L’enseignement de qualification (1), qui accueille plus de 100.000 élèves en Communauté française, souffre d’une image particulièrement dégradée : enseignement de relégation et du "second choix", démotivation des élèves, épuisement des enseignants, manque de débouchés professionnels, obsolescence des équipements, violence… Une réforme importante, commencée sous la précédente législature, est en voie d’opérationalisation. Son objectif : revaloriser l’enseignement technique et professionnel en le rendant plus performant et donc plus attractif. L’enjeu est donc de taille et ne va pas sans soulever quelques difficultés, voire parfois de lourdes inquiétudes.


Pour reprendre les propos de Pierre Hazette, ministre de l’Enseignement secondaire, l’essentiel de la réforme en cours vise la revalorisation de l’enseignement professionnel (qui) ne peut plus être un enseignement de relégation et doit offrir des formations qui mènent à l’emploi et à des métiers valorisants et multiples (2). L’objectif, qui est aussi un pari, semble donc clair : une réhabilitation forte de l’enseignement qualifiant passe nécessairement par l’assurance que les offres de formation proposées aux élèves les conduisent effectivement à l’emploi. Pour ce faire, une rationalisation de l’éventail des formations offertes et de leurs contenus doit être menée conformément aux attentes du monde économique et aux besoins du marché. L’objectif premier est d’assurer au mieux une adéquation forte entre formation qualifiante et réalités des métiers. À première vue, un tel objectif est difficilement critiquable. Une formation qualifiante préparant des jeunes à des emplois totalement inadaptés aux nouvelles réalités économiques, voire à des emplois inexistants ou en passe de le devenir, serait tout aussi aberrant qu’inacceptable. L’évolution des techniques, des métiers et des secteurs professionnels étant ce qu’elle est, une certaine adaptation continue de l’offre et du contenu de l’enseignement qualifiant semble de prime abord nécessaire.
C’est dans une telle optique de revalorisation des filières techniques et professionnelles de qualification qu’est installée décrétalement en 1995 à l’initiative de Laurette Onkelinx (alors ministre de l’Enseignement) la Commission Communautaire des Professions et des Qualifications (CCPQ), phase inaugurante de la réforme. Cette commission constitue un cadre légal de rencontre et de collaboration entre le monde du travail et celui de l’enseignement. Elle est en effet composée des différents partenaires du monde de l’enseignement, d’organisations d’employeurs, des organisations syndicales ainsi qu’une série d’autres opérateurs de formations (3) auxquels est confiée la mission de vérifier l’adéquation de l’offre des formations qualifiantes par rapport aux réalités et aux besoins professionnels actuels et futurs et, si besoin est, de procéder aux ajustements nécessaires.

Quand patrons et écoles collaborent
Soulignons que pour le monde de l’enseignement comme pour le monde économique, cette collaboration présente des opportunités non négligeables. Pour l’enseignement, cette collaboration lui permet de réactualiser et de réajuster au mieux son offre de formations par rapport aux demandes et aux réalités du marché de l’emploi et, de ce fait même, d’augmenter son efficacité. C’est également pour le monde éducatif l’occasion d’en finir une bonne fois – du moins le croit-il – avec la sempiternelle accusation, issue principalement du secteur des entreprises, d’être l’un des principaux responsables du chômage massif des jeunes. Il en va de sa légitimité. Du côté des employeurs, c’est l’occasion ouvertement offerte de pouvoir influer plus ou moins directement, et en fonction de leurs besoins et de leurs attentes, sur la forme et le contenu des curricula scolaires, prérogative jusqu’alors exclusivement réservée aux instances publiques et politiques compétentes.


Définition de "profils"
Le travail de la CCPQ (dont la présidence a été confiée au directeur des formations de l’Union wallonne des entreprises) s’est déroulé en plusieurs étapes successives. Pour mener à bien sa mission, la CCPQ a d’abord créé des commissions consultatives, elles-mêmes composées selon les mêmes règles que la CCPQ : elles sont présidées par des représentants des entreprises (souvent issus de fédérations professionnelles – Fabrimetal pour l’industrie, Febeltex pour l’habillement…) et le secrétariat est assuré par un représentant du monde éducatif (question à la fois d’équilibre et de préséance symbolique). Au total, ce sont neuf commissions qui sont ainsi créées, une pour chaque secteur de l’enseignement de qualification, à savoir : l’agronomie, l’industrie, la construction, l’hôtellerie et l’alimentation, l’habillement, les arts appliqués, l’économie, les services aux personnes et, enfin, les sciences appliquées. La mission de ces commissions consultatives consiste, sur la base d’une nomenclature des emplois et métiers propres à leur secteur et via des groupes de travail ad hoc, à dresser des "profils de qualification" et des "profils de formation" correspondants. Ces "profils de qualification" sont définis par décret comme un "référentiel décrivant les activités et les compétences exercées par des travailleurs accomplis, tels qu’ils se trouvent dans l’entreprise". C’est en quelque sorte, pour chaque secteur d’activité, une photographie des emplois-types (4) effectivement exercés par des travailleurs accomplis, des tâches détaillées effectuées par ces travailleurs et des compétences nécessaires à la réalisation de ces tâches. Durant cette première phase de travail, qui s’est étalée sur trois ans, la collaboration des entreprises a été particulièrement prépondérante. Une fois ces "profils de qualification" dressés, les commissions se sont attelées à dresser les "profils de formation" correspondants. Ces profils de formation sont quant à eux définis comme "un référentiel présentant de manière structurée les compétences à acquérir en vue de l’obtention d’un certificat de qualification", c’est-à-dire l’ensemble structuré des compétences que l’enseignement s’engage à fournir aux élèves en vue de leur délivrer un diplôme de qualification (CQ) leur permettant de remplir correctement les tâches (définies par les "profils de qualification") qu’ils auront à réaliser en entreprise. À chaque fois, ces profils une fois définis sont approuvés par la CCPQ en séance plénière, remontent pour approbation au Conseil général de concertation de l’enseignement secondaire, transmis au ministre pour finalement être soumis au vote du Parlement de la Communauté française.


Le nombre d’options revu à la baisse
Restait une "dernière" étape, du domaine exclusif des acteurs de l’enseignement cette fois (responsables des réseaux d’enseignement, de l’administration scolaire, de l’inspection scolaire et des syndicats), consistant, sur la base du travail de la CCPQ, à réaliser un nouveau répertoire des options correspondant aux différents profils de formation. L’offre d’enseignement qualifiant s’en trouve considérablement bouleversé : le nombre d’options proposées passe de 125 à 75 (5), les intitulés des options groupées sont souvent modifiés. Par ailleurs, une option ne peut plus, comme c’était parfois le cas auparavant, être enseignée à la fois dans le technique et dans le professionnel : c’est le cas pour la coiffure, la boulangerie-pâtisserie et la boucherie-charcuterie qui ne seront désormais enseignées que dans la filière professionnelle. D’autres options encore, telles que carreleur ou plafonneur ne pourront être suivies que dans le cadre de l’enseignement en alternance. Les nouveaux programmes, c’est-à-dire les moyens pédagogiques et méthodologiques à mettre en œuvre pour atteindre effectivement les compétences techniques et professionnelles nouvellement définies, en sont encore pour l’instant, du moins pour certaines d’entre eux, au stade de la rédaction.

Cette réforme des options n’est toutefois pas appliquée dans l’enseignement qualifiant de façon trop brutale, même si, comme on peut s’en douter, elle conduit à des changements structurels et organisationnels considérables au sein des écoles, voire même, aux dires de certains acteurs de terrain, à des situations beaucoup plus compliquées et même rocambolesques qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Lors de la rentrée scolaire précédente, les établissements qui le souhaitaient (la décision appartient aux différents PO) pouvaient d’ores et déjà intégrer à leur programme certaines options déjà définies et approuvées (à l’époque au nombre de 18). Depuis la rentrée de septembre 2001, certaines options doivent être obligatoirement programmées, d’autres peuvent l’être à titre facultatif. Mais dès septembre 2002, le nouveau répertoire des options groupées devra, pour l’essentiel du moins, être d’application dans tous les établissements scolaires. Certains aménagements et dérogations seront certes encore possibles, mais pour la rentrée 2003, l’ensemble des programmations se fera en conformité avec les nouvelles règles et la réforme sera alors définitivement et totalement d’application.

Frédéric Ligot

  1. Dénommé de la sorte dès lors que son objectif premier est de préparer les élèves à l’exercice d’un métier, contrairement à l’enseignement de transition dont l’objectif est de préparer les élèves à la poursuite d’études supérieures. L’enseignement qualifiant comporte deux filières : la filière technique et artistique de qualification et la filière professionnelle.
  2. Cité dans la revue Éduquer, juin 2000, p. 25.
  3. Tels que l’enseignement de promotion sociale, l’Office communautaire et régional de la formation professionnelle et de l’emploi, l’Institut de formation permanente des classes moyennes, et des petites et moyennes entreprises, …
  4. "Un emploi-type est un regroupement, sous un même intitulé, d’activités communes à différents métiers concrets qui satisfont un même type de fonction au sein d’une activité de productions."
  5. Le ministre Hazette a assuré que cette opération serait neutre tant sur le plan budgétaire que sur le plan de l’emploi.