novembre dossierNé d’une réflexion débutée en janvier 2015 pour un texte final présenté en mars 2017, le « Pacte pour un enseignement d’excellence » aura besoin d’au moins deux législatures pour sa mise en œuvre. Cet ambitieux projet de réforme tire sa légitimité du long travail de concertation réalisé par les acteurs sociaux de l’École. Entre une « amélioration des performances de notre système éducatif » et la « réduction des inégalités », les géniteurs du Pacte espèrent concrètement réduire le taux d’échec et le décrochage scolaire de 50 % d’ici 2030. Mais de nombreuses questions restent pendantes et des enjeux majeurs se profilent.

Une somme de plus de 300 pages d’un texte serré, présentant et détaillant assez rigoureusement un nombre considérable d’orientations et de recommandations concrètes, articulées autour de cinq axes stratégiques d’actions, et accompagnées des modalités de leur priorisation et de leur budgétisation : voilà ce à quoi ressemble formellement la version finale du « Pacte pour un enseignement d’excellence » rendu public le 7 mars 2017, après d’ultimes ajustements entre négociateurs.

Ce document1 est en l’occurrence un avis, patiemment élaboré et négocié entre les principaux acteurs représentatifs du monde de l’enseignement (rassemblés au sein d’un dénommé « Groupe central » 2), et soumis en tant que tel au Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) qui l’a adopté dans la foulée. Cet avis repose sur une vaste entreprise de réflexion collective et participative inaugurée deux ans plus tôt (en janvier 2015) par la ministre de l’Enseignement obligatoire de l’époque (Joëlle Milquet - CDH), conformément aux prescrits de l’accord de politique communautaire de 2014.

Cet accord politique 3 se prononçait en effet pour l’élaboration, dès l’entame de la législature, d’un « Pacte pour un enseignement d’excellence ». Il se donnait aussi comme objectif prioritaire « l’amélioration des performances de notre système éducatif et la réduction des inégalités qui influencent la réussite des élèves. » C’est précisément à cet impérieux objectif que le contenu du Pacte entend répondre, en présentant et détaillant les lignes de force de ce qui peut sans doute être considéré comme le plus important projet de réforme du système scolaire depuis l’instauration de l’enseignement rénové, au début des années 70. Traduit en Plan d’action, les différentes mesures préconisées par le Pacte vont désormais être transposées en textes légaux (certaines l’ont d’ores et déjà été) pour s’imposer progressivement, sur les quinze prochaines années, à l’ensemble du système scolaire en vue de le rendre à la fois plus équitable et plus efficace.

Trois enjeux majeurs


Au vrai, au moins trois enjeux majeurs traversent ce « Pacte pour un enseignement d’excellence ».

Le premier enjeu relève de la politique scolaire proprement dite. « Il est impératif de faire évoluer l’École », est-il précisé dès l’introduction du document. Le constat est en effet indéniable (et les conclusions des études comparatives internationales nous le rappellent d’ailleurs brutalement à intervalles réguliers) : en matière d’inégalités scolaires liées à l’origine sociale, notre enseignement obligatoire est l’un des plus inégalitaires qui soit, générant systématiquement de la sélection, de la ségrégation et de l’exclusion. Cette situation n’est ni socialement ni démocratiquement acceptable et appelle désormais urgemment des réformes à la hauteur de l’enjeu. Il s’agit là d’une des convictions fortes exprimées (en termes certes très feutrés) par l’ensemble des concepteurs du Pacte : « Notre système scolaire produit des résultats insatisfaisants tant en termes d’efficacité que d’équité. (…) Il est temps de dépasser les constats répétés, parfois depuis de nombreuses années, sur le fait que l’école ne donne plus à chaque enfant ou adolescent le bagage nécessaire pour lui permettre de s’engager activement dans la vie. » C’est donc bien et d’abord sur sa capacité à répondre efficacement à ce lourd déficit d’équité et d’efficacité scolaire que le Pacte joue sa crédibilité et qu’il devra, à terme, être évalué.

Le deuxième enjeu relève de la « gouvernance » du système scolaire. On l’a dit, le Pacte résulte d’un travail de concertation et de négociation entre les « partenaires sociaux » de l’École (réseaux, syndicats, parents). Par principe davantage préservé des aléas propres aux compromis et aux alliances politiques, cet accord est a priori assuré d’une plus grande stabilité dans le temps (nécessaire à sa mise en œuvre sur deux législatures au moins) ainsi que d’un surcroît de légitimité du fait que ce sont les « acteurs de terrain » (ou du moins leurs représentants) qui ont élaboré ce projet de réforme. Ceux-ci sont ainsi censés être les plus qualifiés pour cerner la complexité des problèmes et les pistes de solutions. Et c’est bien là l’un des paris du Pacte : forcer un compromis sur une réforme de long terme du système éducatif basé sur la concertation sociale et l’implication active des « partenaires sociaux » de l’École, afin de lui assurer un maximum de pérennité et de légitimité. En ce sens, la survie du Pacte dépendra du respect que lui portera la coalition actuellement en place, et celles qui lui succéderont, dans sa mise en œuvre intégrale. Plus globalement, c’est l’importance et le rôle de la concertation sociale au sein de la « gouvernance » du secteur de l’enseignement, et plus généralement au sein de la FWB, qui est ainsi éprouvé.

Le troisième enjeu est de nature plus institutionnelle. La FWB est, on le sait, une institution dont l’utilité politique est régulièrement remise en question. Son manque d’efficacité, son incapacité supposée à se réformer, ses récurrents problèmes budgétaires liés à son impuissance fiscale amènent certains à plaider pour une régionalisation de ses compétences, dont (et prioritairement) celle de l’enseignement obligatoire. Sur ce point, nul doute que l’avenir de la FWB est intimement lié à la réussite, ou non, du Pacte.

Une dimension systémique



Cela étant, précisons que l’arsenal de recommandations proposé par le Pacte ne s’inscrit pas, à proprement parler, dans une perspective de « refondation » du système scolaire, contrairement à ce que certaines déclarations initiales pouvaient laisser entendre et comme certains pouvaient l’espérer. Les termes de la loi du « Pacte scolaire » de 1959 et les équilibres historiques régulant le fonctionnement du système scolaire restent globalement inchangés (les réseaux gagnant d’ailleurs en légitimité et en puissance d’action). Du reste, le « Pacte d’excellence » résulte lui aussi d’un délicat compromis entre des attentes et des conceptions de « l’école réformée » qui ne sont pas, a priori, nécessairement concordantes (notamment entre représentants syndicaux et des PO). C’est la raison pour laquelle les négociateurs du Pacte insistent sur sa dimension « systémique », appelant le gouvernement à s’en saisir comme un tout cohérent : « le groupe central, est-il écrit, insiste sur le fait que les orientations qu’il préconise ne sont pas un catalogue dans lequel chacun peut faire son marché (…). Elles ouvrent des perspectives sur des sujets complexes, mais constituent également des points d’équilibre et de compromis qui résultent d’un long et patient travail collectif. » En bref, le paquet de réformes proposées est à prendre ou à laisser : si le gouvernement s’aventurait à favoriser certaines orientations au détriment d’autres, l’idée même de « Pacte » en deviendrait caduque.



 C’est d’abord sur sa capacité à répondre efficacement à ce lourd déficit d’équité et d’efficacité scolaire que le Pacte joue sa crédibilité et qu’il devra, à terme, être évalué. 

Taux d’échec et décrochage


L’économie générale du « Pacte pour un enseignement d’excellence » est structurée en cinq grands « axes stratégiques d’actions » ; chaque axe étant lui-même décliné en une série de propositions et de recommandations plus spécifiques, nécessitant un phasage dans le temps et visant des objectifs à court, moyen et long terme.

D’un point de vue budgétaire, leur mise en œuvre nécessitera des dépenses nouvelles, de l’ordre de 300 millions d’euros en rythme annuel de croisière dont une majeure partie (environ 230 millions) devrait à terme être financée par des « réorientations au sein du budget actuel de l’enseignement » (entendez : par les effets retours escomptés de certaines mesures).

De façon générale, la dynamique du Pacte poursuit un double objectif clairement identifié : réduire le taux d’échec et de décrochage scolaire de 50 % d’ici 2030. Il s’agit là d’un objectif incontournable sachant que notre système scolaire bat tous les records en la matière : un élève sur deux a déjà redoublé au moins une fois en 3e secondaire (c’est un taux quatre à cinq fois supérieur à la moyenne des autres pays de l’OCDE) ! L’échec est, on le sait, socialement inégalitaire (car fortement corrélé à l’origine sociale des élèves), générateur de décrochages, pédagogiquement contreproductif, psychologiquement néfaste et extrêmement coûteux (aux alentours de 350 millions d’euros par an !). L’objectif de diminution de moitié du taux de redoublement constitue dès lors un objectif (minimal) pertinent en termes d’équité et d’efficacité. Il ne pourra être atteint qu’en activant une multitude de leviers interdépendants les uns des autres, détaillés au travers des cinq axes du Pacte. Impossible ici de tous les passer en revue. Centrons (très) brièvement notre propos sur deux chantiers (deux axes stratégiques) parmi les plus emblématiques du Pacte : la redéfinition et l’allongement du tronc commun et la réforme du modèle de gouvernance du système éducatif. 

 

 Les cinq axes stratégiques du « Pacte » :

1


- Enseigner les savoirs et compétences de la société du XXIe siècle et favoriser le plaisir d’apprendre, grâce à un enseignement maternel renforcé, à un tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire et à un cadre d’apprentissage révisé et reprécisé.


2

 
 - Mobiliser les acteurs de l’éducation dans un cadre d’autonomie et de responsabilisation accrues en renforçant et en contractualisant le pilotage du système éducatif et des écoles, en augmentant le leadership du directeur et en valorisant le rôle des enseignants au sein de la dynamique de l’établissement.


3

 
 - Faire du parcours qualifiant une filière d’excellence, valorisante pour chaque élève et permettant une intégration socioprofessionnelle réussie tout en renforçant son pilotage et en simplifiant son organisation.


4

  
 - Afin d’améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale tout en misant sur l’excellence pour tous, favoriser la mixité inclusive dans l’ensemble du système éducatif tout en développant des stratégies de lutte contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement.


5

 
 - Assurer à chaque enfant une place dans une école de qualité, et faire évoluer l’organisation scolaire afin de rendre l’école plus accessible, plus ouverte sur son environnement et mieux adaptée aux conditions de bien-être de l’enfant.

Un tronc commun renforcé


L’axe stratégique n°1 (voir encadré) préconise l’instauration progressive (de 2020 à 2027) d’un tronc commun renforcé, de la première maternelle à la troisième année du secondaire. Cette importante mesure est assortie d’un certain nombre de dispositions organisationnelles censées faire de ce tronc commun une vraie école du fondement pour tous : redéfini sur une base polytechnique et pluridisciplinaire (sans choix « d’options » donc), intégrant structurellement des dispositifs de remédiation devant permettre une gestion optimale de la diversité et de l’hétérogénéité des élèves, intégrant une approche éducative de l’orientation, etc. La mise en place de ce véritable tronc commun s’accompagne en outre d’une politique d’investissements conséquents dans l’enseignement maternel (traditionnel parent pauvre de l’enseignement) se traduisant notamment par l’engagement de 1.100 membres du personnel supplémentaires. L’idée : consolider l’égalité des chances et des acquis de tous les élèves dès le tout début de la scolarité (et du tronc commun), là où précisément se jouent les dynamiques d’accrochage scolaire, d’apprentissage de la langue de l’enseignement et de familiarisation de l’enfant au statut d’élève et à la culture scolaire. Ce projet d’une école commune pour tous de 3 à 15 ans constitue en soi une avancée considérable : porté par un vrai idéal d’égalité scolaire, il vise à favoriser la mixité sociale et scolaire au sein des classes et des établissements scolaires, à contrecarrer les logiques de (pré)orientations précoces s’apparentant trop souvent à des logiques de relégations. Il vise aussi à assurer théoriquement à tous les élèves de 15 ans, sans distinction aucune, un même bagage de savoirs et de compétences considérés comme essentiels à l’exercice d’une citoyenneté effective et à une émancipation sociale et professionnelle réussie. L’instauration de ce tronc commun réellement inclusif et allongé jusqu’à au moins 15 ans est d’ailleurs revendiqué depuis de nombreuses années par de nombreux militants et acteurs associatifs et syndicaux. Il va sans dire que la mise en place de ce tronc commun revisité et allongé s’accompagne de défis considérables. Principalement pour les équipes éducatives qui auront la responsabilité d’amener à la réussite des cohortes d’élèves de la 1re maternelle à la 3e année du secondaire, au sein d’un unique parcours scolaire. Elles devront gérer davantage d’hétérogénéité (des niveaux, des cultures, des situations individuelles), tout en limitant drastiquement la pratique du redoublement comme mode de gestion « classique » de cette hétérogénéité des classes. À ce titre, le Pacte prévoit l’instauration et le développement de dispositifs pédagogiques et d’outils de diagnostics précoces, de différenciation, de remédiation, d’évaluation formative, tout en insistant sur la nécessité de donner davantage d’ampleur au travail collaboratif entre enseignants.



Un nouveau modèle de gouvernance


La réforme du modèle de « gouvernance » du système éducatif constitue quant à elle une seconde dimension centrale du pacte, déclinée dans son « axe stratégique » n°2. L’objectif déclaré reste le même : améliorer à terme l’efficacité et l’équité du système scolaire. Cette nouvelle approche de la « gouvernance » entend favoriser l’implication de l’ensemble des acteurs de l’École en renforçant à la fois leur autonomie d’actions et d’initiatives tout en les responsabilisant par rapport à leurs résultats (objectifs). Il s’agit de la sorte d’appliquer à toutes les écoles une exigence de reddition de compte à l’égard de leur pouvoir subsidiant.

Cette nouvelle « culture » de l’autonomie et de la responsabilisation, le Pacte prévoit de l’implémenter à tous les étages du système scolaire, du niveau macro (la FWB, les PO et les établissements) au niveau plus micro (PO, directions et enseignants).

Au niveau macro, cela se traduit par la mise en place d’un « pilotage par objectifs » du système scolaire qui repose sur une définition « contractuelle » des rapports entre le pouvoir régulateur (la FWB), les PO et les établissements. Dans les très grandes lignes,(1) le Gouvernement (le pouvoir régulateur) fixe des objectifs généraux (en termes d’équité, d’efficacité et d’efficience) à atteindre par le système scolaire dans son ensemble, (2) chaque établissement scolaire (PO, directeur et équipe éducative selon une dynamique participative) élabore un « plan de pilotage » déclinant les objectifs spécifiques qu’il se propose d’atteindre à son niveau pour rencontrer les objectifs généraux précités, et (3) chacun de ces plans de pilotage fait à terme l’objet d’une contractualisation (devenant de la sorte « un contrat d’objectifs ») avec un représentant du pouvoir régulateur au niveau sous-régional (zones). Il est en outre prévu un accompagnement spécifique de contractualisation pour les établissements dits « en difficulté » (ceux qui dans les faits concentrent les publics d’élèves les plus fragilisés). Sur base d’un diagnostic préalable (réalisé par l’administration centrale), le pouvoir organisateur de ces écoles en difficulté propose un dispositif dit de « rattrapage » (pouvant inclure divers soutiens spécifiques) qui, une fois contractualisé, fera quant à lui l’objet d’une évaluation annuelle. Le plan de pilotage de chaque école doit en principe être adopté pour une durée de six ans au terme desquels il est évalué 4 (dans une optique « collective, compréhensive et constructive », précise le texte) et réactualisé. Même si les objectifs fixés par le gouvernement pour l’ensemble de la FWB sont contraignants, les rédacteurs du Pacte insistent toutefois sur le fait que ce modèle de pilotage par objectifs se veut respectueux de l’autonomie des écoles. L’objectif visé ne consiste nullement « à les mettre sous tutelle en leur assignant des objectifs spécifiques de manière technocratique dans une démarche purement top-down ». Ce sont bien les PO et les directions, en étroite concertation avec les équipes éducatives qui sont responsables de l’élaboration et, après procédure de contractualisation, de la mise en œuvre de leur propre plan de pilotage. Et si les objectifs ne sont pas atteints ? Dans la majorité des cas, des mesures correctrices devront être intégrées dans les nouveaux plans de pilotage. Reste que, en cas de mauvaise volonté manifeste, des mesures plus contraignantes sont envisagées, de la commande d’audits externes à la désignation de « managers de crise ».




Il s’agit d’implémenter une nouvelle culture de l’autonomie et de la responsabilisation à tous les étages du système. 




Au niveau plus micro, ce nouveau cadre d’autonomie et de responsabilisation implique également une série d’évolutions allant dans le sens, par exemple, d’un leadership renforcé des directions, d’une autonomie accrue des équipes éducatives quant au choix des moyens et méthodes à mettre en œuvre pour atteindre leurs objectifs par une plus grande souplesse accordée dans la gestion des moyens d’encadrement, par des procédures d’évaluation des enseignants, etc.

Ce nouveau modèle de gouvernance tente ainsi de concilier deux exigences perçues comme nécessaires à l’amélioration de l’efficacité générale du système éducatif : une exigence de liberté et d’autonomie d’une part – nécessaire à un ajustement optimal des moyens et des méthodes aux objectifs à atteindre – et une exigence de reddition de compte d’autre part, plaçant tous les acteurs de l’école face à leur responsabilité dans la poursuite de ces mêmes objectifs.

Orientation sociale versus libérale


Les premiers décrets initiant la mise en œuvre de la dynamique réformatrice du Pacte ont d’ores et déjà été votés. Mais l’essentiel reste à faire et de nombreuses questions restent pendantes. La question du consensus autour du projet de réforme notamment, consensus des acteurs politiques (évoqué plus haut) mais aussi des acteurs éducatifs (les enseignants) : ni l’un ni l’autre n’est totalement assuré. L’adhésion du corps enseignant au projet et à ses finalités reste un enjeu majeur, d’autant que le Pacte induit une conception profondément renouvelée du métier d’enseignant (autonomie renforcée, travail plus collaboratif, évaluations, diversifications des missions, travail de remédiation, etc.). À cet égard, une réforme conséquente de la formation initiale des enseignants (articulation de son contenu aux principaux axes du Pacte et allongement de sa durée) s’avère être une condition indispensable à la réussite du Pacte. Annoncée depuis des années, cette dernière se fait toujours concrètement attendre.

Plus fondamentalement, la dynamique programmatique générale du Pacte mérite d’être sérieusement interrogée. Au-delà de sa cohérence formelle, il est assez manifeste que cette dynamique est travaillée par deux orientations « idéologiques » potentiellement en tension : une orientation « sociale » d’une part, indexée à des objectifs d’émancipation et d’égalité des chances et des acquis (…) et une orientation plus « libérale » d’autre part, davantage indexée à des objectifs d’efficacité et d’efficience du système. Cette dernière se manifeste notamment à travers l’imposition d’une nouvelle forme de lexique institutionnel (« leadership », « contrat d’objectifs », « plan de pilotage », « excellence », etc.) et de dispositifs managériaux qui imprègnent le nouveau modèle de « gouvernance » du système scolaire. Que les orientations à tonalité plus « libérale » du Pacte neutralisent les effets potentiellement égalitaires et émancipateurs de ses orientations à finalité plus « sociale » inquiète bon nombre d’observateurs et militants de l’égalité scolaire. Il est même à craindre pour certains qu’un tel modèle de gouvernance contribue au final à renforcer la concurrence et les inégalités scolaires ; crainte d’autant plus fondée que ce modèle de gouvernance laisse inchangé le mode actuel de régulation en quasi-marché du système scolaire et s’en accommode parfaitement. Enfin, la timidité des réponses apportées par le Pacte à certaines problématiques scolaires importantes, telles que la non-gratuité effective de l’école ou son déficit de mixité sociale, ne va pas pour apaiser les esprits.

Une politique intégrée


Un autre point d’attention porte sur le soutien équilibré aux différents champs de compétences gérés par la FWB qui tous concourent à une politique globale d’émancipation et d’égalité sociale. En ce sens, l’enjeu est de développer une politique globale et intégrée de socialisation et d’éducation. Cela concerne évidemment l’institution scolaire, mais cela concerne tout aussi fondamentalement des secteurs tels que l’accueil de la petite enfance, le soutien au secteur associatif, les organisations de jeunesse, les institutions culturelles, etc. Autant de secteurs qui sont aujourd’hui structurellement sous-financés et qui risquent de voir leur développement (et leur efficacité) entravé, faute de ne pouvoir bénéficier de ressources nécessaires pour cause, notamment, d’investissement prioritaire dans l’École. Celle-ci ne peut pas tout et n’est pas toute seule : l’efficacité de sa mission émancipatrice dépend également et étroitement du développement des autres secteurs d’actions publiques qui participent, par d’autres voies, à la réalisation de cette même mission. Un juste équilibre des investissements publics au soutien et au développement de toutes les compétences de la FWB est donc un enjeu essentiel.

Réforme ou refondation ?


Reste une question lourde et difficile : réforme ou refondation de l’École ? Cette question anime également le débat. L’ambition réformiste du Pacte est jugée largement insuffisante par certains qui considèrent que l’École telle que nous la connaissons est une institution historique désormais obsolète, en total décalage avec les grandes mutations sociétales et technologiques en cours. Tenter une énième fois de la réformer reviendrait à vouloir maintenir artificiellement en vie un projet éducatif qui n’est par principe plus à même de répondre valablement aux vrais enjeux du XXIe siècle et qui est de toute façon inexorablement vouée à la fragmentation et à la marchandisation. D’où l’idée défendue par certains de tourner la page et d’initier un large débat démocratique sur les contours souhaitables d’une « nouvelle institution éducative commune » dont la légitimité renouvelée reposerait sur sa capacité à reformuler un vrai programme éducatif émancipateur en phase avec les défis du siècle.

Toute conciliation entre cette option de refondation et celle portée par le Pacte est difficile à imaginer. Mais il y a fort à parier que les débats autour d’une nécessaire et complète refondation de l’École monteront à l’avenir en puissance si le modèle « d’enseignement d’excellence » promu par les réformes du Pacte devait correspondre aux prédictions les plus alarmistes qui lui sont faites. #

1. Document disponible sur le site dédié au Pacte pour un enseignement d’excellence : www.pactedexcellence.be

2. Ce « groupe central » est composé de représentants des fédérations des pouvoirs organisateurs, des fédérations d’associations de parents, des centrales syndicales d’enseignement, de représentants de l’administration générale de l’enseignement ainsi que des principaux ministres concernés (Enseignement obligatoire, supérieur et de Promotion sociale).

3. Cet accord faisait écho à un appel à une « refondation de l’École » lancé peu avant les élections par un large panel d’acteurs associatifs, syndicaux et académiques.



4. Une évaluation intermédiaire est prévue au terme de la 3e année.