Il y a fort à parier que les mesures prises, dans un contexte particulièrement polémique, par le décret du 8 mars 2007 « portant diverses mesures visant à réguler les inscriptions et les changements d’écoles dans l’enseignement obligatoire » 1 feront date, au sens figuré comme au sens propre.


Ce décret, en effet, entend principalement réglementer de façon plus stricte les modalités d’inscription des élèves à l’entrée de l’enseignement secondaire en fixant une date unique et des procédures relativement standardisées valables pour toutes les écoles en Communauté française. Objectif déclaré ? Rendre les inscriptions de tous les élèves en Communauté française plus justes et plus transparentes afin de garantir à tous les parents, conformément au prescrit de la Constitution, une réelle liberté de choix de l’école pour leur(s) enfant(s).
Est-ce à dire que ce droit constitutionnel de libre choix d’école ne pouvait jusqu’à présent être pleinement exercé par toutes les familles ? Formellement, non. Mais dans les faits, oui, pour la simple raison que toutes les familles ne sont pas sur un pied d’égalité dans leur relation à l’institution scolaire et qu’elles ne sont donc pas toutes à même d’exercer identiquement leurs droits en la matière. Pour l’heure, rappelons-le, cette « liberté du père de famille » en matière de choix d’école ne concerne principalement que les usagers les plus au fait des usages et méandres du système éducatif, et par conséquent, les plus aptes à se positionner sur le marché scolaire pour en tirer un maximum de profit socio-éducatif. Pour les familles les moins dotées de ressources en tout genre, restent généralement les places les moins convoitées et les moins valorisables. Car s’agissant bien d’un marché scolaire, les établissements occupant les positions hiérarchiques les plus hautes auront tendance, via notamment une gestion plus ou moins occulte des listes d’attente, à mener des politiques d’inscriptions sélectives (sur la base de critères sociaux, académiques, comportementaux, voire ethniques), se déchargeant ainsi des publics élèves les moins socialement et académiquement « rentables » sur les établissements moins cotés et n’ayant d’autres choix que d’occuper cette fonction imposée.

Lutte contre les écoles ghettos

L’inégalité d’usage de la liberté de choix d’école, induite par la régulation quasi-marchande de notre système éducatif, constitue donc bien l’une des causes de la dualisation et des ségrégations, particulièrement criantes en Communauté française, entre écoles et entre élèves. Raison pour laquelle la 9e priorité du Contrat pour l’école – « feuille de route » du gouvernement en matière d’enseignement obligatoire – portant spécifiquement sur la « lutte contre les écoles ghettos » entendait « réguler davantage les refus d’inscription » ; volonté de régulation des inscriptions désormais traduite en décret et d’application dès cette année.
Concrètement ? Il convient d’abord de préciser que les nouvelles mesures ne concernent que les nouvelles inscriptions dans le premier degré de l’enseignement secondaire des établissements scolaires ordinaires (ne sont donc pas concernés l’enseignement fondamental, les deuxièmes et troisièmes degrés de l’enseignement secondaire, l’enseignement spécialisé, ainsi que l’enseignement à horaire réduit). Ainsi, au premier degré de l’enseignement ordinaire, les demandes d’inscription des élèves débuteront désormais à date fixe : le 30 novembre de l’année précédant l’entrée effective de l’élève dans l’enseignement secondaire 2.
Ce qui signifie que pour tous les élèves rentrant dans l’enseignement secondaire en septembre 2008, les inscriptions dans toutes les écoles débuteront dès ce 30 novembre 2007 pour se poursuivre, éventuellement, durant le reste de l’année. L’objectif de cette mesure, on l’aura compris, est de mettre fin aux pratiques officieuses des listes d’attente permettant pour certains établissements de sélectionner leur public à l’entrée et de donner par là même à toutes les familles les mêmes chances d’accès à l’école de leur choix (ces listes étant désormais considérées comme nulles et non avenues).
La fixation de cette date commune de début d’inscription s’accompagne en outre de procédures objectivées en matière d’inscription et de gestion des éventuelles futures listes d’attente : chaque famille ou personne porteuse d’une procuration se verra inscrite par ordre d’arrivée dans un registre officiel d’inscription 3 jusqu’à saturation des places disponibles dans l’établissement. Une fois ce seuil atteint, les inscriptions se déroulent sur liste d’attente selon leur numéro d’ordre. C’est ce numéro d’ordre qui, bien entendu, prévaudra si des places se libèrent par la suite. Toutefois, le législateur a permis certaines exceptions à la règle, en désignant des catégories d’élèves prioritaires. Ces élèves pourront en effet s’inscrire prioritairement dans l’école secondaire de leur choix durant les dix jours d’ouverture de l’école précédant la date « commune » des inscriptions 4 pour peu que leur situation réponde à l’un des cinq critères suivants :
– les élèves fréquentant un internat organisé par, ou qui collabore avec une école secondaire bénéficieront d’une priorité d’inscription dans ladite école, dans le cadre d’un nombre de places prédéfini. Cette priorité peut être exercée tout au long de l’année scolaire ;
– les élèves ayant un frère ou une sœur (fratrie au sens large) fréquentant déjà l’école secondaire choisie ;
– les élèves dont un parent travaille dans l’établissement scolaire ;
– les élèves suivant un apprentissage en immersion dans une école primaire ou fondamentale avec laquelle le chef d’établissement d’une école secondaire, organisant elle-même l’apprentissage en immersion, a conclu un accord de collaboration ;
– et enfin, mais à titre transitoire pour les années 2008-2009 et 2009-2010 seulement, les élèves inscrits dans le dernier cycle d’une école primaire ou fondamentale (5e et 6e primaires) conventionnellement jumelée, adossée ou annexée à une école secondaire.
Précisons enfin que les parents qui, pour une raison ou une autre, n’auraient pas usé de leur droit d’inscription prioritaire seront soumis au « régime commun » et, détail qui a son importance, que chaque établissement scolaire est libre de fixer l’heure de début des inscriptions en son sein.

Efficace ?

Que penser de ces mesures qui, pour beaucoup, s’assimilent à une petite révolution ? La première question porte évidemment sur leur efficacité supposée. Peuvent-elles, à elles seules, contribuer à lutter significativement contre la ghettoïsation du champ scolaire ? La réponse, plus que probable, est non. C’est du reste l’avis même de la ministre qui présente son décret comme un outil parmi d’autres, précisant qu’il n’y a pas en la matière de solution miracle et que c’est de l’interaction de l’ensemble des mesures constituant le Contrat pour l’école que des bénéfices réels pourront être engrangés dans la lutte contre les inégalités et ségrégations scolaires. Et de fait, la portée de ce décret « inscription » sur les causes structurantes de la ségrégation scolaire est des plus limitées. Il s’agit tout au plus ici d’une opération d’assainissement du marché scolaire, et non d’une réforme des termes mêmes de ce marché. Dit brièvement, ce décret « inscription » tente d’égaliser l’accès au marché (scolaire, en l’occurrence) en rendant illicites les pratiques relevant du délit d’initiés (les listes officieuses d’attente et autres stratégies de filtrage). Mais la logique de marché restant en définitive inchangée, les inégalités et ségrégations qu’elle génère le resteront tout autant.
Une seconde question porte sur l’impact des inscriptions prioritaires sur l’objectif général d’égalisation des choix d’écoles. Dans quelle mesure en effet ces catégories d’élèves prioritaires ne vont-elles pas d’emblée occuper les premiers degrés des écoles secondaires les plus réputées, restreignant le choix des élèves soumis au « régime commun » ? À ce stade, la question reste pendante. Mais le risque est loin d’être nul.
Une troisième question porte sur la diffusion et l’impact de l’information. Si tout le monde n’est pas sur pied d’égalité face à l’école, il en va de même face à l’information. Et les publics concernés sont bien souvent les mêmes. Il est donc à craindre que l’information relative à ces nouvelles modalités et procédures d’inscriptions n’aient échappé, en tout ou partie, aux familles qui auraient pu en tirer le bénéfice le plus direct, et ce au profit des familles dont les ressources informationnelles et stratégiques leur permettront d’emblée de se positionner au mieux de leurs intérêts.
D’autres questions pourraient encore être légitimement posées, relatives par exemple à la prégnance des déterminismes socioculturels dans les choix d’écoles et des pratiques d’autosélection qu’ils induisent, ou à propos des stratégies de contournement des normes pratiquées par certains établissements et les contrôles et sanctions à mettre en œuvre pour les combattre efficacement.
Quoi qu’il en soit, les limites de ce type de mesures en matière de lutte contre la dualisation scolaire sont emblématiques, dans l’état actuel des choses, de l’extrême difficulté et frilosité politiques à engager des réformes de structures susceptibles de porter directement atteinte au fonctionnement même du marché scolaire. Si l’on veut que la lutte pour l’égalité scolaire ne reste pas un vœu pieux, il faudra bien, pourtant, d’une manière ou d’une autre, y arriver.


1. Complété par un décret « bis » adopté le 9 octobre 2007.
2. Ou, le cas échéant, le jour d’ouverture d’école qui suit.
3. Les inscriptions par téléphone, mail, fax sont interdites.
4. Concrètement donc, pour cette année, du vendredi 16 novembre au jeudi 29 novembre inclus.