philippin expat 1 1Peur d’être infecté·e ou d’infecter ses proches, peur de perdre son emploi – souvent précaire et informel – ou son accès à la protection sociale...voici quelques-unes des craintes ressenties par d’innombrables jeunes par le monde. Un récent rapport de la JOC Internationale (JOCI) 1 les recensent et met en lumière à quel point la question de leur avenir est centrale, peu importe que l’on soit un·e jeune seul·e, isolé·e, en famille, en cohabitation, enfermé·e, dans des conflits, ou dans des espaces de vie limités.

 

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À l’image de beaucoup de personnes aujourd’hui à travers le monde, les jeunes travailleur·ses ont peur. Il y a celles·ceux qui sont malades, qui ont été infecté·es par leur entourage ou qui ont perdu un proche. D’autres craignent d’attraper le virus et de contaminer celles·ceux qu’il·elles aiment. Les jeunes sont remplis d’incertitude quant à leur avenir et leur emploi. Bon nombre d’entre eux·elles ont un sentiment de solitude et d’isolement. Être enfermé·e avec sa famille et ses parents peut exacerber les conflits, surtout si l’espace de vie est restreint ou que les gens s’inquiètent à propos de leurs moyens d’existence, notamment de la perte de leur emploi. La pandémie n’a toutefois pas uniquement des conséquences sur la santé. Elle affecte l’économie mondiale et le vivre-ensemble. Elle renforce et met en lumière les inégalités déjà existantes. Certains effets concrets vécus par les jeunes sont décrits ci-après.

Perte de sources de revenus

Le premier constat porte sur la perte des sources de revenus, une réalité partagée par de très nombreux jeunes travailleur·ses depuis le début de la pandémie.
Différents scénarios et cas ressortent de cette réalité :

  •  les freelancers ou travailleur·ses indépendant·es d’abord qui ont perdu leurs projets et donc leurs revenus à cause de la crise ;
  • les jeunes travailleur·ses ensuite qui travaillaient pour un employeur ou une entreprise et qui ont perdu leur emploi ;
  •  les travailleur·ses du secteur informel également qui ont perdu leur emploi et leurs revenus à cause des perturbations dans les chaînes de valeur mondiales, dans le secteur textile notamment. Souvent vulnérables, ils ne bénéficient de surcroît d’aucune protection sociale ;
  • d’autres, vendeur·ses de rue ou éboueur·ses, ont dû choisir entre sortir de chez eux·elles pour aller travailler en risquant d’être infectés·e ou de se retrouver sans revenus, sans protection sociale et généralement sans économies ;
  • enfin, les travailleur·ses précaires qui constituent un autre groupe vulnérable. Dans bien des cas, les travailleur·ses permanent·es et les travailleur·ses précaires, bien qu’il·elles effectuent les mêmes tâches sur un même lieu de travail, ne sont pas égaux en droits. Mais dans tous les cas, en temps de crise économique, il est aisé de ne pas prolonger un contrat à durée déterminée.

« J’avais un contrat temporaire. Quand la quarantaine a été décrétée, l’entreprise a suspendu le travail et le contrat a pris fin une fois la quarantaine terminée. Cinquante jeunes se sont retrouvés sans travail... » (Pérou)

« C’est très difficile pour moi, car je ne dispose pas d’autres sources de revenus en dehors de mon travail en usine. Je ne peux pas répondre à mes besoins quotidiens ni à ceux de ma famille. C’est dur, car cela fait deux mois que nous sommes en confinement renforcé et nous ne recevons aucune aide du gouvernement. » (Philippines) 

En règle générale, « le taux de chômage est en hausse partout dans le monde » (...) et « les jeunes sont parmi les premières victimes. Avant la pandémie, le taux de chômage chez les jeunes était déjà plus élevé que parmi la population en général. Cela se reflète dans la situation actuelle.

« La jeune génération en quête d’emploi est désarmée face à la crise. »
(Japon)

Pour les jeunes travailleur·ses à la recherche d’un premier emploi, mais incapables d’en trouver un en pleine crise économique, il faut s’attendre à des effets sur le long terme. Le même nombre de personnes se disputera une quantité plus limitée d’emplois, notamment aux Philippines. Outre les pertes d’emploi, certaines entreprises accusent des retards dans le paiement des salaires de leurs travailleur·ses, ces dernier·ères craignant de perdre totalement leurs revenus. D’autres travailleur·ses permanent·es n’ont perçu que 50 % de leur salaire alors que les contractuel·les n’ont pas été payé·es du tout, en Inde par exemple. Plusieurs employeurs ont demandé aux travailleur·ses de prendre des congés non payés, ce qui veut dire qu’il·elles ont été renvoyé·es chez eux·elles sans salaire et sans revenu. D’autres ont été prié·es de prendre leurs vacances annuelles pendant cette période. Dans d’autres cas, les travailleur·ses sont renvoyé·es chez eux·elles sans salaire et il·elles attendent qu’on les informe ou qu’on les appelle. Dans certains pays, la réaction face à la pandémie a été de réduire les droits des travailleur·ses et de faciliter les licenciements.

« Au travail, tout est incertain et je suis très préoccupé par les méthodes de travail qui existent et par de possibles nouvelles violations des droits des travailleur·ses. » (Pérou)

«  Au Brésil, au beau milieu de la pandémie, la Chambre des députés a approuvé la mesure provisoire N° 905 qui, entre autres, réduit les cotisations sociales des employeurs ainsi que l’amende que ces derniers doivent verser dans un fonds de garantie (le FGTS) en cas de licenciements ; elle supprime le versement d’un 13 e mois et un tiers des congés payés ; elle considère que les accidents de la route entre le lieu de travail et le domicile sont des accidents de travail uniquement s’ils se produisent dans un moyen de transport de l’employeur ; et elle fait primer les conventions collectives sur la jurisprudence et les avis généraux du Tribunal supérieur du travail. Alors que nous perdons des heures de travail, des revenus ou notre emploi, le coût de la vie ne cesse d’augmenter dans de nombreux pays. » (Brésil)

Impacts de la numérisation sur le monde du travail

Une chose est sûre, la numérisation s’accélère, surtout pour les jeunes travailleur·ses : avec la crise actuelle, compte tenu du fait que nous devons tous éviter les contacts physiques, la tendance à recourir aux filières numériques s’accentue encore. Absolument tout a quelque chose de numérique, y compris l’art. Pour participer à cette société numérique mondiale, il est clair que l’internet et l’électricité sont nécessaires. Mais cela n’est pas garanti partout. Il existe un fossé entre les pays et entre zones rurales et urbaines à l’intérieur d’un même pays.

« Dans notre pays, pour la grande majorité des jeunes travailleur·ses, il n’est pas possible de rester à la maison pour travailler ou télétravailler, car il n’y a presque pas d’électricité, l’internet est très cher et parfois très lent. » (Haïti)

L’inégalité d’accès à internet devient donc plus importante, ce qui accroît une inégalité déjà existante. Cette inégalité existe entre les pays, mais aussi entre les villes et les campagnes au sein d’un même pays. En général, les mauvaises connexions internet posent un sérieux défi. En même temps, la numérisation du monde du travail a des incidences pour toutes les personnes concernées. Le télétravail a sans nul doute connu une énorme expansion. Il se pratique là où c’est possible et inclut toutes les conférences/réunions en ligne. Il aura un impact sur la « période post-corona ». D’un côté, passer plus de temps à la maison peut être agréable. Dans certains cas, les travailleur·ses devaient effectuer de longs trajets jusqu’à leur lieu de travail et pour eux·elles, le télétravail leur permet d’économiser du temps dans les transports. D’un autre côté, il pose aussi des difficultés :

  •  avec le télétravail, les heures de travail ont augmenté. Les frontières entre le travail et la vie privée s’estompent et les travailleur·ses doivent être joignables à tout moment ;
  • dans une multitude de secteurs partout dans le monde, les travailleur·ses utilisent leur propre matériel pour réaliser leurs tâches ;
  •  il peut s’avérer très difficile d’organiser son lieu de travail personnel à la maison s’il n’y a pas de bureau ou de pièce pour travailler ;
  • pour les parents dont les enfants restent à la maison en raison de la fermeture des écoles, il est difficile à la fois de télétravailler et de s’occuper des enfants. Pourtant, beaucoup de travailleur·ses ont le sentiment que l’on attend d’eux·elles qu’il·elles couvrent la même charge de travail en dépit de ces nouvelles conditions de travail à domicile.

Il y a aussi des cas d’espionnage en ligne des activités des travailleur·ses afin de contrôler leur travail, car il n’est plus possible de voir si le·la travailleur·se est assis·e à son bureau. Cela témoigne d’une intrusion dans la vie privée des travailleur·ses.

« Le télétravail est difficile, car nous ne sommes pas équipés pour ça à la maison ! (...) En fait, on ne peut pas travailler convenablement chez soi : il n’y a pas de bureau, presque pas de place sur la table de la salle à manger qui n’est pas faite pour travailler. (...) J’ai pu amener du bureau mon écran, mon clavier et ma souris, mais seulement parce que j’avais une voiture. (...) J’utilise mon téléphone privé et ma connexion internet. (...) Il y a beaucoup plus de communications sur les réseaux privés. Par exemple, j’ai congé aujourd’hui, mais ce matin, j’ai reçu un message WhatsApp de mon patron. » (Allemagne)

« Je fais actuellement du télétravail, mais l’entreprise ne fournit pas d’ordinateur. Donc, j’ai dû payer plus de 100.000 yens pour m’en acheter un moi-même. » (Japon)

Indépendamment du télétravail, le fait de travailler et de vivre en ligne va souvent de pair avec l’utilisation de services qui nous forcent à divulguer des données personnelles à des multinationales qui gagnent de l’argent grâce à cela sans que nous en ayons conscience. Au cours de cette pandémie, les jeunes travailleur·ses ont également utilisé davantage les réseaux sociaux. Ce sont des outils de communication faciles tout en étant aussi des plateformes de fake news.
L’éducation s’est également numérisée. Pendant la pandémie, l’enseignement a complètement changé, se transformant dans bien des cas en « enseignement en ligne ».

L’absence encore plus criante de protection sociale

Pendant cette crise sanitaire mondiale, les gouvernements de la plupart des pays ont essayé de prendre des mesures visant à aider les personnes qui ont perdu leur emploi, leurs heures de travail ou leurs revenus. Dans différents pays, la population bénéficie d’un soutien ou de compensations financières notamment. Dans d’autres cas, le soutien consiste en la fourniture de produits de base, par exemple aux Philippines et au Ghana.

« Nous avons reçu de l’aide de notre communauté, mais ce ne sont que trois kilos de riz par semaine. Ma situation est trop difficile, car " pas de travail, pas de salaire ". Nous sommes impuissants, nous ne savons pas comment répondre aux besoins de notre famille, car l’assistance des autorités locales ne suffit pas. » (Philippines)

Le soutien existant dans la plupart des pays est loin d’être suffisant. Certains gouvernements ont accusé des retards et n’ont pas pu payer l’aide sociale. Dans d’autres cas, celle-ci ne suffit tout simplement pas pour couvrir les besoins, notamment l’alimentation et le loyer. Dans de nombreux cas, la protection sociale pour les travailleur·ses informel·les et précaires est insuffisante ou inexistante. Dans les économies principalement informelles comme Haïti, seuls 2 % des travailleur·ses sont protégé·es. Une telle crise les touche de plein fouet. Dans une multitude de pays, l’aide sociale n’est pas parvenue à la masse des personnes impactées. Par exemple, en raison de systèmes défaillants, les compensations ne sont arrivées qu’à une infime fraction de familles.

Par ailleurs, la situation actuelle a révélé les grandes faiblesses des systèmes de santé publique partout sur la planète : pénurie de lits d’hôpitaux, de médicaments, de personnel, et accès limité aux tests, aux traitements et aux médicaments. En résumé, nous constatons que des mesures sont prises par des gouvernements dans le monde entier. Malheureusement, les systèmes en place sont loin de protéger la population. Les gens ont peur, ils ont un sentiment d’impuissance. La situation met ainsi clairement en lumière les faiblesses des mécanismes de protection sociale existants.
Nous avons besoin d’une protection sociale juste et efficace afin d’éviter un effondrement du monde du travail tel que nous le voyons aujourd’hui. 

JOC Internationale

1. L’intégralité du rapport de la JOC Internationale sur L’impact du Covid-19 sur les jeunes travailleur·ses dans le monde est publié sur leur site internet. Il comprend plusieurs autres chapitres que ceux sélectionnés par le secrétariat de la JOCI (Sarah Prenger) et Démocratie (via Thomas Miessen) : les inégalités et injustices entre les genres, la situation particulièrement difficile des migrants, la santé mise en péril et les réactions dans la société. Dans une seconde partie, le rapport développe ce que les jeunes de la JOCI pensent de cette réalité en se basant sur leurs valeurs. Et enfin, ce qu’il faudrait faire. Pour lire l’intégralité du rapport : https://joci.org/images/LIMPACT_DU_COVID-19_FR.pdf

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