centrale biomasseAprès le vent et le soleil, la Wallonie se tourne vers la biomasse pour répondre aux exigences européennes en matière de production d’énergie renouvelable. Un projet de centrale fonctionnant au bois, aux résidus et aux déchets de bois est sur le point de voir le jour. L’alternative est-elle pour autant durable ? À voir les questions écologiques, économiques et sanitaires qu’un projet de telle ampleur suscite, on peut légitimement s’interroger...

 

La Wallonie s’est engagée vis-à-vis de l’Europe à produire 13 % de sa consommation finale brute (CFB) d’énergie par des sources d’énergies renouvelables (SER) d’ici à 2020. Les derniers chiffres disponibles montrent qu’en 2014, la Wallonie produisait déjà de façon renouvelable 10,8 % de sa CFB d’énergie. Le Conseil européen a fixé un objectif de production d’énergies renouvelables d’au moins 27 % de la CFB pour l’ensemble des pays membres de l’Union européenne, à l’horizon 2030. Cet objectif n’est toutefois pas contraignant.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet de mise sur pied d’une nouvelle centrale à biomasse en Wallonie. L’appel à projets a été lancé en 2016 par le ministre de l’Énergie de l’époque, Paul Furlan. Une enveloppe annuelle de 1.028.160 certificats verts, équivalant à 66,8 millions d’euros, a été prévue pour son éventuel démarrage en 2021. Puisqu’il a été décidé d’octroyer ces certificats verts chaque année pendant 20 ans, le montant total des subsides destinés à ce projet s’élève à 1,33 milliard d’euros. Deux offres sont en ce moment à l’examen par un jury d’experts. Celui-ci devrait délivrer son rapport dans le courant de ce mois de juin 1. La décision du gouvernement wallon est, elle, attendue pour juillet.


La biomasse, c’est quoi ?

La biomasse est la « fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l’agriculture (comprenant les substances végétales et animales), de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et municipaux » 2. La biomasse peut être utilisée comme combustible pour la production de chaleur (par exemple le bois de chauffage), d’électricité ou de carburants (les agrocarburants).

 

Un procédé durable ?

La durabilité de la biomasse comme source d’énergie  est la première question à se poser avant de la développer à grande échelle... D’un point de vue climatique, elle est censée être neutre en carbone (« carboneutre ») : le CO2 émis lors de la combustion du bois a été capté par la croissance des arbres, et puisqu’il s’agit d’un cycle, le bilan carbone est prétendument nul. Mais la réalité est plus complexe. Le concept « carboneutre » entraîne selon plusieurs chercheurs une importante erreur de comptabilité du carbone et un nombre croissant d’études scientifiques reconnaît l’inexactitude de la « carboneutralité » 3..
Tout d’abord, la combustion de biomasse émet d’immenses quantités de CO2. Chaque tonne de bois brûlé (à une humidité de 45 %) émet en général une tonne de CO2 4. Aux États-Unis, il a été démontré que les centrales électriques actuelles qui fonctionnent à la biomasse émettent jusqu’à 150 % de plus de CO2 que si elles brûlaient du charbon et 400 % de plus que si elles fonctionnaient au gaz naturel pour produire la même quantité d’électricité 5.
Deuxièmement, les arbres qui sont coupés auraient continué à capter du carbone de l’atmosphère si on les avait laissés debout. La coupe et l’extraction de biomasse court-circuitent le cycle du carbone.
Troisièmement, il faut plusieurs décennies pour que les forêts se régénèrent et recapturent le CO2 qui a été relâché d’un seul coup lors de la combustion. L’importance de ce délai de recapture est notamment soulignée par les nouveaux travaux du GIEC sur les énergies renouvelables 6.
Quatrièmement, le carbone de la biomasse forestière reste intact dans les forêts pendant des décennies, même pendant la décomposition. Une grande partie de ce carbone est recyclée dans le sol, ce qui permet à la prochaine génération d’arbres de mieux séquestrer le carbone de l’air, alors que le reste est relâché très lentement.
Enfin, de grandes quantités d’énergie sont nécessaires pour extraire, transformer, sécher et transporter la biomasse, ce qui ajoute à l’empreinte climatique globale de la bioénergie forestière.
Par ailleurs, la façon dont s’approvisionnerait l’éventuelle future centrale à biomasse wallonne n’est pas encore connue, mais les experts s’accordent à dire que cette dernière nécessiterait une importation importante de bois pour produire son électricité 7. L’unique centrale à biomasse actuellement en Wallonie, celle des Awirs, fonctionne déjà grâce à des importations de bois en provenance des États-Unis et du Canada notamment.
En bref, récolter des forêts entières pour les brûler à des fins énergétiques sans tenir compte de quelque émission que ce soit est absurde et ignore un grand contentieux de la littérature scientifique.


Quel impact sur la santé ?

La combustion de biomasse à grande échelle est également mauvaise pour la santé. En effet, elle libère des substances toxiques aux impacts négatifs sur la santé humaine. La fumée de bois contient au moins cinq cancérigènes connus et au moins 26 produits chimiques qui appartiennent à la catégorie des polluants atmosphériques les plus dangereux 8. Comme le montre le graphique ci-contre, brûler du bois dans de grosses centrales à biomasse émet en moyenne quatre fois plus de monoxyde de carbone (CO), irritant pour les poumons, que le charbon et 92 fois plus que le pétrole 9. Cela émet aussi dix fois plus de particules fines que le gaz naturel et jusqu’à quatre fois plus que le pétrole et deux fois plus que le charbon 10. Il est reconnu que ces centrales relâchent des métaux lourds, y compris du plomb, du mercure, du manganèse et du cadmium ainsi que d’autres molécules hautement toxiques comme les dioxines et les furannes 11. L’inhalation de particules provoque des réponses allergiques et de l’asthme.

 
Image CentraleDes observations de plus en plus nombreuses montrent que l’exposition à long terme à de faibles doses de ces substances toxiques occasionne de graves risques pour la santé comme des maladies pulmonaires 12. À cause des implications sanitaires de l’exposition aux polluants atmosphériques, la Massachusetts medical society, la Florida Medical Association et l’American Lung Association se sont toutes prononcées contre la combustion de biomasse pour l’énergie.

 
 

Quid de son coût ?

Nous avons vu que du point de vue environnemental et du point de vue de l’impact sur la santé humaine, le projet d’une grande centrale à biomasse n’est pas bon. Au niveau de son coût, la hausse de la demande de bois pourrait conduire à de nouvelles augmentations du prix de la biomasse destinée à la production d’énergie, en partie parce que les producteurs devront se tourner vers des pellets provenant de régions où ils sont plus chers qu’aux États-Unis 13. À la différence des énergies solaires et éoliennes, les centrales à biomasse demandent des subventions permanentes pour fonctionner. En effet, ces dernières ont un besoin perpétuel de ressources en bois alors que le soleil et le vent sont bien évidemment gratuits. Ainsi la centrale à biomasse Max Green à Gand est restée à l’arrêt pendant une bonne partie de l’année 2014 en raison de l’incertitude sur les subventions. De plus, Électrabel a menacé à plusieurs reprises de fermer définitivement la centrale si elle ne recevait pas de subventions plus élevées. La situation est identique pour la centrale wallonne des Awirs où l’activité est dépendante d’une augmentation des subventions. Le modèle d’affaires de ces centrales est entièrement basé sur un subventionnement élevé en continu : sans un apport permanent de certificats verts, elles ne produisent tout simplement pas. Le contraste est frappant avec les prix de l’énergie éolienne terrestre (onshore) et ceux de l’énergie solaire. En effet, ces derniers sont déjà inférieurs à celui de la biomasse et ne font que baisser d’année en année. Une étude du bureau 3E chiffre à deux milliards de coûts additionnels un scénario avec trois centrales à biomasse en Belgique (deux en Flandre, une en Wallonie) comparé à un scénario sans ces centrales, mais avec un développement important de l’éolien et du solaire 14. Les centrales à biomasse belges auront besoin de plusieurs milliards d’euros de subventions qui seront financées par la facture d’électricité des consommateurs si elles devaient voir le jour.

Et côté emploi...

Le cluster Tweed 15a mis en évidence le fait que la filière biomasse électrique est peu créatrice d’emplois wallons comparativement à la filière du photovoltaïque notamment, avec un rapport proche de 1 à 10 16 : une centrale électrique à la biomasse a besoin de 3,21 équivalents temps plein (ETP) par GWh produit alors qu’une installation photovoltaïque d’une puissance de 100 kW nécessite 31,80 ETP par GWh produit ! D’ailleurs ce même cluster, dans son scénario avec l’objectif ambitieux d’atteindre 20 % de production renouvelable de la CFB en maximisant les retombées locales pour l’économie et en minimisant les coûts pour le citoyen, ne contient pas de développement de la filière centrale biomasse électricité 17.


Du point de vue politique

Même au sein des  partis au gouvernement wallon (PS et CDH), des voix s’élèvent pour critiquer ce projet de centrale à biomasse. Lors d’une conférence organisée le 27 février dernier sur la transition énergétique en Wallonie, aussi bien le parlementaire du PS Edmund Stoffels que sa collègue du CDH Véronique Waroux s’accordaient à dire que ce projet était « un non-sens »18 . Jean-Luc Cruke (MR), quant à lui, ajoutait qu’« en plus des questions liées à la durabilité d’une centrale biomasse électrique de grande taille, se pose la question du prix de la matière première qui risque d’exploser dans un marché mondial de la biomasse en pleine explosion »19 . De son côté, Philippe Henry (Ecolo) regrette qu’il soit dès lors « difficile au Parlement de Wallonie de débattre de ces sujets, alors que les parlementaires de la majorité qui s’expriment ne défendent pas la position de leur parti 20.


En conclusion

Mauvais bilan environnemental, impacts négatifs sur la santé, coût élevé de la ressource, faibles retombées pour l’économie locale... ces grands projets de centrales à biomasse ne nous semblent vraiment pas opportuns. Est-ce à dire que nous sommes en faveur d’une interdiction totale de l’utilisation de la biomasse pour la production d’énergie ? Non. Nos critiques concernent l’utilisation de la biomasse à grande échelle. Les projets de biomasse de taille plus raisonnable, avec un approvisionnement local et la création d’emplois de qualité non délocalisables sont intéressants. La valorisation énergétique des résidus industriels, forestiers, agricoles ou ménagers est faible en Wallonie et nous sommes en faveur de son développement. Ainsi il s’agit de privilégier des projets de cogénération (production de chaleur et d’électricité) sur de plus petits territoires comme les communes, dans des infrastructures hospitalières, sportives, etc.21 Non seulement la cogénération possède un meilleur rendement énergétique que la génération d’électricité seule, mais de plus, ces projets d’ampleur modeste ne nécessitent pas de contribuer au déboisement de pays comme le Canada ou les États-Unis et peuvent être véritablement durables. Des scénarios ambitieux de développement de la production d’énergies renouvelables existent et sont réalisables. Ils se passent des grosses centrales à biomasse et privilégient notamment le photovoltaïque et l’éolien. C’est ce qui ressort du scénario du cluster Tweed mentionné plus haut et de celui élaboré par le bureau d’études 3E pour le compte d’ONG environnementales 22. Enfin, rappelons que la Flandre a choisi de ne plus compter sur ces grandes centrales. Puisse tout cela inspirer le gouvernement wallon vers les bonnes décisions... #


François Sanat: Service d’études de la CSC
credit photo : Lonelysherpa

1. NDLR. Dans un avis confidentiel, la CWAPE « constate que le dossier remis par Engie (ex-Électrabel) n’est pas jugé recevable aux yeux de l’administration régionale (la DGO4). Reste donc un seul candidat en lice : la société Bee Green Wallonia, basée à Visé ». Voir F. CHARDON, « Du bois sud-africain pour l’énergie " verte» wallonne ", Le Soir, le 28 mai 2017.
2. Directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001.
3. Greenpeace, De biomasse à... biomascarade, pp. 17-18.
4. T. WALKER, P. CARDELLICHIO, A. COLNES et al., Massachusetts biomass sustainability and carbon policy study, Brunswick, Maine: Manomet Center for Conservation Sciences, 2010, pp. 95-114.
5. Ibid.
6. H. CHUM, A. FAAIJ, J. MOREIRA, et al., « Bioenergy », IPCC Special Report on Renewable Energy Sources and Climate Change Mitigation, Cambridge UK, Cambridge University Press, 2011.
7. NDLR. Dans le dossier de Bee Green Wallonia, il est prévu que la centrale à biomasse soit alimentée par « du bois invasif sud-africain, par de la plaquette forestière norvégienne et du bois de démolition d’origine néerlandaise ou belge ». F. CHARDON, op.cit.
8. L. NAEHER, M. BRAUER, M. LIPSETT, et al., « Woodsmoke Health Effects : A Review », Inhalation Toxicology, 2007, 19(1), pp. 67-106.
9. R.L. BAIN, W.P. AMOS, M.DOWNING, et al.,  Biopower Technical Assessment : State of the Industry and Technology , United States, department of Energy, 2003.
10. EPA, « Wood Residue, Combustion In Boilers », Compilation of Air Pollutant Emission Factors, Volume 1 : Stationary Point and Area Sources, AP-42, 5e Édition, 2008.
11. Canada, Environment, National Pollutant Release Inventory.
12. L.T. CUPITT, W.G. GLEN, J. LEWTAS,« Exposure and risk from ambient particle-bound pollution in an airshed dominated by residential wood combustion and mobile sources », Environ Health Perspectives, 1994,102 (suppl. 4), pp. 75-84.
13. Greenpeace, Les limites de la biomasse en Belgique, 2015, p. 9.

14. Ibid.
15. Technologie Wallonne Énergie – Environnement – Développement durable
16. Cluster Tweed, L’impact micro et macroéconomique des énergies renouvelables en Région wallonne, avril 2014, p. 52.
17. Ibid., pp. 59 et suivantes.
18. http://www.iewonline.be/IMG/pdf/cef_ac_jd_170227_cr_debat_politique.pdf
19. Ibid.
20. Ibid.
21. N. LECOCQ, «Biomasse : faut-il vraiment 1,3 milliard pour subsidier des importations ?», La Libre, mars 2016.
22.  http://www.iewonline.be/IMG/pdf/our_energy_future_2016.fr_pdf.pdf
 
© Kyle Spradley

 

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