photo portrait WEBOn en a peu parlé pendant la crise du Covid et pourtant, il·elles ont joué un rôle indispensable dans la gestion de l’épidémie. Les technicien·nes de surface des maisons de repos ont mis les bouchées doubles pendant cette période pour assurer la propreté et la désinfection des locaux limitant ainsi la propagation du virus. Il·elles ont aussi apporté leur soutien aux résident·es, particulièrement affecté·es par le confinement. Carol Wathlet travaille dans une maison de repos et livre pour nous son témoignage à Démocratie.

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Je suis âgée de 42 ans et suis technicienne de surface en maison de repos. Vers l’âge de 22 ans, j’ai commencé à nettoyer chez des particuliers via le système des titres-services. Cela me permettait d’avoir un horaire flexible pour élever mes enfants. J’adore nettoyer. J’éprouve une satisfaction agréable lorsque je quitte un lieu après l’avoir rendu propre. Mais la solitude du métier m’a poussé, après cinq ans, à chercher un emploi où je pouvais nettoyer tout en ayant des contacts sociaux. J’ai trouvé une place de technicienne de surface en maison de repos où je me suis épanouie grâce au lien créé avec les personnes âgées. Cette maison de repos de type familial comptait 25 résident·es. Mais un jour, elle a fermé et j’ai été reprise par une autre maison de repos où je travaille depuis 2011. Celle-ci compte 140 résident·es, ce qui représente un changement important. Le travail y est nettement plus intensif, mais le lien avec les résident·es reste tout aussi fort. Nous sommes une équipe de quatre techniciennes pour nettoyer au quotidien les chambres, les bureaux, les restaurants, les salles de bain communes, les petits salons, les couloirs, les w.c....

Notre rôle n'est pas que de nettoyer

Ma journée commence à 8 heures. Je sers les petits-déjeuners dans les chambres chaque matin et bien souvent je suis le premier contact des résident·es avec le monde extérieur. Ensuite, je commence le nettoyage des communs pour ne pas arriver trop vite dans les chambres pendant les soins du matin.
Nous occupons une place importante dans le déroulement de leur journée. Notre présence, nos visages, sont comme des repères dans leur routine. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, nous avons demandé que le nettoyage des étages soit organisé en alternance plutôt que par attribution de chambre. Cela leur permet en effet de tisser davantage de liens sociaux. De notre côté, cela nous donne l’occasion de connaître tout le monde et de pouvoir échanger sur les situations rencontrées, notamment celles qui sortent du commun (perte d’appétit, changement de comportement, malaise...). Le fait de les voir chaque jour nous permet de détecter facilement si quelque chose semble anormal. Le cas échéant, nous en parlons à l’infirmière en chef qui en fait rapport aux aide-soignantes.
Lorsque je rentre dans une chambre pour nettoyer, je prends toujours de leurs nouvelles et écoute leurs premiers mots du matin. Souvent, nous évoquons leur passé, leur ancien métier, parlons des enfants, petits-enfants... Les résident·es aiment prendre à leur tour de mes nouvelles. Il·elles essaient de retenir mon prénom. Un défi pour eux. Souvent, il·elles nous racontent que dans le temps on nettoyait avec un torchon et que nos « mops » sont beaucoup plus efficaces pour nous, pour notre dos, car eux·elles en ont bavé.
Les résident·es adorent garder tout ce qu’il·elles ne mangent pas (confiture, beurre, serviette), car du temps de la guerre on cachait beaucoup et on ne gaspillait rien. Alors je dois négocier avec eux·elles pour pouvoir jeter lorsque leur cachette déborde et que le beurre est tout fondu. Parfois le personnel de la cuisine me signale qu’il manque une cuillère ou un gobelet. Alors, tout en nettoyant, je reprends la vaisselle cachée dans les armoires... c’est « au cas où », me disent-il·elles…
Je ne refuse jamais lorsqu’il·elles me proposent un chocolat ou un bonbon, car c’est tout ce qu’il·elles peuvent partager et nous offrir. C’est important pour eux·elles.Il m’arrive aussi de mettre des boucles d’oreille colorées pour leur faire plaisir. Et puis, j’essaie d’avoir toujours le sourire, même si je suis débordée ou en retard. Même si je suis fatiguée après quatre jours de nettoyage. Et même si j’ai mal au dos ou si je sens mes poignets à cause des mouvements à répétition.

Un travail à flux tendu

L’organisation du travail est telle que nous ne perdons jamais de temps. Lorsque nous discutons dans les chambres, je ne peux pas m’arrêter et m’asseoir à côté d’eux·elles, même s’il·elles me le demandent. Nous bavardons donc tout en travaillant. Nous devons chacune effectuer 25 chambres en quatre heures. Et parfois, nous avons des désinfections de chambre qui viennent s’ajouter au programme quotidien. Cette semaine, par exemple, nous en avons six. Et depuis le dernier changement de direction, l’intensification du travail s’est encore accrue suite à une réduction du personnel d’entretien. Nous sommes passés de cinq travailleuses à quatre pour effectuer les mêmes tâches avec comme répercussions un nettoyage plus superficiel, un temps avec les résident·es raccourci et un sentiment d’insatisfaction face au travail réalisé. La direction nous demande de travailler d’une autre manière et de ne pas nous tracasser si le nettoyage n’est pas fait en profondeur. J’ai déjà essayé de la sensibiliser à notre besoin de disposer de plus de temps, mais rien n’y a fait. On nous rétorque que nous ne sommes jamais contentes. Que si nous étions cinq, nous réclamerions d’être six, etc. Nous avons souvent le sentiment que notre travail n’est pas reconnu à sa juste mesure ; que le nettoyage est secondaire par rapport au reste alors que sans lui, les maisons de repos n’existeraient tout simplement pas. Il fait partie des tâches indispensables au fonctionnement de l’institution.

Encore plus intense au fort de la crise

Le travail a augmenté pendant la crise sanitaire. Les malades du Covid étaient regroupé·es et isolé·es à un étage par lequel nous finissions notre journée de travail pour éviter les contaminations. Nous nous équipions de salopettes, de sur-chaussures, de filets pour les cheveux, de lunettes et de masques. La tâche en était d’autant plus ardue. Mais nous l’accomplissions sans rechigner. Nous faisions partie des seuls contacts auxquels les résident·es avaient droit pendant le confinement. Nous avons fait notre possible pour maintenir le lien, mais pour certain·es c’était difficile. Il·elles ne nous reconnaissaient pas toujours avec nos équipements, d’autres ne nous entendaient pas bien avec les masques. Habillées comme des cosmonautes, ça leur donnait l’impression que nous les considérions comme des pestiféré·es. En temps normal, nous avons le sourire, ce qui leur fait du bien, mais avec les masques, cela n’était plus possible. C’était pesant... d’autant plus qu’il·elles souffraient de ne plus pouvoir voir leur famille. Certain·es en avaient perdu l’appétit. Nous utilisions alors tous les subterfuges possibles pour les encourager à s’alimenter. Le fait que ce soit nous et que nous utilisions d’autres mots que le personnel soignant les faisait parfois réagir...
Bien sûr, la peur était omniprésente. La télévision – pratiquement seule distraction – transmettait un flot de nouvelles peu réjouissantes. Et puis, il·elles voyaient les corbillards qui défilaient chaque jour au plus fort de la crise. Nous avons perdu trente-six résident·es depuis le premier mars dont vingt-six du Covid. Nous les voyions dépérir de jour en jour, parfois en quelques heures. Voir leur visage se métamorphoser aussi vite était véritablement choquant.
Tant qu’on était dans le vif du sujet et dans le stress, tout allait « bien ». Nous n’avions pas peur d’attraper le Covid, mais plutôt la crainte de le leur transmettre. Quand les choses sont plus ou moins revenues à la normale, nous avons ressenti le contrecoup. Le vide laissé par les départs et puis la directrice qui nous annonce une réduction (provisoire) de nos heures de travail, le temps de remplir à nouveau les chambres... Ça a été le coup de massue : on a fait tout notre possible pour nos résident·es, chaque jour, la peur au ventre, mais on l’a fait pour eux·elles et la récompense : une diminution de nos heures de travail et une intensification des tâches en perspective.

Et de nouveau ce manque de reconnaissance

Pendant la crise, nous avons eu l’impression d’être à nouveau les oubliées. Pas un mot ou presque n’a été dit sur notre travail et notre dévouement. Pourtant, on se rend compte chaque jour que des personnes ont besoin de nous. Mon métier est méprisé, car aux yeux des gens il ne faut pas de diplôme pour nettoyer, c’est le métier des gens pas intelligents... Je suis diplômée en comptabilité, secrétariat. Faire du nettoyage a été un choix que je ne regrette pas. C’est un travail exigeant, surtout en maison de repos, car nos résident·es n’ont plus toujours la capacité d’être « propre »... et nettoyer les selles ou les urines n’est pas une tâche que tout le monde arrive à faire aisément. Le contact avec les résident·es doit être délicat ; il faut aimer nettoyer, aimer les gens, avoir de la patience et de l’empathie.
Notre métier est indispensable. Sinon pourquoi y aurait-il toujours autant d’emplois et dans ce secteur ? Je demande dès lors que nous soyons respectées, écoutées et que notre travail soit valorisé autant que le celui des autres membres du personnel. On a autant de satisfaction de nettoyer une chambre que de prodiguer des soins, donner un bain, traiter un dossier important, ou cuisiner un bon plat. Ce combat pour la reconnaissance de notre profession est et restera une priorité pour nous, personnel d’entretien. #

Carol Wathlet, Technicienne de surface dans une maison de repos namuroise et déléguée syndicale CSC