Nous voulons du pain mais aussi des roses". Un slogan lancé lors d'une grève dans le Massachussets, en 1912. Autrement dit, non seulement la stricte justice, mais encore la considération, le respect, la dignité morale. Le slogan ne pouvait que plaire à Ken Loach, qui en a fait le titre de son nouveau film, "Bread and Roses"

 

 

Depuis trente ans, le cinéaste anglais, qui garde sa fougue juvénile de militant gauchiste sous la douceur cendrée du visage et de la voix, bataille pour la justice sociale, et ferraille avec une générosité rageuse et un humour aigu en faveur des pauvres et des opprimés (voir Riff Raff, Raining Stones, My name is Joe...). Mais cette fois, changement de décor. On a quitté la pluvieuse Angleterre pour le soleil californien. Voilà Ken Loach à Hollywood. Mais, on s'en doute, pas le Hollywood des stars et des milliardaires. Non, celui des gens de ménage, qui succèdent le soir aux magnats du cinéma, dans les immeubles luxueux des sociétés.

L'histoire...

Le film commence par l'aventure d'une traversée illicite de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Parmi les clandestins, Maya, une jeune femme volontaire qui rejoint sa sœur aînée Rosa, installée à Los Angeles avec mari et enfants depuis une dizaine d'années. Rosa lui dégote un job de larbin dans une énorme entreprise d'entretien qui exploite des travailleurs immigrés, une majorité de latino-américains aux abois, quelques Blacks et une Russe. Tous ces gens ont en commun l'exil, une trouille bleue d'une toujours possible reconduite à la frontière et guère de moyens de défendre leurs droits. C'est dans ce marais nauséabond que Maya rencontre Sam, jeune blanc hirsute, dialecticien professionnel, idéaliste convaincant, envoyé par une organisation syndicale à l'américaine (décrite comme à la recherche de cibles faciles et médiatiques). Sam-le-messie va essayer de persuader Maya et ses collègues de ne plus raser les murs et de s'organiser pour faire grève et obtenir, sinon de meilleurs salaires, du moins une assurance-maladie pour eux et leurs familles. S'inspirant de combats syndicaux réels, le scénario brode là-dessus une intrigue amoureuse cousue à la va-vite.

Le film

Politiquement, on est à peu près d'accord avec Ken Loach quand il divise le monde entre oppresseurs et opprimés, en l'espèce dans Bread and Roses, entre bons travailleurs immigrés latinos et méchantes multinationales américaines exploiteuses. Le problème, c'est la manière : Bread and Roses est aussi prévisible et simpliste qu'un discours d'Arlette Laguillier. Ken Loach ne filme que ses certitudes, pliant fiction et personnages sous le joug de ses démonstrations. Ses messages révolutionnaires sont délivrés selon les ficelles les plus épaisses et les plus manipulatrices du mélodrame hollywoodien. Il nous avait habitués à plus de finesse. Ces dernières années, le cinéma de Loach a ainsi cessé de gagner en efficacité mélodramatique ce qu'il perdait en pertinence critique (voir Land and Freedom, Carla's Song).

 

Justesse

Mais rendons à Loach ce qui lui appartient, le cinéaste retrouve aussi, peut-être par mégarde et davantage par le recul qu'octroie le déplacement géographique, une justesse de point de vue qui permet de ne pas trop lui en vouloir de tirer comme un perdu sur les ficelles de la fiction lacrymale dont il est désormais le champion toutes catégories (voir Ladybird, Ladybird). Ainsi, la société de nettoyage décrite est emblématique de ces entreprises de sous-traitance qui permettent à des boîtes bien sous tous rapports d'avoir du petit personnel sans avoir à en assumer directement la gestion, par trop crapoteuse. Une forme moderne d'esclavagisme, en quelque sorte, et fort répandue qui plus est, y compris en Europe...

Là où Loach vise juste, c'est quand le film, remontant la filière des sujétions, finit par tomber sur le spectre caché mais omniprésent de la prostitution à travers un long monologue de Rosa. Des bordels de Tijuana (Mexique) aux buildings de Los Angeles, un commerce identique. Loach place alors, clairement et avec une grande force émotionnelle, l'exploitation des travailleurs dans un continuum logique avec l'échange prostitutionnel, il en fait le terreau même de toute économie, et a fortiori celui, fertile, du libéralisme. Les gens n'ont pas de valeurs, ce sont des corps monnayables et jetables à merci, exposés à la non-protection absolue.

Loach n'est jamais aussi bon que lorsque, délaissant les cruautés que les traîne-misère se font entre eux, il accède par éclat à une intelligence des rouages qui les écrabouillent. Ce n'est pas rien, loin s'en faut, dommage que ce soit si fugace...

 

Catherine Morenville

 

 

Et chez nous ?...

Syndiquer les sans-papiers: une petite révolution en Belgique, qui a commencé voici un peu plus d'un an. De quelques dizaines au départ, la plupart issus de l'Église du Béguinage, ils sont aujourd'hui plus de 2.000. Au-delà de l'aspect symbolique, une syndicalisation authentique qui se légitime par le paiement d'une cotisation de 50 F. Le fer de lance de cette campagne de syndicalisation : Albert Faust, secrétaire général du Setca (syndicat des employés, techniciens et cadres) de la FGTB bruxelloise. "Cette cotisation donne automatiquement accès aux mêmes droits que ceux offerts aux millions de citoyens syndiqués de ce pays, explique Albert Faust. Nos permanents syndicaux descendent sur le terrain comme pour les autres secteurs, et je vous prie de croire qu'ils en voient des vertes et des pas mûres !" Quant au pourquoi de l'implication du syndicat dans le combat des sans-papiers : "Le mouvement syndical regroupe depuis très longtemps des travailleurs immigrés, il a par le passé organisé des travailleurs clandestins. En 74, nous avons été très actifs dans la première opération de régularisation qui, en un mois, a sorti de l'ombre 8.000 clandestins. C'était une opération one shot qui permettait de remettre les compteurs à zéro et de redéfinir une nouvelle politique d'immigration. Aujourd'hui, les régularisations promises s'éternisent. Les sans-papiers sont forcés de travailler au noir. C'est une catastrophe pour tout le monde. Pour les sans-papiers, pour les salariés, et pour les entrepreneurs honnêtes (dans le nettoyage notamment) qui perdent des marchés parce que n'employant pas de clandestins. Ces situations ne peuvent qu'interpeller un syndicat. Nous ne sommes pas seulement une corporation d'actifs. Mais aussi un mouvement social, une force de transformation de la société."

Côté CSC, pas de syndicalisation en tant que telle, mais une action sur le terrain : "Nous pourrions également distribuer des carnets syndicaux mais nous avons choisi de privilégier une action moins médiatique, explique Tony Demonte, secrétaire permanent de la CNE Charleroi. Nous avons, par exemple, aidé à constituer les dossiers pour la régularisation et établi des attestations. Nous avons également soutenu le combat des sans-papiers pendant l'occupation des églises. D'un point de vue juridique, nous avons mis à disposition un de nos avocats qui a permis la condamnation d'un CPAS qui refusait d'accorder l'aide sociale à une famille. Un cas qui a fait jurisprudence par la suite."

C.M.