 7: déficiences auditives
• Type 8: troubles instrumentaux, dits aussi « troubles d’apprentissage ».

A la différence du système ordinaire, l’enseignement fondamental spécialisé est organisé en quatre degrés et non en années d’études.
L’enseignement secondaire spécialisé, quant à lui, se divise en quatre formes :
• Enseignement de forme 1 : enseignement d’adaptation sociale rendant possible l’adaptation en milieu de vie protégé.
• Enseignement de forme 2 : enseignement d’adaptation sociale et professionnelle rendant possible l’insertion en milieu de vie et/ou de travail protégé.
• Enseignement de forme 3 : enseignement professionnel rendant possible l’insertion socioprofessionnelle.
• Enseignement de forme 4 : enseignement général, technique, artistique ou professionnel correspondant à l’enseignement secondaire ordinaire avec un encadrement différent, une méthodologie adaptée et des outils spécifiques.

Aujourd’hui, l’enseignement spécialisé concerne plus de 30 000 enfants en Communauté française. Dans l’enseignement fondamental spécialisé, la majorité des élèves sont regroupés dans le type 1 (retard mental léger, 25,6%) et le type 8 (troubles instrumentaux, 35,4%). (8) Dans le secondaire spécialisé, 53,8% des élèves appartiennent au type 1. Cette proportion est principalement due au fait que le type 8 n’existe pas en secondaire spécialisé, et qu’une bonne partie des élèves de type 8 en primaire se retrouvent en type 1 en secondaire.

Intégration versus inclusion

Si on a longtemps parlé d’intégration des enfants à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire, le débat porte aujourd’hui plus sur le concept d’inclusion.
L’intégration suppose de se focaliser sur l’élève à besoins spécifiques afin de lui donner les possibilités et les outils pour s’adapter au système d’enseignement ordinaire. L’inclusion, quant à elle, suppose une adaptation de l’école ou de la classe en milieu ordinaire, rendant possible l’adaptation de chaque élève, notamment ceux à besoins spécifiques. L’inclusion ne se focalise donc pas uniquement sur l’élève à besoins spécifiques, mais concerne tous les autres élèves et les différences qui peuvent les caractériser.
Cependant, la législation communautaire n’emploie que le terme intégration.



De l’intégration à l’inclusion: qu’il est long le chemin

- Interview croisée

Actuellement, le terme intégration cède peu à peu la place à celui d’inclusion dans le champ de l’enseignement des enfants aux besoins spécifiques. Ghislain Magerotte, professeur retraité de l’Université Mons-Hainaut (UMH) et Philippe Tremblay, chercheur et professeur invité à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), livrent leurs points de vue.


- Intégration versus inclusion, comment s’y retrouver ?
- Ghislain Magerotte (G.M.) : Jusqu’à présent, la Belgique poursuit majoritairement une politique d’intégration individuelle ou collective (ex. : les classes spécifiques) des enfants porteurs de handicaps. Or, l’inclusion selon moi doit agir comme un kaléidoscope. C’est-à-dire que chaque enfant, quels que soient ses besoins, doit pouvoir bénéficier d’une scolarisation dans l’enseignement dit « ordinaire »… et non dans des classes séparées ! J’ai d’ailleurs emprunté ce terme de kaléidoscope aux collègues québécois, terme qui reflète la diversité des élèves qui donne de la couleur aux écoles.
- Philippe Trembay (Ph.T.)  : La différence entre les deux concepts est assez simple. D’un côté, dans la logique intégrative, l’enfant aux besoins spécifiques doit se plier aux programmes et donc aux évaluations de l’enseignement ordinaire. Autant dire que ce sont les élèves les mieux armés (ex. : suivi parental, conditions socio-économiques favorables) qui peuvent se permettre ce « luxe ». A contrario, dans la logique inclusive, c’est à l’école ordinaire d’intégrer tout le monde selon les capacités et limites de chacun. Ce qui exige bien évidemment une volonté des d’établissements et des équipes éducatives. Volonté encore frileuse actuellement !

- En comparaison avec les pays scandinaves, notamment, la Belgique fait figure de lanterne rouge en matière d’inclusion. Quels sont les freins majeurs à cette évolution ?
- Ph.T.  : Pour moi, outre les freins liés au manque de ressources humaines ou matérielles (ex. : mobilité des élèves), il s’agit clairement d’un manque de volonté politique. D’un point de vue purement législatif par exemple, le dernier décret 2009 relatif à l’enseignement spécialisé ne comporte qu’un maigre chapitre lié à l’intégration. Je ne parle même pas ici d’inclusion ! Or, une loi spécifique sur l’inclusion devrait être promulguée.
- G.M. : Pour ma part, je relève deux obstacles majeurs : les équipes éducatives de l’enseignement spécialisé et les parents eux-mêmes ! Les premiers ont peur de voir l’enseignement spécialisé se vider de sa substance au profit de classes mixtes dans l’enseignement ordinaire. Or, c’est irréaliste, car ils ne perdront pas leur place ! Mais leur mission sera bel et bien modifiée. Ils enseigneront en binôme avec des enseignants de l’ordinaire en apportant leurs savoirs et savoir-faire spécifiques. Quant aux parents, ils craignent une discrimination intra-classe par rapport à leur enfant malade ou handicapé et une inadéquation des services proposés.

- Comment, dès lors, dépasser ces freins ?
- G.M. : Pour moi, si l’on ne peut imposer aux établissements un projet pédagogique contraignant les directions à promouvoir l’inclusion, il faut que ces dernières prennent position ! Théoriquement, les écoles doivent l’indiquer… mais dans les faits, le bât blesse. En prenant une certaine hauteur intellectuelle, on pourrait mettre en parallèle l’inclusion avec la discrimination positive. Et donc allouer les ressources nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques de chaque élève. Je parle ici aussi des élèves primo-arrivants, des jeunes Roms, etc. En outre, l’argent perdu dans le redoublement (ndlr : 30 à 40 % dans le secondaire) pourrait être utilisé à d’autres fins : pédagogues, logopèdes, kinésithérapeutes, etc.
- Ph.T.  : Outre l’argent gaspillé dans le redoublement, la Belgique a l’art de jeter l’argent par les fenêtres en multipliant la création d’institutions inefficaces plutôt que d’investir dans des ressources humaines qualifiées et motivées ! On parle aujourd’hui de « désinstitutionnalisation ». Je rejoins totalement cet enjeu. Viser une école pour tous et la réussite pour tous : tel est le réel défi ! Pour ce faire, il faut une réelle coordination des équipes éducatives : PMS, enseignants, parents. Ce qui est encore loin d’être le cas…

- Est-ce là l’école rêvée de demain?
- Ph.T.  : Il ne faut pas se leurrer ! On ne va pas changer le monde et donc les mentalités du jour au lendemain. Nous sommes toujours en recherche. La mixité scolaire est l’une des clés pour lutter contre les stéréotypes de tous bords. Qu’il s’agisse du handicap ou de l’origine culturelle. L’enseignement spécialisé doit peu à peu laisser place à des services favorisant la pleine inclusion. Ainsi, les enseignants du spécialisé viendront renforcer les équipes éducatives de l’enseignement ordinaire. Aujourd’hui, il faut changer l’École et non d’école !
- G.M. : L’école de demain sera celle qui accueille tous les enfants sans discriminations. C’est un plus pour tout le monde. Tant pour les enfants dits « ordinaires » que pour les enfants aux besoins spécifiques. Ce sont les enfants qui changeront la mentalité des parents. Une piste insuffisamment exploitée est le tutorat. Que des élèves dits « ordinaires » passent une heure ou deux par jour comme accompagnateurs d’enfants aux besoins spécifiques serait l’idéal à atteindre. Malheureusement (rires), je pense que je mourrai avant de connaître cette révolution…

Propos recueillis par Cécile Histas


Témoignages d’intégration – par Cécile Histas


Oser affronter le regard des autres quand on est intégré dans l’enseignement ordinaire demande une détermination certaine. Claire et Isabelle, par exemples, ont dû surmonter bien des obstacles pour pouvoir, aujourd’hui, exploiter leurs compétences au maximum. Elles témoignent d’un parcours qui a exigé beaucoup de détermination tant dans leur chef que de leurs proches et des équipes éducatives.

• Claire, 28 ans, assistante administrative.
Claire s’est retrouvée triplégique suite à un accident de la route à l’âge de 7 ans. Fréquentant l’enseignement ordinaire, il n’était pas question pour elle de changer d’établissement après ce drame. Grâce à une collaboration soutenue entre ses parents, les enseignants et la direction de son école, elle a pu poursuivre sa scolarité primaire et secondaire dans l’enseignement dit ordinaire. « En primaire, j’ai été intégrée dans une classe plus petite d’une vingtaine d’élèves. Les cours étaient adaptés à mon handicap. Et en secondaire, pendant l’éducation physique, le professeur de maths me prenait à part. J’admets que j’étais dans une école à pédagogie différenciée déjà ouverte à ce type d’expérience ».
Les parents de Claire ne visaient pas pour leur fille la réussite à tout prix, mais plutôt une pleine intégration. « Ce n’était pas sans mal, car j’ai subi nombre d’insultes et regards compatissants dont je me serais bien passé ! ». Pour la jeune femme, les pistes à explorer sont : la formation de base des enseignants (trop peu de modules spécifiques dans les cursus), l’orthopédagogie ou encore le tutorat voire le volontariat. « À condition que cela ne vire pas à l’assistanat ! ».

• Isabelle, 41 ans, animatrice socioculturelle.
Malvoyante, Isabelle se remémore le constat fait par son ophtalmologue au sortir d’un examen. « Il a dit à mes parents qu’il n’y avait qu’une solution pour moi: l’enseignement spécialisé ». À nouveau ici, la force de caractère de l’enfant et l’environnement notamment familial ont permis à Isabelle d’intégrer l’enseignement ordinaire. Les difficultés rencontrées ne venaient pas systématiquement des élèves, mais également des enseignants, pas toujours armés ou ouverts au handicap.
« Je me souviens d’un cours où j’étais au premier rang. Je ne savais rien lire au tableau. Le prof n’a rien trouvé de mieux que de me renvoyer en primaire si je ne savais pas lire ! ». « Par contre, durant ma licence en psycho, un enseignant m’a permis de photocopier ses slides en début d’année ».
Isabelle admet que des efforts ont été faits en matière de sensibilisation au handicap. De plus en plus de services spécifiques sont offerts. Notamment des aides pédagogiques volontaires ou non, et ce, depuis le primaire jusqu’au supérieur. L’animatrice pointe cependant du doigt le manque de volonté politique afin que l’enseignement ordinaire améliore son regard sur le handicap.



Pour des systèmes complémentaires – par David Lefèbvre(*)

Altéo poursuit sa réflexion pour une meilleure intégration des enfants à besoins spécifiques dans l’enseignement. Pour le Mouvement, il importe de renforcer les passerelles entre structures d’enseignement et de donner les moyens au décret de 2009 d’atteindre tous ses objectifs.

La Convention ONU sur le droit des personnes handicapées, ratifiée par la Belgique en août 2009, reconnaît et affirme en son article 24 le droit à l’éducation pour les personnes handicapées. Comme nous le rappelle à juste titre Agnès Lemoine (Vice-présidente d’Altéo), la déclaration de Salamanque, adoptée par la conférence mondiale sur l’éducation et les besoins éducatifs spéciaux du 7-10 juin 1994, va également dans le même sens en affirmant notamment que :
– « L’éducation est un droit fondamental de chaque enfant qui doit avoir la possibilité d’acquérir et de conserver un niveau de connaissance acceptable.
– Chaque enfant a des caractéristiques, des intérêts et des besoins d’apprentissage qui lui sont propres.
– Les systèmes éducatifs doivent être conçus de manière à tenir compte de cette diversité de caractéristiques et de besoins.
– Les personnes ayant des besoins éducatifs spéciaux doivent pouvoir accéder aux écoles ordinaires.
– Les écoles ordinaires ayant cette orientation intégratrice constituent le moyen le plus efficace de combattre les attitudes discriminatoires… ».
Pour Altéo, ces deux textes sont fondamentaux en ce sens qu’ils reconnaissent l’importance de l’enseignement spécialisé tout en affirmant que les écoles ordinaires intégrant les enfants et les jeunes ayant des besoins éducatifs spéciaux constituent le moyen privilégié pour combattre les attitudes discriminatoires. Pour Altéo, un type d’enseignement ne doit pas s’opposer à un autre (spécialisé versus ordinaire), mais une complémentarité, une fluidité, une transversalité et une circularité doivent pouvoir s’envisager entre les deux types d’enseignement.
Pour Altéo, ces principes énoncés ci-dessus doivent se traduire à plusieurs niveaux concrets.
Au niveau de l’offre d’enseignement. L’idéal à atteindre serait, pour reprendre les mots de Jean-Pierre Yernaux (Président d’Altéo) d’« inverser notre regard, de partir de chaque enfant en envisageant son parcours de vie de manière non linéaire, parcours évoluant au gré des changements au niveau santé, familial, capacités... Dans ce cadre, réfléchissons en terme de passerelle entre structures complémentaires (dans les deux sens). Cela concerne des enjeux géographiques, de formation et de rencontre des professionnels, de décloisonnement des secteurs, de répartition des moyens ». Altéo souhaite donc qu’une approche par bassins scolaires soit étudiée, intégrant une large palette d’offres d’enseignement en regard de la diversité des besoins, spécifiques ou pas, rencontrés sur le terrain.
En tout état de cause, et tant qu’une telle approche par bassins ne sera pas implémentée, Altéo demande plus de diversité et de possibilités de choix de sections dans l’enseignement secondaire spécialisé afin notamment de répondre aux besoins, aux capacités et aux attentes du plus grand nombre de jeunes. Altéo souhaite également que la Communauté française veille à une meilleure répartition géographique de l’offre d’enseignement.
Pour donner corps au décret du 09 février 2009 sur l’intégration des enfants à besoins spécifiques, Altéo insiste pour :
– qu’un budget suffisant pour des aides techniques, sanitaires et pédagogiques soit prévu afin de garantir l’intégration des enfants handicapés dans l’enseignement ordinaire.
– que des adaptations des établissements scolaires soient réalisées afin de les rendre accessibles aux PMR. Altéo rappelle d’ailleurs le caractère résiduaire de l’AWIPH dans cette matière et la nécessité donc de prévoir des moyens suffisants pour la gestion des bâtiments scolaires.

De manière transversale, pour rendre effectif ce droit à l’éducation pour les personnes malades et handicapées, Altéo estime nécessaire de :
– Sensibiliser les futurs diplômés de l’enseignement supérieur ou universitaire en prévoyant au moins un module de formation obligatoire par an sur le handicap dans les programmes de cours des écoles d’architecture, d’assistants sociaux, d’enseignants, d’ingénieurs et de sciences humaines.
– Poursuivre la sensibilisation de la communauté éducative au handicap (enseignants, pouvoirs organisateurs et inspection). – Former adéquatement les chauffeurs de transport scolaire et de s’assurer que le matériel roulant soit aux normes afin de pouvoir véhiculer les enfants handicapés en toute sécurité et confort. Altéo recommande également de rendre la durée de trajet raisonnable (max. 2 h/jour).

Enfin, Altéo est convaincu que l’éducation reste la pierre angulaire du degré de participation des individus à la vie en société. Tant l’exercice de la citoyenneté que la participation au marché du travail passent par une rencontre effective du droit à l’éducation de tout un chacun.
Consacrer le principe est une chose. Y répondre en est une autre. Des choix politiques doivent être posés. Des moyens doivent être alloués. Nous sommes sur la voie… il reste du chemin à parcourir. Comme le dirait Jean-Pierre Yernaux, ce qui est attendu par le mouvement Altéo et par une grande partie du secteur, « Ce n’est pas la révolution scolaire, mais la révolution intérieure, en chacun des acteurs de l’enseignement : enfants, parents, enseignants, PMS, services sociaux, politiques… ».



1. Calculs propres sur base de SNE data 2010 (Belgium and Finland), European Agency for Development in Special Needs Education.
2. Les Indicateurs de l’enseignement 2010, Communauté française de Belgique, 2010.
3. Ph. Tremblay, « Evaluation de la qualité de deux dispositifs scolaires destinés à des élèves de l’enseignement primaire ayant des difficultés/troubles d’apprentissage », ULB, 2010.
4. Publics de l’enseignement spécialisé, Ministère de la Communauté française de Belgique/ETNIC, 2008.
5. Ibidem.
6. Citée dans Nico Hirtt, Belgique-Finlande : le coût exorbitant du libéralisme scolaire, L’école démocratique, 2005.
7. L’échec scolaire est une maltraitance, Ligue des Droits de l’Enfant ASBL, www.ligue-enfants.be 8. Les Indicateurs de l’enseignement 2010, Communauté française de Belgique, 2010.