Du 1er au 3 novembre 2006, quelque 1 000 délégués représentant 190 millions de membres dans 150 pays prennent part, à Vienne, au congrès de fondation de la « Confédération syndicale internationale » (CSI). Cette nouvelle organisation est le fruit du rapprochement entre la Confédération mondiale du travail – CMT, d’inspiration chrétienne à l’origine – à laquelle est affiliée la CSC, et la Confédération internationale des syndicats libres – CISL, proche de la social‑démocratie –, lesquelles se sont auto-dissoutes ce 31 octobre 1. Analyse des enjeux avec Claude Rolin, secrétaire général de la CSC, présent à Vienne.

Quels sont, selon vous, les principaux éléments qui motivent la création de la Confédération syndicale internationale ?


La CSI est la réponse syndicale à l’accélération de la mondialisation et au renforcement du néolibéralisme qui s’opère sous l’impulsion des entreprises multinationales. Cette évolution, qui empêche les corrections de la politique de libéralisation économique, ne faisait face, jusqu’ici, qu’à un contre-pouvoir très dispersé : cela devenait intenable ! Cette dispersion se reflétait notamment dans les instances internationales où les syndicats sont amenés à siéger (ONU, OIT) ou à représenter le mouvement syndical (FMI, Banque mondiale, OMC). Unir les forces syndicales à travers le monde est devenu, dans ce contexte, une impérieuse nécessité. Aussi fallait-il donner un nouveau souffle au contenu de l’action syndicale internationale, au-delà des idéologies traditionnelles dépassées à jamais et recentrer certains déséquilibres historiques, tels que la place des organisations du Sud ou de l’Europe de l’Est dans le concert international. Aujourd’hui, le climat syndical est favorable à une telle unification. Pour la première fois, les contacts entre la CMT et la CISL, ainsi qu’avec certaines organisations nationales non affiliées internationalement, permettent de fonder un nouveau mouvement syndical mondial, dans lequel les organisations de la CMT peuvent obtenir une place équitable. Cette opportunité doit être pleinement saisie.

Quels ont été les principaux obstacles à cette unification ?

Plutôt que de parler d’obstacles, je préfère souligner les valeurs et les conditions de création de cette nouvelle organisation. Pour la CSC, il y a cinq « must » : autonomie, représentativité, démocratie, pluralisme et solidarité. Tout d’abord, la CSI doit être indépendante et rassembler des organisations internationales indépendantes et non corporatistes, autonomes par rapport aux gouvernements, aux partis politiques et aux bailleurs de fonds. Ensuite, en termes de représentativité, je dirais qu’il faut un syndicalisme de base fort pour pouvoir former à terme un contre-pouvoir local, national, régional et international. Ce qui implique que la CSI soit représentative de tous les travailleurs, y compris du secteur informel. C’est fondamental, aussi bien pour les travailleurs du Sud que ceux du monde industrialisé. Et avec une attention spéciale pour une représentation proportionnelle pour les femmes et les jeunes. En ce qui concerne la démocratie, pour nous, la participation doit être une philosophie de base. Elle doit être garantie par des instances démocratiques et respecter les minorités et le pluralisme. Nous estimons qu’il faut une participation équitable du Nord et du Sud : pas question d’une représentation sur la base de l’apport financier. Il faut travailler au consensus en respectant les minorités, et il faut un équilibre entre le professionnel et l’interprofessionnel.
J’en viens à mon quatrième point : le pluralisme. La reconnaissance de ce droit – tel qu’il est défini dans la Convention 87 de l’OIT 2 – par le nouveau mouvement syndical mondial, dans tous les domaines et à tous les niveaux, est un point de départ fondamental. Il ne constitue pas seulement un droit historique et actuel, il doit aussi s’agir d’un droit qui s’applique pour l’avenir. Pour la CSC, cela signifie le respect du pluralisme au niveau national ; le respect des organisations de la CMT et de leur particularité ; le respect pour la dynamique propre des organisations régionales dans les différents continents et pour les différences d’approche dans l’action professionnelle. Et aussi, un système de cotisations juste, qui garantit les possibilités d’affiliation des syndicats en développement. Enfin, dernier point clé : la solidarité. Les membres du nouveau mouvement syndical s’engagent à s’inscrire dans une action commune internationale et à y investir, selon leurs moyens, dans une contribution structurelle à la viabilité du syndicalisme international et au renforcement du syndicalisme de base, partout dans le monde. Nous plaidons pour une solidarité entre les syndicats riches et pauvres, entre les syndicats du Nord et du Sud, entre le professionnel et l’interprofessionnel, entre le secteur formel et l’informel, entre les (groupes de) travailleurs et travailleuses riches et pauvres et avec les groupes défavorisés.

Au-delà de ces conditions de réussite, des difficultés ou points de friction peuvent toujours surgir...

Oui, bien sûr. Des conflits et accrochages entre organisations sont toujours inévitables, et en particulier dans la phase de construction d'une nouvelle structure.  C'est pourquoi, il est indispensable de créer une instance d'arbitrage, construite sur des bases paritaires et représentatives. La CSC plaide pour une coopération dynamique entre l'action professionnelle et l'action interprofessionnelle.  Nous voulons aussi que les organisations de la CMT puissent s'affilier librement et sans conditions au nouveau mouvement syndical mondial et que les organisations CMT y aient une place légitime et équitable. La forte structuration de la CMT au niveau régional est une donnée importante.  Les organisations régionales doivent avoir le temps nécessaire pour construire leur coopération régionale au sein des nouvelles structures internationales. Ce respect envers la dynamique propre au Sud doit prévaloir sur les impératifs du Nord. 

Dans la désignation des mandats au sein des institutions internationales, la situation nouvelle doit présenter un avantage en faveur de l'actuelle CMT. La CSC attend que son rôle historique au sein de celle-ci et au sein du mouvement syndical international-à l'Organisation internationale du travail, la TUAC, ect.3   -soit reconnu. Une formule doit être trouvée pour maintenir le réseau et l'identité de la CMT. Certains renvoient à ce propos à une fondation, sans pour autant vouloir instaurer un droit de tendance dans la nouvelle organisation.

Dans quel état d’esprit la CSC participe-t-elle au Congrès de Vienne ?

Dans un état d’esprit résolument positif et volontariste. Nous estimons qu’il faut saisir cette opportunité. La CSI doit s’ériger en contre-pouvoir international efficace. Elle doit renforcer le syndicalisme de base dans le monde et être un mouvement large, avec sa propre vision de l’homme et de la société. Nous devons nous engager dans des plans d’action concrets qui mettent en avant la valeur de chaque travailleur, qui imposent les droits des travailleurs et visent un ordre mondial équitable. C’est la raison pour laquelle nous estimons que la déclaration de principe de la CMT doit constituer un point de départ important.

La « question confessionnelle » a-t-elle disparu des discussions ?

Nous savons tous que la CMT n’était plus une confédération chrétienne, mais une confédération pluraliste, ouverte à tous ceux qui souscrivent à sa déclaration de principes. Si la question « chrétienne » est une référence pour certaines organisations nationales, elle n’est pas constitutive ni pour la CMT dans le passé, ni pour la nouvelle internationale à l’avenir. Cela n’exclut pas que certains, dans un esprit ouvert et étant pleinement intégrés dans les structures unitaires européennes et internationales, se rencontrent pour approfondir les questions d’inspiration et d’idéologie qui leur tiennent à cœur.

Sur le fond, la création de la CSI aura-t-elle un impact sur les stratégies syndicales nationales ou régionales, ou ne s’agit-il que d’une « restructuration institutionnelle » ?

D’aucuns ont en effet soulevé cette question : « Imaginons qu’une organisation mondiale unique soit mise en place, est-ce que cela changerait quelque chose à la situation belge ? » Si l’idée est que, désormais, il ne devrait y avoir qu’un seul syndicat dans chaque pays, la réponse est clairement non ! Un tel « modèle » a été abandonné dès la création de la CES (ndlr : Confédération européenne des syndicats, créée en 1973) qui reconnaît le pluralisme dans ses structures et dans les différents pays. Il suffit de regarder autour de soi pour constater la diversité : le Royaume-Uni avec le TUC (Trade Union Congress), l’Allemagne avec le DGB (Deutsche Gewerkschaftsbund), la France avec ses cinq organisations, les Néerlandais et leurs deux syndicats, les trois syndicats en Italie, etc. Les raisons qui expliquent l’existence de plusieurs organisations au niveau national peuvent être très diverses : différences idéologiques, contextes historiques, choix stratégiques… En Belgique, les trois syndicats représentent chacun un certain type de syndicalisme. Pour la CSC, il est défini avec précision dans le cadre de sa mission. Cette définition fait apparaître que les différences avec la FGTB et la CGSLB sont importantes. Les travailleurs belges veulent choisir leur syndicat, même s’ils attendent qu’ils collaborent en front commun syndical, quand c’est nécessaire et possible.

Comment s’articuleront les relations entre CSI et régionales, en particulier avec la CES au niveau européen ?
Des discussions sont en cours pour arriver à de nouvelles structures sur les différents continents. Une nouvelle régionale africaine est en gestation, sa naissance est prévue pour fin 2007. En Asie, une régionale sera mise en place dans le courant de l’année prochaine. La CLAT (régionale CMT en Amérique latine) et l’organisation régionale de la CISL prévoient de pouvoir arriver à des accords pour une nouvelle régionale pour l’Amérique latine en 2008. Quant à l’Europe, vu l’existence de la CES, qui est en principe une organisation indépendante et qui n’englobe pas tous les pays de l’Europe géopolitique, un accord est en discussion pour construire autour du « noyau dur » de la CES, un Conseil paneuropéen des syndicats qui sera le représentant de l’Europe dans la nouvelle CSI.

Prropos recueillis par Christophe Degryse


1 Pour les rétroactes de la création de la CSI, voir l’interview d’Emilio Gabaglio dans Démocratie n° 23 du 1er décembre 2004.
2 « Les travailleurs (…) sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations… »
3 La TUAC est la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE.

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