LGBT WebEn Belgique, la communauté LGBTQI+ a connu plusieurs victoires et avancées dans l’acquisition de droits. Malgré cela, certains obstacles persistent et une vigilance accrue reste de mise pour éviter un retour en arrière. Certaines lettres du sigle peinent particulièrement à faire entendre leurs revendications. C’est le cas notamment des personnes transgenres et intersexes qui font face, encore aujourd’hui, à de grands défi s.

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Aïda Yancy est une activiste et chargée de projets, spécialiste des questions LGBTQI+ et de l’intersectionnalité

Quand le mouvement LGBTQI+ a-t-il émergé ?

Avant de parler de l’histoire du mouvement LGBTQI+1, il faut d’abord préciser que les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes ont existé de tout temps et partout, comme en témoigne la carte « Sexual orientation and gender identity throughout history » 2 qui répertorie les expressions historiques et culturelles des différentes identités sexuelles et de genre. Par exemple, certaines tribus amérindiennes considéraient le genre sous un spectre allant de l’homme à la femme, en comprenant également les personnes transgenres et intersexes, qui étaient estimées comme ayant une signification spirituelle particulière. En Inde, les relations homosexuelles ont été acceptées jusqu’à l’arrivée des colons britanniques. Chez les Igbo du Nigeria, une femme mariée qui dispose d’une fortune personnelle peut choisir de se séparer de son mari et d’épouser une ou plusieurs femmes. Tous ces exemples nous prouvent bien qu’il s’agit d’une réalité multiforme et que la vision occidentale consistant à considérer qu’il existe une identité de genre en fonction du sexe et une identité de sexe masculin ou féminin (binaire) n’est pas universelle. On peut même constater que la plupart des lois homophobes qu’il y a dans le monde et notamment dans le Sud, sont des lois qui ont été importées des pays colonisateurs, sous la pression de la religion.

Concernant le mouvement LBGTQI+ proprement dit, ce sont les émeutes de Stonewall qui marquent l’éclosion du militantisme aux États-Unis et partout dans le monde. En 1969, à New York, des troubles éclatent pour protester contre un raid de la police qui a eu lieu au Stonewall Inn, un bar dans lequel se retrouvaient beaucoup de personnes transgenres, travesties, gay et lesbiennes. L’une des premières personnes à avoir riposté contre la police lors de ces émeutes est Marsha P. Johnson, une femme noire transgenre, drag queen et travailleuse du sexe. À la base de ce mouvement se trouvent beaucoup de personnes transgenres et racisées. Pourtant, ce ne sont pas elles que l’histoire a retenues, comme le montre le film « Stonewall » (2015) où la quasi-totalité des protagonistes sont des hommes gays blancs.

Et en Belgique, quand apparaissent les premiers mouvements LGBTQI+ ?

En Belgique, il y a des mouvements dès le début du XXe siècle. En 1953, Suzan Daniel, activiste lesbienne belge va créer le Centre culturel de Belgique (CCB), premier groupe homosexuel du pays, dédié aux activités culturelles et aux rencontres à destination des personnes homosexuelles. Mais victime de sexisme au sein du Centre, elle décide de le quitter un an après sa création. En 1976, le Groupe de Libération homosexuelle fait son apparition et défend l’idée que les personnes homosexuelles font partie intégrante de la société.

Au début des années 1980, les principales revendications des personnes homosexuelles étaient d’une part, la critique du fichage policier des homosexuel·les 3. Et, d’autre part, la remise en cause de l’article 372 bis, qui fixait la majorité sexuelle hétérosexuelle à 16 ans et homosexuelle à 18 ans. Cet article 372bis disparait en 1985 suite à une longue campagne de mobilisation.
Une autre victoire arrive en 2003 : la Belgique devient le second pays au monde à légaliser le mariage pour les couples de même sexe. Quelques années plus tard, en 2006, c’est le droit à l’adoption pour les personnes de même sexe qui est légalisé (coparentalité, PMA, GPA, adoption conjointe). La même année est également votée une loi anti-discrimination, à la suite d’une campagne du mouvement homosexuel belge et sous l’impulsion d’une directive européenne imposant aux États membres de l’Union de se doter de ce genre de dispositif.

En 2018, c’est au tour de la loi transgenre d’être promulguée. Avant cette loi, les personnes transgenres qui voulaient changer de genre sur leur carte d’identité devaient, au préalable, subir une chirurgie de réassignation sexuelle et attester d’un suivi psychologique. Si dorénavant ces prérequis médicaux ne sont plus obligatoires, cette loi est cependant loin d’être parfaite : elle reste imprégnée d’une vision binaire (M/F) de l’identité de genre. Les associations Genres Pluriels, Çavaria et la RainbowHouse ont déposé un recours devant la Cour suprême pour améliorer la loi et que soit mise en lumière la discrimination à l’égard des personnes non-binaires 4.

Y-a-t-il une évolution dans les revendications ?

Il faut savoir que dans l’arc-en-ciel de la communauté LGBTQI+, tout le monde n’est pas au même niveau des combats et des avancées. On ne constate pas vraiment d’évolution dans les revendications mais plutôt un changement de focus. Jusqu’ici on a donné le micro à la deuxième lettre du sigle, la lettre « G » (pour « gay »). Dernièrement, on a commencé à donner de la voix aux autres lettres du sigle, comme le « I » (pour « personnes intersexes »). En février, une motion a été votée à l’unanimité au Parlement fédéral pour demander la mise en place d’un cadre législatif pour protéger l’intégrité physique des mineur·es intersexes en garantissant que leurs caractéristiques sexuelles ne soient pas modifiées sans leur consentement éclairé. En Belgique, il est tout à fait légal pour un médecin d’opérer un enfant qui ne correspond pas à une des deux caractéristiques sexuelles (M / F) afin de le faire rentrer dans une de ces deux cases 5. L’intersexuation reste un sujet fort tabou et on n’en parle encore très peu.

L’accès aux soins de santé des personnes transgenres est un autre tabou qui subsiste...

Au niveau médical, il y a un manque cruel de formation des professionnel·les de la santé sur le statut des personnes transgenres. Quand une personne a besoin de soins de santé, c’est un moment intime, potentiellement infusé de détresse. Ce n’est pas le moment de commencer à faire de l’éducation pour être soigné correctement. C’est pourtant une réalité que vivent régulièrement les personnes transgenres. Cette situation est inacceptable. Il y a aussi le problème de la binarité de la classification du remboursement des soins de santé : la mutuelle classe les patient·es en fonction de la catégorie « M/F ». Par exemple, les soins gynécologiques sont remboursés aux personnes de la catégorie « F ». Que se passe-t-il en cas de demande d’IVG ou de frottis vaginal pour un homme transgenre ? Ou pour une personne intersexe qui découvre qu’elle a une prostate parce qu’elle développe un cancer de cet organe ? Nous ne sommes pas des machines comprenant deux modèles mais des créations organiques avec des variations multiples.

Chez nous, comment expliquer la récurrence des discriminations et des agressions ?

Aller porter plainte pour une personne LGBTQI+, reste quelque chose d’extrêmement compliqué. Pour cette raison, les chiffres rapportés sont dramatiquement en dessous du nombre d’agressions réelles. C’est aussi parce qu’il faut que la plainte soit bien classée par la police pour qu’elle apparaisse ensuite dans les statistiques des agressions à caractère homophobe. Or, la plupart des policier·ères ne sont pas formé·es à recevoir une plainte d’une personne LGBTQI+. La RainbowHouse tient des permanences deux fois par semaine pour établir des fiches de signalement en cas d’agression ou de violence à l’égard des personnes LGBTQI+.
Dans tous les cas, les agressions de la communauté LGBTQI+ restent hélas récurrentes et ont même parfois lieu à l’intérieur de la communauté : être gay n’empêche pas d’être sexiste ; être lesbienne n’empêche pas d’être transphobe ; être n’importe quelle lettre du sigle n’empêche pas d’être raciste, etc.

Quels sont les défis pour l’avenir ?

Tout d’abord, il faut passer au-delà de la binarité pour les personnes transgenres et intersexes. C’est-à-dire s’extraire du schéma binaire «M/F». Ensuite, la société doit évoluer pour mieux intégrer les lois. Je pense au mariage pour les personnes de même sexe ou au statut de coparent. Ce sont de très belles avancées législatives. Mais si, dans les faits, deux mamans reçoivent des papiers de l’école où il est écrit « numéro papa / numéro maman », c’est qu’il y a encore du chemin à faire. Et puis, une attention accrue est de mise pour maintenir les avancées tout en continuant à essayer d’élargir les droits. Enfin, il faut mobiliser l’ensemble de l’arc-en-ciel pour les plus minorisé·es. 

1. LGBTQI+ : Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Transgenres, Queer, Intersexes, + (le « + » fait référence à toutes les identités, les orientations et les expressions non représentées dans le sigle). Définitions complètes dans le glossaire de la RainbowHouse : http://rainbowhouse.be/wp-content/uploads/2017/07/glossairefr_modifs2.pdf
2. https://www.unfe.org/sexual-orientation-gender-identity-nothing-new/
3. L’entrée dans un bar gay nécessitait de donner sa carte d’identité.
4. C’est-à-dire les personnes qui ne se définissent ni homme ni femme, qui ne se retrouvent donc dans aucune de ces deux cases.
5. Il faut préciser qu’il n’y a pas forcément de consentement éclairé de la part de l’enfant mais parfois même pas de la part des parents.

Propos recueillis par Élodie Jiménez Alba

Crédit photo : Sharon McCutcheon - Pexels