visuel web parties politiquesEn mars dernier, le CDH faisait peau neuve après un long processus de réflexion baptisé « Il fera beau demain ». Campagne de com sur les réseaux sociaux, nouvelle charte graphique et surtout nouveau nom – Les Engagé·e·s – la mue du parti orange en mouvement vert turquoise n’est pas passée inaperçue. Un peu plus d’un an auparavant, c’était le SP.A qui devenait Vooruit. En France aussi, le phénomène semble gagner du terrain. S’ils ne sont pas neufs, les renouvellements de nom des partis sont-ils plus fréquents ces dernières années? Et que peut-on voir derrière ces mutations ? Explications.

 

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Assiste-t-on réellement a une amplification des changements de noms de partis en Belgique et si tel est le cas, pourquoi ?
La plupart des partis politiques ont tendance à faire évoluer leur appellation dans le temps. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène nouveau. Par exemple, le Parti catholique (fondé en 1884) a changé à plusieurs reprises de dénomination, et ce dès la première moitié du 19e siècle. En 1921, il se présentait sous l’appellation Union catholique belge (UCB-KVB), avant de se transformer en Bloc catholique en 1936 puis en Parti social chrétien (PSC-CVP) en 1945. Se scindant en 1968 sur une base communautaire, tant le PSC que le CVP ont conservé leur dénomination jusqu’au début du siècle suivant, avant d’en changer à nouveau chacun.
Autre exemple : en octobre 1961, le Parti libéral – encore unitaire et alors dirigé depuis peu par Omer Vanaudenhove – est devenu le Parti de la liberté et du progrès (PLP-PVV). À travers ce nouveau nom, le parti s’est engagé dans une mue identitaire par laquelle il a, entre autres, délaissé l’anticléricalisme qui l’avait vu naitre en 1846. Les partis libéraux ont encore pris d’autres dénominations par la suite, et seule l’aile germanophone a conservé le nom de 1961 (Partei für Freiheit und Fortschritt-PFF, composante du Mouvement réformateur-MR).
Si ces évolutions ne datent pas d’hier, il est toutefois vrai que, depuis une trentaine d’années, on assiste à une multiplication de ce type de transformation. Ainsi, depuis 1990, presque tous les partis représentés au Parlement fédéral ont changé de nom, à l’exception du PS, d’ECOLO, du PTB et de la N-VA – et encore celle-ci a-t-elle été fondée en septembre 2001, soit bien plus tard que les trois autres, et sur les cendres de la Volksunie. Cette dynamique s’inscrit essentiellement dans un contexte marqué par une fragmentation du paysage partisan et par l’affaiblissement des familles électorales traditionnelles.

Quelles sont les motivations qui poussent les partis à changer de nom ?
Au moins trois raisons expliquent ces évolutions, tant en Flandre qu’en Belgique francophone. Tout d’abord, la plupart des partis qui renouvellent leur appellation le font dans un contexte de difficultés électorales, afin de se moderniser sur la forme et de se repositionner sur certains enjeux. Parmi les cas les plus emblématiques, pensons au PSC et au CVP. En 1999, tous deux ont connu un revers électoral historique et ont été renvoyés dans l’opposition, pour la première fois depuis 1958 au niveau national. Relevons aussi le cas du parti écologiste flamand, Agalev, qui, après avoir réalisé son plus mauvais résultat depuis 1981 lors des élections législatives de 2003, s’est réinventé et est devenu Groen !
Ensuite, ce peut être pour marquer une réorganisation ou un changement de stratégie politique interne. C’est par exemple le cas du parti libéral flamand (VLD) qui, après avoir fusionné avec l’aile flamande de Vivant, a pris le nom d’Open VLD en 2007. De leur côté, les Fédéralistes démocrates francophones (FDF) se sont transformés en 2015 en Démocrate Fédéraliste Indépendant (DéFI). Par ce changement, l’ancien FDF a tenté de se positionner sur d’autres thèmes que la défense des francophones et a voulu élargir son ancrage électoral au-delà de Bruxelles et de sa périphérie.
Enfin, dans un dernier cas, le changement de nom a été la conséquence de la pression résultant d’une décision de justice. Ainsi, en 2004, après que trois asbl constitutives du parti d’extrême droite Vlaams Blok (VB) ont été condamnées par la Cour d’appel de Gand pour violation de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie (la loi Moureaux), et de crainte de perdre son financement public, ce parti a changé de nom – mais pas de sigle – et s’est transformé en Vlaams Belang.

Faut-il y voir une sorte de « rebranding politique » ou bien s’agit-il de réelles refontes ?
La réponse à cette question est variable selon les cas analysés. Il est vrai que la plupart des partis ne se renouvellent pas véritablement sur le fond lorsqu’ils procèdent à un changement de nom. Toutefois, plusieurs cas indiquent l’inverse. Celui de la transformation du Parti libéral en 1961 est particulièrement parlant à cet égard. Depuis le début des années 1990, trois formations se sont véritablement repositionnées sur d’autres enjeux ou d’autres clivages. Tel a été le cas du parti libéral flamand lorsqu’il est passé en 1992 du PVV au VLD, et du parti social-chrétien en 2001 quand le CVP est devenu le CD&V. Tous deux ont ancré davantage à cette occasion leur formation le long du clivage communautaire. En 2002 puis, surtout, en 2022, le parti social-chrétien francophone (qui s’est d’abord rebaptisé CDH, puis Les Engagé·e·s) a quant à lui suivi un mouvement inverse puisqu’il a pris ses distances avec le clivage philosophico-religieux.
Dans la plupart des autres cas, les évolutions consacrent davantage la volonté de se réaffirmer ou de se libérer de certains labels parfois jugés encombrants, comme celui du terme socialiste par Vooruit en 2021. Cela traduit aussi une perte de vitesse des piliers traditionnels, entamée dès les années 1960.

Les effets attendus sont-ils rencontrés ?
L’efficacité d’un changement d’appellation semble limitée. Globalement, très peu de partis s’étant transformés réussissent à réamorcer une hausse significative du nombre de leurs adhérent·es dans le temps. Cela dit, une tendance à la diminution du nombre de membres au sein des partis traditionnels est repérée bien au-delà du cas belge.
Les effets de pareilles évolutions peuvent toutefois être observés à d’autres niveaux également, comme au regard de la trajectoire électorale des partis concernés. Néanmoins, aucun effet systématique ne peut être repéré. Par exemple, la transformation du PSC en CDH n’a pas permis au parti « orange » d’enrayer le recul électoral tendanciel auquel il est confronté aux différents niveaux de pouvoir. Une analyse similaire pourrait être menée à l’égard du parti socialiste flamand qui, malgré un changement de nom en 2001 puis en 2021, a vu ses résultats électoraux décroitre de manière continue depuis près de vingt ans.
Enfin, certaines opérations de renouvellement interne peuvent créer des tensions au sein des organisations partisanes. Il en a été ainsi chez les sociaux-chrétiens flamands en 2002, peu après leur transformation en CD&V, puisqu’une scission a vu le jour sous le nom de Nouvelle démocratie chrétienne (NCD), qui a cependant eu une existence éphémère.

Le phénomène peut-il s’analyser de la même manière en France ?
Il faut toujours être prudent dans les comparaisons franco-belges tant les systèmes politiques sont différents. Cette précaution prise, il est un fait que les partis français sont eux aussi confrontés à de nombreuses évolutions organisationnelles, y compris à travers leurs appellations. La tendance est même sans doute plus marquée encore qu’en Belgique. La récente évolution de La République en Marche en Renaissance en est l’illustration. En 2018, le parti d’extrême droite Front national (FN) s’est transformé en Rassemblement national (RN). Il n’était pas question d’endiguer un quelconque déclin électoral. L’objectif était plutôt de marquer une rupture avec la formation dirigée pendant plusieurs décennies par Jean-Marie Le Pen afin d’accroitre encore ses performances et de briser un plafond de verre électoral lors des scrutins suivants. Cela dit, la rupture est plus « cosmétique » qu’idéologique. Le RN demeure bien un parti d’extrême droite. À droite, on ne compte par ailleurs plus les changements de noms depuis la Seconde Guerre mondiale. L’enjeu est souvent identique : se libérer de labels connotés idéologiquement et épouser des appellations plus englobantes. Pour reprendre un concept politologique consacré par Otto Kirchheimer, ils se présentent comme de véritables partis « attrape-tout ». #


Propos recueillis par Stéphanie BAUDOT