Dossier ouvertureMonuscoAprès de nombreux mois d'incertitude, les élections en République démocratique du Congo (RDC) se sont tenues sans incident majeur le 30 décembre dernier malgré des soupçons de fraude. Félix Tshisekedi en est sorti vainqueur. Comment a-t-il réussi à déjouer les pronostics ? Quel sera son degré d'indépendance par rapport au clan Kabila qui semble vouloir garder les clés du pouvoir ? Parviendra-t-il à redresser le pays et à répondre aux aspirations de la population congolaise ? Éléments de réponse.

 

 

Enfin. Elles se seront déroulées, ces élections... Avec deux ans de retard sur le calendrier électoral. Peu y croyaient d'ailleurs, persuadés qu'une fois de plus, le clan du président Kabila multiplierait artifices et manœuvres pour les rendre impossibles. Les différents accords conclus ces dernières années ont amené à la primature (poste de Premier ministre) des hommes de l'opposition : Samy Badibanga, en novembre 2016 ; Bruno Tshibala depuis avril 2017. Ces Premiers ministres et leurs gouvernements furent largement impuissants et inefficaces, accentuant le fossé qui se creusait entre les dirigeants et la population aux prises avec une crise sociale de plus en plus profonde. D'un point de vue politique, ils auront essentiellement contribué à diviser et affaiblir l'opposition. Issus d'accords désavoués par les grands partis d'opposition, ils furent d'emblée discrédités et ceux qui y ont participé, exclus de leurs partis. En même temps, la « Kabilie » s'évertuait à empêcher des candidatures de pointures politiques sérieuses : d'un côté, Moïse Katumbi était écarté pour cause de nationalité italienne et en raison de l'arrestation qui l'attendait s'il revenait au pays (suite à de confuses accusations). D'un autre côté, fort opportunément et étrangement sorti des geôles de la Cour pénale internationale à La Haye, après 10 ans de détention, en bénéficiant d'un non-lieu, Jean-Pierre Bemba, patron du MLC1, verra finalement sa candidature rejetée par la Cour constitutionnelle.

Dans le même temps, la CENI 2 préparait les élections, avec les multiples controverses que l'on connait. La principale de celles-ci étant la fameuse machine à voter, perçue par de nombreux acteurs comme l'outil par excellence de fraudes électorales systématisées... De plus, la décision des dirigeants congolais de se passer de l'aide financière internationale, de l'aide logistique de la MONUSCO, pour l'organisation des élections, a renforcé l'impression qu'on n'y arriverait jamais.

Le président Joseph Kabila, pourtant, s'était engagé à ce qu'elles aient lieu avant fin 2018. Le lent processus de désignation d'un dauphin aurait dû faire comprendre que le pouvoir organiserait bel et bien les élections... en veillant bien entendu à les gagner. L'affaiblissement et les divisions de l'opposition, l'écartement réussi de Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, offraient un contexte favorable qu'il ne serait probablement pas facile de reproduire plus tard, si les échéances étaient encore reportées.

 

La valse des candidats

Rien n'est simple en RDC. Les partis, et encore plus les coalitions, qu'elles soient de l'opposition ou du pouvoir, sont fragiles, mouvantes. Au sein de la majorité présidentielle, les appétits étaient nombreux ; la guerre des chefs et des prétendants faisait rage. Certains, comme Bahati Lukwebo, patron de l'AFDC 3, originaire de Katana dans le Sud-Kivu, ayant affiché leurs ambitions de succéder à Joseph Kabila, le paieront cher. Tandis que d'autres, comme Aubin Minaku (président de l'Assemblée nationale) et Matata Ponyo (ancien Premier ministre), s'estimant mieux placés pour être choisis comme « dauphins », se sont livrés, en sourdine, une longue lutte de positionnement. Kabila surprendra tout le monde en imposant Emmanuel Shadary comme candidat du FCC 4. Issu du Maniema, du clan de maman Sifa, la mère de Joseph Kabila, il semblait présenter le profil idéal de celui qui assumerait la fonction mais laisserait Kabila et son premier cercle garder les rênes du pouvoir... On le présente en effet comme un fidèle de ce premier cercle, membre du clan familial. Peu charismatique, il ne risquait pas de faire de l'ombre à son mentor, bien décidé à rester maître du jeu. On peut d'ailleurs considérer que son échec laisse Kabila patron incontesté de son camp.

De son côté, l'opposition n'aura pas réussi à s'accorder sur un nom. Les discussions furent interminables, chacun tenant jusqu'à la dernière minute à préserver ses chances d'être désigné. Après l'impossibilité déjà évoquée pour Katumbi et Bemba, restait à trancher entre plusieurs prétendants : Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi étant les plus en vue. Après plusieurs rencontres, celle de Genève, le 11 novembre dernier, aboutit finalement à un accord sur le nom de Martin Fayulu. Que s'y est-il vraiment passé, et comment ? Toujours est-il que l'accord fut dénoncé le lendemain même par les deux grands perdants de l'accord. Prétextant le rejet radical et massif de cet accord par leurs bases respectives, Tshisekedi et Kamerhe retirèrent leur signature, et Vital Kamerhe, actant le rapport de force entre UDPS 5 et UNC 6 se rangea derrière Félix Tshisekedi pour former une nouvelle coalition, « Cap pour le changement » (CACH) soutenant la candidature de Félix Tshisekedi à la présidentielle.

 

Démarrage timide de la campagne électorale

La campagne électorale fut longtemps timide et discrète, comme si d'aucun.e.s ne croyaient pas encore à la tenue des élections et évitaient de dépenser trop. Pourtant, le retour du duo Tshisekedi-Kamerhe à Kinshasa, fin novembre 2018, fut impressionnant en termes de mobilisation populaire. L'arrivée de Martin Fayulu, quoique perturbée par les manœuvres « sécuritaires » du pouvoir, le sera elle aussi. Pendant ce temps, malgré la mobilisation des moyens de l'État, la campagne de Shadary ne décollera jamais. Plusieurs fois d'ailleurs, il dut différer son meeting, voire l'annuler, tant les informations faisaient état des risques de rejet de la population. Il est d'ailleurs significatif que de nombreux candidats du FCC de la mouvance Kabila, s'abstinrent de joindre la propagande pour Shadary à leur propre campagne pour les élections législatives ou provinciales (prévues au même moment que les présidentielles).

Ajoutés aux difficultés observées sur le terrain quant au déploiement du matériel et à la préparation logistique, à la formation des assesseurs de bureau des témoins..., les incidents des derniers jours (incendie dans un entrepôt de la CENI...), le report des élections, initialement prévues le 23 décembre, au 30 décembre (et même en mars 2019 à Beni, Butembo et Yumbi) firent douter jusqu'au bout de la tenue réelle des élections.

 

Le scrutin du 30 décembre

On vota pourtant le 30 décembre. Dans le calme, même si les incidents furent nombreux : retard de démarrage, machine à voter en panne d'énergie dès 8h30 du matin, électeur.rice.s cherchant longtemps leur bureau de vote... De nombreux témoignages firent état de la désorganisation et même d'un certain chaos dans le traitement des bulletins et la remontée des résultats, prêtant de nouveau le flanc à des accusations de fraude organisée. Il est peu contestable que, profitant de la désorganisation ou de l'incompétence, véritable ou factice de la CENI, les fraudes furent nombreuses.

Les électeur.rice.s furent moins nombreux.euses qu'attendu. Ainsi, sur les quelques 46 millions d'électeur.rice.s inscrit.e.s, après traitement qualitatif du fichier électoral, près de 7 millions furent radié.e.s ; et on notera que seulement 18.746.273 électeur.rice.s exercèrent réellement leur droit de vote. La proclamation des résultats se fit attendre. On ne saura sans doute jamais si les raisons en étaient les difficultés réelles de compilation, une gestion du temps permettant de calmer les tensions prévisibles ou la négociation des accords entre les uns et les autres. Toujours est-il que dans la nuit du jeudi 10 janvier, le président de la CENI proclama le résultat provisoire de la présidentielle après avoir, durant de longues heures, égrené ceux des assemblées provinciales et des législatives. Félix Tshisekedi fut proclamé vainqueur (provisoire) déjouant ainsi les pronostics et scénarios, réels ou fantasmés, avancés depuis quelques mois, qui donnaient Emmanuel Shadary président, avec probabilité d'alliance post-électorale et de partage de pouvoir avec le ticket Tshisekedi/Kamerhe. Sans doute, l'échec de Shadary était tel que les fraudes électorales ne pouvaient résoudre celui-ci, et qu'un autre scénario devait être mis en place. Les déclarations ambiguës de la Conférence des Évêques, les nombreux témoignages remontant du terrain semblaient indiquer que le véritable vainqueur des urnes était Fayulu même si certains pourcentages avancés semblaient exagérés voire fantasques. Il semble aussi incontestable que la plus grande part des fraudes concernait les autres scrutins (provinciaux et législatifs). Concentrés sur la présidentielle, peu firent preuve d'une même vigilance pour les autres élections. Résultat : Félix Tshisekedi est élu Président, mais il n'a pas de majorité au Parlement pour mener sa politique. Et le Premier ministre ainsi qu'une majorité de ministres seront issus du camp de Kabila. Comme disent certains, Tshisekedi risque de régner sans gouverner...

Il faudra pourtant être attentif aux évolutions des positions des uns et des autres. Ainsi on relate déjà, suite à l'échec de Shadary, et aux rancœurs au sein du FCC, des défections vers les partis de Tshisekedi et de Kamerhe. Les rapports de force pourraient bien encore se modifier assez rapidement.

 

Réactions en RDC et dans la communauté internationale

En RDC, l'annonce des résultats a surpris. Comme il fallait s'y attendre, Fayulu et ses soutiens contestèrent les résultats et exigèrent tantôt le recomptage des voix, tantôt l'annulation pure et simple du scrutin. Le recours qu'il déposa à la Cour constitutionnelle fut rejeté pour manque de preuves. Shadary resta silencieux et le FCC finit par prendre acte de la victoire de Tshisekedi. Dans la population, le sentiment dominant fut la satisfaction de voir un changement. Même parmi les électeur.rice.s de Fayulu, nombreux.euses sont ceux.celles qui estiment que quelque chose s'est passé, que c'est positif. Et qu'il importe d'attendre avant de porter un jugement.

Pourtant, les réactions d'une certaine communauté internationale furent nombreuses et insistantes. Comme à leur habitude, Russie et Chine s'abstinrent de tout commentaire. Comme d'ailleurs une grande majorité de pays du monde. Ce qui ne fut pas le cas des États-Unis ou de l'Europe qui exprimèrent nettement leurs doutes quant à la fiabilité des résultats proclamés. Ils furent relayés par Paul Kagame, président du Rwanda et président en exercice de l'Union africaine, qui demanda à la Cour constitutionnelle de suspendre la proclamation officielle des résultats. Cette sortie de Kagame est difficilement compréhensible car elle ne pouvait que rencontrer une fin de non-recevoir, et les sarcasmes de la population congolaise : « N'importe qui, mais pas lui qui vient nous parler de paix... ». Il aura de la sorte discrédité Fayulu auprès de nombre de ses électeur.rice.s...

La majorité des pays africains prirent rapidement acte du résultat et l'acceptèrent. La possible déstabilisation ne viendra donc pas de l'Afrique. On observa dans la foulée l'évolution des prises de position de la France, de l'Union européenne ainsi que des États-Unis... qui se rallièrent, du moins en apparence, à des positions plus pragmatiques. La Belgique tarda à s'exprimer. Elle tint longtemps une position dure. Quelques jours avant la proclamation officielle des résultats, le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, demandait aux ressortissants belges de quitter la RDC. Il demanda encore la plus grande vigilance une semaine plus tard, alors que tout était calme à Kinshasa, à Lubumbashi, et dans la plupart des grandes villes du pays.

 

Complexité et dessous des cartes

Si l'évaluation du bilan de règne de Kabila est largement négative auprès d'une majorité de Congolais.es, son rejet par l'Occident l'est encore plus, pour d'autres raisons. La quasi-unanimité autour du candidat Fayulu, en tout cas en Europe, est en effet étonnante. Comme s'il allait de soi que Kabila et son camp n'étaient que prédateurs et qu'à l'inverse, Fayulu constituait nécessairement et incontestablement l'espoir de changements profitables à la population congolaise. Rien n'est pourtant moins sûr. L'alternance ne conduit pas de facto à l'alternative 7... et rien ne dit que si Fayulu avait été proclamé vainqueur de la présidentielle, le désenchantement n'aurait pas été tout aussi rapide pour les Congolais.es. Dire cela n'est en aucun cas défendre Kabila et son bilan. Loin de là. Mais les leçons de démocratie données par les États-Unis, la France ou la Belgique sont indécentes. Aurait-on oublié les années noires de la colonisation, l'assassinat de Patrice Lumumba, le soutien indéfectible, durant 35 ans, au dictateur-prédateur Mobutu ? La suite n'est guère plus nette. On se rappellera que la première sortie internationale de Laurent Désiré Kabila se déroula en Belgique et dans les instances de l'Union européenne. Il venait y chercher appuis et soutiens financiers pour la reconstruction d'un pays exsangue. Il fut snobé : le Roi Albert ne le reçut pas... et il rentra avec quelques miettes. Après son assassinat 8 – dont les véritables commanditaires n'ont toujours pas été découverts – « on » (Louis Michel 9 en tête), imposa son fils Joseph, qui se montra plus souple et plus complaisant avec les intérêts économiques des Occidentaux. Rappelons encore comment on imposa un gouvernement d'« union nationale », (avec un président flanqué de quatre vice-présidents), qui ne recueillait pourtant pas l'assentiment populaire.

Les bases minimales d'un État de droit n'existaient pas à la chute de Mobutu. De plus, confiné dans un petit maquis dans le sud du Sud-Kivu, avant d'arriver par la force des armes rwandaises au pouvoir à Kinshasa, Laurent Désiré Kabila ne disposait pas d'un appareil ou d'une infrastructure politique solide et bien implantée, ni sur le terrain, ni à tous les niveaux de l'Administration. Celle-ci, comme une partie significative des cercles du pouvoir, resta majoritairement constituée d'anciens mobutistes, recyclés par nécessité, mais dont les vieilles pratiques ne disparaîtront jamais. De la même manière, l'incorporation, dans les gouvernements et dans les administrations, de personnes issues des multiples rébellions que connut le pays, n'aida pas à éclaircir le paysage et à permettre une politique cohérente. Pis encore, sous pression de l'Occident, de l'ONU, et sous prétexte de pacification, on imposa à la RDC des opérations de brassage ou de mixage dans l'armée, qui eurent pour conséquence de la gangréner et de porter la trahison parfois à son plus haut niveau. Connait-on au monde beaucoup de pays où un nombre important d'officiers supérieurs, généraux, sont d'une nationalité étrangère, et qui plus est, issus de pays voisins qui furent les premiers belligérants ?

Dire tout cela n'est pas absoudre Kabila et son camp de l'incompétence, l'inefficacité ou la corruption. Il est évident qu'il n'aura pas réussi, en 17 ans de présidence, à changer la donne et assurer une vie plus digne et des perspectives d'avenir plus belles à son peuple.

 Il faudra sans doute le recul du temps pour évaluer les ouvertures possibles que ces élections offriront à la RDC. 

Il est incontestable aussi qu'après les premières années au cours desquelles il rassura les intérêts des grandes puissances, Joseph Kabila finit par décevoir ces mêmes acteurs, qui ne digéreront jamais les contrats passés avec la Chine. Surtout, en mai dernier, quand il opta, en dépit des fortes pressions exercées sur lui, pour un code minier plus favorable à la RDC. L'enjeu était colossal et les multinationales n'ont pas digéré leur défaite. Martin Fayulu, lui-même ancien cadre d'une multinationale pétrolière, s'empressa d'exploiter ce mécontentement, et inscrivit la révision de ce code minier comme une mesure phare de son programme. Une révision dans le sens « win-win », dira-t-il. En réalité, c'était une baisse significative des impôts pourtant déjà maigres. La rencontre de Genève, qui devait se conclure par la désignation d'un candidat unique de l'opposition aurait été financée par la multinationale Glencore, et bien accompagnée par quelques « parrains », dont Alan Doss, ancien patron britannique de la MONUC 10 et intervenant dans ce cas-ci pour le compte de la Fondation Koffi Anan... L'appui de Kagame à Fayulu troubla également de nombreux.euses Congolais.es. Tout cela n'exclut bien entendu pas les accointances et les allégeances des autres acteurs politiques congolais aux intérêts des grandes puissances économiques...

 

Et demain ?

Felix Tshisekedi est donc le nouveau Président. Mais le doute sur le résultat réel du scrutin pèsera toujours sur sa présidence et pourrait la fragiliser.

Cependant, si sur la séquence courte des élections, peu de doutes sont permis, il faudra sans doute le recul du temps pour évaluer les ouvertures possibles que ces élections offriront à la RDC. Ce passage de pouvoir, fut-il entaché de grandes irrégularités, entre un ancien Président et son successeur, qui fut son adversaire résolu, s'est réalisé sans violences, et sans que le Président sortant soit assassiné, contraint à l'exil. Peu y croyaient. C'est pourtant arrivé. Le dernier discours de Joseph Kabila, la cérémonie officielle de passage de pouvoir sont positifs et donnent une image rassurante. Mais la réalité ira-t-elle au-delà des mots et des images ? Seul le recul du temps nous dira si cette séquence électorale aura été un passage obligé dans la lente et difficile maturation de la jeune démocratie congolaise. Ou si, au contraire, elle n'aura été qu'un simulacre d'alternance permettant aux mêmes de garder la mainmise sur la gestion du pays. On ne peut exclure que le scénario qui s'est déployé devienne une habitude, au mépris des votes exprimés par le peuple...

 Les jeux politiques congolais sont complexes, subtils. Les rapports de force peuvent à tout moment changer la donne. 


Car, tout ne pourrait s'avérer qu'un jeu de dupe. « Le pouvoir du président Tshisekedi est vide », disent certains. « Il se remplit », ajoutent d'autres, tant les défections s'annoncent dans d'autres forces politiques, en faveur de l'UDPS et/ou de l'UNC. Ce qui pose d'ailleurs une question lancinante : la RDC pourra-t-elle un jour construire une véritable alternative avec des politiciens aussi versatiles, opportunistes, prêts à rallier le camp des vainqueurs quel qu'il soit, en espérant participer au festin ? Les jeux politiques congolais sont complexes, subtils. Les rapports de force, y compris entre « partenaires », peuvent à tout moment changer la donne. Quelques semaines après la proclamation des résultats, Fayulu semble de plus en plus isolé... Que fera Katumbi ? Kamerhe, nommé directeur de cabinet du Président est un fin tacticien. Il connaît parfaitement les rouages de l'État, il a connu la mouvance Kabila de l'intérieur. Par ailleurs, Tshisekedi, un peu imprudemment, fait de nombreuses promesses. Pourra-t-il les tenir ?

Pour l'instant, l'apaisement interne semble au rendez-vous. Mais la vigilance s'impose sur les frontières extérieures, surtout celles de l'Est, d'où la déstabilisation peut toujours survenir. Les exactions de groupes armés se multiplient, les FDLR 11 rwandais, manifestent de nouveau des velléités d'attaquer le Rwanda, ce qui pourrait donner à Kagame le prétexte de rentrer en RDC...

 

Pour une véritable démocratie

Quoi qu'il en soit, il reste que l'essentiel ne se joue pas là. Une démocratie restreinte à sa seule dimension politique, et qui se manifeste uniquement dans quelques séquences d'élections, ne peut être que farce et mascarade. Sans l'extension et l'approfondissement démocratique aux champs sociaux, culturels et économiques, la démocratie ne peut s'épanouir. Même dans nos pays de vieille tradition de démocratie parlementaire, on observe combien celle-ci est sapée dans ses fondements par la brutalité et la puissance de pouvoirs économiques incontrôlés, et face auxquels les États se trouvent de plus en plus impuissants. La démocratie politique suppose impérativement qu'une redistribution de richesses soit possible, à travers quelques mécanismes fondamentaux tels les impôts, la sécurité sociale, les services publics gratuits ou à bas coûts (enseignement, culture, transports en commun, logement sociaux...). Le capitalisme des oligopoles, la concentration et l'accumulation sans précédent dans l'histoire du pouvoir économique, la financiarisation de l'économie... affaiblissent les États-providence partout où ils avaient assuré un certain bien-être à la majorité de leur population. On observe les effets délétères de ces évolutions sur nos démocraties politiques.

Que dire alors des pays du Sud, endettés, spoliés, pillés par les centres de l'impérialisme ? Il n'y a presque rien à y redistribuer. Imposer des modèles de démocraties parlementaires à l'occidentale relève souvent d'un faux universalisme des droits politiques qui cache mal la réalité d'une vision eurocentriste.

L'effectivité des droits humains, leur réelle possibilité d'être universels, impose de longues et âpres luttes pour une démocratie économique, sociale, culturelle et politique, qui permette de juguler les appétits des puissants et de reprendre le contrôle des ressources qui constituent le bien commun de notre humanité. Dans son dernier discours à la Nation en tant que Président, Joseph Kabila en appelle à l'union des forces progressistes contre les prédateurs qui pillent les richesses du pays. Il a raison. Encore faut-il préciser que ces prédateurs étrangers trouvent au Congo même des complices prêts à vendre leur pays pour s'enrichir eux-mêmes. Et que ces prédateurs ne sont pas seulement là où il le croit ; il y en a de plus en plus aussi dans les pays africains eux-mêmes, limitrophes ou lointains. Tout comme rien n'indique que les firmes chinoises, russes ou autres « nouveaux » partenaires de la RDC, soient d'emblée moins prédateurs que les intérêts occidentaux.

Le peuple congolais ne fera l'économie de ces luttes ni de la nécessaire émergence et construction de mouvements et d'organisations sociales puissantes. Ces organisations devront avoir une vision d'un développement intégral, autocentré, capable de répondre aux aspirations matérielles, culturelles et spirituelles du peuple. Elles devront se montrer capables de développer des stratégies mobilisatrices, s'appuyant sur une conscientisation populaire véritable et des alliances populaires solides entre syndicats de travailleur.euse.s et organisations paysannes, mouvements de jeunes, de femmes...

En RDC, au-delà des aspirations démocratiques, c'est d'abord l'État lui-même qu'il faudrait réinventer ou consolider. Car rien de bon ne pourra se construire avec un appareil étatique aussi faible et factice que celui du Congo. C'est probablement le défi le plus difficile pour tout dirigeant congolais réellement désireux de transformer son pays : reconstruire l'État et le rétablir dans toutes ses fonctions régaliennes, concilier cet incontournable travail qui requiert du temps, et les aspirations légitimes des populations à voir rapidement leur situation sociale s'améliorer. Ce n'est pourtant pas impossible.
C'est le défi majeur auquel devrait s'atteler le nouveau pouvoir en RDC, sans travestir la réalité, sans cacher les obstacles et les embûches qui ne manqueront pas d'être semés sur la piste. Pour le gagner, il faut la confiance du peuple. Celle-ci se mérite. #


             Luc DUSOULIER  Actif et observateur en RDC et Dieudonné WAMU OYATAMBWE Solidarité mondiale - WSM

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1. MLC : Mouvement de libération du Congo.
2. CENI : Commission nationale électorale indépendante.
3. AFDCI : Alliance des forces démocratiques du Congo.
4. FCCI : Front commun pour le Congo.
5. UDPSI : Union pour la démocratie et le progrès social.
6. UNCI : Union pour la nation congolaise.
7. L. DEFOREST, « République démocratique du Congo : l'alternance et l'alternative », Démocratie, décembre 2016.
8. Laurent Désiré Kabila fut Président de mai 1997 à janvier 2001.
9. Louis Michel était ministre belge des Affaires étrangères à l'époque.
10. MONUC : Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo.
11. FDLR : Forces démocratiques de libération du Rwanda.

©MONUSCO

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