pexels daniel reche 3601094La crise du Covid-19 semble avoir fait (re)découvrir au sein du champ politique l’importance de la prévention 2. On s’est aperçu par exemple que la gestion du matériel de protection confiée au système marchand était fondamentalement inadaptée  en temps de crise 3. Mais quelle est la place de la prévention et de la promotion de la santé dans le système des soins de santé en Belgique ? Est-ce que l’organisation institutionnelle actuelle et son financement permettent de déployer une politique de santé publique cohérente et efficace ? Quelle compréhension de la santé guide les politiques de prévention et de promotion de la santé ? Éclairage.

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Dans la façon dont nous affrontons un problème de santé, nous pouvons (presque) toujours distinguer une dimension de prévention et une dimension de promotion de la santé. Tandis que la première vise à éviter une maladie ou ses éventuelles complications par des actions préventives, la deuxième cherche à rendre ces actions possibles. Concrètement, si un examen radiologique de dépistage du cancer du col de l’utérus est un acte de prévention, une campagne qui vise à attirer l’attention du public sur les risques de ce cancer pour certains types de populations, sur l’importance de son diagnostic précoce et sur la possibilité d’avoir un remboursement pour le dépistage, est du ressort de la promotion de la santé.
De ce point de vue, la prévention médicale doit être conçue comme située au sein du champ de la promotion de la santé. La raison se trouve dans le fait que la vision de la santé qui anime les actions en promotion de la santé est plus large que celle des actions en prévention médicale. En effet, comment définir la santé ? Au premier abord, elle peut être conçue dans son opposition à la maladie, être en bonne santé signifie ne pas être malade. C’est la perspective de la prévention médicale classique. Mais dans la perspective de la promotion de la santé, pour être en bonne santé, il ne suffit pas de ne pas être malade, parce que l’état de bonne santé dépend de différents aspects de la vie de la personne : physiques, psychiques, sociaux et environnementaux. Il ne dépend pas uniquement du comportement, c’est-à-dire de nos modes de vie, mais de facteurs externes : est-ce que les soins sont accessibles financièrement, est-ce que la qualité de notre environnement, du logement, de l’air, de l’eau est bonne, etc. ?

La santé doit donc être considérée non seulement sur le plan individuel, mais aussi sur le plan communautaire où des liens sociaux peuvent, par exemple, être un facteur favorable pour la santé, mais aussi, sur le plan global où des décisions politiques nationales et internationales influencent directement la santé de la population. Dans cette vision holistique de la santé, le public ne peut pas être réduit à un simple réceptacle d’informations et destinataire d’initiatives, mais doit être considéré comme un partenaire qui participe activement à l’action 4. Car personne ne sait mieux que les premiers concernés par un problème dans quelles conditions de vie ce problème se développe. Cela implique que le public soit reconnu dans son rôle d’expert au même titre que les experts classiques 5.

Penser la prévention autrement

Dans sa conception classique, la prévention est présentée à partir de différentes étapes où les interventions en prévention peuvent avoir lieu, c’est-à-dire avant, durant, ou après la maladie. Dans ce cas, seul le cadre médical est pris en considération. Or comment faire avec des situations qui sortent de ce cadre ? Par exemple, lorsque la personne ne se sent pas bien malgré l’absence de diagnostic. Cet état pourrait être le signal d’une détérioration de son état de santé qui dépend de facteurs non médicaux 6.
Ce type de situation peut alors amener un risque de sous-consommation de soins de la part de la personne (par exemple en ne faisant pas les visites préventives dentaires faute de moyens financiers 7) ou au contraire, de surconsommation de soin (entre autres dans les cas où le médecin cherche à soulager la souffrance de son patient à l’aide de moyens médicaux, mais qui ne correspondent pas à l’objectif recherché 8).

Structure institutionnelle

En vertu de l’article 5 §1, I, al.1, 2° de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, ce sont les Communautés qui disposent des compétences concernant l’« éducation sanitaire ainsi que les activités et services de médecine préventive ». À la suite de la 6 e réforme de l’État, ces compétences ont été élargies par le transfert du fédéral vers les entités fédérées. Ce transfert ne concernait pas les compétences qui relevaient de l’assurance obligatoire maladie-invalidité et de la définition des mesures prophylactiques nationales dont l’État fédéral demeure responsable (art. 5 LSRI, § 1, 8°).

Le niveau fédéral

Les mesures prophylactiques nationales couvrent plusieurs sphères :
– la santé publique qui recouvre la gestion des équipements médicaux, la gestion de crise, notamment « au cas où une pandémie aigüe nécessiterait des mesures urgentes », le soutien au service administratif s’occupant de la reconnaissance des accidents de travail et des maladies professionnelles, la politique scientifique ;
– la prévention dans la sphère du travail, la gestion des risques liés aux accidents graves, et des actions en prévention des accidents graves.
La gestion de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités inclut le remboursement des prestations de santé en médecine préventive, certains actes techniques et notamment les frais de laboratoire, ainsi que le remboursement de certains médicaments. L’assurance obligatoire soutient également des actions nationales en promotion de la santé qui accompagnent ces actes de prévention.

Entités fédérées

Suite à la 6 e réforme de l’État, chaque entité fédérée s’est chargée de déployer sa propre politique de prévention et de promotion de la santé. En Flandre, à la différence des autres régions, le pouvoir régional et le pouvoir communautaire sont gérés par une seule administration et, dès lors, la politique de la prévention et de promotion de la santé est pilotée par l’Agence Soin et Santé (Agentschap Zorg & Gezondheid). En Wallonie, c’est la nouvelle Agence pour une Vie de Qualité (AVIQ) qui est devenue compétente pour traiter la matière de promotion de la santé. Sur le territoire de la Région Bruxelles-Capitale, les compétences en matière de prévention et promotion de la santé sont partagées entre trois institutions en fonction de la communauté à laquelle elles s’adressent : la Commission communautaire francophone (Cocof), la Commission communautaire flamande (VGC), et la Commission communautaire commune (Cocom) qui s’occupe des domaines considérés communs à toute la population bruxelloise. Pour les francophones, un transfert des compétences complémentaires a eu lieu de la Fédération Wallonie-Bruxelles à la Région Bruxelles-Capitale et la Région wallonne 9. Ce transfert n’a toutefois pas été complet, car il ne concernait pas les domaines comme l’enfance et l’enseignement, au sein desquels on retrouve également des compétences en prévention 10.

Éclatement et articulations

Nous venons de voir que la prévention et promotion de la santé sont des matières particulièrement éclatées. Cet éclatement reflète, premièrement, le découpage de la compétence santé pour laquelle la Belgique compte aujourd’hui neuf ministres 11. Deuxièmement, d’autres ministères (sur les trois niveaux de pouvoir) disposent d’éléments de compétences en prévention et promotion de la santé.
La structure institutionnelle se complexifie par la différence des approches qui semblent être privilégiées aux différents niveaux de pouvoir. Nous pouvons en effet observer que ce sont avant tout les acteurs de terrain soutenus au niveau régional ou communautaire qui travaillent sur base de l’idée de la santé entendue dans le sens large : les actions qu’ils mettent en place ne se limitent pas à des approches thématiques, mais se déploient de façon transversale afin de prendre en compte les différents facteurs sociaux, économiques et environnementaux et se font au plus près du public concerné et avec sa participation. En revanche, au niveau fédéral, la santé semble être souvent réduite à l’absence de maladie avec l’attention dès lors accrue à la prévention médicale.

Le financement est-il suffisant ?

L’éclatement des compétences a un impact direct non seulement sur la politique, mais aussi sur le financement de la prévention et de la promotion de la santé. Vu l’implication des différents niveaux de pouvoir, les types de financement sont multiples et variables notamment entre les entités fédérées.
Selon les estimations du SPF Sécurité Sociale, pour 2018, la part des dépenses consacrées à la prévention dans les dépenses totales de santé en Belgique s’élève à 1,7 % (voir Figure 1) 12. Cette dernière proportion contraste fort avec les pourcentages de dépenses consacrées à d’autres fonctions. De plus, ce niveau de dépenses est en dessous de la moyenne européenne égale 3,1 % 13.
Le calcul du SPF Sécurité Sociale prend bien en compte la panoplie de financements de la prévention et de la promotion de la santé aux différents niveaux de pouvoir. Toutefois, certains éléments de l’assurance obligatoire maladie-invalidité ne s’y retrouvent pas : une série de médicaments (certains vaccins, différents types de contraception, traitement anti-VIH en prévention du SIDA et sevrage tabagique), d’actes de biologie clinique (examens du gros intestin et de la prostate, frottis du col d’utérus, examens de sang dans le cadre des soins prénataux, dépistage du VIH et du glaucome, examen diagnostique d’ostéoporose) et d’imagerie médicale (mammographie gratuite et mammographie « opportuniste ») 14. L’estimation de la somme totale de ces dépenses, que nous avons faite sur la base des données de la Mutualité chrétienne, s’élève à 225.300.000 euros (remboursements + parts personnelles). Cela constitue environ 0,48 % des dépenses totales pour les soins de santé pour l’année 2018. Même en rajoutant ce pourcentage au 1,7 %, les dépenses pour la prévention en 2018 dépassent à peine les 2 % et donc restent mineures dans les politiques budgétaires de santé au niveau fédéral.
On en vient dès lors à se demander si la prévention et la promotion de la santé sont ou non sous-financées. Pour y répondre, une possibilité consiste à évaluer la performance du système, c’est-à-dire d’examiner dans quelle mesure le système permet d’atteindre ses objectifs. Or, il est compliqué d’évaluer des actions en prévention et promotion de la santé. Leur impact sur la santé de la population ne se manifeste souvent qu’à long terme, n’est pas facilement quantifiable et n’est pas toujours concevable suivant une logique de cause à effet. Autrement dit, puisque les actions basées sur la vision large de la santé s’attaquent en même temps à de multiples facteurs, il peut être difficile d’établir quel facteur est responsable de quel effet.
Pour cette raison, le KCE 15, dans son rapport d’évaluation de la performance du système des soins se concentre davantage sur la prévention médicale : le taux de vaccination, de dépistage de cancers et la santé bucco-dentaire et, d’autre part, le taux de la mortalité évitable grâce aux politiques de santé 16. Ses conclusions ne sont pas toujours positives : pour plusieurs indicateurs, la Belgique n’atteint pas les objectifs établis par l’OMS et des différences importantes peuvent être observées entre les régions, ainsi que l’existence des inégalités socio-économiques qui influencent fortement le recours aux soins préventifs.

Il est nécessaire de construire les politiques de telle façon qu’à tous les niveaux et dans tous les domaines politiques, la santé fasse partie des critères décisionnels.


Dès lors, si l’on supposait que la performance du système reflète la suffisance ou, au contraire, l’insuffisance de son financement, dans ce cas on pourrait dire que le système de prévention et promotion de la santé en Belgique n’est pas suffisamment soutenu.
Mais il ne faudrait tout de même pas considérer le soutien qu’on pourrait apporter à la prévention et promotion de la santé uniquement sous l’angle financier. Pour espérer agir sur des facteurs environnementaux et socio-économiques, il faut aussi une volonté politique consciente de la complexité du problème. Il est nécessaire de construire les politiques de telle façon qu’à tous les niveaux, et surtout dans tous les domaines politiques, la santé fasse partie des critères décisionnels. Ce principe appelé « la santé dans toutes les politiques » (Health in All Policies 17) est toutefois encore loin d’être intégré dans les institutions belges.
Et puis, suivre la logique du coût-efficacité appliquée à la santé impliquerait que l’on investisse dans la prévention pour en bénéficier en termes de réduction des dépenses pour les traitements, les hospitalisations, les médicaments, etc. Or nous sommes là face à la même difficulté : puisque la santé est déterminée par de multiples facteurs, il est difficile de calculer l’efficacité particulière de chacun d’entre eux et par ricochet de prédire l’ampleur de l’investissement nécessaire pour chaque facteur afin d’obtenir le gain recherché.
Se rapporter au domaine de la prévention comme à celui d’un investissement potentiel risque également d’aboutir à percevoir la santé uniquement comme un « capital ». Le problème est que cette idée tend toujours à terme à attribuer à chaque personne la responsabilité ultime de l’accumulation (ou de la préservation) de ce capital et oublier que le comportement individuel n’est qu’une dimension parmi d’autres de la santé 18.
Enfin, percevoir les personnes comme gestionnaires d’un capital santé implique de considérer les personnes comme des variables sur un marché et donc des sujets rationnels et indépendants des autres 19. Or de nombreuses personnes ont besoin des autres pour prendre soin d’elles (personnes dépendantes, handicapées, âgées, malades chroniques, personnes souffrantes de maladies mentales, enfants, cette liste est longue). Céder à la logique de capital santé signifie donc tourner le dos à ces personnes, pourtant loin de constituer une exception.

Conclusion

L’importance des actions en prévention et promotion de la santé ne fait plus l’objet de débats scientifiques. De nombreuses études ont démontré leur impact positif et durable sur la santé des personnes. Face aux défis qui s’imposent à la Belgique dès aujourd’hui, comme le vieillissement de la population, l’accroissement des inégalités sociales de santé, la crise climatique, le nombre croissant de personnes en incapacité de travail, etc., la prévention et la promotion de la santé, en tant qu’elles offrent une vision large sur la santé des personnes et visent à aborder des problèmes de santé de façon transversale, apparaissent indispensables et doivent être mises au cœur de nos actions.
La place que la prévention et promotion de la santé occupent dans la politique belge focalisée presque exclusivement sur les domaines curatifs dévoile par ailleurs le manque de vision partagée sur la santé entre les différents niveaux de pouvoir.

Tout cela n’est pas sans conséquence sur le développement d’une politique de santé publique cohérente dans l’ensemble du pays. Par cohérence nous n’entendons pas ici l’uniformité des actions mises en place, car celles-ci doivent pouvoir répondre à la diversité des besoins réels. Par cohérence nous entendons une stratégie commune d’action qui viserait le bien-être et la réduction des inégalités et dont le principe moteur ne devrait pas reposer exclusivement sur le rapport coût-efficacité comme cela domine aujourd’hui dans le discours politique. C’est, en revanche, une idée de la santé – qui ne la réduit pas à l’absence de la maladie – et des indicateurs en lien avec l’équité du système de santé et le bien-être de la population qui devraient servir de lignes directrices pour une telle politique de la santé publique. 

Svetlana SHOLOKHOVA, Service d’études de la Mutualité chrétienne

1. Cet article est une version courte d’une étude qui a été publiée dans le numéro 283 du MC-Informations .
2. La prévention constitue un des points centraux dans le nouvel accord de gouvernement passé en automne dernier, tant dans le cadre du plan sanitaire pour la gestion de la crise que dans la vision des soins de santé en général.
3. Voir par exemple J.P. Durant, « Le Covid-19, révélateur de la tragédie du flux tendu, » La Libération, 2 avril 2020 et de N. Decker, N. « Quand Maggie De Block faisait détruire six millions de masques contre le coronavirus... sans les remplacer », Le Vif, 2020.
4. A. Cornwall, « Unpacking " Participation " : models, meanings and practices », Community Development Journal, 2008, 43(3), 269-283.
5. A. Grimaldi, « Les différents habits de l’" expert profane " », Les Tribunes de la santé, 2010, 27(2), 91-100.
6. M. Jamoulle, « Information et informatisation en médecine générale, Les informa-G-iciens. Les professionnels de l’informatique dans leurs rapports avec les utilisateurs », Actes des III°Journées de Réflexion sur l’Informatique, 1986.
7. Tandis qu’« il est préférable que tout individu aille au moins une fois par an chez le dentiste pour des soins préventifs...près de 22 % des BIM sont allés chez le dentiste en 2017 contre 40 % pour les non-BIM » (Vandeleene et Lambert, 2019). G. Vandeleene, et L. Lambert, « Les soins dentaires : les incitants financiers en question », MC-Informations, 276, 4-17, 2019.
8. Par exemple, la consommation d’antibiotiques en Belgique reste plus élevée que la moyenne européenne (2,5 fois plus grande que dans les pays voisins du Nord). Voir à ce sujet le rapport 313B du Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé - KCE.                                                                                                9. Notons qu’à la différence de la Communauté française, la Communauté germanophone n’a pas partiellement transféré ses compétences en matière de prévention et promotion de la santé à la Région wallonne.

10. Par exemple via l’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE), la Fédération Wallonie-Bruxelles exerce ses compétences auprès des enfants et leurs parents (vaccinations, dépistage de la surdité chez les nouveau-nés, santé bucco-dentaire, etc.).
11. A. Clevers, « Voici les neufs ministres de la santé en Belgique », La Libre Belgique, 04 mars 2020.
12. Les données du SPF Sécurité Sociale disponibles sur https://socialsecurity.belgium.be/fr/news/depenses-de-sante-14-05-2020 ; pour l’année 2019, ce chiffre atteint 2 %, or il ne s’agit pas d’augmentation d’investissement, mais du résultat d’un calcul plus précis.
13. OECD/European Observatory on Health Systems and Policies (2019) Belgique : Profils de santé par pays 2019, State of Health in the EU. Bruxelles : OECD Publishing, Paris/European Observatory on Health Systems and Policies, p. 10.
14. Pour les détails du calcul voir l’article publié dans MC-Informations 283.
15. Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé.
16. Rapport 313B du Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé – KCE.
17. Organisation Mondiale de la Santé (2014) Ce qu’il faut savoir au sujet de la santé dans toutes les politiques. Disponible sur https://www.who.int/social_determinants/publications/health-policies-manual/key-messages-fr.pdf?ua=1

18. M. Bellahsen, La santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle, Paris, La fabrique, 2014.

©daniel-reche
19. É. Hache, « La responsabilité, une technique de gouvernementalité néolibérale ? », Raisons politiques, 2007, 28(4), 49-65.

Crédit photo : Daniel Reche

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