vignette interviewAlors que 18 % des natif·ves hautement éduqué·es sont surqualifié·es pour le poste qu’il·elles occupent, le taux grimpe à 38 % pour les immigré·es non-UE 1. Le manque de reconnaissance des diplômes étrangers rend difficile la recherche d’un emploi mais a bien d’autres conséquences humaines et sociétales. La crise actuelle peut-elle être une opportunité pour faciliter la procédure d’équivalence de diplôme des professionnel·les de la santé ? Un webinaire a été organisé par le réseau Risome2, le MOC et la CSC pour faire le point sur les obstacles vécus mais aussi pour définir les priorités à venir.

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Avant propos: le contenu de cette interview s’appuie largement sur ceux qui ont été présentés lors du Webinaire du 25 janvier 2021 par le Ciré.

Risome, le MOC, la CSC et leurs membres témoignent dans une vidéo de la difficulté pour les professionnel·les de la santé de faire reconnaître leur diplôme et appellent à un assouplissement des procédures d’équivalence.  

Pourquoi l’équivalence de diplôme est-elle importante ?

La reconnaissance du diplôme augmente considérablement les chances de trouver un emploi et un emploi qui soit à son juste niveau de qualification et de rémunération. De nombreuses personnes sont condamnées à travailler dans des postes qui ne correspondent ni à leur niveau de qualification ni au métier qu’elles ont choisi d’exercer. Cette reconnaissance permet également la reprise d’études et l’accès à certaines formations professionnelles. Enfin, la reconnaissance du diplôme joue un rôle sur la confiance en soi et sur le regard que l’on porte sur la société d’accueil. Il y a aussi des enjeux sociétaux à la reconnaissance de l’équivalence de diplôme tels que la mise à l’emploi, la lutte contre le chômage, etc. Donner aux étranger·ères formé·es la possibilité d’exercer leur métier permet de mettre à profit un capital de compétences qui peut être utile pour la société. Enfin, il y a un enjeu de participation et d’intégration des personnes migrantes à notre société.

Les conditions d’accès à l’équivalence constituent-elles un frein à son obtention ?

Bien sûr. La procédure pour une équivalence (surtout spécifique) requiert des documents officiels dont l’accès peut s’avérer problématique dans une série de cas : départ précipité de son pays d’origine, pertes de ses documents, etc. L’obtention des copies conformes est aussi problématique pour les personnes sans-papiers étant donné qu’elles ne peuvent introduire de demandes de validation auprès de la commune où elles résident. Par ailleurs, le coût de la procédure d’équivalence peut aussi constituer un frein. Les frais de procédure coûtent entre 150 et 200 euros en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et il n’y a pas de régime d’exception sauf pour les mineur·es et les réfugié·es qui ont fait des études supérieures. Aux coûts de la procédure, s’ajoutent les frais pour les copies conformes, les traductions jurées, les frais postaux...

Y a-t-il d’autres obstacles ?

Oui, il y en a plusieurs autres. Tout d’abord, les difficultés d’accès à une information de qualité. Il y a eu des améliorations depuis cinq ans en ce sens 3, mais ce n’est pas suffisant. Il est difficile pour les personnes d’obtenir et de comprendre l’information à la fois sur la procédure (jargon administratif) mais aussi quant aux décisions prises. Ce problème s’est accentué avec la crise sanitaire. La FWB est injoignable par téléphone et ne reçoit plus sur place. Les personnes doivent dès lors envoyer leur dossier par courrier, avec le risque de perdre les documents originaux et en devant assumer le coût de l’envoi.

Il y a aussi une tendance à sous-estimer les parcours formatifs réalisés à l’étranger (notamment ceux menés en Amérique latine). Certains dentistes, kinésithérapeutes et pharmaciens étrangers se voient relégués dans des métiers d’un niveau bachelier sans spécialisation.
Outre ces mésestimations, certains cas constituent de vraies discriminations. C’est le cas des personnes diplômées de l’enseignement secondaire de la RD Congo entre 1994 et 2014 : la FWB a décidé, sur base d’une étude qui n’a jamais été rendue publique, que ces diplômes ne valaient pas le CESS. Une telle étude a été faite spécifiquement sur les diplômes du Congo et pas d’ailleurs. C’est questionnant sachant que c’est le pays le plus représenté dans les demandes de séjour étudiant.
Enfin, le manque de transparence. Depuis quelque temps certains chiffres sont publiés sur l’obtention des équivalences mais ces chiffres sont largement insuffisants. D’une part, parce que seul le service équivalence du supérieur les publie et d’autre part parce que ces chiffres sont très partiels et ne parlent pas des décisions en jurisprudence, des motivations des décisions, etc. C’est donc difficile de les analyser et d’orienter sur base des informations obtenues. Cela constitue à la fois un problème pour les personnes qui déposent le dossier, mais aussi pour l’évaluation même des politiques publiques.

Tous ces obstacles ont des conséquences...

En effet. Il y a un déclassement à deux niveaux. L’un objectif, marqué par le non-accès à l’emploi, aux revenus, à la formation. L’autre subjectif lié à la frustration, à la colère, à la mésestime de soi et de la société d’accueil. Comme on l’a déjà mentionné, il y a aussi un gaspillage de ressources par la société belge 4 qui au lieu de valoriser les compétences des personnes étrangères préfère les mépriser.

Les femmes sont-elles davantage touchées ?

Un bon nombre de personnes rencontrées notamment par les travailleur·ses sociaux·ales des ILI 5 ont des qualifications qui correspondent à des métiers en pénurie en Belgique : secteur de la santé, du care, de l’enseignement. La plupart des témoignages recueillis dans le cadre des ILI concernent des femmes et principalement des femmes œuvrant dans le domaine des soins. Nous savons que les inégalités de genre sont très présentes sur le marché de l’emploi. Cela pourrait avoir une incidence également au niveau de l’équivalence, qui constitue une barrière de plus pour l’obtention d’un emploi. Nous savons aussi que les femmes vont plus facilement accepter un emploi inférieur à leurs compétences ou leur niveau d’étude. De plus, étant davantage représentées dans la santé, domaine pour lequel l’équivalence est particulièrement difficile à obtenir, elles sont plus impactées par la situation.

Et pour les métiers de la santé, la pandémie ouvre-t-elle à des assouplissements ?

Non et ce malgré le contexte de pénurie dans des secteurs pour lesquels de nombreux profils étrangers correspondent tant à Bruxelles qu’en Wallonie. Les métiers de la santé requièrent une équivalence spécifique qui est presque impossible à obtenir pour les personnes d’origine non européenne 6. Dans le meilleur des cas, une reprise d’étude est exigée mais concerne généralement la quasi-totalité du processus formatif. La FWB n’a ainsi délivré aucune équivalence de diplôme pour des médecins tandis qu’en Communauté flamande, le Naric 7 en a reconnu trois.

Quelles sont les priorités pour l’avenir ?

Il faudrait que la FWB agisse au niveau structurel : un assouplissement de la procédure s’impose en matière de documents à fournir ou de simplification administrative. La FWB doit également garantir la gratuité de la procédure, comme c’est déjà le cas en Communauté germanophone et en Flandre pour certaines catégories de la population 8. Enfin, elle doit assurer la transparence dans ses décisions et fournir des statistiques pour permettre une évaluation de la politique mise en oeuvre.
À l’heure actuelle, un assouplissement de la procédure pour les métiers essentiels, surtout de la santé est également nécessaire. Certains ministres font appel au bénévolat alors que de nombreux·ses migrant·es sur notre territoire peuvent rejoindre les hôpitaux et les maisons de repos en difficulté. Ces professionnel·les de la santé sont motivé·es à se rendre utiles dans le cadre de la crise  (voir vidéo ci-contre). L’Allemagne 9 a déjà assoupli ses procédures pour répondre efficacement à la crise du coronavirus, pourquoi pas la Belgique ? 

Encadré : L’équivalence de diplôme en FWB, comment cela fonctionne-t-il ?

L’équivalence est « une assimilation des diplômes et autres titres délivrés par un système éducatif d’un pays étranger aux diplômes et titres délivrés par le système éducatif belge » 1. La reconnaissance du diplôme par le ministère de l’ Éducation du pays, le nombre d’années des études, le contenu du programme, les procédures d’évaluation sont examinés en vue de l’obtention de l’équivalence.
La demande se fait auprès de l’administration de l’une des trois Communautés.
Au niveau secondaire, il y a trois types d’équivalence :
Les études secondaires partielles (ex. faire reconnaitre son diplôme au niveau CESI).
Le CESS avec éventuellement une qualification.
Une série d’études paramédicales (aide-soignante et brevet infirmier).
Au niveau supérieur, il y a deux types d’équivalence :
• L’équivalence de niveau va reconnaitre un niveau d’étude (bachelier, master, doctorat). On se base sur la comparaison de la durée des études ici et là-bas.
• L’équivalence spécifique reconnait la discipline étudiée (biologie, médecine, journalisme...). La comparaison entre les études s’appuie dès lors sur un nombre plus important de documents (programme officiel de cours, travail de fin d’études, relevé de stage...).
Info : https://www.cire.be/nos-activites/travail-equivalences-et-formations/
1. CIRE, État des lieux sur les équivalences de diplômes étrangers en Belgique francophone, Décembre 2012, Bruxelles.


1. CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’EMPLOI, Les immigrés nés en dehors de l’Union européenne sur le marché du travail en Belgique, rapport 2018.
2. « RISOME », Réseau Inclusif pour une Société Ouverte aux Migrants et aux Étrangers est un réseau structuré pour des projets concrets, portés par des acteurs de changement, avec et pour les personnes étrangères et d’origine étrangère. Il a pour mission de les représenter et de participer à construire une offre d’accueil qui prenne en considération leurs besoins et leur participation active dans la société d’accueil.
Plus d’informations : www.risome.be
3. Un site internet avec l’information a entre autres été créé pour assurer la transmission d’informations.
http://www.equivalences.cfwb.be/
4. Selon la dernière étude de la Banque nationale belge, l’immigration fait grimper le Produit Intérieur Brut de 3,5 % (+ 0,7 % par habitant) soit environ 15 milliards d’euros.
5. Initiatives locales d’Intégration.
6. Les ressortissant·es européen·nes (plus ceux de la Norvège, de la Suisse et du Lichtenstein) ne doivent pas passer par l’équivalence de diplôme. Ils peuvent directement obtenir la reconnaissance professionnelle en passant par le ministère de la Santé publique. Une fois le visa octroyé, il·elles peuvent exercer.
7. Naricvlaanderen.be est un site web officiel du gouvernement flamand publié par l’Agence pour l’enseignement supérieur, l’éducation des adultes, les qualifications et les bourses d’études et le ministère de l’éducation et de la formation.
8. Les personnes avec un faible revenu, demandeur·se d’asile, chercheur·se d’emploi, réfugié·es, bénéficiaires de la protection subsidiaire, bénéficiaires du CPAS... Mais pas les sans-papiers.
9. https://www.euractiv.fr/section/sante-modes-de-vie/news/comment-les-immigres-ont-permis-de-renforcer-le-systeme-de-sante-allemand/

Propos recueillis par Stéphanie BAUDOT