Capture decran 2025 01 06 a 202432Des syndicalistes et activistes restent mobilisé·es pour la défense de l’accès aux vaccins à toutes et tous. Lors du forum de Davos en 2022 et plus récemment, lors du G7 réunissant les ministres de la Santé, George Poe Williams, infirmier du Libéria, engagé avec ses collègues contre les pandémies,et Yves Hellendorff, membre du «Réseau européen : Notre santé n’est pas à vendre»1, témoignent de leur combat.

 Télécharger l'article en PDF

Thomas MIESSEN, ACV-CSCi Europe Desk et Yves HELLENDORFF, membre du « Réseau européen : Notre santé n’est pas à vendre »

« Preparedness » est le maitre mot des textes européens et internationaux actuels sur les questions de santé mondiale. Ce terme, que les dictionnaires traduisent par « état de préparation », figure notamment dans de nombreuses lettres de mission envoyées par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, aux nouveaux commissaires désignés jusqu’en 2029. Cela concerne notamment Hadja Lhabib, nommée commissaire non seulement avec le porte-feuille de l’égalité, mais aussi avec celui de la préparation et la gestion des crises. Roxana Minzatu, désignée commissaire en charge du portefeuille de l’emploi, bien que son titre ne mentionne pas en- core explicitement les termes emploi et droits sociaux2, est également la vice-présidente désignée de la Commission pour la « preparedness ».

Des débats houleux

La Commission européenne veut ainsi donner l’impression de se préparer pour les crises à venir – notamment sanitaires, et en particulier les pandémies. Toutefois, ses positions en matière de politiques de santé remettent fondamentalement en doute cet engagement. Pourquoi un tel paradoxe ? Parce que les acteurs européens, notamment dans les enceintes de l’OMS, l’OMC ou encore au niveau de forums plus informels tels que le G7 ou le G20, se positionnent depuis la fin de la crise du COVID-19 contre un accès plus équitable aux vaccins en temps de crise. Les négociations en cours pour «un accord international sur la prévention, la préparation et la riposte en cas de pandémie» qui ont lieu au sein de l’OMS en sont une parfaite illustration.

Les pays du Sud global craignent en effet que cet accord ne leur garantisse pas un accord équitable aux vaccins, traitement et autres ressources médicales essentielles en cas de pandémie, comme ce fut le cas lors de la pandémie de COVID-193. En outre, l'accord ne précise pas suffisamment comment le financement des systèmes de santé, souvent moins robustes dans les pays du Sud et nécessitant un renforcement de leur capacité, sera assuré pour faire face aux éventuelles pandémies4. Les négociations autour de l’accord soulèvent aussi des inquiétudes quant à la prise en compte des besoins et des pers- pectives de ces pays du Sud au regard du manque de transparence et de participation de ces derniers et des organisations de la société civile dans l’élaboration de l’accord5.

La position du texte sur les droits de propriété intellectuelle visant à faciliter et intensifier la fabrication des produits pandémiques est au centre des critiques. Les articles 9, 10, 11 et 12 du texte sont particulièrement au cœur des débats sur l’équité de l’accord. Ce sont eux qui traitent de la levée des droits de propriété intellectuelle dans les situa- tions d’urgence sanitaire. L’article 12 vise à créer un système d’accès aux agents pathogènes et de partage des avantages (Pathogen Access and Benefit-Sharing- PABS) de l’OMS. Cet article a été l’un des plus controversés tout au long des négociations et les États membres n’ont pas pu parvenir à un consensus sur ce point.

«Tirant les leçons des erreurs commises lors de la pandémie de COVID-19, nous avons plaidé en faveur de dispositions qui donnent la priorité aux besoins des personnes plutôt qu’au profit, y compris un déclenchement automatique des dérogations aux brevets en cas de pandémie, l’utilisation de fonds publics pour les biens de santé publique, la responsabilité des grandes entreprises pharmaceutiques, en particulier lorsqu’elles utilisent des fonds publics, parmi d’autres demandes »

Ces points de tension soulevés par les pays du Sud ont conduit la Fédération internationale des Syndicats des Services publics (PSI) à lancer une campagne en octobre 2023. Dans son communiqué final, le PSI a fait savoir qu’en tant que représentant de plus de 30 millions de travailleurs et travailleuses, dont la majorité dans les secteurs de la santé et des soins, il a  décidé de concentrer ses efforts pour que les droits et les intérêts des travailleur·ses de la santé et des soins soient garantis dans le traité, tout en veillant à ce que celui-ci aborde la question de l’inégalité en matière de santé au niveau mondial. «Tirant les leçons des erreurs commises lors de la pandémie de COVID-19, nous avons plaidé en faveur de dispositions qui donnent la priorité aux besoins des personnes plutôt qu’au profit, y compris un déclenchement automatique des dérogations aux brevets en cas de pandémie, l’utilisation de fonds publics pour les biens de santé publique, la responsabilité des grandes entreprises pharmaceutiques, en particulier lorsqu’elles utilisent des fonds publics, parmi d’autres demandes » peut-on lire dans leur communiqué.

Les négociations autour du traité se poursuivront probablement à huis clos. « Il est donc impératif que les syndicats, en particulier ceux des travailleurs de la santé et des soins, fassent entendre leur voix par tous les moyens possible », exhorte le PSI6.

L’indispensable levée des brevets

 La proposition de levée des brevets a été présentée pour la première fois par l’Inde et l’Afrique du Sud il y a quatre ans. Elle a ensuite été proposée lors de la 12e Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2022, mais la Commission européenne, sous impulsion allemande notamment, ainsi que le Royaume-Uni et la Suisse se sont positionnés contre. Le Liberia, pays d’origine de George Poe Williams, infirmier mobilisé avec ses collègues contre Ebola, le COVID-19 et peut-être bientôt contre le Mpox7 fait partie de la centaine de pays soutenant cette initiative.

Des voix comme celle de George Poe Williams, membre du syndicat NAHWUL affilié à PSI, témoignent avec force des enjeux relatifs à ce traité et des risques concrets qu’il fait peser sur les per- sonnes. En 2022, il a lancé une « salve d’applaudissements » au forum social de Davos pour « féliciter » les dirigeants de l’industrie pharmaceutique des profits colossaux qu’ils ont réalisés grâce à leur refus de renoncer aux brevets sur les vaccins et les produits médicaux anti-COVID-19. Cette action parodique visait à «mettre en évidence le besoin urgent pour les gouvernements de soutenir une levée des brevets sur les vaccins et les produits médicaux »8.

«Après qu’Ebola a tué un·e travailleur·se de la santé sur dix dans notre pays, nous avons appelé les gouvernements du monde entier à créer des conditions de travail plus sures en première ligne, à employer davantage de travailleur·ses de la santé et à mettre fin au système de brevets médicaux qui en- trave les réactions aux pandémies. Nos appels sont restés sans réponse. Combien de décès supplémentaires faudra-t-il encore ? » s’indignait-il alors.

«Si je voulais gagner ce que le PDG de Pfizer, Albert Bourla, a gagné en 2021, je devrais travailler chaque jour jusqu’en l’an 6100. Mais ce qui me rend vraiment furieux, c’est que Monsieur Bourla et beaucoup de ses amis milliardaires (...) font tout leur possible pour bloquer nos demandes de lever les brevets–juste pour pouvoir gagner encore plus d’argent », poursuivait-il.

D’autant que, comme le souligne le PSI, «Pfizer et d’autres sociétés pharmaceutiques ont engrangé plus de 34 milliards de dollars de bénéfices pendant la pandémie, alimentés par le monopole des vac- cins. Pourtant, une récente analyse mondiale de la recherche et de l’investissement dans les vaccins a révélé que plus de 90 % provenaient de financements publics. En outre, beaucoup de ces entreprises ont été accusées d’évasion fiscale. Une étude d’Oxfam de 2018 soulignait comment les grandes entreprises pharmaceutiques ont utilisé des astuces fiscales pour tromper les pays de 3,8 milliards de dollars de reve- nus, privant les gouvernements des fonds nécessaires pour investir dans les systèmes de santé publique »9.

Même son de cloche chez les autres syndicalistes et activistes mobilisé·es contre le G7 santé qui se tenait les 10 et 11 octobre 2024, à Ancône, en Italie. Côté ministériel, il s’agissait d’élaborer une vision convergente des enjeux de la santé publique, y compris des engagements communs sur des orien- tations de politique intérieure.

Concrètement, la déclaration finale a abordé la capacité à se préparer à de nouvelles pandémies, no- tamment en matière de production de vaccins, le problème de la résistance aux antibiotiques, l’influence des nouvelles technologies, dont l’intelligence artifi- cielle, l’importance du vieillissement en bonne santé et la vision « One Health ». Cette dernière dessine l’interconnexion entre l’état de santé de la popula- tion et l’ensemble des déterminants de santé (envi- ronnementaux et climatiques, socioéconomiques, de genre, culturel...). Sur ce thème, le G7 a surtout dé- veloppé une série de recommandations sur les conséquences de la crise climatique et de biodiversité sur la santé. Rien de très nouveau, même si on doit sans doute relever certains engagements positifs.

Ainsi, les principes d’accessibilité universelle aux soins de santé, de santé globale, de priorité aux soins de santé primaires sont réaffirmés et déclinés dans une série de recommandations ou d’engage- ments: par exemple des engagements relatifs au développement des capacités de production pharmaceutique en Afrique et en Amérique latine, visant notamment un accès plus équitable aux vaccins, le renforcement de la lutte contre la malnutrition, la réaffirmation de la volonté de lutter contre le réchauffement climatique.

«Ce G7, dans les faits, fonctionne réellement dans une logique de marché, où le service public est perçu comme un cout, et son évaluation se fait en termes de plus-value économique. Le bienêtre de la population n’est pas un objectif en soi, mais plutôt une nécessité pour la santé économique», analyse Yves Hellendorff, membre du « Réseau européen : Notre santé n’est pas à vendre »

 « Relent de paternalisme colonial »

Le «Réseau européen: Notre santé n’est pas à vendre», avec une série de syndicats et d’ONG italiennes, a participé à un contresommet du G7 à Ancône, appelé «Not on my body». Il s’agissait d’interpeler les ministres de la Santé, la presse et l’opinion publique: la santé est l’affaire de toutes et tous, les orientations en la matière doivent être adoptées par tous.tes pour tous.tes, et non pas par les seuls décideurs des pays riches. La santé n’est pas à vendre, elle doit être protégée des intérêts mercantiles. Des dizaines d’activités se sont déroulées: conférences, assemblée internationale, mani- festations... pour défendre ces principes.

 

«Ce G7, dans les faits, fonctionne réellement dans une logique de marché, où le service public est perçu comme un cout, et son évaluation se fait en termes de plus-value économique. Le bienêtre de la population n’est pas un objectif en soi, mais plutôt une nécessité pour la santé économique», analyse Yves Hellendorff, membre du « Réseau européen : Notre santé n’est pas à vendre » et ancien secrétaire national pour le secteur non marchand de la CNE (Centrale Nationale des Employés) lors du contresommet du G7 : « Si l’on souhaite développer la capacité de production pharmaceutique dans le Sud, ce seront des capitaux occidentaux qui bénéficieront des aides et subsides internationaux. Il ne sera pas question de levée des licences, par exemple. Un tel sommet reste une “ grand-messe ” dont les recommandations ont toujours ce relent de paternalisme colonial, indiquant ce que les pays en développement doivent réaliser, distribuant un soutien “ humanitaire politisé ”, dont les retours sur investissement seront captés par le capital des pays les plus riches. »

Une telle initiative s’inscrit évidemment dans la Campagne que le «Réseau européen: notre santé n’est pas à vendre » a lancée à propos des élections au Parlement européen: «La Santé avant le marché : changeons l’Europe »10.

 Contredéclaration de l’Assemblée internationale

En réponse à ces critiques, l’Assemblée internationale du contresommet du G7 a adopté une contredéclaration, rappelant que le droit à la santé est un droit humain universel qui exige des efforts particuliers pour les groupes les plus vulnérables ; mais aussi que l’amélioration des déterminants de la santé est fondamentale (75 % de l’état de santé d’une population en dépend) ; qu’il s’agit de garantir une accessibilité réelle pour tous et toutes, qu’elle soit financière (part trop importante des frais couverts par le ou la patient·e), temporelle (files d’attente), géographique (déserts médicaux), culturelle (fracture numérique et standardisation) ; qu’un financement public important est indispensable pour garantir des soins de qualité et éviter les dérives commerciales, en dispo- sant du personnel de santé suffisant en nombre et compétences, bénéficiant de bonnes conditions de travail ; que l’accessibilité universelle aux médicaments exige de développer une alternative publique au « Big pharma » ; et enfin que la santé publique doit être un lieu d’exercice démocratique, d’autant plus qu’elle est au centre de tous les enjeux, individuels comme collectifs. #

 

1. European Federation of Public Service Unions, «"Health before profits!" campaign mobilises for World Health Day», EPSU, avril 2024, consulté sur https://www.epsu.org/article/health-profits-campaignmobilises-world-health-day.
2. European Trade Union Confederation, «C’est une erreur de supprimer le commissaire à l’emploi dans un contexte de crise», ETUC, 17 septembre 2024.
3. N. SCHWALBE, E. HANNON, S. LEHTIMAKI, «The new pandemic treaty: Are we in safer hands? Probably not», BMJ, février 2024.
4. L.O. GOSTIN, S.F. HALABI, K.A. KLOCK, « An International Agreement on Pandemic Prevention and Preparedness», JAMA, 2021.
5. N. HASSOUN, K. BASU, L. GOSTIN, «Pandemic preparedness and response: a new mechanism for; expanding access to essential countermeasures», Health Economics, Policy and Law, 31 mai 2024.                                                                                                                                                                                                                                                                             6. P. VILLARDI, A. BASU, M. ABIODUN-BADRU, «Pandemic treaty: Still another year to go», Public Services International, 28 juin 2024 ; Public Services International (PSI), Explainer: The pandemic treaty. https://publicservices.international/resources/digital-publication/explainer-the-pandemic-treaty?id=13949&lang=fr
7. Anciennement connu sous le nom de variole du singe.
8. L. HYDE, « Nurse protests vaccine patents by applauding pharma CEOs at Davos for huge pandemic payouts, Public Services International, 25 mai 2022.
9. L. HYDE, ibid.                                                                                                                                                                                                                                                            10. https://coalitionsante.be/campagne/health4all/

 

Le Gavroche

Palestine : remettre les mots à leur place

«Les Palestiniens sont abattus. Les Palestiniens meurent de faim. Des enfants… Lire la suite
Mai 2019

Tous les numéros

DEMO NOV 23