La pandémie de Coronavirus a interrompu une vague historique de manifestations et de révoltes citoyennes initiée en 2019. Mais les mouvements sociaux n’ont pas disparu pour autant. Bien au contraire, ils ont été particulièrement actifs pendant le confinement, se montrant capables de s’adapter à la situation et de reconfigurer rapidement leurs actions 1. Aux côtés des intellectuel·les progressistes, ils ont entre autres cherché à interpréter la crise et la pandémie. Mais leur vision parviendra-t-elle à s’imposer dans le flot de productions que la crise a générées tant à gauche que du côté des réactionnaires et des capitalistes ? Éclairage.
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Face à la pandémie, les mouvements populaires et les acteurs progressistes se sont investis dans cinq types de rôles, de manière très similaire dans différentes régions du monde. Ils ont déployé des réseaux d’entraide et de solidarité 2, ont défendu les travailleur·ses confronté·es au virus, ont analysé les politiques menées par les gouvernements pour faire face au Covid-19 et à la crise, ont mené des programmes d’éducation populaire et d’information sur le virus et les manières de s’en protéger et, à la fois à travers les pratiques liées à chacune de ces tâches et dans leurs discours et leurs textes, ont interprété la crise.
Dès les premières semaines du confinement, les intellectuel·les progressistes, mouvements populaires et militant·es pour la justice sociale étaient mu·es par une même conviction : la pandémie avait révélé les limites du système capitaliste dominé par les multinationales et les dégâts écologiques et sociaux qu’il avait causés au cours de la dernière décennie. Elle était une opportunité pour reconstruire le monde autrement et poser les bases d’une société plus juste, plus participative et plus écologique. À travers le monde, les intellectuel·les engagé·es de la société civile et du monde académique ont publié des milliers de déclarations, manifestes et cartes blanches pendant le confinement. Les chercheurs du CRISP en ont recensé des dizaines rien qu’en Belgique entre le 18 mars et le 4 mai 3. Parmi elles, ont peut notamment épingler l’appel BeterNaCorona porté par onze revues flamandes, la « coalition Corona » coordonnée par le CNCD-11.11.11 et un vaste réseau d’acteurs de la société civile qui interpellent le gouvernement pour que les politiques de déconfinement et de sortie de crise aillent vers « une société soutenable, juste et résiliente », le rapport « Sortie sociétale du confinement » dans lequel 123 chercheur·ses 4 rassemblent leurs analyses et leurs souhaits autour de leur thème de prédilection ou encore la carte blanche pour démocratiser le travail 5 publiée dans 42 journaux de par le monde le 16 mai, et initiée par la sociologue Isabelle Ferreras.
Cependant, à l’instar de Simone de Beauvoir, on peut se demander dans quelle mesure « savoir tenir une plume et être bon au jeu des idées » est la qualité décisive pour changer le monde et dans quelle mesure ces nombreux textes et déclarations contribuent à ouvrir la voie à un monde meilleur après la pandémie. Cet article souligne toute l’importance de l’interprétation de la pandémie et de la crise qu’elle a générée. En même temps, il est essentiel de se départir des illusions qui sous-tendent une partie de ces documents et des visions simplistes selon lesquelles la crise produira d’elle-même un changement social, que le monde changera « parce que ça ne peut plus continuer comme ça ».
Un autre monde est possible
Ouvrir de nouveaux horizons
Ouvrir de nouveaux horizons du possible est un rôle majeur des mouvements populaires et progressistes. Lorsque les acteurs dominants imposent l’idée qu’« il n’y a pas d’alternative », comme le disait Margaret Thatcher, les mouvements sociaux les interpellent en affirmant qu’« un autre monde est possible », pour reprendre le slogan du Forum social mondial. Ils introduisent des débats dans un ordre « qui va de soi », contribuant par là à renforcer la capacité d’une société à se transformer.
Ce rôle des mouvements sociaux est plus important encore en temps de crise. Les crises brisent les routines et le business as usual. Elles sont l’occasion de réflexions individuelles et collectives sur nos valeurs et nos objectifs. La pandémie questionne les dogmes économiques qui régissent le monde depuis des décennies. Les gouvernements font du retour à la normale l’objectif d’une « unité nationale 6 » qui rassemble les décideur·ses politiques, les entreprises, les travailleur·ses et l’ensemble de la population dans une lutte commune contre le Coronavirus. Pour leur part, les militant·es et organisations progressistes insistent sur le fait que ce qui est présenté comme « normal » fait partie du problème, qu’il ne s’agit pas de la seule sortie de crise possible. Comme l’exprime la militante indienne Arundhati Roy, « rien ne pourrait être pire qu’un retour à la normale 7 ».
Premiers impacts prometteurs ?
Pour nombre d’intellectuel·les engagé·es et d’économistes hétérodoxes, comme Thomas Piketty, la pandémie a montré les limites d’un système économique qui produit un tel niveau d’inégalités. Les syndicats comme les associations pointent les dommages causés par les politiques d’austérité dans le secteur de la santé et des soins aux personnes âgées. Ces avalanches de cartes blanches, de manifestes, de séminaires et de déclarations auront-elles un impact sur les décideur·ses politiques, et plus largement sur la société ?
« La pandémie a montré les limites d’un système économique qui produit un tel niveau d’inégalités. »
Au cours des premiers mois qui ont suivi le début de la crise, la réponse a semblé au moins en partie positive. Après des années d’austérité dans les services publics, les États ont massivement dépensé pour pallier les effets de la pandémie et limiter la crise sanitaire, économique et sociale. En France ou en Espagne, le gouvernement a plaidé pour des relocalisations dans la production des « biens essentiels ». Les champions des coupes budgétaires dans les hôpitaux publics participent désormais aux applaudissements quotidiens pour soutenir les infirmier·ères et les médecins. Angela Merkel, Emmanuel Macron et Boris Johnson ont tous déclaré qu’il·elles considéraient l’État-providence et les hôpitaux publics comme des éléments essentiels de l’identité nationale de leur pays.
Le changement de discours était drastique en France. Tout au long de l’hiver, le gouvernement français avait refusé de répondre aux revendications des infirmier·ères et médecins des hôpitaux publics qui ont multiplié les actions sociales et menaient l’une des plus longues grèves dans ce secteur. Jusque début mars, le gouvernement poursuivait ses plans d’austérité dans les hôpitaux. Deux semaines plus tard, Emmanuel Macron considérait l’ensemble du personnel des hôpitaux publics comme des héro·ïnes. Bien au-delà de ce secteur, le président a juré qu’il y aurait des changements majeurs 8 dans les politiques publiques, que « le jour d’après, ce ne sera pas un retour au jour d’avant 9 ». Jusque-là fervent défenseur du libre-échange, il parle désormais de « souveraineté économique », accorde des prêts massifs aux « entreprises nationales » et envisage même des nationalisations dans des secteurs clés. La pandémie est parvenue à réaliser ce que l’une des plus longues mobilisations générales des syndicats de l’histoire française entre novembre 2019 et mars 2020 n’a pas obtenu : suspendre la réforme des retraites.
Les leçons de la crise financière
Ce changement de position et de discours d’Emmanuel Macron résonne avec les déclarations de l’un de ses prédécesseurs lors de la crise financière mondiale de 2007-2008. Le 23 octobre 2008, Nicolas Sarkozy déclarait en effet que « l’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance publique est morte avec la crise financière 10 ». Les altermondialistes ne le disaient pas mieux. Lors du Forum social européen de 2008, ils célébraient le fait que « la crise financière nous a donné raison. Maintenant, les gouvernements devront prendre en compte nos propositions et mettre fin aux politiques néolibérales ».
Nous savons ce qu’il en est advenu. Dans les années qui ont suivi la crise financière, le récit dominant a fait peser le poids de la crise économique sur les États-providence européens plutôt que sur la finance, ouvrant la voie à des politiques d’austérité qui ont aggravé la crise sociale et les inégalités, et contribué aux succès de la droite populiste et xénophobe.
Trois leçons peuvent être tirées de l’expérience de la crise financière mondiale en ce qui concerne le changement social. Premièrement, quelle que soit son ampleur, une crise n’engendre pas d’elle-même un changement politique ou social. Ce changement dépend de la capacité des acteurs sociaux à mettre en évidence les problèmes générés par la situation historique, à lui donner un sens et à promouvoir des visions politiques et une rationalité économique alternatives 11. Par leur rôle de sensibilisation du public et dans la formulation de propositions alternatives, les mouvements sociaux et les intellectuel·les engagé·es peuvent peser sur les choix politiques et sociaux à la sortie d’une crise. Il n’y a pas aujourd’hui une manière prédéterminée de sortir de la pandémie de Covid-19. Les répercussions de la crise sur la société, l’économie et la politique dépendront de ce qu’en feront les acteurs sociaux, politiques et économiques.
Deuxièmement, les bons arguments et les faits ne suffisent pas pour façonner une nouvelle rationalité économique et politique du monde au sortir de la crise. Le sociologue des sciences Raymond Boudon 12 a montré que la « vérité » des théories économiques tient plus à leur capacité à forger un consensus provisoire qu’à leur validité scientifique intrinsèque, toujours très discutable. Ainsi, la pandémie du Covid-19 et les crises qui en découlent sont à la fois une série de faits que nul ne peut nier et une réalité sociale qui est réinterprétée de manière très différente par les acteurs sociaux. Chaque courant l’insère dans un récit plus large, dans une interprétation de la crise qui renforce ses convictions antérieures et sa vision du monde. La foi du philosophe Jürgen Habermas en un espace public délibératif et une démocratie argumentative s’estompe dans le monde des réseaux sociaux, des espaces publics fragmentés, des fake news et des dirigeants populistes. Les faits et les sciences ne sont plus des références partagées, mais sont sujets à réinterprétation par les idéologies et les dirigeants populistes qui se méfient de la science.
« Dans les années qui ont suivi la crise financière, le récit dominant a fait peser le poids de la crise économique sur les États-providence européens plutôt que sur la finance. »
En conséquence, et c’est la troisième leçon, la bataille sur le sens de la crise est cruciale. Les acteurs qui contribueront à façonner le récit dominant sur cette crise auront un grand impact sur le monde après la pandémie. C’est sur la base de ce récit que seront promues de nouvelles politiques en matière de santé publique, mais aussi en matière économique, sociale et démocratique. Comme le rappelait le chercheur militant Arturo Escobar, « il est crucial à ce stade que les mouvements aient des récits sur d’autres modes de vie et que ces récits soient prêts 13 ».
Chaque secteur des mouvements populaires ou progressistes propose une perspective sur la pandémie et la crise en insérant celles-ci dans le récit plus général qu’il a construit autour de ses thématiques et revendications. Certains montrent l’expérience de la pandémie du point de vue des inégalités urbaines, d’autres développent une perspective féministe et intersectionnelle, en insistant sur le poids des tâches supportées par les femmes 14, que ce soit dans les familles, les supermarchés ou les hôpitaux publics. Les intellectuel·les progressistes lient la pandémie aux ravages du capitalisme et à la crise écologique. Les mouvements populaires latino-américains interprètent la crise dans le métarécit qui s’est construit dans la convergence des mouvements indigènes, féministes, écologiques et de justice sociale au cours de la dernière décennie : « la crise révèle les profondes crises sociales, politiques et écologiques auxquelles nous sommes confrontés. Derrière la crise sanitaire, il y a une crise de civilisation 15 ».
Mouvements et contre-mouvements
Cependant, les mouvements progressistes ne sont pas les seuls à chercher à imprimer leur marque sur le sens de la crise provoquée par le nouveau Coronavirus. Dans la bataille pour l’interprétation de la pandémie et de la crise, ils sont confrontés à deux types de ce que Polanyi 16 appelait des « contre-mouvements » : les élites capitalistes et les mouvements réactionnaires.
Défendre le capitalisme global
La période qui a suivi la crise financière mondiale a démontré la capacité des défenseur·ses du capitalisme mondial à imposer leur récit de la crise. En quelques années, il·elles sont parvenu·es à faire passer la responsabilité de la crise des excès de la finance aux dettes des États-providence, ouvrant la voie à une décennie de politiques d’austérité et à des années records pour la finance.
Dix ans plus tard, la reproduction de ce scénario semble probable. Elle pourrait même avoir déjà commencé. Si les intellectuel·les et les acteurs progressistes se réjouissent des opportunités de changement ouvertes par la crise et l’effondrement des dogmes économiques, les acteurs qui ont jusqu’à présent été les mieux à même d’en tirer profit sont les grandes entreprises. Dans de nombreux pays, les programmes sociaux et économiques face au Coronavirus et à la crise économique et sociale ont permis de canaliser des sommes considérables d’argent public vers les grandes entreprises. Aux États-Unis, le premier plan de lutte contre le Coronavirus adopté en avril a octroyé 500 milliards de dollars aux plus grandes entreprises du pays, soit cinq fois plus que le montant alloué à l’ensemble des hôpitaux publics. Pendant que les militant·es estiment que la crise doit être l’occasion de promouvoir un modèle économique plus écologique, les compagnies pétrolières ont reçu leur part du gâteau et les gouvernements donnent la priorité aux plans de sauvetage des compagnies aériennes 17. Le renforcement du rôle de l’État dans l’économie peut ainsi servir avant tout à soutenir des entreprises « nationales » dans une compétition mondiale. Dans une logique capitaliste, les pays et les entreprises voient également la crise comme une opportunité de gagner de nouveaux marchés, et ceux qui sortent rapidement de la pandémie auront des avantages significatifs.
Par ailleurs, les élites économiques se sont plus d’une fois appuyées sur la « stratégie du choc » 18 : s’appuyer sur une crise pour imposer ou renforcer des politiques en faveur des grandes entreprises et des plus riches, comme les politiques néolibérales, les plans d’austérité, la diminution des impôts ou celle des droits sociaux. Ce scénario pourrait se répéter avec la crise du Covid-19, comme le suggèrent par exemple les premières mesures prises par le gouvernement équatorien pour renforcer les politiques néolibérales lors du confinement ou les propositions de plusieurs gouvernements européens pour « adapter les droits sociaux », allonger la durée hebdomadaire de travail ou renégocier les semaines de congé pendant le confinement ou lors du déconfinement. Dans les mois qui viennent, il est probable que resurgira l’argument de l’augmentation de la dette publique pour proposer des mesures d’austérité et des réductions des politiques sociales.
Mouvements réactionnaires
Les mouvements réactionnaires ont également été très actifs pendant le confinement. Les théories du complot se répandent sur les réseaux sociaux, donnant lieu à une « infodémie » 19. Leurs discours ont intégré la crise dans un récit plus large de « guerre des cultures » qui rejette la responsabilité de la pandémie sur les migrant·es, la « société multiculturelle » et le « marxisme culturel ».
Les militant·es d’extrême droite ont protesté contre la fermeture et les quarantaines même lorsque la pandémie était à son apogée. Aux États-Unis 20, des milliers de personnes ont manifesté contre les mesures de confinement et la fermeture des entreprises. Les protestations ont commencé dans le Michigan le 15 avril et ont eu lieu dans presque toutes les capitales des États, avec le soutien de Donald Trump. Au Brésil, le président lui-même participe aux protestations contre les mesures sanitaires imposées par les gouverneurs de plusieurs États 21. En Allemagne, les protestations contre le verrouillage ont rassemblé des militant·es anti-vaccins, antisémites et ultra-libéraux ainsi que des citoyen·nes qui ont répandu des théories de conspiration présentant le verrouillage comme la première étape d’un coup d’État imposé par Angela Merkel 22. Pendant ce temps, les prêtres des églises néo-pentecôtistes conservatrices ont affirmé que « c’est la foi, et non la science, qui nous sauvera 23 » et ont soutenu les dirigeants populistes qui ont préconisé la réouverture des temples pendant la fermeture.
« Les théories du complot se répandent sur les réseaux sociaux, donnant lieu à une “infodémie”. »
Le racisme a augmenté dans toutes les régions du monde, contre les travailleur·ses migrant·es en Inde ou en Chine, contre les Américain·es d’origine asiatique aux États-Unis, contre les minorités et les pauvres accusé·es de propager la pandémie, et dans le monde entier contre les réfugié·es. Le Secrétaire général des Nations unies a mis en garde contre un « tsunami de haine et de xénophobie » déclenché par la pandémie : « les migrants et les réfugiés ont été vilipendés comme étant la source du virus et se sont vu refuser l’accès aux traitements médicaux. Pendant ce temps, les journalistes, les lanceurs d’alerte, les professionnels de la santé, les travailleurs humanitaires et les défenseurs des droits de l’homme sont attaqués parce qu’ils font leur travail 24. »
Les gouvernements dans la bataille
Les mouvements sociaux ne sont pas les seuls acteurs qui cherchent à forger le sens de la crise actuelle. Les États-nations se présentent comme les principaux acteurs face à cette pandémie. Les gouvernements investissent massivement la bataille sur le sens de la crise pour défendre leur gestion de la pandémie et imposer leur récit. Le Parti communiste chinois surveille de près son image de gouvernement efficace dans le contrôle de la pandémie et celles et ceux qui osent contester ce récit ou critiquer la gestion de Xi Jinping sont arrêté·es 25. En Hongrie, les « mesures d’urgence » contre le Coronavirus ont encore restreint la liberté d’expression. À Brasilia et à Washington, les présidents populistes défendent une vision du monde qui semble capable de réinterpréter n’importe quel aspect sur la pandémie, même après avoir échoué à agir pour l’arrêter.
Les États autoritaires menés par des dirigeants populistes n’ont pas l’exclusivité de ce jeu de pouvoir pour façonner le récit. Le gouvernement français est particulièrement attentif au discours public sur sa gestion de la crise. La police est intervenue à plusieurs reprises pour intimider les citoyen·nes qui accrochaient des banderoles critiquant la gestion de la crise par le président 26.
De nombreux gouvernements ont cherché à cacher leur incapacité à gérer la pandémie dans sa phase initiale en rejetant la responsabilité de la propagation du virus sur les citoyen·nes qui n’ont pas respecté les règles de confinement. En matière de biopolitique et de contrôle social, les régimes démocratiques ont parfois adopté des mesures qui remettent en cause l’État de droit. Les politiques mises en œuvre pendant la pandémie pourraient ouvrir la voie à une nouvelle ère plus autoritaire, avec une biopolitique fondée sur les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle et un contrôle accru des citoyen·nes par la police. Les mouvements sociaux sont-ils prêts à y faire face ?
Conclusion
Les mouvements progressistes, capitalistes et réactionnaires proposent chacun des récits de la pandémie et de la crise qui en découle et tentent de les imposer comme le récit dominant et de façonner par là les réponses politiques et sociales à la crise.
Les intellectuel·les engagé·es et les mouvements pour la justice sociale voient dans la pandémie une crise multidimensionnelle qui a ouvert des possibilités de construire un monde plus juste. Mais les mouvements progressistes vont-ils réussir aujourd’hui là où ils ont échoué il y a dix ans, à la suite de la crise financière ? Les évolutions des politiques économiques et sociales après la crise financière mondiale de 2007-2008 suggèrent de demeurer prudent en matière de prévisions et de saisir la complexité du lien entre les crises et le changement social. Il n’y a pas de voie simple pour passer de la pandémie à un monde meilleur, plus écologique et moins inégal. Si les mouvements populaires et les intellectuel·les progressistes peuvent influencer le sens de la crise et son issue, ils sont en concurrence dans ce domaine avec les acteurs réactionnaires, capitalistes et étatiques qui tentent également d’imposer un sens de la crise et une orientation au monde qui en sortira. Si on peut espérer qu’en Europe, la partie la plus intense de la crise sanitaire est derrière nous, la bataille pour la signification de la pandémie et pour l’orientation des politiques pour sortir de la crise ne fait, elle, que commencer. #
Geoffrey Pleyers, Chercheur au FNRS, Professeur au CriDIS, à l’Université Catholique de Louvain et vice-président de l’Association Internationale de Sociologie.
1. G. PLEYERS, « The pandemic is a battlefield. Movements during the COVID-19 lockdown », Journal for Civil Society, 2020. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17448689.2020.1794398
2. G. PLEYERS, « L’entraide et la solidarité comme réponses des mouvements sociaux à la pandémie », Revue du MAUSS, 2020, Vol .56.
3. B. BIARD, S. GOVAERT et V. LEFEBVE, « Penser l’après-corona. Les interventions de la société civile durant la période de confinement causée par la pandémie de Covid-19 (mars-mai 2020) », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2020, n° 12, p. 5-130.
4. Y. MOREAU, O. SERVAIS, T. CARTUYVELS, et al., Societal exit from the COVID-19 lockdown, 2020. https://www.cartaacademica.org/post-covid
5. www.democratizingwork.org
6. J. HENLEY, « Democratic leaders win surge of approval during Covid-19 crisis », The Guardian, 2 avril 2020. https://www.theguardian.com/world/2020/apr/02/democratic-leaders-win-surge-of-approval-during-covid-19-crisis
7. A. ROY, « The Pandemic Is a Portal », Yes Magazine, 17 avril 2020.
8. https://www.mediapart.fr/journal/france/120420/retraites-hopital-la-troublante-conversion-d-emmanuel-macron
9. www.elysee.fr/emmanuel-macron, 16 mars 2020.
10. www.elysee.fr/nicolas-sarkozy, 23 octobre 2018.
11. G. PLEYERS, Alter-Globalization. Becoming Actors in the Global Age, Cambridge, Polity, 2010 (chapitre 10).
12. R. BOUDON, L’idéologie, Paris, Seuil, 1989.
13. A. ESCOBAR lors du séminaire en ligne « Coronavirus y disputas por lo público y lo común en América Latina », CLACSO, ALAS et ISA, 9 avril 2020. https://youtu.be/pOFQlsesLf8
14. C. THIBAUT, « Les femmes sur la ligne de front de la pandémie », CNCD, 21 avril 2020. https://www.cncd.be/impacts-genres-coronavirus-femmes-ligne-front-pandemie
15. M. SAGOT lors du séminaire en ligne « Coronavirus y disputas por lo público y lo común en América Latina », CLACSO, ALAS et ISA, 9 avril 2020. https://youtu.be/pOFQlsesLf8
16. K. POLANYI, The great transformation, Boston: Beacon Press, 1944.
17. https://stay-grounded.org/savepeoplenotplanes
18. N. KLEIN, La stratégie du choc, Aix, Actes Sud, 2009.
19. G. LITS, A. COUGNON, A. HEEREN, et al., « Analyse de “l’infodémie” de Covid-19 en Belgique francophone », SocArXiv, mai 2020, vol. 11. https://osf.io/preprints/socarxiv/wsuj3
20. K. P. VOGEL, J. RUTENBERG, et L. LERER, « The Quiet Hand of Conservative Groups in the Anti-Lockdown Protests », The New York Times, 21 avril 2020. https://www.nytimes.com/2020/04/21/us/politics/coronavirus-protests-trump.html
21. T. WALDRON, « Brazil is the new epicentre of the Global Coronavirus pandemic », Huffington Post, mai 2020.
22. M. BAUMGÄRTNER, et al. « The Corona Conspiracy Theorists », Der Spiegel International, 14 mai 2020. Consulté le 27 mai à l’adresse suivante : https://www.spiegel.de/international/germany/the-corona-conspiracy-theorists-protests-in-germany-see-fringe-mix-with-the-mainstream-a-8a9d5822-8944-407a-980a-d58e9d6b4aec
23. B. MICHELLE, « Can faith healing work by phone ? Charismatic Christians try prayer to combat the coronavirus », Washington Post, 3 avril 2020. Consulté le 25 mai 2020 à l’adresse suivante : https://www.washingtonpost.com/religion/2020/04/03/supernatural-healing-christian-faith-coronavirus-pandemic
24. UN, « Secretary-General Denounces ‘Tsunami’ of Xenophobia Unleashed amid COVID-19 », UN Press Releases, 8 Mai 2020. Consulté le 27 mai à l’adresse suivante : https://www.un.org/press/en/2020/sgsm20076.doc.htm
25. H. DAVIDSON, « Critic who called Xi a ‘clown’ over Covid-19 crisis investigated for ‘serious violations’ », The Guardian, 8 avril 2020. www.theguardian.com/world/2020/apr/08/critic-xi-jinping-clown-ren-zhiqiang-covid-19-outbreak-investigated-china
26. C. POLLONI, « Pour des banderoles au balcon, la police à domicile », Mediapart, 16 avril 2020. www.mediapart.fr/journal/france/160420/pour-des-banderoles-au-balcon-la-police-domicile