octobre InterviewNB« Indice de bonheur moyen » est le titre du livre du jeune auteur portugais David Machado pour lequel il gagna en 2015 le prix de littérature européenne. Le portail d’informations européen Euractiv en faisait écho comme « le roman de la grande récession » 1, cette crise financière qui débuta en 2007. Et le comparait aux romans de John Steinbeck sur la crise de 1929.


Quel est le point de départ d’« Indice de bonheur moyen » ?

Je n’ai pas voulu écrire un livre sur la crise en tant que telle. « Indice de bonheur moyen », c’est avant tout l’histoire de Daniel, c’est l’histoire d’un homme en crise. C’est l’histoire d’un homme qui perd progressivement tout : son travail, sa maison, sa famille... Et cela se passe pendant ces années de crise. En racontant l’histoire de Daniel, j’ai voulu raconter des situations qui se déroulaient directement autour de moi. Daniel, c’est en même temps celui qui, malgré toutes ses difficultés, continue toujours à se battre et qui reste fondamentalement optimiste. Que tant de lecteurs soient interpellés par l’histoire de Daniel me touche beaucoup. Son histoire semble résonner dans beaucoup d’entre nous. J’ai pu m’en rendre compte lors des soirées de présentation du livre, je n’aurais jamais imaginé cela. Mais, à la base, je n’ai pas écrit le livre en voulant raconter une histoire générale, européenne.



C’est donc avant tout l’histoire d’une personne, l’histoire d’un optimiste ?

Pour nous tous, mais surtout pour un optimiste, quelqu’un de confiant dans le futur comme Daniel, ce n’est pas facile de devoir changer le rapport au futur. Je me suis rendu compte que nous avons tous une relation compliquée au futur. Celle-ci est en fait très semblable à notre relation au passé. Nous avons des projections ou des attentes et nous avons de la confiance. Si, tout d’un coup, tout se transforme, c’est comme si on perd son identité et que tout s’efface.



« C’est le problème de tout le monde aujourd’hui : les vies que nous avions disparaissent, les personnes qui étaient là ne sont déjà plus et même comme cela on continue à se battre pour hier, sans se rendre compte qu’hier n’est pas une chose pour laquelle cela vaut la peine de se battre ». C’est un passage de votre livre, d’où vient ce constat ?

En investiguant sur la crise financière aux États-Unis, je suis tombé sur une recherche qui expliquait que toutes les personnes confrontées à la crise qui avaient perdu leur emploi finissaient par dire la même chose, à savoir qu’elles n’étaient plus en capacité de se présenter, de dire qui elles étaient. Avec la perte de leur emploi, c’est comme si elles n’étaient déjà plus la même personne. Elles ne savaient plus quoi répondre dans des moments déterminés. Cela m’a beaucoup interpellé. Comment est-on arrivé à un point tel dans l’histoire de l’humanité que le travail nous définisse tellement et qu’il soit autant associé au sens de la vie que dès lors, quand on perd son emploi, on ne puisse plus se définir ?



Dans l’histoire c’est à ce moment-là que Daniel veut monter avec ses amis une initiative de site web d’entraide ?

Daniel est un homme très commun, un homme moyen, il est comme nous. Pour ce qui est de la création du site, cela signifie beaucoup de choses en même temps. C’est pour Daniel un site d’entraide, mais c’est aussi un moyen de gagner de l’argent et de pouvoir survivre. Aider, cela peut être gratifiant, mais cela peut aussi être énervant. Et le livre parle de cela.



Quel regard portez-vous sur le Portugal d’aujourd’hui ?

Le Portugal a beaucoup changé. Les relations ont beaucoup changé, l’économie a beaucoup changé, surtout le tissu économique rural. On peut parler d’une désertification sociale à la campagne. Les autoroutes sont mises en avant. Mais pour qui ? Aujourd’hui, il y a une inversion de tendance, une demande d’aller dans un autre sens. Mais je constate en même temps un individualisme très grand au Portugal : il y a peu d’espace pour le communautaire et pour l’esprit collectif organisé.



Quid de l’Europe ?

L’Europe est encore certainement la meilleure région du monde pour les travailleurs lorsqu’elle est comparée aux USA et plus encore à l’Asie... Mais nous avons beaucoup perdu après les années de crise, notamment les acquis sociaux. Pendant la crise, beaucoup de lois sur le travail ont été annulées, avec la promesse d’une remise en place après la récession. Mais une fois que la situation s’est améliorée, cette remise en place n’a pas eu lieu et c’est extrêmement préoccupant. Il y a pourtant eu des luttes très importantes pour obtenir ces droits...



Que signifie « Indice de bonheur moyen » ?

C’est une référence à un indice qui existe réellement et qui est continuellement évoqué dans le livre. Sur une échelle de 0 à 10, celui-ci indique le degré de satisfaction ressenti dans la vie prise dans son ensemble. Au niveau des pays, c’est le Costa Rica qui arrive en tête de la liste, le Togo se trouve à la fin. Selon l’enquête, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Congo et la Côte d’Ivoire, aux places 127 à 130, partagent le même indice que le Portugal. L’indice portugais a surtout chuté après 2008. #


David Machado – Indice de bonheur moyen : 

« Daniel a un plan, une sorte de journal intime de l’avenir, dans lequel il anticipe toutes les étapes de sa vie. Parfois, il lui a bien fallu revenir en arrière et faire quelques ajustements mais, globalement, tout se passe comme prévu. Jusqu’à ce que la crise frappe de plein fouet son pays, le Portugal, et au premier chef cette génération d’enfants de la Révolution des Œillets auxquels on avait promis que leur situation serait meilleure que celle de leurs parents. Daniel perd son emploi, son appartement. Sa femme et ses enfants doivent quitter Lisbonne. Ses deux meilleurs amis sont absents : l’un est enfermé chez lui, obsédé par des statistiques et profondément déprimé ; l’autre a été arrêté lors d’une tentative désespérée pour trouver de l’argent. Mais Daniel ne se laisse pas abattre. Inébranlable, il frappe à toutes les portes. Tout faire dans le sens d’une société juste : on le doit à la génération suivante. Un roman éblouissant sur le bonheur et l’espoir. » 1 

1.     www.editionsdelaube.fr/catalogue/indicedebonheurmoyen



Propos recueillis par Thomas Miessen



1. https://www.euractiv.com/section/languages-culture/news/the-great-recession-novel-david-machado-s-average-happiness-index/

 La situation sociale portugaise

Dans le contexte de la crise, le Portugal s’était vu imposer en 2011 un programme d’austérité extrêmement dur par la Troïka qui visait essentiellement à rassurer les investisseurs et détenteurs de la dette portugaise. Celle-ci était, à ce moment-là, en forte augmentation et en très grande partie dans des mains étrangères. Les mesures imposées concernaient en grande partie le monde du travail, comme notamment la négociation collective. La résolution 90/2012 rendait ainsi l’extension des conventions collectives beaucoup plus compliquée. Nulle part ailleurs en Europe, la conclusion de conventions collectives avait par la suite connu une telle chute. (Voir graphique ci-contre).

L’actuel gouvernement d’Antonio Costa composé de partis de la gauche modérée et radicale, élu en juin 2015, mène depuis lors une politique de réformes progressistes dans le cadre européen donné d’orthodoxie budgétaire persistante. C’est ainsi que son gouvernement a fait voter le rétablissement des 35 heures dans le secteur public et une légère augmentation du salaire minimum. Son gouvernement a en même temps pu diminuer le déficit budgétaire et le chômage. Ceci amène Antonio Costa à déclarer en septembre 2017, au collège de Bruges, en séance inaugurale de l’académique 2017 – 2018 que le Portugal est un exemple du futur pour l’Europe. Malgré un travail impressionnant, il faut néanmoins souligner les limites de l’action gouvernementale portugaise. Le cadre d’austérité au niveau européen, le chômage, la précarité et l’informalité de beaucoup de relations de travail restent très importants, au point que les Portugais ne ressentent pas de réelle amélioration. 









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