Depuis plusieurs années déjà, des enquêtes comparatives internationales ont montré à quel point se portait mal l’école en Communauté française. Ainsi, le programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) de l’OCDE décrit une situation que certains qualifient d’alarmante en ce qui concerne trois domaines fondamentaux : la compréhension de l’écrit chez les jeunes, leur culture mathématique et leur culture scientifique. Ce constat étant posé, il reste à en comprendre les causes, et à déterminer les moyens à mettre en œuvre pour tenter de remédier à la situation. C’est ce que tente de faire le gouvernement de la Communauté française en se fixant des objectifs stratégiques pour 2013. Un travail de longue haleine qui associe de nombreux acteurs politiques, économiques et sociaux.


Intitulé « Un contrat stratégique pour l’École », le chapitre de l’accord 2004-2009 du gouvernement PS-Cdh de la Communauté française relatif à l’enseignement obligatoire se distinguait à la fois par l’ambition des objectifs qu’il se fixait et par la procédure qu’il entendait poursuivre pour les atteindre, ces deux pans de l’accord étant étroitement imbriqués. La première étape de ce processus a abouti, le mois dernier, à la signature d’une déclaration commune entre le gouvernement de la Communauté, les acteurs éducatifs et les partenaires sociaux (voir p. 5). Le point sur ces grandes manœuvres.
Les objectifs : le projet de « contrat stratégique » se donne explicitement pour finalités de renforcer la qualité et l’équité de l’enseignement et d’améliorer l’efficacité de son organisation. À ce stade, c’est à tout le moins ce que l’on est en droit d’attendre d’une politique de l’éducation digne de ce nom. Pour ce faire, trois pistes d’actions prioritaires (déclinées en une série de mesures ou d’intentions plus ou moins concrètes) sont mises en avant :
- recentrer l’enseignement sur les savoirs de base ;
- revaloriser les filières d’enseignement qualifiant ;
- améliorer l’organisation, la régulation et le pilotage du système éducatif...
Vastes chantiers donc, mais qui dans l’esprit des rédacteurs de l’accord doivent déboucher sur des réponses positives aux conclusions alarmantes des enquêtes OCDE « PISA » (2000 et 2003), largement médiatisées et commentées, qui ont (re)mis en évidence le caractère très inégalitaire et relativement inefficace, ces deux critères étant intimement liés, du système éducatif en Communauté française.
Ainsi, plusieurs mesures – que l’on pourrait qualifier positivement de proactives – sont proposées pour renforcer l’acquisition des compétences de base (lire, écrire, calculer) chez les jeunes élèves (1) et de prévenir ainsi le décrochage et l’échec scolaire. Parmi celles-ci, soulignons la volonté du gouvernement de renforcer l’encadrement dans le premier cycle de l’enseignement primaire pour aboutir à des classes de 20 élèves maximum et la mise en œuvre d’un « véritable » tronc commun durant le premier degré de l’enseignement secondaire devant théoriquement permettre à tous d’atteindre les socles de compétences requis à ce niveau d’étude.
Sur papier, il s’agit de mesures de « bon sens » mais qui, en pratique, peuvent rester absolument stérile sans modification substantielle des pratiques pédagogiques encore largement inspirées de critères méritocratiques. S’il semble en effet plus facile de réaliser un travail efficace de remédiation dans une classe de 20 que dans une classe de 35 élèves, il n’est par contre pas plus difficile de faire de la sélection et de fabriquer de l’exclusion scolaire dans une petite classe que dans une grande. Soulignons toutefois que l’accord prévoit d’introduire dans la formation initiale et continuée des enseignants des modules leur permettant d’identifier plus rapidement les situations et les causes du décrochage et de développer des stratégies de remédiation ad hoc. Il est de même « envisagé » d’attribuer des périodes supplémentaires dans les écoles qui accueillent un public issu de milieux défavorisés.
En ce qui concerne la revalorisation de l’enseignement technique et professionnel, la mesure phare concerne la volonté du gouvernement de décloisonner le champ de la formation professionnelle (de compétence essentiellement régionale) et de l’enseignement qualifiant (de compétence communautaire). L’enseignement qualifiant et la formation professionnelle devraient à l’avenir être tous deux réorganisés autour du principe de « l’apprentissage par modules capitalisables » permettant de créer des passerelles entre la formation professionnelle (FOREM, ORBEM, IFAPME, Bruxelles-Formation…) et l’enseignement qualifiant (de plein exercice, en alternance, de promotion sociale). L’objectif consiste à créer des passerelles entre la formation professionnelle et l’enseignement qualifiant et de permettre l’obtention de qualifications intermédiaires. Ainsi, ces modules de formation capitalisables, reconnus par tous les opérateurs de formation et par l’enseignement qualifiant, pourraient conduire, en s’additionnant, à des diplômes certifiés par la Communauté française. De même, en renforçant les dispositifs de validation et de certification des compétences, les compétences professionnelles acquises par l’expérience pourront désormais être validées et permettre l’acquisition d’un « diplôme du vécu » (sic) accessible à tous et dans une logique de formation tout au long de la vie (2). À cela s’ajoute une série de mesures portant sur l’amélioration des équipements techniques, l’accessibilité aux centres de compétences, la spécialisation des établissements en fonction des filières qu’ils organisent ou encore sur l’adaptation de l’offre de formation et d’enseignement qualifiant aux réalités du marché de l’emploi.
Enfin, il s’agit également pour le nouveau gouvernement de se donner les moyens d’un véritable « pilotage » du système éducatif qui puisse le rendre plus « lisible » et donc plus « maîtrisable » dans la perspective d’accroître son efficacité. Ainsi, à la suite du décret relatif à la constitution de la commission de pilotage voté sous la précédente législature (2002), cette dernière se verra attribuer les moyens nécessaires lui permettant de poursuivre « pleinement » ses missions (3).
Notons également qu’en terme de régulation, l’accord entend promouvoir l’harmonisation de l’offre scolaire (éviter la dispersion et les doubles emplois) par bassins scolaires en renforçant les synergies, complémentarités et spécialisations au sein des réseaux et entre les réseaux, que le gouvernement proposera de rendre tous les établissements de même caractère solidairement responsables de la prise en charge collective des élèves d’un même bassin scolaire (gestion des inscriptions, des réorientations, des exclusions…) et que dans la perspective de limiter la concurrence entre établissements, toute action d’information scolaire s’apparentant à de la publicité devrait être à l’avenir interdite.
La procédure : pour atteindre au mieux ces objectifs (améliorer la qualité, l’équité et l’efficacité de l’enseignement), le gouvernement entend instaurer un « nouveau mode de gouvernance » publique en matière d’enseignement basée sur la contractualisation, la décentralisation et le décloisonnement.

Contractualisation
L’objectif est de créer un large consensus social sur les objectifs à atteindre et sur les moyens à mettre en œuvre pour y arriver. Dans la foulée notamment des résultats des consultations des enseignants menées sous la précédente législature, il s’agit manifestement pour la ministre de l’Enseignement d’éviter un pilotage « par le haut » (bureaucratique) du système éducatif en impliquant contractuellement dans la définition des politiques à mener, dans leur mise en œuvre et dans leur évaluation l’ensemble des acteurs du système éducatif.
Ainsi, selon le texte de l’accord, l’élaboration du « contrat stratégique » se déroulera d’octobre à juin 2005 sur la base de consultations et de concertations « larges » pour finalement faire l’objet d’une déclaration commune « gouvernement – organisations représentatives » (lire encadré page suivante). Soulignons que cette idée de contrat public n’a rien de neuf et qu’elle relève d’un nouveau « mode de gouvernance » déjà largement promu dans d’autres domaines (politique de développement régional, de sécurité, d’accueil extrascolaire…). Soulignons également la portée à première vue plus métaphorique que juridique de ce projet de contrat : l’objectif du gouvernement consiste plus à s’assurer de l’engagement et de l’implication (et in fine de l’assentiment) de l’ensemble des acteurs concernés que de les lier de façon contraignante (en définissant par exemple des objectifs précis à atteindre en fonction des moyens disponibles avec d’éventuelles sanctions à la clé en l’absence de résultats).

Décentralisation
Ce « contrat » entre le gouvernement et les acteurs de l’éducation se déclinera par la suite en objectifs particuliers et en mesures opérationalisables au niveau sous-régional dans des « contrats zonaux » négociés, appliqués et évalués par bassins scolaires (4). La négociation de ces « contrats éducatifs » par bassins scolaires sera en outre l’occasion pour la nouvelle coalition gouvernementale de poursuivre cinq objectifs censés contrer – autant que faire se peut – les logiques de concurrence entre établissements produites par le système de « quasi marché » scolaire puisqu’il s’agira en effet de :
- s’attaquer aux effets pervers de la concurrence scolaire à l’intérieur et entre les réseaux ;
- améliorer l’affectation des ressources humaines et financières de l’enseignement en fonction des besoins ;
- promouvoir une coopération accrue entre écoles pour certaines tâches administratives et de gestion ;
- assurer une coordination optimale de l’offre de formation ;
- assurer une meilleure gestion des flux de populations scolaires.

Décloisonnements
Il s’agit d’un des leitmotivs du texte de l’accord : l’avenir est aux synergies et aux décloisonnements. Au niveau politique d’abord, notamment en ce qui concerne les politiques d’orientation et de « revalorisation » des filières qualifiantes, des politiques seront menées conjointement par la Communauté et les Régions. Concrètement, le champ de la formation et celui de l’enseignement qualifiant seront désormais gérés en commun (la ministre Arena coiffant la double casquette de responsable de l’enseignement obligatoire et celle de la formation, installation d’un Comité interministériel sur l’enseignement qualifiant, la formation et la recherche…) ; enseignement qualifiant et formation professionnelle qui, on l’a dit, se redéploieront tous deux autour du principe « d’apprentissage par modules capitalisables » et de formation tout au long de la vie. Mais cette volonté de décloisonnement est également désormais d’actualité sur le terrain proprement scolaire puisque de nombreuses mesures (relatives par exemple à l’harmonisation de l’offre d’enseignement, à la gestion des publics, à l’utilisation d’équipements et d’infrastructures, à l’information et à l’orientation…) vont dans le sens d’une synergie accrue entre filières, types d’enseignements, établissements et réseaux d’enseignements avec d’« éventuels » incitants financiers à la clé… et vraisemblablement quelques économies d’échelle en perspective.

En conclusion
Indéniablement, les lignes directrices de l’accord vont dans le bon sens tant les enjeux identifiés (concurrences scolaires, harmonisation de l’offre, revalorisation des filières qualifiantes, pilotage du système…) sont précisément ceux qui demandent une réaction et une mobilisation politique et collective urgente tant ils contribuent en effet à l’iniquité et à la relative inefficacité du système éducatif en Communauté française. Reste que l’on peut se demander comment le nouvel exécutif compte mener à bien une série aussi impressionnante de mesures sur une seule législature, d’autant que les marges budgétaires disponibles sont pour le moins étriquées et que l’accord – qui, comme tel, ressemble à un vaste catalogue de bonnes intentions – ne hiérarchise pas les actions prioritaires à mener.
Enfin, il faudra veiller à ce que la procédure contractuelle liant le gouvernement et les divers acteurs de l’enseignement (partenaires sociaux, fédérations de pouvoirs organisateurs, de parents, ou autres instances d’avis) s’élargisse très concrètement à tous les acteurs de terrain dans la définition et la mise en œuvre des objectifs à atteindre au niveau des bassins scolaires. Si ce ne devait être le cas, il est à craindre que les réflexes de défense et de résistance au changement au niveau des communautés éducatives locales l’emportent largement sur les volontés politiques générales, aussi positives puissent-elles être.

Frédéric Ligot - Ciep

1 Pour rappel, 28% des jeunes de 15 ans scolarisés en CF n’atteignent pas les compétences de base en lecture alors que la moyenne de la zone OCDE est de 18% !
2 La Commission Communautaire des Professions et de Qualifications devrait déborder à l’avenir la seule sphère de l’enseignement qualifiant pour devenir le lieu unique pour la Communauté française, la Cocof et la Région wallonne d’édiction des référentiels de formation.
3 Procédures récurrentes d’évaluations externes, cohérence entre les programmes et les divers référentiels officiels, compatibilité des programmes des différents réseaux, diffusion d’outils pédagogiques adaptés, pilotage de la formation en cours de carrière des enseignants,…
4 L’accord prévoit de donner à une équipe inter-universitaire la mission de délimiter les contours de ces bassins scolaires.

 

 

Au chevet de l'école


Pas moins de 28 signatures au bas de ce texte adopté fin novembre dernier. Vingt-huit signatures parmi lesquelles des politiques (Arena, Simonet...), des acteurs de la communauté éducative (Ségec, CPEONS...), des partenaires sociaux (CSC Enseignement, CGSP...), des associations de parents (FAPEO, UFAPEC...) et même, hé oui, des représentants d’étudiants (FEF, UNECOF). Vingt-huit signatures pour un document de huit pages visant à tracer les bases du « contrat stratégique pour l’éducation ».

Tout d’abord, les constats : les apprentissages de base ne sont pas suffisamment maîtrisés par tous les élèves en Communauté française ; trop d’élèves ne sont pas « à l’heure » (près de 60 % de retard à la fin de l’enseignement secondaire) ; la ségrégation scolaire demeure une réalité inacceptable ; certaines filières et options sont trop souvent vécues comme une forme d’échec et de relégation.

Ensuite des objectifs à atteindre pour 2013 : rejoindre la moyenne des pays de l’OCDE en matière de performances en lecture, mathématiques et sciences ; tendre vers un taux de 90 % d’élèves « à l’heure » en primaire et de 55 % en secondaire ; réduire la ségrégation scolaire ; faire du choix des filières un choix positif et lutter contre les mécanismes de relégation. Et, au final, augmenter le niveau d’éducation de la population scolaire. Pour atteindre ces objectifs, les signataires s’engagent à prendre des mesures via une concertation permanente. Un comité stratégique se réunira deux fois par an pour assurer le suivi et l’évaluation des mesures prises et de leur application sur le terrain. Certes, les signataires « ont pleine connaissance » des difficultés budgétaires chroniques de la Communauté française, mais ils s’engagent à conjuguer leurs efforts dans ce cadre budgétaire prudemment qualifié d’« évolutif ».

Quant au calendrier, il se déclinera de la manière suivante : fin 2004, le gouvernement de la Communauté française soumet aux organisations signataires un projet de Contrat stratégique ; premier trimestre 2005, la concertation se poursuit sur ce projet et aboutit à un Contrat stratégique définitif ; l’ensemble du processus est en principe finalisé pour la rentrée scolaire 2005-2006. La mise en œuvre de ce Contrat et sa déclinaison par bassin s’étaleront ensuite tout au long de la législature. Et rendez-vous en 2013 pour l’évaluation finale...