Il est bien connu qu'on ne prête qu'aux riches. Et pourtant, blotti au cœur de Bruxelles, à deux pas du Sablon et du Palais de Justice, un grand bâtiment, un peu austère il est vrai, abrite une institution publique qui s'évertue depuis 1618 à contredire ce célèbre dicton. Depuis 1948, le Mont-de-Piété (1) jouit du monopole de prêts sur gage en Belgique. Il remporte d'ailleurs de plus en plus de succès auprès de toutes les couches sociales. Les raisons de sa réussite : service moins contraignant qu'à la banque et réception immédiate de l'argent. Visite du dernier dépôt belge.


Le Mont-de-Piété bruxellois, c'est des kilomètres de couloirs et d'étagères où sont classés et étiquetés des milliers d'objets. Des bijoux en majorité (dans 98 % des cas). Le principe est simple et attrayant, ce qui attire la foule. Il suffit aux clients désireux d'obtenir un prêt de se présenter au guichet « engagement » du 23 rue Saint-Ghislain avec un objet à mettre en gage. « N'importe qui peut s'y présenter, à condition d'être muni de sa carte d'identité et de résider officiellement en Belgique ou dans l'Union européenne », précise René Thirion, directeur de l'institution. Le client dépose ses biens, ils sont alors estimés par des experts. En échange du dépôt, celui-ci reçoit un prêt, dont la somme minimale est fixée à 30 euros. Le déposant reçoit 70 % de la valeur de l'objet déposé. Le prêt est accordé pour six mois à un taux d'intérêt de 5,75 %. Il peut bien sûr être prolongé moyennant le paiement des intérêts.

600 opérations par jour

Cette formule de prêt est, encore de nos jours, probablement la façon la plus simple et la plus souple pour permettre à toute personne de disposer très rapidement (le plus souvent en quelques minutes) de liquidités si nécessaire importantes, lui donnant la possibilité, soit de faire face à une échéance urgente, soit de saisir une opportunité sans être contraint de vendre ses biens.

Contrairement à une idée fort répandue, plus de 92 % des prêts sur gages sont remboursés par les emprunteurs qui récupèrent donc les bijoux ou les objets qu'ils avaient déposés en garantie. Seulement 8 % des objets ne sont pas réclamés par les déposants et doivent, en conséquence, être mis en vente publique. Chacun peut les récupérer à n'importe quel moment de la durée du prêt, à condition de les rembourser. Si un objet n'est pas récupéré, la mise en vente publique est prévue dans le contrat. Sa description figure alors dans le catalogue des ventes. Et « même si l'objet se trouve déjà dans le catalogue, précise René Thirion, le propriétaire peut venir le récupérer jusqu'à la veille de la vente ». Si, toutefois, l'objet doit être vendu aux enchères, la différence existant entre le montant de l'adjudication et le prêt initial augmenté des intérêts, ce qu'on appelle le boni, est entièrement en faveur du déposant et est tenue à sa disposition pendant deux ans. On peut renouveler le prêt aussi longtemps qu'on veut du moment que les intérêts sont payés tous les 6 mois.

Le dernier en Belgique

Au cours des 25 dernières années, le nombre d'opérations effectuées chez « ma tante » (cf. encadré) n'a cessé de croître. René Thirion confirme : « Il y a 25 ans, le Mont-de-Piété possédait 25 000 gages. Il en détient actuellement 61 000. On peut dire que nous effectuons en moyenne 600 opérations par jour. Ce chiffre comprend 200 engagements, 200 prolongements et 200 retraits de prêts. » Environ 115 200 prêts sont accordés ou renouvelés pour un montant dépassant les 22 millions d'euros par an (chiffres 2004). Le Mont-de-Piété bruxellois connaît donc une fréquentation en hausse. Parce qu'il est unique en Belgique ? Le dernier à avoir fermé ses portes est celui d'Anvers, en 1950. La clientèle provient essentiellement de Bruxelles. Cependant, certains font le déplacement des quatre coins de Belgique et même du nord de la France, d'Allemagne et de Hollande.

Le directeur, pour expliquer le succès, met surtout en exergue la facilité d'accès du Mont-de-Piété, son côté « proche des gens » : « Si vous voulez obtenir un prêt au sein d'une banque, ce n'est pas toujours facile. Il faut d'abord prendre rendez-vous et cela peut prendre du temps. En plus, vous n'avez même pas la certitude que le prêt vous sera octroyé ». Au Mont-de-Piété en revanche, aucun rendez-vous n'est nécessaire et l'expertise se fait rapidement. « Vous arrivez à l'improviste et on s'occupe de vous. En une vingtaine de minutes, les experts évaluent votre bien. Pour les objets de plus grande valeur, cela nécessite un peu plus de temps ». Remy Ophalvens, appréciateur principal, vérificateur et conseiller, qui travaille depuis 38 ans au Mont-de-Piété, pense quant à lui que la hausse de ces dernières années est surtout due à la crise économique : « Nous avons augmenté de 10 % en 2003 le montant des prêts et de 13 % en 2004, soit une augmentation en deux ans de 23 %. Mais ce n'est pas tant le montant des prêts qui augmente que leur prolongation, les gens ne savent plus rembourser et demandent de prolonger. Ce qui nous oblige à emprunter à la banque pour pouvoir prêter car si les remboursements sont moins nombreux, il faut que nous puissions continuer à avancer l'argent. Actuellement, nous empruntons la moitié et l'autre partie est prise sur notre capital propre ».

René Thirion insiste sur la relation de confiance qui unit les clients à l'institution. Selon lui, « il s'agit d'un type de prêt qui ne participe pas à la spirale de l'endettement ». Il s'agirait d'une des raisons pour lesquelles l'institution recense en moyenne huit nouveaux clients par jour. Un public qui a changé ces dernières années, ou en tout cas qui s'est diversifié. Certes, la catégorie de personnes en réelle difficulté financière existe encore, mais « de plus en plus viennent car ils ont besoin d'une soudure financière. On trouve donc des gens de toutes les couches sociales ».

Des origines à nos jours

L'origine des Monts-de-Piété remonte en Italie au XVe siècle, mais le prêt sur gage existe probablement depuis bien plus longtemps. Les usuriers comprirent très vite qu'en entretenant la rareté de l'argent, ils pouvaient tirer énormément de bénéfices de ce commerce. C'est donc pour lutter contre la rapacité des usuriers qui proliféraient à cette époque et qui ruinaient les populations en exigeant parfois des taux d'intérêts de plus de 130 % qu'un moine, Barnabé de Terni, eut l'idée de créer une institution caritative prêtant de l'argent sur gage. D'après les historiens, cette institution vit le jour en 1462, à Pérouse au centre de la péninsule italienne. On lui donna le nom de Mont-de-Piété.

Le terme Mont-de-Piété

À l'époque du moine Barnabé de Terni, les avances accordées sur gages sans frais et sans intérêt, étaient appelées « crédits de piété » : en italien, monte pietà. Cette expression fut par la suite mal traduite par les Français qui la transformèrent en... Mont-de-Piété ou Mont de Piété ; on trouve aussi Mont-de-Pitié !

« Chez ma tante »

On doit le sobriquet de « Ma Tante » au Prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe, qui, pour honorer ses dettes de jeu, avait dû déposer sa montre au Mont-de-Piété. N'osant l'avouer à sa mère, la reine Amélie, qui s'étonnait de ne plus la lui voir porter, il aurait prétexté l'avoir oubliée chez sa tante !

Le Mont-de-Piété bruxellois

Au début du XVIIe siècle, la misère était partout, la bienfaisance publique quasi inexistante ou très mal organisée et les usuriers qui ont fui l'Italie où les Monts-de-Piété se sont développés, envahirent petit à petit nos régions. Wenceslas Cobergher qui était à la fois peintre, architecte, ingénieur et même diplomate, s'intéresse à toute idée nouvelle et, au retour d'un séjour d'étude en Italie, enrichi de ce qu'il y a vu, propose à nos Gouverneurs l'Archiduc Albert et son épouse l'Infante Isabelle, la création dans nos régions d'institutions de prêts sur gages semblables à celles qu'il avait vues en Italie. L'ouverture d'un Mont-de-Piété à Bruxelles est décidée et les chartes octroyées. L'établissement ouvrira ses portes au public le 28 septembre 1618 pour ne plus jamais les refermer. Ceci en fait, plus que probablement, une des plus anciennes si pas la plus ancienne institution officielle et financière, encore en activité de nos jours en Belgique.

Réglementation et administration

Le Mont-de-Piété de Bruxelles est régi par la loi du 30 avril 1848 et par un règlement organique arrêté par le Conseil communal de la Ville de Bruxelles le 19 décembre 1994 et approuvé par la Région de Bruxelles-Capitale le 6 février 1995. Il occupe 27 personnes qui ont le statut de fonctionnaires. Sous l'autorité d'un conseil d'administration nommé par le Conseil communal et dont le Bourgmestre de la Ville de Bruxelles est président de droit, un directeur assume la direction générale du personnel et des différentes activités de l'institution.

En Belgique, la profession de prêteur sur gage est, en vertu de la loi, un monopole réservé au Mont-de-Piété et la tenue de maison privée de prêt sur gage est sévèrement punie (Code pénal art. 306 & 307).

(1) Le Mont-de-piété (ouvert du lundi au vendredi de 8h30 à 15h30), rue Saint-Ghislain 23 à 1000 Bruxelles - tél. : 02 512 13 85 - fax : 02 512 38 93 – courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. – site : www.montdepiete.be