pexels pixabay 40568Le droit à l’accès aux soins de santé s’impose en tant que droit humain fondamental (Nations Unies, 1948). L’accès aux soins de santé à toutes et tous ne peut se réaliser que si l’offre de soins est suffi samment adaptée pour atteindre la population dans toute sa diversité. Cet article propose de réfl échir l’amélioration de l’accès aux soins autour de quatre axes principaux.

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Les soins de santé sont des biens essentiels au sens où ils sont indispensables à chacune et chacun d’entre nous pour nous préserver des aléas de la maladie et nous permettre ainsi de nous réaliser tout au long de notre vie. L’accès aux soins est a priori relativement simple à comprendre, car nous en faisons toutes et tous régulièrement l’expérience, qu’elle soit positive ou non. En cas de problème d’accès, cela se traduit par une sous-utilisation des soins de santé, c’est-à-dire un recours aux soins insuffisant au regard des besoins de soins avec des effets sur la santé non négligeables 1. Ce problème est plus fréquent chez les personnes en situation de précarité, mais l’ensemble de la population est susceptible d’être concerné, en particulier lorsque les besoins en soins sont importants.

Si la garantie de l’accès aux soins de santé à tout·es et ses principes sont bien formalisés au niveau européen, les conditions de sa réalisation ne sont pas énoncées. Il s’agit d’un objectif général que chaque État doit s’efforcer d’atteindre en fonction du contexte, des moyens dont il dispose et selon des modalités qui restent à déterminer. Or, mener des politiques de santé favorables à l’accès aux soins de santé nécessite d’identifier les possibilités d’actions.

Distinction entre besoins, demande et accès

L’accès aux soins de santé (préventifs, curatifs, de réadaptation, palliatifs et de longue durée) ne se justifie que dans le cas où les besoins sont objectifs d’un point de vue clinique. Cela implique la réalisation de deux conditions : d’une part, l’existence d’un problème (ou d’un risque de problème de santé) somatique ou psychique et d’autre part, l’existence d’un traitement pour améliorer l’état de santé, préserver la qualité de vie ou prévenir la dégradation de l’état de santé.
Ainsi, l’accès aux soins de santé peut se définir de la façon suivante : c’est l’obtention d’un traitement (au sens large) en cas de besoin de soins objectifs d’un point de vue clinique (mais dans la réalité, le besoin objectif peut être dans certains cas difficile à identifier, par exemple lorsque le bénéfice clinique du traitement est difficile à établir).
La satisfaction des besoins de soins correspond à l’étape finale de la délivrance du traitement qui nécessite la réalisation de plusieurs étapes préalables (voir Figure 1, p.3).
Les problèmes d’accès correspondent aux besoins en soins de santé objectifs non satisfaits. Deux cas de figure sont possibles :
1. Lorsque le besoin en soins de santé objectif est perçu par les patient·es, le besoin n’est pas (entièrement) satisfait :
• si le patient/la patiente renonce à consulter (il n’y a pas de contact avec le système de santé) ;
• si le diagnostic n’est pas établi par les professionnels (le traitement n’est pas obtenu) ;
• si le diagnostic est établi par les professionnels, mais le patient/la patiente renonce ou reporte les soins (pas d’accès au traitement ou partiellement).

2. Lorsque le besoin en soins de santé objectif n’est pas perçu par les patient·es, le besoin n’est pas (entièrement) satisfait :
• si le patient/la patiente renonce ou reporte (partiellement) les soins proposés (par exemple parce qu’il·elle n’en ressent pas le besoin en cas de problèmes asymptomatiques ou pour des raisons financières), malgré le diagnostic établi par les professionnels de santé lors des contacts avec le patient/la patiente pour d’autres besoins (par exemple, lors d’un dépistage d’un problème de santé non ressenti) ;
• si le besoin n’est pas non plus identifié par les professionnels.

Quatre axes pour améliorer l’accès :

La sensibilité aux besoins en soins de santé

La sensibilité aux besoins en soins de santé correspond à la capacité à identifier les besoins objectifs d’un point de vue clinique.
Du côté de l’offre, les prestataires de santé ont la responsabilité de détecter ces besoins et d’initier l’accès au traitement. L’organisation de la communication entre les différents services et organisations doit aussi permettre de garantir que le suivi sera bien enclenché en cas de dépistage d’une maladie.
Du côté de la demande, l’identification des besoins en soins de santé va dépendre de la capacité des personnes à percevoir leurs besoins. Celle-ci est influencée par le niveau de littératie en santé, les croyances personnelles, la présence de proches, ou encore l’existence de problèmes dans d’autres domaines (professionnel, familial, financier ou autre) qui sont une cause de distraction à l’égard des problèmes de santé 2.

La disponibilité

La disponibilité des services correspond au fait que les services sont atteignables à une distance raisonnable, dans un délai raisonnable, avec une plage horaire suffisamment étendue et avec une prise de contact aisée, par l’ensemble de la population, sans discrimination, et dans les conditions adaptées aux besoins des patient·es, par exemple en garantissant la communication dans la langue du·de la patient·e ou encore par l’existence d’aménagements pour les personnes à mobilité réduite ou de services mobiles.
Du côté de l’offre, la disponibilité suppose deux préalables principaux : d’une part, l’existence d’une offre suffisante et matériellement accessible et, d’autre part, l’absence de toute forme de discrimination qui empêche ou freine l’accès aux services (par exemple, les patient·es avec des arriérés de facture hospitalière ou à cause de la séropositivité 3).
Du côté de la demande, même si les services sont rendus suffisamment disponibles, leur accès requiert que les personnes soient capables de les atteindre. L’accès nécessite d’être capable de se rendre disponible pour se soigner (par exemple pour les parents isolés ou les aidants proches), de disposer de moyens de transport et de moyens de communication.

L’accessibilité financière

L’accessibilité financière correspond au fait que les contributions personnelles des patient·es sont suffisamment limitées pour, d’une part, ne pas décourager le recours aux soins en cas de besoin et, d’autre part, protéger du risque d’être exposé à des difficultés financières en cas de recours.
L’accessibilité financière dépend tout d’abord du droit à la couverture maladie obligatoire. Les personnes qui ne rentrent pas dans les critères d’éligibilité supportent l’intégralité des frais de santé (en l’absence d’assurance privée).
Pour les personnes couvertes par l’assurance maladie obligatoire, l’accès financier dépend des conditions financières fixées pour recourir aux soins de santé. Différents types de contributions existent :
• les paiements directs : paiements pour des biens ou des services de santé qui ne sont pas couverts par l’assurance maladie obligatoire ;
• la quote-part personnelle : une partie des couts des soins de santé reste à la charge des patient·es (le ticket-modérateur pour les soins de santé couverts par l’assurance maladie) ;
• les suppléments d’honoraires : ce sont des frais facturés en plus des tickets modérateurs définis par la réglementation pour des soins de santé fournis par les prestataires de soins de santé qui n’adhèrent pas à la convention médico-mutualiste.

Le fait de devoir avancer les frais de santé remboursés influence l’accès aux soins de santé également. L’assurance maladie obligatoire permet de garantir un accès financier équitable par un double mécanisme de solidarité : par son caractère obligatoire, les personnes à faible risque de santé contribuent au financement des soins et donc à la mutualisation des risques entre malades et bien-portants (la solidarité ex post entre classes de risques). Le fait que certains prélèvements obligatoires qui financent l’assurance maladie soient progressifs permet de réaliser une redistribution entre niveaux de revenus 4. Si les assurances facultatives privées permettent de réduire les frais de santé à charge des patient·es, elles ne peuvent répondre au besoin de protection financière pour les groupes socio-économiques défavorisés et pour les catégories de risque de santé élevé en raison des primes trop élevées.
Il est important de souligner que les choix budgétaires ont des implications directes sur l’importance des frais à charge des patient·es avec pour corollaire le développement du marché assurantiel privé en santé. Il en découle des choix sociétaux implicites en matière de justice sociale. En particulier, la fixation d’une norme de croissance réelle annuelle du budget des soins de santé à un niveau inférieur à l’accroissement « naturel » des dépenses de santé, principalement dû au vieillissement de la population, à l’évolution de la prévalence des maladies chroniques et au progrès médical 5, risque de détériorer de manière durable et significative l’accès aux soins de santé et, par la même, l’équité du système de santé.
Du côté de la demande, la capacité à payer inclut la capacité à supporter les frais des soins de santé, les couts de transport et les couts d’opportunité éventuels liés à la perte de revenu (par exemple pour les indépendants en cas d’hospitalisation).

L’acceptabilité

L’acceptabilité correspond à la capacité à assurer des prestations de soins qui satisfont au besoin minimum de qualité perçue pour que les personnes acceptent de recourir aux soins de santé.
Du côté de la demande, cette adéquation est réalisée lorsque les conditions de prestation des soins rencontrent :
• certains besoins sociaux (les règles de politesse, de certaines attentes culturelles, spirituelles, etc.) ;
• certains besoins par rapport à l’organisation pratique des soins (par exemple pour les soins infirmiers à domicile) ;
• le besoin de recevoir une communication suffisante et adaptée à la situation individuelle, c’est-à-dire à la fois compréhensible et complète (relative aux risques de santé encourus, à la littératie en santé, à la nécessité de réalisation d’examens complémentaires, au diagnostic, aux possibilités de traitements préventifs, curatifs, au rapport bénéfice/risque, etc.) ;
• le besoin de qualité perçue suffisante (des prestataires compétents, la qualité des équipements, etc.).

Du côté de l’offre, l’acceptabilité est influencée par un ensemble varié de facteurs, comme la qualité des infrastructures et des équipements, la formation des prestataires, en particulier relative à la façon de communiquer avec les patient·es et la sensibilisation à la lutte contre les comportements discriminatoires, etc.
L’adaptation des soins à certains besoins particuliers constitue un défi important pour le système de santé, car cela implique de mettre en œuvre un cadre suffisamment souple pour différencier la prise en charge en fonction des patient·es. Cela revient à acter le fait, qu’à besoins égaux, les patient·es ne soient pas traité·es de façon égale selon des considérations qui dépassent la sphère médicale. Il faut noter que l’acceptabilité se distingue de la satisfaction au sens où elle correspond au seuil de satisfaction minimum en dessous duquel les soins de santé ne vont pas être sollicités. Le schéma ci-dessus présente les quatre axes de l’accès aux soins de santé déclinés pour l’offre de soins et la population.

Conclusion

Ces quatre domaines montrent l’étendue de l’ensemble des actions possibles pour améliorer l’accès. Deux domaines moins connus, mais non moins essentiels pour la réalisation de l’accès, sont identifiés : la sensibilité aux besoins en soins de santé et l’acceptabilité des soins. L’interdépendance de l’offre et la demande de soins apparait ainsi plus clairement ce qui permet aussi de montrer la diversité des obstacles à l’accès aux soins auxquels les populations vulnérables sont susceptibles d’être confrontées.
Par la mise en défaut de la capacité du système de santé à prendre en charge l’urgence sanitaire, la pandémie de COVID-19 a replacé au cœur du débat public la question de l’accès aux soins de santé. Elle rappelle à toutes et tous le rôle fondamental des soins de santé pour le fonctionnement de notre société. Au-delà de cette crise, le droit à l’accès aux soins de santé à tou·tes doit être défendu comme une valeur fondamentale du système de santé et s’affirmer comme un prérequis constitutif de toute politique de santé. 

Sophie Cès, service d’études de la Mutualité chrétienne