En janvier 1998 se mettaient progressivement en place dans l’enseignement en Communauté française ce qu’il est désormais convenu d’appeler les Conseils de participation. Institués par décret, ces Conseils offrent aux différents acteurs de l’institution scolaire la possibilité de prendre démocratiquement et activement part au pilotage de leur établissement. Deux ans plus tard, peut-on considérer qu’ils ont atteint leurs buts ?


L’article 69 du “Décret Missions” est pour le moins innovant. Il institutionnalise en effet au sein de chaque établissement, tant au niveau du secondaire que du fondamental, un organe de concertation rassemblant des membres du pouvoir organisateur (PO), des représentants des enseignants et du personnel des écoles, des élèves et de leurs parents, ainsi que des représentants de l’environnement socioculturel et économique immédiat. Qu’ils soient membres de droit (chefs d’établissement et PO), membres élus (enseignants et personnel, parents et élèves) ou membres cooptés (représentants de l’environnement socioculturel), tous, en principe, ont désormais en charge la mission de participer collectivement à l’élaboration du projet de leur établissement respectif. C’est donc l’ensemble des membres du système éducatif, pris dans un sens très large, qui se voient invités à assumer une réelle place d’acteurs au sein même de l’école en proposant, débattant, amendant et évaluant collégialement l’ensemble des choix pédagogiques et des actions concrètes qui seront mis en œuvre pour réaliser le projet éducatif et pédagogique de référence du pouvoir organisateur (1).
L’instauration de ces Conseils de participation répond à un double enjeu, éducatif et démocratique, par ailleurs intimement lié. L’enjeu, bien évidemment, est tout d’abord démocratique, c’est-à-dire politique. Il s’agit d’étendre les règles de la concertation, de briser ou d’atténuer les relations de pouvoir unilatérales et les modes de gestion centralisés et bureaucratiques, d’élargir les règles du jeu décisionnel, de promouvoir la participation collective de tous à l’élaboration du sens de l’école en y intégrant principalement les parents et les élèves qui, très directement impliqués, sont encore trop souvent confinés aux rôles de partenaires passifs ou de simples clients. Il s’agit également, via la cooptation de représentants de l’environnement socioculturel, de décloisonner et de rendre plus transparent le système scolaire en l’inscrivant dans son tissu social environnant. L’objectif étant ici de responsabiliser l’école sur la portée fondamentalement sociopolitique de sa mission éducative et, conjointement, de rappeler que cette mission, qui est en définitive mission d’affiliation et d’émancipation des futurs citoyens, ne peut raisonnablement être confiée à l’école seule, mais qu’elle doit également faire l’objet de toute l’attention et de toute la vigilance d’une société civile soucieuse de la transmission et de la perfectibilité de ses modes de régulation démocratique.

Importante avancée
L’enjeu est donc également et inévitablement éducatif. Il s’agit de transmettre le sens et les règles de la citoyenneté démocratique via son exercice effectif. De ce point de vue, l’avancée est importante. Car c’est en se confrontant concrètement à la multiplicité des points et aux règles de la négociation et de l’arbitrage que le savoir de la démocratie acquiert à la fois sens et légitimité. En outre, la participation démocratique a pour vertu de conscientiser et de responsabiliser. Promue de la sorte au sein même de chaque établissement, la participation démocratique de tous a donc en principe de grandes chances de favoriser une forte adhésion collective et critique aux enjeux sociaux, culturels et politiques de l’enseignement, ce qui pour l’instant lui fait cruellement défaut. Enfin, l’instauration de ces Conseils de participation va dans le sens d’une re-clarification positive de l’articulation entre vie scolaire et vie sociale. Le pari consiste en effet à ce que l’École ne soit plus vécue par bon nombre de jeunes comme une zone de transit obligatoire close sur elle-même et vouée à un apprentissage théorique sans lien évident avec la vie extérieure, mais comme une institution sociale prioritairement axée sur l’apprentissage actif à l’autonomie et à la responsabilité collective.
Ainsi, ces Conseils de participation constituent une formidable opportunité pour ceux qui désirent faire transiter le système scolaire sur une voie plus démocratique. En leur sein peuvent en effet être négociés et décidés des choix pédagogiques et les innovations structurelles concrètes permettant de lutter efficacement contre les dérives récurrentes du système telles que, exemples des plus connus, la sélection socioculturelle par l’échec scolaire, l’accueil filtrant et l’orientation précoce en filières socialement marquées, l’inégalité des chances entre filles et garçons, ou encore la constitution de classes par niveau.

Difficultés
Cela étant, et dans l’attente d’une première évaluation globale, l’instauration de ces Conseils de participation ne va pas sans rencontrer certaines difficultés. Pointons en quelques-unes. D’abord, un certain nombre de paramètres structurels et/ou historiques influent directement sur le bon fonctionnement des Conseils. Il est plus que probable, en effet, qu’un gros établissement organisant les trois filières d’enseignement sur différents sites géographiquement éloignés, accueillant un public majoritairement défavorisé et ne possédant de surcroît aucune tradition de concertation et de participation, rencontrera beaucoup plus de difficultés à obtenir de ses membres un accord consensuel sur son projet et ses objectifs qu’un établissement d’enseignement général à taille humaine, au public plus favorisé, et traditionnellement ouvert à des modes de pilotage plus participatifs (2).
Un phénomène d’ordre plus sociologique doit également être pris en compte. Il concerne la mobilité d’un nombre très important d’élèves qui, principalement en Région bruxelloise, changent d’établissements d’année en année. Ce turn over permanent a, bien sûr, des conséquences pédagogiques négatives puisqu’aucun travail de suivi éducatif sur le long terme ne peut leur être assuré. Mais il est également évident qu’il rend très difficile l’implication active des élèves et des parents dans les Conseils et les assemblées de concertation qui, pour fonctionner correctement, doivent pouvoir compter sur un public relativement stable et des mandataires, parents et élèves, pouvant assumer leur fonction de représentation avec une certaine constance (tous deux étant élus pour une durée de deux ans).
D’autre part, les mandataires réunis au sein d’un Conseil ont des fonctions et des prérogatives spécifiques qui, si elles peuvent être complémentaires, risquent également d’être à l’origine de frictions ou de blocages. On pense ici, notamment, aux possibles conflits d’intérêts entre délégués syndicaux et représentants des parents. Certaines règles doivent donc être dès le départ clarifiées. Un Conseil de participation n’est évidemment ni un conseil d’entreprise, ni un jury d’homologation. Et c’est bien la fonction des syndicalistes enseignants de veiller à ce que les règles contractuelles de travail et la liberté pédagogique de leurs affiliés soient protégées. PO, parents et élèves doivent donc en prendre bonne note.
Par ailleurs, du côté des délégués syndicaux et du monde enseignant en général, le ressentiment encore vivace à l’égard des dernières diminutions d’effectifs ainsi que le sentiment largement partagé par le secteur d’une déprofessionnalisation et d’une déconsidération sociale du métier risquent également de peser lourd. Il n’est pas trop étonnant, dans ce contexte, que certains d’entre eux, méfiants, considèrent les Conseils de participation non comme des organes scolaires de concertation démocratiques au sein desquels, précisément, le sens du métier d’enseignant pourrait retrouver une certaine audience et reconnaissance publique, mais comme des avant-postes de contrôle et d’encadrement externe de leur propre travail et autonomie.
Ensuite, la mise en place d’un Conseil de participation, fonctionnant en toute transparence et légalité, ne débouche pas nécessairement sur des avancées en terme d’égalité et de justice scolaire. L’élection des membres d’un Conseil est, comme il se doit, affaire de choix collectif. Et le collectif, dans le cadre scolaire, est rarement très hétérogène. Il reflète le plus souvent la position hiérarchique de l’établissement concerné, partageant majoritairement ses valeurs et ses choix éducatifs, quitte à défendre fermement les stratégies identitaires ou protectionnistes en vigueur en son sein. Rien n’empêche donc que dans tel ou tel établissement socioéconomiquement favorisé, et évidemment désireux de le rester, un discours consensuel ne se forme démocratiquement qui aboutisse indirectement à la mise en application de principes élitaires, voire sélectifs. Dans cette perspective, la dite “dualisation” actuelle du marché scolaire risque bien de provoquer un renforcement de ce genre de procédés dans certains établissements socialement “côtés” ou, plus vraisemblablement encore, dans des établissements dont la reconnaissance sociale est vacillante.

Démocratie formelle ?
Enfin, et plus fondamentalement, l’instauration obligatoire d’organes de concertation démocratique tels que les Conseils de participation n’implique pas de facto le développement d’une véritable culture démocratique scolaire. Un Conseil de participation peut très bien fonctionner à vide, induisant des procédures de participation purement formelles ou minimales, laissant dès lors inchangés les rapports de force réels ou symboliques préexistant à son installation. Un respect minimal des injonctions du Décret consisterait, par exemple, à convoquer le Conseil deux fois l’an. Cette manière de faire, légalement correcte, saperait à coup sûr toutes velléités d’innovations progressistes vu la radicale insuffisance du temps de concertation dégagé. Il en va de même en ce qui concerne la formation des acteurs à l’exercice de leur mandat et aux conditions requises pour qu’ils puissent l’exercer correctement, ce qui, pour l’instant, est plus ou moins laissé à la libre appréciation des responsables d’établissement. Or il y a là nécessité. La compréhension des codes institutionnels, des enjeux sociaux, du rôle et de la fonction des différents acteurs, des règles conventionnelles de l’argumentation, de la négociation et de l’arbitrage, ainsi que de la complexité de l’organisation scolaire n’est évidemment pas universellement partagée. Cette compréhension est, le plus souvent, déterminée par le degré de familiarité culturelle qu’entretiennent les personnes concernées avec le système éducatif, ses règles, ses valeurs et son langage. On saisit donc l’importance des formations et la nécessité de dégager au sein de l’école un maximum d’espace et de temps qui puissent être consacrés aux questionnements, aux débats et à la concertation entre mandataires, principalement élèves et parents, et leurs mandants. Il en va de la juste représentativité démocratique des différents acteurs au sein des Conseils. Il en va surtout de l’implication des jeunes des milieux populaires et de leurs parents dans le système scolaire. On sait en effet que la relégation et l’échec scolaire renforcent encore massivement les inégalités sociales et l’on sait également à quel point l’implication parentale dans la scolarité des jeunes joue un rôle prépondérant dans la réussite de leur apprentissage. Or, comme l’a montré il y a peu une étude de l’Université de Mons-Hainaut sur les relations école-familles, plus un jeune connaît l’échec scolaire, moins ses parents investissent dans la sphère de l’école. Il est donc nécessaire, si l’on veut réduire au maximum l’exclusion des milieux populaires des structures de participation et le taux de redoublements, de mettre sur pied des formations spécifiques leur permettant d’assumer un investissement actif dans l’institution scolaire.
Prioritairement, c’est bien d’éducation permanente dont il est question ici : rassembler les gens, les informer, échanger les expériences et les savoirs, analyser les situations pour que puissent se développer des actions collectives visant à démocratiser réellement l’accès à l’école, ses modes de fonctionnement et d’enseignement. C’est sans doute des revendications et des actions des milieux sociaux bénéficiant le moins du système éducatif que se dégageront les pistes à suivre les plus appropriées pour combattre les différentes formes de l’inégalité scolaire. Favoriser l’émergence de ces revendications et de ces actions peut dès lors constituer une piste d’action politique progressiste salutaire.

Légitimité
Ainsi, si l’instauration décrétale des Conseils de participation constitue une première et nécessaire réponse des pouvoirs publics à l’exigence de démocratisation de l’appareil scolaire, cette réponse doit néanmoins susciter la vigilance et la mobilisation. Car, on le sait, la démocratisation d’un système ne s’impose pas d’“en-haut”, par décret. Les résistances idéologiques et culturelles, les rapports de force, les stratégies de contournement, les lourdeurs bureaucratiques, les habitudes institutionnelles et les clivages sociaux sont autant d’obstacles qu’il s’agit de prendre sérieusement en compte et de combattre si, au-delà d’une démocratisation purement formelle de l’appareil scolaire, l’on désire y instaurer une réelle culture de la démocratie. Ce projet, difficile sans aucun doute, ne doit cependant pas faire peur. Faire rentrer la politique à l’école, ce n’est pas la rendre partisane, mais c’est lui donner les moyens de mieux assumer sa mission sociale et, à terme sans doute, de renforcer sa légitimité. Les Conseils de participation peuvent y contribuer. Mais ils le pourront d’autant mieux, sans doute, s’ils sont pris comme prétexte à une participation et une implication sociale et militante beaucoup plus large sur les questions d’enseignement ; s’ils sont pris comme l’amorce d’un débat permanent – dans les écoles, les associations, les forums citoyens, les syndicats – sur le sens de notre système éducatif, sur les transformations à lui apporter et les moyens à mettre en œuvre pour y arriver.


Frédéric Ligot


(1) Le projet éducatif détermine l’ensemble des valeurs, des choix de société et des références à partir desquels un PO définit ses objectifs éducatifs. Le projet pédagogique définit les objectifs évaluables et les choix méthodologiques permettant la mise en œuvre du projet éducatif. Le projet d’établissement, quant à lui, détermine le plus concrètement possible les choix pédagogiques et les actions diverses qui seront mises en œuvre pour réaliser le projet éducatif et pédagogique.

(2) Lire à ce sujet l’étude de Eddy De Gelaen et Christian Hanot L’école démocratique. Analyse des conditions du fonctionnement démocratique de l’organisation scolaire. Cahiers de la FOPES n°11. Octobre 1999.