C’est vraisemblablement l’une des mesures les plus marquantes — et sans doute aussi l’une des plus attendues — de la précédente législature en matière d’enseignement obligatoire. Voté in extremis, lors de la dernière séance plénière du parlement de la Communauté française, le décret « organisant un encadrement différencié au sein des établissements scolaires de la Communauté française afin d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité » concrétise l’une des pistes d’action avancées dans le cadre de la neuvième priorité du Contrat pour l’École : « Non aux écoles ghettos ».
Le décret « encadrement différencié » répond au principe de lier directement le niveau d’encadrement pédagogique des établissements scolaires à l’origine socio-économique de chaque élève accueilli au sein de ceux-ci1. Ainsi, le gouvernement PS-cdH manifestait sa volonté de structurer et de renforcer une politique d’attribution différenciée des ressources scolaires — principalement comprises en termes de personnel — au profit des écoles accueillant des publics scolaires issus de milieux populaires, et ce, dans le respect de l’article 6 du décret « Missions » consistant à « assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale ». Sur le principe, ce décret sur l’encadrement différencié s’inscrit donc assez clairement dans une logique de politique compensatoire consistant à affecter prioritairement les moyens en fonction des besoins, ou, dit plus simplement, à « donner plus à ceux qui ont moins ». Nouvelle approche de la problématique de l’égalité scolaire ? Pas vraiment. Car cette idée de rompre avec le principe d’égalité de traitement (« un enfant égal un enfant ») n’est pas nouvelle. Rappelons d’abord que les ressources scolaires (subventions et encadrement) sont depuis longtemps affectées différemment entre niveaux, filières et types d’enseignement. Ainsi, les subventions sont sensiblement plus élevées dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement fondamental. L’encadrement est également plus important dans l’enseignement spécialisé que dans l’enseignement ordinaire. Il en va de même par exemple pour l’enseignement professionnel par rapport à l’enseignement général.
Toutefois, en Communauté française, c’est dès la fin des années 1980 et dans la foulée d’initiatives adoptées aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France que s’est peu à peu imposée la nécessité d’adopter des politiques spécifiques d’affectation différenciée des ressources scolaires au profit des populations d’élèves les moins favorisées. Ce tournant s’inscrit en quelque sorte dans le cadre d’une mutation de la conception de l’égalité scolaire, reposant sur la prise de conscience des limites du principe de l’égalité des chances.
S’il ne peut en effet être question d’enseignement démocratique sans égalité d’accès (l’école gratuite et obligatoire) et sans égalité de traitement (la même école pour tous), ces deux principes ne suffisent pour autant pas à assurer une réelle promotion scolaire de tous les élèves, et principalement des élèves issus des milieux défavorisés. Car, de fait, en arrivant à l’école, un enfant n’est pas égal à un autre enfant, en raison notamment du milieu socio-économique et culturel dont il est issu et qui peut peser lourdement sur son parcours scolaire et ses chances de réussite. C’est ainsi que l’on en est arrivé, à la suite des travaux sociologiques de Pierre Bourdieu sur la reproduction scolaire, à parler d’idéologie de l’égalité des chances. Car en faisant l’impasse sur les déterminants sociaux de la réussite scolaire, les dispositifs d’égalisation des chances participent à la constitution d’une école méritocratique qui, sous la bannière d’une égalité toute formelle, laisse les inégalités réelles de départ se perpétuer, voire se renforcer. Dès lors, « rendre possible la promotion scolaire des élèves issus de milieux défavorisés n’est pas suffisant ; progressivement va s’installer l’idée que le rôle de l’école est de rendre effective cette promotion. (…) En quelque sorte, le principe d’équité s’impose comme réponse aux impasses de l’égalité de traitement : pour faire face à des situations de départ inégales, il est considéré comme juste de distribuer les ressources de manière inégale »2.
Parmi les critiques les plus souvent entendues : la faiblesse des moyens dégagés (notamment en termes d’encadrement pédagogique) en regard des enjeux à rencontrer et le nombre relativement limité d’écoles et d’élèves bénéficiaires (12,5 % dans le fondamental et 13,5 % dans le secondaire). En outre, le mécanisme de la D+ entraîne deux difficultés majeures. D’une part, il induit un effet de seuil : soit les écoles font partie de la liste des bénéficiaires de la D+, soit elles n’en font pas partie. Dans cette logique, les établissements se situant à la marge et qui sont souvent confrontés aux mêmes difficultés que les établissements classés en D+ ne bénéficient d’aucune aide complémentaire alors qu’ils pourraient légitimement y prétendre. D’autre part, le fait pour une école d’être labellisée « école en discrimination positive » peut jouer rapidement en sa défaveur tant l’étiquette, stigmatisante, fait fonction de repoussoir pour nombre de jeunes et de leurs familles. Le nouveau décret relatif à l’« encadrement différencié » qui doit rentrer progressivement en vigueur dès la rentrée 2009 a précisément pour ambition de pallier les déficiences de la D+ et d’accroître sensiblement son efficacité en termes de promotion scolaire des jeunes issus des milieux populaires.
De quoi s’agit-il ? Sur le plan des principes, le nouveau dispositif ne diffère pas fondamentalement du dispositif des discriminations positives : il s’agit toujours, dans le cadre d’une politique de type compensatoire, d’affecter plus de ressources aux écoles accueillant un public « élèves » socioéconomiquement défavorisé dans l’objectif explicite « d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité ». Toutefois, les ambitions et les moyens sont désormais très nettement revus à la hausse.
Les moyens d’abord : comme aimait le rappeler à l’époque le cabinet du ministre Dupont, les moyens nouveaux apportés par l’encadrement différencié constituent « l’un des plus importants et des plus ambitieux refinancements du système éducatif de la Communauté française et de ses écoles depuis ces 20 dernières années. » En effet, dès la rentrée scolaire 2009, ce sont 37,5 millions d’euros (15 millions d’euros s’ajoutant aux 22 millions d’euros initialement consacrés à la D+) qui seront consacrés au nouveau dispositif. Ce montant s’élèvera dès la rentrée 2010 et pour les années suivantes à 62,5 millions d’euros. C’est donc trois fois plus de moyens publics complémentaires qui seront à l’avenir injectés dans le mécanisme d’encadrement différencié.
Le nombre d’écoles et d’élèves bénéficiaires de cette manne va également croître : c’est 25 % des écoles en Communauté française (environ 1 000 établissements), du maternel au secondaire, accueillant en moyenne 200 000 élèves qui vont désormais recevoir des moyens supplémentaires. Comparativement au régime de la D+, c’est deux fois plus d’écoles et d’élèves bénéficiaires (voir tableau 1).
Tous les 5 ans, une étude interuniversitaire classera toutes les implantations scolaires en CF des plus défavorisées au plus favorisées. Ce classement se fera sur la base de l’indice socioéconomique moyen de la population scolaire de chaque école5. C‘est bien entendu le quartile des écoles présentant l’indice le plus faible qui est concerné par le décret. Mais la différenciation de l’encadrement porte également sur ces 25 % d’écoles bénéficiaires qui seront elles-mêmes réparties en cinq « classes socioéconomiques » graduellement distinctes et qui se verront attribuer des moyens complémentaires correspondants à leur classe socioéconomique d’appartenance (voir tableau 2, page suivante).
Ces moyens complémentaires seront objectivement octroyés aux écoles, en fonction de leur classification, pour une période de cinq années renouvelable (un système de phasing out sur deux ans étant prévu pour les établissements qui, de par l’évolution éventuelle de leur indice socioéconomique, quitteraient le quota des 25 % d’établissements ciblés).
Quant aux moyens, 80 % de ceux-ci seront consacrés à de l’encadrement (enseignants et personnel éducatif), les 20 % restants étant consacrés à des budgets de fonctionnement complémentaires, le tout étant réparti pour moitié entre l’enseignement fondamental et l’enseignement secondaire. Cet encadrement supplémentaire peut concerner des enseignants comme tels, mais également des professeurs de remédiation, des professeurs de français langue étrangère, des éducateurs, des assistants sociaux ou encore des puéricultrices…
Quant aux subventions complémentaires, celles-ci ont pour fonction de financer des projets susceptibles bien évidemment d’accroître la qualité de l’environnement pédagogique des écoles concernées : organisation d’études dirigées, acquisition d’outils pédagogiques, projets de collaboration avec l’associatif local…
– renforcer la maîtrise des apprentissages de base, et de la langue française en particulier, par tous les élèves ;
– lutter contre l’échec, le redoublement et le retard scolaires ;
– favoriser la détection rapide des difficultés scolaires, l’organisation de la remédiation immédiate et la mise en œuvre de pédagogies différenciées ;
– prévenir le décrochage scolaire et, ce faisant, les éventuels phénomènes d’incivilités et de violence.
Précisons que le décret entend également encourager les collaborations et partenariats entre établissements, en permettant notamment les mises en commun de tout ou partie des moyens complémentaires par plusieurs implantations bénéficiaires, ainsi qu’avec le tissu associatif local.
Le législateur a en outre volontairement laissé une grande autonomie aux écoles concernées dans l’utilisation des moyens complémentaires, jugeant à bon escient que les équipes pédagogiques sont le plus à même d’identifier la nature des difficultés de leur public « élèves » et les moyens à mettre en œuvre pour les rencontrer le plus efficacement possible. Aussi est-il demandé à chaque équipe pédagogique, en concertation avec le conseil de participation et les organes de démocratie sociale, de définir pour une durée de cinq ans un « projet général d’action d’encadrement différencié (PGAED) » précisant les objectifs poursuivis et l’ensemble des actions concrètes qui, en phase avec le contexte spécifique de chaque établissement concerné, seront menées pour les atteindre. En contrepartie de cette autonomie d’action, le décret entend renforcer de façon globale et au sein de chaque établissement bénéficiaire une réelle culture de l’évaluation.
Ainsi, sur la base des résultats des évaluations internes et externes menées au sein de chaque établissement et d’indicateurs objectifs (taux de réussite et d’échecs, redoublements et retards, réorientations…) ainsi que des rapports d’évaluation produits par le Service général de l’inspection, chaque stratégie mise en place par les différents établissements dans le cadre de l’encadrement différencié sera évaluée et, si besoin est, réajustée. Par ailleurs, la commission de pilotage du système éducatif (qui regroupe les partenaires de l’école) est chargée d’évaluer en continu l’efficacité du processus mis en place.
Restent toutefois quelques interrogations. L’une d’entre elles porte évidemment sur les possibilités de financement d’une telle mesure. Pour le dire rapidement, les caisses de la Communauté française sont (durablement) vides et la mesure coûte (très) cher. La nouvelle coalition PS-cdH-Ecolo s’est pourtant formellement engagée dans sa déclaration de politique communautaire à mettre en place le dispositif d’encadrement différencié tel que défini par le décret, voire à le renforcer par la suite. Il semble donc a priori assez improbable que le nouveau gouvernement ne tienne pas parole sur ce point, d’autant que les attentes du « terrain » sont grandes. Vu l’état des finances, des choix prioritaires d’investissements devront être faits. Et si l’encadrement différencié en est un, ce sera inévitablement aux dépens d’autres priorités et elles sont nombreuses en la matière. Les arbitrages risquent donc d’être douloureux tant les marges de manœuvre sont réduites.
D’autres scénarios pourraient toutefois être privilégiés. L’un de ceux-ci consisterait à opter pour un principe de financement de type « Robin des Bois ». En soi, l’idée n’a absolument rien d’absurde, même s’il peut provoquer de nombreuses réticences. Plutôt que de miser sur l’apport de moyens supplémentaires, il s’agirait de rééquilibrer plus équitablement l’affectation globale des ressources déjà existantes (subventions/dotations et encadrement) au profit des écoles les plus défavorisées. Des formules mixtes, alliant d’un côté un apport compensatoire de ressources complémentaires et de l’autre une redistribution plus équitable des moyens entre écoles, et ce, dans la poursuite d’objectifs définis par bassins scolaires, pourraient également être mises à l’étude. Outre une gestion plus parcimonieuse des coûts, ce type de scénario permettrait de solidariser et de co-responsabiliser les établissements d’un même bassin dans la poursuite d’objectifs d’équité et d’efficacité communément identifiés et partagés.
Par ailleurs, il serait également souhaitable d’envisager d’attribuer les ressources non plus en fonction de l’indice socioéconomique moyen des écoles, mais en fonction de l’indice socioéconomique (et éventuellement académique) propre à chaque élève. Cette formule aurait l’avantage d’inciter les écoles du haut de la hiérarchie scolaire à jouer davantage le jeu de la mixité sociale et scolaire dès lors que ce choix s’avèrerait pour elles directement « payant ». En l’état en effet, l’actuel décret sur l’encadrement différencié permettra sans doute d’accroître l’efficacité et la qualité du travail pédagogique mené dans les établissements du bas de la hiérarchie scolaire. Mais il est assez illusoire d’imaginer qu’il produira plus de mixité sociale au sein du système éducatif. Les écoles les mieux cotées sur le marché scolaire n’ont en effet, dès lors que leurs moyens restent inchangés, absolument rien à gagner à s’ouvrir à des publics académiquement et socialement moins « rentables ».
Enfin, qui dit encadrement supplémentaire dit évidemment engagement d’enseignants ou de personnels éducatifs supplémentaires. Les projections évoquent à cet égard 926 postes à pourvoir (en plus des 485 enseignants supplémentaires déjà générés par les moyens de la D+). Or la pénurie est importante dans certaines fonctions, et elle l’est d’autant plus dans les écoles visées par l’encadrement différencié qui sont le plus souvent évitées ou fuies par les enseignants. Les réponses qui seront apportées à la question de l’attractivité des écoles en milieux populaires pour du personnel et des enseignants qualifiés détermineront donc à bien des égards l’efficacité du nouveau dispositif.
1 L’efficacité et la faisabilité d’une telle mesure ayant fait préalablement l’objet d’une étude interuniversitaire.
2 V. Dupriez & M. Verhoeven, « Du droit à l’éducation à l’égalité des résultats. Les avatars de la démocratisation scolaire », in « Un enseignement démocratique de masse. Une réalité qui reste à inventer ». Presses universitaires de Louvain et GIRSEF. p.23.
3 Décret du 30 juin 1998 visant à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale, notamment par la mise en œuvre de discriminations positives.
4 Décret du 28 avril 2004 relatif à la différenciation du financement des établissements d’enseignement fondamental et secondaire.
5 Il est attribué à chaque élève l’indice socio-économique moyen de son quartier, défini selon des variables objectives (niveau de revenu par habitant, niveau de diplôme, taux de chômage, activités professionnelles et confort des logements) et il est calculé pour chaque implantation la moyenne des indices attribués aux élèves qui y sont inscrits.
Le décret « encadrement différencié » répond au principe de lier directement le niveau d’encadrement pédagogique des établissements scolaires à l’origine socio-économique de chaque élève accueilli au sein de ceux-ci1. Ainsi, le gouvernement PS-cdH manifestait sa volonté de structurer et de renforcer une politique d’attribution différenciée des ressources scolaires — principalement comprises en termes de personnel — au profit des écoles accueillant des publics scolaires issus de milieux populaires, et ce, dans le respect de l’article 6 du décret « Missions » consistant à « assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale ». Sur le principe, ce décret sur l’encadrement différencié s’inscrit donc assez clairement dans une logique de politique compensatoire consistant à affecter prioritairement les moyens en fonction des besoins, ou, dit plus simplement, à « donner plus à ceux qui ont moins ». Nouvelle approche de la problématique de l’égalité scolaire ? Pas vraiment. Car cette idée de rompre avec le principe d’égalité de traitement (« un enfant égal un enfant ») n’est pas nouvelle. Rappelons d’abord que les ressources scolaires (subventions et encadrement) sont depuis longtemps affectées différemment entre niveaux, filières et types d’enseignement. Ainsi, les subventions sont sensiblement plus élevées dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement fondamental. L’encadrement est également plus important dans l’enseignement spécialisé que dans l’enseignement ordinaire. Il en va de même par exemple pour l’enseignement professionnel par rapport à l’enseignement général.
Toutefois, en Communauté française, c’est dès la fin des années 1980 et dans la foulée d’initiatives adoptées aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France que s’est peu à peu imposée la nécessité d’adopter des politiques spécifiques d’affectation différenciée des ressources scolaires au profit des populations d’élèves les moins favorisées. Ce tournant s’inscrit en quelque sorte dans le cadre d’une mutation de la conception de l’égalité scolaire, reposant sur la prise de conscience des limites du principe de l’égalité des chances.
S’il ne peut en effet être question d’enseignement démocratique sans égalité d’accès (l’école gratuite et obligatoire) et sans égalité de traitement (la même école pour tous), ces deux principes ne suffisent pour autant pas à assurer une réelle promotion scolaire de tous les élèves, et principalement des élèves issus des milieux défavorisés. Car, de fait, en arrivant à l’école, un enfant n’est pas égal à un autre enfant, en raison notamment du milieu socio-économique et culturel dont il est issu et qui peut peser lourdement sur son parcours scolaire et ses chances de réussite. C’est ainsi que l’on en est arrivé, à la suite des travaux sociologiques de Pierre Bourdieu sur la reproduction scolaire, à parler d’idéologie de l’égalité des chances. Car en faisant l’impasse sur les déterminants sociaux de la réussite scolaire, les dispositifs d’égalisation des chances participent à la constitution d’une école méritocratique qui, sous la bannière d’une égalité toute formelle, laisse les inégalités réelles de départ se perpétuer, voire se renforcer. Dès lors, « rendre possible la promotion scolaire des élèves issus de milieux défavorisés n’est pas suffisant ; progressivement va s’installer l’idée que le rôle de l’école est de rendre effective cette promotion. (…) En quelque sorte, le principe d’équité s’impose comme réponse aux impasses de l’égalité de traitement : pour faire face à des situations de départ inégales, il est considéré comme juste de distribuer les ressources de manière inégale »2.
Des ZEP aux D+
C’est dans cette perspective de promotion scolaire effective des élèves issus des milieux populaires qu’une série de mesures ciblées et compensatoires vont voir le jour, et dont le décret sur l’« encadrement différencié » constitue le dernier épisode en date. Sera ainsi menée en 1989 l’expérience des zones d’éducation prioritaires (ZEP), remplacées en 1998 par le dispositif des discriminations positives3. C’est en ce sens également qu’un premier mécanisme de financement différencié sera institué en 20044. Le décret sur l’« encadrement différencié » vise précisément à remplacer le dispositif des discriminations positives (D+) jugé peu efficace et générateur d’effets pervers.Parmi les critiques les plus souvent entendues : la faiblesse des moyens dégagés (notamment en termes d’encadrement pédagogique) en regard des enjeux à rencontrer et le nombre relativement limité d’écoles et d’élèves bénéficiaires (12,5 % dans le fondamental et 13,5 % dans le secondaire). En outre, le mécanisme de la D+ entraîne deux difficultés majeures. D’une part, il induit un effet de seuil : soit les écoles font partie de la liste des bénéficiaires de la D+, soit elles n’en font pas partie. Dans cette logique, les établissements se situant à la marge et qui sont souvent confrontés aux mêmes difficultés que les établissements classés en D+ ne bénéficient d’aucune aide complémentaire alors qu’ils pourraient légitimement y prétendre. D’autre part, le fait pour une école d’être labellisée « école en discrimination positive » peut jouer rapidement en sa défaveur tant l’étiquette, stigmatisante, fait fonction de repoussoir pour nombre de jeunes et de leurs familles. Le nouveau décret relatif à l’« encadrement différencié » qui doit rentrer progressivement en vigueur dès la rentrée 2009 a précisément pour ambition de pallier les déficiences de la D+ et d’accroître sensiblement son efficacité en termes de promotion scolaire des jeunes issus des milieux populaires.
De quoi s’agit-il ? Sur le plan des principes, le nouveau dispositif ne diffère pas fondamentalement du dispositif des discriminations positives : il s’agit toujours, dans le cadre d’une politique de type compensatoire, d’affecter plus de ressources aux écoles accueillant un public « élèves » socioéconomiquement défavorisé dans l’objectif explicite « d’assurer à chaque élève des chances égales d’émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité ». Toutefois, les ambitions et les moyens sont désormais très nettement revus à la hausse.
Les moyens d’abord : comme aimait le rappeler à l’époque le cabinet du ministre Dupont, les moyens nouveaux apportés par l’encadrement différencié constituent « l’un des plus importants et des plus ambitieux refinancements du système éducatif de la Communauté française et de ses écoles depuis ces 20 dernières années. » En effet, dès la rentrée scolaire 2009, ce sont 37,5 millions d’euros (15 millions d’euros s’ajoutant aux 22 millions d’euros initialement consacrés à la D+) qui seront consacrés au nouveau dispositif. Ce montant s’élèvera dès la rentrée 2010 et pour les années suivantes à 62,5 millions d’euros. C’est donc trois fois plus de moyens publics complémentaires qui seront à l’avenir injectés dans le mécanisme d’encadrement différencié.
Le nombre d’écoles et d’élèves bénéficiaires de cette manne va également croître : c’est 25 % des écoles en Communauté française (environ 1 000 établissements), du maternel au secondaire, accueillant en moyenne 200 000 élèves qui vont désormais recevoir des moyens supplémentaires. Comparativement au régime de la D+, c’est deux fois plus d’écoles et d’élèves bénéficiaires (voir tableau 1).
Tous les 5 ans, une étude interuniversitaire classera toutes les implantations scolaires en CF des plus défavorisées au plus favorisées. Ce classement se fera sur la base de l’indice socioéconomique moyen de la population scolaire de chaque école5. C‘est bien entendu le quartile des écoles présentant l’indice le plus faible qui est concerné par le décret. Mais la différenciation de l’encadrement porte également sur ces 25 % d’écoles bénéficiaires qui seront elles-mêmes réparties en cinq « classes socioéconomiques » graduellement distinctes et qui se verront attribuer des moyens complémentaires correspondants à leur classe socioéconomique d’appartenance (voir tableau 2, page suivante).
Ces moyens complémentaires seront objectivement octroyés aux écoles, en fonction de leur classification, pour une période de cinq années renouvelable (un système de phasing out sur deux ans étant prévu pour les établissements qui, de par l’évolution éventuelle de leur indice socioéconomique, quitteraient le quota des 25 % d’établissements ciblés).
Quant aux moyens, 80 % de ceux-ci seront consacrés à de l’encadrement (enseignants et personnel éducatif), les 20 % restants étant consacrés à des budgets de fonctionnement complémentaires, le tout étant réparti pour moitié entre l’enseignement fondamental et l’enseignement secondaire. Cet encadrement supplémentaire peut concerner des enseignants comme tels, mais également des professeurs de remédiation, des professeurs de français langue étrangère, des éducateurs, des assistants sociaux ou encore des puéricultrices…
Quant aux subventions complémentaires, celles-ci ont pour fonction de financer des projets susceptibles bien évidemment d’accroître la qualité de l’environnement pédagogique des écoles concernées : organisation d’études dirigées, acquisition d’outils pédagogiques, projets de collaboration avec l’associatif local…
Actions complémentaires
Quoi qu’il en soit, dans tous les cas, l’ensemble de ces moyens doit avoir pour objectif de promouvoir des « actions pédagogiques complémentaires » visant, selon le décret à :– renforcer la maîtrise des apprentissages de base, et de la langue française en particulier, par tous les élèves ;
– lutter contre l’échec, le redoublement et le retard scolaires ;
– favoriser la détection rapide des difficultés scolaires, l’organisation de la remédiation immédiate et la mise en œuvre de pédagogies différenciées ;
– prévenir le décrochage scolaire et, ce faisant, les éventuels phénomènes d’incivilités et de violence.
Précisons que le décret entend également encourager les collaborations et partenariats entre établissements, en permettant notamment les mises en commun de tout ou partie des moyens complémentaires par plusieurs implantations bénéficiaires, ainsi qu’avec le tissu associatif local.
Le législateur a en outre volontairement laissé une grande autonomie aux écoles concernées dans l’utilisation des moyens complémentaires, jugeant à bon escient que les équipes pédagogiques sont le plus à même d’identifier la nature des difficultés de leur public « élèves » et les moyens à mettre en œuvre pour les rencontrer le plus efficacement possible. Aussi est-il demandé à chaque équipe pédagogique, en concertation avec le conseil de participation et les organes de démocratie sociale, de définir pour une durée de cinq ans un « projet général d’action d’encadrement différencié (PGAED) » précisant les objectifs poursuivis et l’ensemble des actions concrètes qui, en phase avec le contexte spécifique de chaque établissement concerné, seront menées pour les atteindre. En contrepartie de cette autonomie d’action, le décret entend renforcer de façon globale et au sein de chaque établissement bénéficiaire une réelle culture de l’évaluation.
Ainsi, sur la base des résultats des évaluations internes et externes menées au sein de chaque établissement et d’indicateurs objectifs (taux de réussite et d’échecs, redoublements et retards, réorientations…) ainsi que des rapports d’évaluation produits par le Service général de l’inspection, chaque stratégie mise en place par les différents établissements dans le cadre de l’encadrement différencié sera évaluée et, si besoin est, réajustée. Par ailleurs, la commission de pilotage du système éducatif (qui regroupe les partenaires de l’école) est chargée d’évaluer en continu l’efficacité du processus mis en place.
Plus de cohérence
Voilà donc, tracées à grands traits, les lignes de force du nouveau dispositif. Sur papier, celui-ci semble effectivement gagner en cohérence et en pertinence, par rapport à l’ancien dispositif de la D+ : la fixation d’objectifs généraux en termes d’équité et d’efficacité scolaire, la suppression de l’effet de seuil, l’importance et la nature des moyens dégagés, l’alliance entre l’autonomie locale de gestion des ressources nouvelles et l’évaluation systématique de l’efficacité du dispositif, de même que les possibilités offertes de collaborations entre écoles et avec le monde associatif sont autant d’éléments positifs du décret qui sont potentiellement porteurs d’avancées concrètes en termes de promotion scolaire et sociale des élèves les moins favorisés.Restent toutefois quelques interrogations. L’une d’entre elles porte évidemment sur les possibilités de financement d’une telle mesure. Pour le dire rapidement, les caisses de la Communauté française sont (durablement) vides et la mesure coûte (très) cher. La nouvelle coalition PS-cdH-Ecolo s’est pourtant formellement engagée dans sa déclaration de politique communautaire à mettre en place le dispositif d’encadrement différencié tel que défini par le décret, voire à le renforcer par la suite. Il semble donc a priori assez improbable que le nouveau gouvernement ne tienne pas parole sur ce point, d’autant que les attentes du « terrain » sont grandes. Vu l’état des finances, des choix prioritaires d’investissements devront être faits. Et si l’encadrement différencié en est un, ce sera inévitablement aux dépens d’autres priorités et elles sont nombreuses en la matière. Les arbitrages risquent donc d’être douloureux tant les marges de manœuvre sont réduites.
D’autres scénarios pourraient toutefois être privilégiés. L’un de ceux-ci consisterait à opter pour un principe de financement de type « Robin des Bois ». En soi, l’idée n’a absolument rien d’absurde, même s’il peut provoquer de nombreuses réticences. Plutôt que de miser sur l’apport de moyens supplémentaires, il s’agirait de rééquilibrer plus équitablement l’affectation globale des ressources déjà existantes (subventions/dotations et encadrement) au profit des écoles les plus défavorisées. Des formules mixtes, alliant d’un côté un apport compensatoire de ressources complémentaires et de l’autre une redistribution plus équitable des moyens entre écoles, et ce, dans la poursuite d’objectifs définis par bassins scolaires, pourraient également être mises à l’étude. Outre une gestion plus parcimonieuse des coûts, ce type de scénario permettrait de solidariser et de co-responsabiliser les établissements d’un même bassin dans la poursuite d’objectifs d’équité et d’efficacité communément identifiés et partagés.
Par ailleurs, il serait également souhaitable d’envisager d’attribuer les ressources non plus en fonction de l’indice socioéconomique moyen des écoles, mais en fonction de l’indice socioéconomique (et éventuellement académique) propre à chaque élève. Cette formule aurait l’avantage d’inciter les écoles du haut de la hiérarchie scolaire à jouer davantage le jeu de la mixité sociale et scolaire dès lors que ce choix s’avèrerait pour elles directement « payant ». En l’état en effet, l’actuel décret sur l’encadrement différencié permettra sans doute d’accroître l’efficacité et la qualité du travail pédagogique mené dans les établissements du bas de la hiérarchie scolaire. Mais il est assez illusoire d’imaginer qu’il produira plus de mixité sociale au sein du système éducatif. Les écoles les mieux cotées sur le marché scolaire n’ont en effet, dès lors que leurs moyens restent inchangés, absolument rien à gagner à s’ouvrir à des publics académiquement et socialement moins « rentables ».
Enfin, qui dit encadrement supplémentaire dit évidemment engagement d’enseignants ou de personnels éducatifs supplémentaires. Les projections évoquent à cet égard 926 postes à pourvoir (en plus des 485 enseignants supplémentaires déjà générés par les moyens de la D+). Or la pénurie est importante dans certaines fonctions, et elle l’est d’autant plus dans les écoles visées par l’encadrement différencié qui sont le plus souvent évitées ou fuies par les enseignants. Les réponses qui seront apportées à la question de l’attractivité des écoles en milieux populaires pour du personnel et des enseignants qualifiés détermineront donc à bien des égards l’efficacité du nouveau dispositif.
1 L’efficacité et la faisabilité d’une telle mesure ayant fait préalablement l’objet d’une étude interuniversitaire.
2 V. Dupriez & M. Verhoeven, « Du droit à l’éducation à l’égalité des résultats. Les avatars de la démocratisation scolaire », in « Un enseignement démocratique de masse. Une réalité qui reste à inventer ». Presses universitaires de Louvain et GIRSEF. p.23.
3 Décret du 30 juin 1998 visant à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale, notamment par la mise en œuvre de discriminations positives.
4 Décret du 28 avril 2004 relatif à la différenciation du financement des établissements d’enseignement fondamental et secondaire.
5 Il est attribué à chaque élève l’indice socio-économique moyen de son quartier, défini selon des variables objectives (niveau de revenu par habitant, niveau de diplôme, taux de chômage, activités professionnelles et confort des logements) et il est calculé pour chaque implantation la moyenne des indices attribués aux élèves qui y sont inscrits.