octobre DossierL’individualisation des droits sociaux fait partie, depuis une vingtaine d’années, des positions du Mouvement ouvrier chrétien. Globalement, la revendication est restée plutôt en rade. Quelques mesures politiques s’en sont tout de même réclamées, comme la limitation dans le temps des pensions de survie avant quarante-cinq ans. Ces mesures ont causé autant d’insatisfaction, ou du moins de perplexité, que le manque général d’avancées. Comment l’expliquer ? S’agit-il d’un de ces cas où une idée généreuse a été détournée de son sens ? Ou y aurait-il dans le concept même une ambiguïté qui expose à de telles déconvenues ? Éclairage.

Le concept d’« individualisation des droits » sonne assez technique. À défaut d’être compris immédiatement de tout le monde, il peut donner l’impression de se référer à des notions connues des spécialistes. Or, la notion n’est pas univoque, y compris pour les spécialistes. Même après avoir évacué les ambiguïtés de base (individualisation n’est pas synonyme d’individualisme ; il n’y a pas nécessairement contradiction entre individualisation et solidarité...), elle peut désigner des programmes différents dans leurs objectifs comme dans leurs effets, même s’ils se prévalent d’une préoccupation commune.

L’individualisation des droits sociaux signifie que l’individu est la seule référence pour le droit aux prestations sociales. Chacun est couvert par des « droits propres », autrement dit à des conditions qu’il remplit lui-même, par opposition aux « droits dérivés », qui dérivent du statut social d’un tiers – généralement le conjoint ou un autre membre de la famille. Il n’y a pas de « sélectivité familiale » dans les prestations, c’est-à-dire que leur montant n’est pas modulé en fonction de la composition du ménage.

La première préoccupation à la base du concept concerne le statut de la femme, et particulièrement de la femme mariée (ou vivant en couple). Pour des raisons de principe (l’égalité) comme pour des raisons pratiques (le risque de divorce), le postulat est que sa protection sociale ne peut pas dépendre de son conjoint.


Assurance ou universalisation ?



Pour réaliser l’émancipation souhaitée, il y a deux méthodes. La première se situe dans la logique d’assurance sociale qui a caractérisé historiquement un pays comme la Belgique. Dans ce scénario, l’individualisation s’autorise de la notion d’assurance. Si on cotise au système sans avoir égard à la composition du ménage, n’est-il pas illogique que les prestations tiennent compte de cet élément ?

Un deuxième scénario d’individualisation passe par l’universalisation des droits, autrement dit le découplage des droits sociaux et du statut professionnel. Ce scénario laisse a priori intacts les flux de solidarité vis-à-vis des personnes sans statut professionnel – y compris, par exemple, les femmes au foyer. Mais cette solidarité s’exprime directement par l’octroi de droits propres, sans faire le détour par le statut socioprofessionnel d’un « chef de ménage ». Mais si la protection sociale ne dérive plus d’une relation d’assurance créée par le statut professionnel, quel est alors son fondement ?

Il pourrait s’agir d’une solidarité vis-à-vis des plus démunis. Mais si le critère d’octroi des prestations est l’état de besoin, l’individualisation des droits trouve rapidement ses limites. L’individu ne saurait être la seule mesure de ses besoins. Le revenu qui lui est accordé doit le couvrir lui, mais aussi les personnes qui sont à sa charge. On pourrait concevoir, en théorie, un système social qui rende sans objet les majorations pour personnes à charge, comportant par exemple des allocations familiales couvrant tous les besoins de l’enfant ; mais nos systèmes concrets sont loin de permettre cette évolution. Et si l’idée est d’assurer un minimum vital, celui qui peut prétendre à une part des revenus d’un autre se trouve dans une situation très différente de celui qui doit assumer seul les besoins de l’existence.

Depuis que les droits sociaux ont acquis le statut de droits de l’Homme, la simple qualité d’être humain peut suffire à fonder le droit à la protection sociale. Mais comme la protection sociale est organisée dans le cadre d’une communauté politique, il faut bien rattacher l’être humain à cette communauté. On entend par exemple parler, ces derniers temps, de « revenu de citoyenneté ». Cette expression doit cependant être définie. Si elle s’identifie à la nationalité (fût-elle européenne), il faudrait que la Belgique révoque la Convention européenne des droits de l’Homme, qui s’oppose à de telles discriminations ; le MOC devrait sacrifier non seulement une de ses positions, mais un des fondements de son action. Disons provisoirement que le critère plus trivial de la résidence peut suffire comme facteur de rattachement. De fait, ce critère pourrait avoir une pertinence pour des risques sociaux comme la vieillesse ou le besoin de soins de santé, qui n’ont pas en soi de rapport avec le travail.

Comme critère général d’octroi de revenus sociaux au profit d’adultes en âge de travailler, il devrait s’agir, pour réaliser une vraie individualisation des droits, d’une « allocation universelle », c’est-à-dire d’un régime dépourvu de toute condition d’octroi : non seulement de tout lien avec le statut professionnel ou avec la composition du ménage, mais aussi de toute condition liée à la définition d’un « risque social », comme un taux d’invalidité, le fait d’être privé d’emploi et de rémunération tout en étant disposé à travailler, etc.

Un tel scénario réaliserait assurément l’individualisation des droits, mais s’agit-il encore d’un système de protection sociale ? Les quelques exemples concrets existant dans le monde (en Alaska, à Macao, dans certaines réserves indiennes des États-Unis...) consistent à redistribuer sur une base égalitaire le produit d’une rente (celle du pétrole dans le cas de l’Alaska, le bénéfice de casinos ou d’attractions touristiques dans les autres exemples...) sans aucune référence aux éléments pertinents de la justice distributive et sans aucune garantie de couvrir par ce moyen les besoins sociaux.



Comme critère général d’octroi de revenus sociaux au profit d’adultes, il devrait s’agir, pour réaliser une vraie individualisation des droits, d’une allocation universelle.




Dans le cas de la Belgique, aucun scénario connu d’allocation universelle ne permet à la fois de réaliser une individualisation des droits et d’assurer la sécurité d’existence de tous ses bénéficiaires. Soit le montant envisagé est inférieur à ce qui est nécessaire pour vivre, tout en étant inutile à la majorité de ses bénéficiaires, et alors qu’il serait attribué à des gens (on pense par exemple aux criminels) dont on peut se demander pourquoi ils bénéficieraient de la solidarité. Dans certains scénarios, l’allocation universelle serait d’ailleurs complétée par une sécurité sociale « classique », et le système social dans son ensemble n’échapperait pas à la question que nous nous posons. Soit il ne s’agit pas réellement d’une allocation universelle, dans le sens où l’on maintient des critères de sélectivité (entre autres sur la base des revenus), en les situant éventuellement en dehors du système social (par exemple dans la fiscalité). Soit, tout simplement, le scénario envisagé est impayable selon les paramètres actuels de l’économie.



Les pensions de survie


Dans la sécurité sociale belge, les droits dérivés concernent principalement la perte de revenus liée au décès du travailleur. Ce risque est couvert au profit du conjoint dans le secteur des pensions (« pensions de survie ») et au profit de certains membres de la famille dans le secteur du risque professionnel (accidents du travail et maladies professionnelles). On se limitera ici au secteur des pensions. Les pensions de survie étaient au départ réservées aux veuves. D’une certaine façon, elles avaient pour paradigme le schéma familial traditionnel dans les classes moyennes, où l’homme exerçait une activité professionnelle et où la femme s’occupait du ménage. Ce qui ne veut pas dire que le risque de veuvage ne concernait pas les classes populaires. Beaucoup de femmes d’ouvriers avaient une occupation professionnelle, mais celle-ci ne procurait habituellement pas un revenu suffisant pour faire vivre une famille, et n’ouvrait pas un droit à une pension de retraite suffisante. Depuis que le droit à la pension de survie a été ouvert aux hommes, et que par ailleurs le mariage a été ouvert aux couples homosexuels, la pension de survie concerne des modèles familiaux non traditionnels. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est adaptée aux risques sociaux tels qu’ils se présentent actuellement.

Tout d’abord, elle ne couvre pas le décès d’un partenaire non marié. Les propositions n’ont pas manqué pour l’étendre aux couples non mariés (éventuellement limités à ceux qui ont fait une déclaration de cohabitation légale). Ces propositions ont buté sur l’impossibilité de définir juridiquement, sans parler de contrôler administrativement, la notion de couple non marié, si du moins on veut éviter de dilapider les budgets en accordant des pensions dans toutes sortes de situations très éloignées de la notion intuitive de « vie maritale ».

Ensuite, la pension de survie n’est accordée qu’au conjoint marié au moment du décès du travailleur. Le conjoint divorcé au moment du décès ne peut pas prétendre à une pension de survie. Or, beaucoup de mariages se terminent aujourd’hui par un divorce. La pension de survie ne protège pas le conjoint qui a sacrifié sa carrière dans le cadre d’une décision de couple, lorsque par la suite le couple se défait.

Il existe une pension dite « de conjoint divorcé », qui complète la pension de retraite par la prise en compte des années de mariage à concurrence d’une certaine proportion du salaire de l’ex-conjoint. Ce système n’est pas satisfaisant. Il aboutit, le cas échéant, à payer deux pensions sur la base d’une seule cotisation, et pourrait être interprété comme une « prime au divorce ». De fait, du point de vue de la sécurité sociale, il aboutit à payer plus à un couple divorcé qu’à un couple resté uni. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit vraiment d’une « prime au divorce » du point de vue de ceux qui en bénéficient. Le taux de remplacement des années de mariage est particulièrement médiocre. Les intéressés auraient sans doute gagné (financièrement) à rester ensemble.



 La Commission européenne a plaidé pour le remplacement de droits dérivés par des droits propres, selon le modèle de protection sociale en vigueur dans les pays nordiques.




Enfin, dans la logique d’un revenu de remplacement, la pension de survie n’est pas accordée si le bénéficiaire travaille au-delà de certaines limites. Cette règle ne pose pas de problème lorsque la pension est accordée à quelqu’un qui a lui-même atteint l’âge de la retraite. Lorsqu’il s’agit de quelqu’un qui est encore en âge d’activité, elle le dissuade d’exercer une activité professionnelle. C’est problématique si l’on admet qu’il faut avoir un « taux d’activité » aussi élevé que possible pour assurer le développement économique.

C’est pour cette raison que la Commission européenne et d’autres instances internationales ont plaidé pour le remplacement de « droits dérivés » par des « droits propres », selon le modèle de protection sociale en vigueur dans les pays nordiques.

Une pension de base ?


Lorsque le droit à la pension dépend des années de carrière, une telle réforme suppose que tout le monde ait un statut professionnel qui lui ouvre un droit à une pension satisfaisante. Il faut que la société, et plus particulièrement le système économique qui supporte le système de protection sociale, offre aux hommes et aux femmes des chances égales en matière d’emploi et de rémunération. Il faut poursuivre une politique de plein emploi. Il faut lever les discriminations, directes et indirectes, basées sur le genre. Il faut offrir des dispositifs permettant de combiner responsabilités familiales et vie professionnelle (congés assimilés à du travail, solutions d’accueil de l’enfance, etc.). Il faut éliminer la division sexuée du travail, qui voue statistiquement les femmes à des emplois moins rémunérés et les prive de certaines possibilités d’évolution de carrière. Tant que ces conditions ne sont pas réalisées, l’individualisation des droits ne protège pas contre les effets d’une rupture du lien conjugal. Elle n’empêche pas, par exemple, que les femmes bénéficient statistiquement de pensions moins élevées que les hommes. Aucun pays ne peut se vanter d’avoir réalisé entièrement ces conditions, et la Belgique, à ce point de vue, ne figure pas dans le peloton de tête.

Ce peloton de tête regroupe, en gros, les pays nordiques. Mais même dans ces pays, les réalisations en matière d’égalité entre hommes et femmes n’ont pas suffi à rendre sans objet les droits dérivés. Un autre facteur essentiel est que, dans ces pays, le droit à la protection sociale ne dépend pas uniquement du statut professionnel. Dans le domaine des retraites, par exemple, les pensions légales basées sur les cotisations complètent une pension de base, accordée sur la seule base d’années de résidence. Le montant nominal de cette pension de base n’est pas très différent de la garantie de revenus aux personnes âgées (GRAPA) qui existe en Belgique. Mais la GRAPA belge est une prestation d’assistance. Les pensions légales en sont déduites à concurrence de 90 % de leur montant. Les revenus de capitaux ou de biens immobiliers sont déduits sur la base d’un rendement présumé, supérieur à ce qu’un particulier peut normalement espérer d’un placement. Tandis que la pension de base nordique est partiellement cumulable avec la pension légale, et totalement cumulable avec le revenu de l’épargne, y compris par exemple les pensions complémentaires privées.

La pension de base ainsi conçue n’est pas une « allocation universelle ». Elle couvre un risque social classique, à savoir la vieillesse. Pour la grande majorité des gens, elle n’est qu’un élément d’une protection dont l’essentiel est apporté par des pensions légales basées sur les cotisations. Elle est soumise aux conditions d’octroi habituelles des pensions, par exemple des possibilités limitées de travailler ou de bénéficier d’autres revenus sociaux.



 Dans les pays nordiques, le droit à la protection sociale
ne dépend pas uniquement du statut professionnel.




C’est par la combinaison d’un marché de l’emploi plus favorable aux femmes et d’un système de protection sociale moins dépendant du statut professionnel que les pays nordiques ont pu, en effet, supprimer les « droits dérivés » dans le secteur des pensions, et ont inspiré la Commission européenne dans ses recommandations sur l’individualisation des droits. Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, la suppression des droits dérivés représente un recul social pour les femmes en tant que groupe, même si ce recul n’est pas ressenti par les femmes qui ont pu mener une carrière professionnelle « comme un homme».

Les personnes à charge dans l’assurance maladie



En matière de soins de santé, le droit à l’assurance est ouvert en principe sur la base du statut professionnel. Il l’est aussi, entre autres, aux personnes à charge du titulaire. La qualité de personne à charge peut être revendiquée par certains membres de la famille, dont le conjoint et les enfants, si leurs revenus professionnels ne dépassent pas un certain montant.

On peut s’étonner du maintien de cette règle, dès lors que l’ensemble de la population est désormais couvert par un seul régime d’assurance. L’universalisation de fait du régime ne se retrouve pas dans son financement, qui reste largement basé sur les cotisations des travailleurs salariés et de leurs employeurs. L’évolution du système n’est cependant pas de revenir à des « droits propres » basés sur un statut professionnel ou des cotisations personnelles. Il s’agit au contraire d’universaliser formellement le droit, laissant intacts les éléments de solidarité à l’égard, notamment, des allocataires sociaux et des plus démunis, mais aussi des personnes à charge.

En attendant, du point de vue des bénéficiaires, la couverture par des droits dérivés n’a plus d’incidence pratique. Ainsi, les droits sont constatés à l’aide de la carte d’identité. Les personnes à charge n’ont plus, comme naguère, à présenter le « carnet de mutuelle » du chef de famille pour obtenir des soins.

La sélectivité familiale dans le montant des allocations



Dans l’esprit de la plupart des militants, la revendication d’individualisation des droits vise moins les droits dérivés au profit des personnes à charge que le montant des revenus de remplacement. En Belgique, ce montant est déterminé entre autres par la composition du ménage. Sur un taux de base déterminé, des suppléments sont accordés à ceux qui ont des personnes à charge et à ceux qui vivent seuls.

Les suppléments pour personnes à charge ne font guère l’objet de discussion lorsqu’il s’agit d’enfants, ou éventuellement d’autres membres de la famille incapables d’avoir des revenus propres, par exemple des personnes âgées. Il n’en va pas de même lorsque la « personne à charge » est un adulte susceptible d’acquérir des revenus propres, notamment un conjoint en âge de travailler.

Dans le revenu d’intégration sociale (RIS), on a procédé à une forme d’individualisation des droits. Le taux « chef de ménage » ne peut plus, en principe, être accordé du chef d’un « conjoint au foyer » : les deux membres du couple doivent chacun faire valoir leur droit. Ils perçoivent chacun une allocation correspondant à la moitié d’une allocation de « chef de ménage ». Ils doivent remplir l’un et l’autre les conditions d’octroi du RIS, notamment celle d’être disposé à travailler.

Dans le chômage et l’invalidité, par contre, l’allocataire social peut avoir son « conjoint à charge ». Certains contestent cette caractéristique et plaident pour la suppression du supplément dans ce cas de figure. Dans la majorité des cas, cela ferait descendre le revenu du couple sous le seuil de pauvreté. Pour éviter cet effet, il faudrait que le conjoint au foyer d’un travailleur devenu chômeur ou invalide prétende lui-même à des allocations, soit en se rendant disponible pour le marché de l’emploi, soit en établissant un état d’invalidité. Toute autre question mise à part, on observera que cela ne changerait pas grand-chose aux flux de solidarité – et au « coût des droits dérivés » dénoncé par d’aucun(e)s, étant donné que ces droits, pour couvrir toutes les situations, devraient être ouverts sans cotisation préalable.

Le « statut de cohabitant »


Les suppléments pour isolés (ou, si l’on préfère, le fait que les cohabitants sans personnes à charge touchent moins que les isolés) sont par contre fortement contestés. La « suppression du statut de cohabitant » figure dans les positions d’un grand nombre d’associations de défense des droits de l’Homme ou de lutte contre la pauvreté.

Si on pose la question sous l’angle de la simple égalité de traitement, il faut être conscient qu’on ne peut s’appuyer sur aucun principe juridique pour revendiquer que l’égalisation se fasse vers le haut. On pourrait éventuellement contester qu’elle se fasse vers le bas, mais sans doute pas qu’elle se fasse autour d’un montant moyen assurant une neutralité budgétaire. Cela impliquerait que l’allocation des isolés soit dans la plupart des cas inférieure au seuil de pauvreté, ce qu’elle est déjà dans beaucoup de cas.

Aligner le taux des « cohabitants » sur celui des isolés représenterait un choix politique, qu’il faudrait situer sur une échelle de priorités sociales. Une première priorité pourrait être de corriger les aspects injustifiables en fonction des principes évoqués. Le problème, sous cet angle, est que la sécurité sociale belge range dans une seule catégorie des personnes qui se trouvent dans des situations substantiellement différentes. Certaines d’entre elles peuvent effectivement retomber sur les revenus suffisants d’un conjoint, de parents, etc. Mais d’autres doivent en fait assumer seules les besoins de l’existence, parce que les personnes avec lesquelles elles vivent n’ont aucune obligation à leur égard, ou n’ont tout simplement pas assez de revenus pour contribuer à leurs besoins. Ce problème se rencontre surtout dans le chômage. La CSC, par exemple, réclame un alignement des notions dans le chômage sur celles de l’invalidité. Cela comprendrait un relèvement des seuils de revenus pour être considéré comme personne à charge, et aussi une définition plus large de l’isolé, qui s’étendrait au cas où l’allocataire social vit avec une personne dont les revenus sont insuffisants pour le prendre à charge.

Dans le domaine du RIS, la distinction entre isolés et cohabitants se télescope peut-être avec la prise en compte des revenus de certains cohabitants dans l’enquête des ressources ; cette question technique dépasse cependant l’ampleur de cet article.



 La suppression du statut de cohabitant figure dans les positions d’un grand nombre d’associations. 




Une autre question très ardue est tout simplement de définir... la cohabitation. Juridiquement, celle-ci consiste à vivre sous le même toit, partager en commun la majeure partie des charges de l’existence et pouvoir compter sur les revenus de l’autre personne. Comment qualifier, au regard de cette définition, des situations comme la « colocation » où des personnes louent ensemble un logement dont elles partagent certaines parties communes, sans cependant « vivre en communauté » dans l’acception habituelle du terme?


Un renforcement de la « logique d’assurance » ?



Si la sécurité sociale belge tient compte d’une « sélectivité familiale », c’est parce qu’elle intègre un objectif de garantie d’un minimum vital. Et dans un contexte où tout le monde n’a pas de revenus propres, cet objectif ne saurait se limiter à prendre pour point de référence l’individu, isolé des membres de son ménage.

On peut évidemment contester que la sécurité sociale intègre cet objectif, et plaider pour une distinction stricte entre les assurances sociales basées sur la cotisation et les régimes de garantie d’un minimum vital. Mais il faut alors parler clair. Dans la sécurité sociale belge, le lien entre cotisations et prestations est en fait assez distendu.

Le renforcer impliquerait sans doute de ne plus couvrir par la sécurité sociale les chômeurs de longue durée et les jeunes à la recherche de leur premier emploi, et donc renoncer à ce qui est, en comparaison internationale, une des grandes spécificités du système social belge. Dans l’invalidité, on pourrait rendre le montant de l’indemnité dépendant du nombre d’années de carrière, comme dans le régime des fonctionnaires ou dans la grande majorité des pays européens. Un autre élément parfois méconnu de la « logique d’assurance » est qu’on ne s’assure pas contre un risque que l’on crée soi-même. Les sanctions pour « chômage volontaire », par exemple, loin de disparaître, seraient encore accentuées.

Bref, cela impliquerait de redessiner fondamentalement les frontières de la sécurité sociale et de l’assistance, en augmentant substantiellement le territoire de cette dernière. Toute autre question mise à part, on a vu plus haut que ce n’est pas cela qui ferait gagner du terrain à l’individualisation des droits... #

Paul Palsterman :  Secrétaire régional bruxellois de la CSC