Les services sont aujourd’hui au cœur de notre économie. Ils représentent près de 70% du produit intérieur brut (PIB) et de l’emploi. On parle beaucoup de la croissance des services mais la question de l’innovation dans ce secteur est le plus souvent absente des débats. Et pourtant...


En réalité, le mythe selon lequel les services n’innovent pas ou qu’ils se contentent d’adopter les innovations technologiques produites dans l’industrie est très répandu. Rien d’étonnant à cela : notre conception de la recherche et de l’innovation est restée très marquée par le modèle industriel. De plus, dans le langage courant, le terme "innovation" est souvent assorti du qualificatif technologique. Or, cette manière de concevoir l’innovation est trop restrictive. Il n’est dès lors pas inutile de pouvoir disposer de quelques clés pour mieux comprendre comment un prestataire de services peut innover.

Diversité
La première caractéristique des activités de services est leur extraordinaire diversité. L’éventail des professions de services est très large, allant de la caissière de grande surface au consultant, en passant par le banquier, l’assureur, le professeur de musique, l’architecte, le garagiste, l’agent de la firme d’intérim ou de transport, le conseiller de mutuelle et le personnel dans des services aux personnes. Certains services sont fort intensifs en technologie, en raison de leurs efforts importants en recherche-développement ou de leurs acquisitions élevées en biens et en équipements techniquement avancés. Ce sont, par exemple, les télécommunications, les activités de traitement de données, de réalisation de programmes et de logiciels, les activités de recherche et de conseil. La dimension "service" est aussi très présente dans certaines activités industrielles : certains fournisseurs de biens – comme des voitures ou des appareils électriques – offrent un très grand nombre de services et garanties afin de développer la relation avec leur clientèle et de préserver ainsi leur part de marché.

En 1995, la Commission européenne lançait, avec la publication du Livre vert sur l’innovation, un vaste débat public sur l’innovation en Europe et sur les moyens pour réduire le déficit en innovation qui mine l’économie européenne. L’innovation est définie dans ce Livre vert comme "la production et l’assimilation réussies de la nouveauté dans les sphères économiques et sociales". L’innovation est synonyme de renouvellement et d’extension de l’éventail des produits et des services, d’instauration de nouvelles méthodes de production, d’approvisionnement et de distribution, mais elle est encore synonyme de modification de la gestion, de conditions de travail et de compétences de la main d’œuvre.
Pour rendre compte de tous les points d’appui d’une innovation dans une organisation de services (marchande ou non-marchande), la figure dite du prisme de l’innovation, initialement conçue dans une perspective industrielle, est éclairante (cf. ci-contre). Cette figure synthétise en effet l’ensemble des démarches d’innovation qui peuvent être entreprises. En reliant entre elles cinq fonctions fondamentales – à savoir deux fonctions ressources (humaines et financières) et trois fonctions de compétences (scientifique et technique, de production et de marketing/vente) –, on voit se dessiner les axes majeurs qui méritent d’être systématiquement pris en compte si l’on veut innover. Cette représentation fait apparaître une multitude de dimensions qui rendent justice à la créativité des organisations car on ne réduit pas l’innovation au seul changement technique. Ainsi, l’instauration de réunions de type Tupperware constitue une innovation au niveau des forces de vente, l’offre aux clients de formules de leasing ou de crédit gratuit constitue une innovation dans le financement des ventes, l’obtention d’une certification dans le domaine de la qualité ou du management environnemental est une innovation d’organisation, la mise à disposition de cartes "avantages" dans les grandes surfaces est une innovation de distribution.
Et puis, il y a évidemment les innovations de produit et de procédé. L’innovation de produit en matière de services doit être prise dans une acception suffisamment large pour permettre d’aborder à la fois les produits matériels et immatériels (par exemple, une nouvelle formule de formation, un nouveau domaine de conseil). L’innovation de procédé a trait aux procédures et aux indications de processus pour fabriquer le service, c’est-à-dire pour créer, assembler, composer ou développer le service qui sera vendu aux clients ou dispensé aux usagers. À nouveau, l’innovation de procédé peut concerner soit des systèmes techniques, soit des procédés plus immatériels (tels que les méthodes de consultants, par exemple). Comme une prestation de services est une suite d’actions, un ensemble de moments de vérité au cours et au terme desquels l’usager évalue la qualité du service presté, un service est en effet jugé de façon globale. Dès lors, toute innovation affectant un élément de la prestation de services sera également évaluée de façon globale, et il y a fort à parier que le prestataire de services qui décide d’innover aura le souci de modifier de façon cohérente les divers éléments constitutifs de la prestation de services.

Différenciation
Le contenu technologique de ces innovations peut varier, ce qui amène certains auteurs à différencier :

  • les innovations non technologiques au sens strict, c’est-à-dire où la technologie ne joue aucun rôle ;
  • les innovations non technologiques au sens large, c’est-à-dire des innovations non technologiques mais qui ne pourraient néanmoins être réalisées sans le recours à des technologies ;
  • les innovations technologiques, c’est-à-dire les équipements matériels, les technologies innovantes.

Lorsque l’innovation dans une prestation de services a une composante technologique, il y a lieu de se demander si elle est susceptible de concerner toute une branche d’activité. Mais au-delà de la composante technologique de l’innovation, la composante sociale mérite aussi d’être prise en considération en matière de services. Il y a innovation sociale lorsque :

  • il y a enrôlement inhabituel du client ;
  • sont reliés de façon inédite des acteurs évoluant dans des contextes habituellement cloisonnés ;
  • on crée ou on redistribue des rôles ;
  • les énergies personnelles sont exploitées de façon nouvelle.

Enfin, l’aspect esthétique de l’innovation (identité graphique, signalétique, design d’environnement) peut également être vecteur de valeur ajoutée.
Certaines entreprises de services à forte croissance ont redéfini leur marché en combinant la nouveauté technologique, la nouveauté sociale et la nouveauté esthétique. Ainsi, Kinépolis a redéfini le marché du cinéma en adoptant une nouvelle technologie grand écran et un équipement de sonorisation de pointe (innovations technologiques), en multipliant les salles avec des écrans plus grands et en optant pour une localisation hors des agglomérations bénéficiant d’une vaste aire de stationnement (innovation non technologique). L’exemple témoigne de la nature hybride de l’innovation dans les services.

Relation
Le commun dénominateur des activités de services, c’est la relation de service. Prester un service pour un client ou un usager, cela consiste à concevoir et à organiser une série d’actions qui satisfont ses besoins. Plusieurs éléments distinguent la "fabrication" d’un service de la production d’un bien.
Prester un service nécessite généralement en avant-scène du personnel en contact, un support physique, un client (bien souvent confronté à d’autres clients) et en arrière-scène une organisation interne de l’entreprise ou de l’organisme de services, c’est-à-dire une partie non visible par le client qui fournit les autres ressources nécessaires à la production du service. Le client doit déclencher la prestation, la contrôler et éventuellement y participer. Il faut pouvoir gérer la participation du client et gérer le personnel en contact avec les clients. En l’absence d’éléments tangibles, comme dans le cas de l’achat d’un bien, les modalités de rapprochement entre prestataires et clients à propos de l’activité à mener, du problème à résoudre sont capitales pour que le service rendu puisse, lors du fameux "moment de vérité" – c’est-à-dire au moment où le service est consommé – donner satisfaction au client. La relation de service constitue donc un facteur-clé de performance et forme véritablement le creuset de l’innovation dans les services. Les innovations de services ont souvent pour objectif de personnaliser davantage la prestation.

Méthode
Il n’y a pas de voie unique, de dispositif exclusif pour stimuler l’innovation dans les organisations de services. Dans certains cas, l’innovation résulte de l’amélioration de l’existant et de processus d’apprentissage. Dans d’autres, le département de R&D joue un rôle prépondérant. Certaines organisations de services se caractérisent par l’aspect informel de leurs activités d’innovation : toute la culture d’entreprise est orientée vers le changement sans que cela relève de stratégies formalisées. Dans d’autres entreprises encore, l’innovation est pilotée par la stratégie mais il s’agit d’un processus diffus, pris en charge par des groupes de projets ayant la responsabilité de processus innovants ou de projets innovants.
Mais à l’évidence, une entreprise est innovante lorsque la gestion du processus d’innovation se fait volontaire. La gestion volontaire du processus d’innovation requiert une politique de communication et de ressources humaines qui marque l’engagement du management tout entier dans une démarche de changement.
Sans doute existe-t-il diverses méthodes de créativité visant à stimuler l’expression des idées originales. Mais l’intérêt de ces approches réside sans doute moins dans leur résultat proprement dit que dans la mise en œuvre d’un dialogue entre individus par rapport à l’innovation. La stimulation de l’innovation ne tient pas tant à la multiplication des idées qu’à leur expression, à leur maillage, à leur enrichissement mutuel. Elle tient également à leur adoption progressive par l’ensemble des acteurs nécessaires à la réalisation du processus d’innovation.
C’est là qu’une politique de communication est stratégique et qu’une politique des ressources humaines centrée sur la détection, la valorisation, le développement des compétences prend tout son sens. Les compétences sont en effet au cœur des mécanismes d’innovation.

S’adapter
Il est temps désormais d’adapter les dispositifs d’appui en matière d’innovation en Belgique à la structure des activités économiques en tenant davantage compte du poids des services et de leurs spécificités en matière d’innovation. Ainsi, en Région wallonne, la politique de soutien à l’innovation reste marquée du sceau de la tradition industrielle. La majeure partie des aides accordées aux entreprises par l’administration en charge de la recherche et du développement technologique est dirigée vers l’innovation industrielle à caractère technologique. Le programme mobilisateur Multimédia lancé en 1997 a cependant ouvert une brèche : en octroyant davantage des avances récupérables à des entreprises de services, y compris dans des secteurs dits applicatifs (c’est-à-dire non producteurs de technologies), ce programme a permis de stimuler de nouveaux usages. En juin 2000, le programme Promimage qui concerne les technologies du son et de l’image a démarré dans cette même optique. On regrette cependant que l’exercice de prospective technologique et de définition d’une stratégie régionale d’innovation mené au cours des années 1999-2000 (cf. Revue Athéna n°169 de mars 2001 présentant les travaux de Prométhée) sur une base de consultation très large n’ait pas mis d’accent fort sur l’innovation dans les services.
D’autres types d’aides peuvent également contribuer à l’innovation dans les services : les aides à la consultance, les aides à l’investissement immatériel, les aides spécifiques aux technologies de l’information et de la communication (par exemple une prime pour la création d’une plate-forme de commerce électronique). Les programmes d’accompagnement du WIN (Wallonie Intranet) tels que le programme "Cyber-écoles" et le programme "Administration étendue" constituent des dispositifs prometteurs pour soutenir l’innovation dans les secteurs de l’enseignement et du service public.
Des initiatives existent, mais elles restent fort éparses. Il faut donc plaider pour une plus grande cohérence dans les aides accordées aux entreprises de services, de façon à soutenir le processus d’innovation de sa genèse à sa diffusion. Il faut également plaider pour un assouplissement des critères d’octroi des aides afin que les entreprises de services soient éligibles pour celles-ci. Enfin, nous appelons à une évolution des mentalités : la relation de service peut devenir le creuset de l’innovation dans le secteur des services, marchands et non-marchands, mais aussi dans le secteur manufacturier. Cette évolution nécessite que l’orientation–client ait une place centrale dans toute stratégie d’innovation.

Françoise Warrant
Centre de recherche Travail et Technologie (FTU-Namur)

Bibliographie

  • Giget M., L’innovation dans l’entreprise, Techniques de l’ingénieur, traité Généralités, A 4 010, vol. AG 2, 05/1994.
  • Callon M. Larédo Ph., Rabeharisoa V., Que signifie innover dans les services ?, La Recherche, n°295, février 1997, pp.34-36.
  • Education permanente, dossier consacré à "L’innovation en question", n°134/1998-1.
  • Warrant F., Favoriser l’innovation dans les services - un rôle pour les pouvoirs publics, Paris, L’Harmattan, à paraître au printemps 2001.

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