Photo medecine copyright kiwinkyEn 2014, la facture moyenne pour une hospitalisation en chambre double ou commune s’élevait à 281 euros. En chambre individuelle, cette même moyenne atteignait 1.461  euros, soit cinq fois le prix. Un écart qui ne cesse de croître, d’après les études réalisées depuis 2004 par la Mutualité chrétienne. Les chambres individuelles sont-elles désormais uniquement destinées aux plus aisés d’entre nous ? Les médecins réservent-ils le même traitement à tous leurs patients ? Explications.



Entre 2004 et 2014, le coût à charge du patient pour une hospitalisation classique 1 est passé de 1.290 euros à 1.461 euros en moyenne, soit une augmentation de plus de 13 %. Dans les chambres doubles ou communes, ce coût est passé de 377 euros à 281 euros, soit une diminution de 25 %. Pour bien comprendre cette évolution, il s’agit tout d’abord de rappeler les trois principaux éléments qui composent la facture du patient : les tickets modérateurs payés sur chaque prestation, à savoir la part à charge du patient fixée par la nomenclature INAMI ; les suppléments sur le matériel et les suppléments de chambre ; les suppléments d’honoraires des médecins.
Depuis le 1er janvier 2013, la législation belge prévoit l’interdiction des suppléments d’honoraires en chambre double ou commune, premier élément expliquant la baisse de la facture dans ce type de chambre. Cependant, c’est essentiellement la diminution des suppléments sur le matériel et les suppléments de chambre, suite à différentes modifications de la législation en la matière, qui explique l’évolution de la facture du patient en chambre double ou commune entre 2004 et 2014 (voir Fig.1, p.3). En chambre individuelle, par contre, c’est essentiellement l’augmentation des suppléments d’honoraires 2 qui explique la progression de la facture du patient. Mais comment justifier cela ? Pourquoi, les médecins, et derrière eux les hôpitaux, semblent demander toujours plus de suppléments ?

La relation hôpitaux - médecins

En Belgique, le circuit de financement des hôpitaux est particulièrement complexe. Les deux sources principales de financement sont, d’une part, le budget des moyens financiers (BMF) des hôpitaux, un budget fédéral provenant du Service public fédéral (SPF) Santé publique et, d’autre part, une rétrocession, vers le budget d’un hôpital, d’une partie des honoraires et des suppléments d’honoraires perçus par les médecins qui y travaillent. S’ajoutent à cela d’autres subsides fédéraux et régionaux ou communautaires pour l’investissement dans les infrastructures ainsi qu’une série de forfaits INAMI pour couvrir certaines prestations.
Le BMF est un budget en enveloppe fermée qui est réparti entre les différents hôpitaux en fonction de leur niveau d’activité. Ceux-ci sont donc en concurrence pour recevoir une partie plus importante du BMF. Il s’agit dès lors d’un système de financement inflationniste. En effet, il pousse les prestataires à facturer un nombre toujours plus important de prestations, par exemple des examens de diagnostic, afin de maintenir leur niveau d’activité constant par rapport à l’ensemble du secteur. L’économiste de la santé Lieve Annemans estime à ce sujet que près de 30 % des examens de diagnostic pratiqués en Belgique (radiographies, IRM, CT-scanners...) n’ont pas de réelle plus-value thérapeutique.
Par ailleurs, pour assurer son équilibre financier, un hôpital dépend aussi de la masse d’honoraires perçus par les médecins qu’il emploie. Ces derniers peuvent donc être « poussés » à demander des suppléments d’honoraires importants afin de contribuer à la santé financière de leur institution. Cet élément est particulièrement éclairant quand on constate qu’en 2015, 32 institutions sur 91 ont enregistré un résultat d’exploitation négatif 3. Au contraire, lorsqu’il y a des bénéfices, ceux-ci peuvent être réinvestis dans de nouvelles infrastructures, de nouvelles technologies, du matériel qui profiteront ensuite à l’ensemble des patients. C’est du moins la stratégie de communication affichée par d’importants centres hospitaliers pour justifier les montants facturés à leurs patients en chambre individuelle. En termes de pratique tarifaire, il faut dire que les variations sont importantes sur le territoire belge. Certains hôpitaux facturent ainsi des suppléments allant jusqu’à 300 ou 400 % au-delà des honoraires de base. Malheureusement pour les francophones, la grande majorité de ces hôpitaux se situent à Bruxelles et en Wallonie. Mais cette réalité budgétaire explique-t-elle à elle seule ces différences de pratiques et les dérives parfois observées dans le secteur ?

Le prix, un indicateur de qualité ?

Dans certains hôpitaux, les chambres individuelles peuvent ressembler davantage à une chambre d’hôtel cinq étoiles qu’à une chambre d’hôpital. Si, dans ce cas, on peut comprendre que l’hôpital en question réclame des suppléments pour la chambre, la qualité de la prise en charge par le médecin se doit d’être la même que l’on séjourne dans une chambre individuelle, double ou commune. C’est là la pierre angulaire d’un système de soins de santé de qualité accessible à tous. Un reportage diffusé en février 2016 sur la RTBF 4 regroupait plusieurs témoignages de patients particulièrement interpellants à cet égard. Pour être soignés par le médecin de leur choix, ceux-ci étaient contraints de choisir une prise en charge en chambre individuelle, seule manière pour le prestataire de facturer des suppléments d’honoraires. Certains prestataires n’hésitent d’ailleurs pas à demander au patient jusqu’à quel montant leur assurance hospitalisation couvre les frais 5. L’argument avancé : « Pour être soigné par un médecin réputé il faut en payer le prix » !
 Différencier la qualité de la prise en charge en fonction des moyens du patient est illégal 


La relation médecin-patient est une relation fortement sujette à l’asymétrie d’information : le premier en saura toujours plus que le second. Même si certains patients adoptent une attitude curieuse, voire savante, vis-à-vis des traitements et des interventions médicales, les aspects administratifs et plus particulièrement financiers restent très souvent tabous ou nébuleux à leurs yeux. Dans la plupart des cas, un patient fera toujours confiance à son médecin et choisira de suivre son avis sans se poser trop de questions. Dans ce contexte, les tarifs pratiqués par un prestataire peuvent être perçus comme un signal utilisé par le patient pour évaluer la qualité de sa prise en charge. Mais tarifs élevés et qualité des soins vont-ils toujours de pair ? Pas forcément. Par exemple, une étude du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) 6 révèle que les hôpitaux les plus performants en termes de chirurgie du pancréas ou de l’œsophage (en cas de cancer) sont ceux qui accumulent le plus d’expérience (nombre d’interventions par an) et non ceux qui réclament les suppléments les plus élevés. C’est dans ce cadre que l’Agence intermutualiste et les mutualités ont décidé de rendre public le nombre d’interventions par hôpital pour ces deux interventions.
Si un travail de révision profond de la nomenclature des soins de santé reste certainement à faire, notamment pour revaloriser l’expérience des médecins et les prestations intellectuelles par rapport aux actes techniques, différencier la qualité de la prise en charge en fonction des moyens du patient n’en reste pas moins illégal et enfreint le code déontologique de la profession. Suite à la diffusion du reportage sur la RTBF, le Conseil national de l’Ordre des médecins a d’ailleurs publié un communiqué rappelant qu’« il est contraire à la déontologie médicale qu’un médecin refuse des soins à un patient au seul motif que celui-ci ne choisit pas une chambre individuelle. La déontologie médicale impose au médecin de soigner tous les malades avec la même conscience. Le corps médical doit garantir, de façon équitable, l’accès à des soins de santé de qualité ».
En dehors de la révision de la nomenclature, c’est également le système de financement des hôpitaux qui doit être revu. Le système actuel pousse les institutions à augmenter sans cesse leur activité afin de maintenir constante la part du BMF qui leur revient. Face à cette réalité, certaines institutions ont opté pour une stratégie payante : la fusion. En fusionnant différents sites géographiquement proches, cela permet au nouvel hôpital de rationaliser l’équipement et la répartition des services (avoir par exemple une seule unité d’urgences au lieu de deux) et de favoriser la spécialisation.

Un consentement éclairé ?

L’arrêté royal du 17 juin 2004 prévoit que les hôpitaux belges sont tenus de faire signer aux patients une déclaration d’admission pour partie standardisée. Elle comprend des informations financières sur les suppléments de chambre, les suppléments d’honoraires, l’acompte et le montant de l’intervention personnelle du patient dans les frais de séjour. C’est également en signant ce document que le patient pose le choix d’être pris en charge en chambre individuelle, double ou commune.
Une enquête réalisée en 2012 par la Mutualité chrétienne (MC) 7, révélait que seuls 13 % des patients interrogés (plus de 200 membres de la MC) avaient reçu cette déclaration lors d’une consultation préalable à l’hospitalisation. En ce qui concerne cette déclaration, seuls 6 % l’avaient signée au service de planification des séjours hospitaliers quelques jours avant l’hospitalisation ou le traitement. Au contraire, 68 % l’ont signée au moment de l’admission et 7 % lors du séjour. Mais est-il réellement opportun de signer un tel document au moment de l’admission ?
 Le coût de l’intervention est très peu abordé dans les entretiens avec le médecin. 


La première préoccupation du futur « hospitalisé » est bien entendu sa santé. Il va d’abord chercher à comprendre le diagnostic posé par les médecins et les interventions médicales proposées, se familiariser avec l’environnement hospitalier (les heures de visites, les visages du personnel infirmier...). Les aspects « administratifs » passent souvent au second plan. Pourtant, lors d’une admission, il est nécessaire de poser un choix éclairé quant aux conditions financières du séjour car cela impactera directement la facture. Certains témoignages parlent d’eux-mêmes : « J’ai été un peu prise de court lors de l’hospitalisation. Je n’ai pas posé de questions. Je me préparais mentalement à mon hospitalisation et au traitement », explique une participante à l’enquête. « Il y avait beaucoup de bruit », raconte une autre patiente. « Je n’entendais pas bien. Il y avait sept ou huit personnes qui attendaient derrière moi. Je n’avais pas la tête à ça. Du coup, j’ai signé sans lire. »
De l’enquête menée par la MC et ses partenaires, il ressort également un certain paradoxe. Les répondants – tous récemment hospitalisés au moment de l’enquête – se disent satisfaits des informations reçues et de la clarté des explications. Mais, à y regarder de plus près, ils témoignent, dans le même temps, de ne pas avoir entièrement compris les conséquences financières de leur choix. Ainsi, les pourcentages de suppléments de chambre ou d’honoraires se montrent peu parlants pour les patients. « J’ai effectivement signé le document indiquant que des suppléments d’honoraires de 200 % pouvaient être réclamés. Mais bon, 200 % de quoi ? », s’interroge un participant à l’enquête. Souvent, les patients semblent partir du principe que, de toute façon, leur assurance hospitalisation prendra en charge le tout, même si ce n’est pas nécessairement le cas. Une fois que la facture arrive, c’est la surprise qui domine.
Les données récoltées révèlent par ailleurs que le coût de l’intervention ou du traitement est très peu abordé dans les entretiens avec le médecin. Les résultats de l’enquête engagent les médecins à amorcer la discussion, assurant ainsi une sorte de passerelle entre les aspects médicaux et les aspects administratifs qui relèvent de l’hôpital. Finalement, la majorité des patients interrogés (75 %) se montrent partisans d’une estimation du coût de l’hospitalisation. Mais attention, la déclaration d’admission, si elle donne un aperçu des principaux frais, « ne peut être considérée comme une estimation des coûts, un devis ou une facture qui reprendrait au centime près le montant prévisible du séjour hospitalier », rappelle le SPF Santé publique. Certains hôpitaux offrent déjà ce service, mais, pour le moment, uniquement en Flandre.

Combattre la dualisation

La baisse continue de la facture en chambre commune ou à deux lits atteste que les décisions politiques ont un impact réel sur le coût d’une hospitalisation. Si les suppléments d’honoraires en chambre commune ou à deux lits ont été supprimés, les différences entre hôpitaux restent importantes. Elles pourraient entraîner une stratification sociale des hôpitaux, à savoir des hôpitaux pour « riches » et des hôpitaux pour moins nantis. Cette tendance à la dualisation de la médecine doit être combattue. Plusieurs pistes concrètes sont d’ailleurs défendues par la Mutualité chrétienne. Citons notamment la limitation légale des suppléments d’honoraires en chambre individuelle ou l’obligation de fournir au patient une estimation du coût de son hospitalisation avant son séjour, tout en veillant à garantir sa liberté de choix du type de chambre. #

Naima Regueras :  Membre du service Recherche et Développement
de la Mutualité chrétienne

Credit photo : KIWINTY



1. On entend par hospitalisation classique, un séjour comptant au moins une nuitée à l’hôpital contrairement aux hospitalisations de jour où le patient entre et sort de l’hôpital le même jour.
2. En chambre individuelle, les suppléments d’honoraires sont passés de 580 euros en moyenne en 2004 à 887 euros en moyenne en 2014.
3. Rapport MAHA 2016 de la banque Belfius sur le secteur hospitalier.
4. Question à la Une : Les médecins sont-ils devenus des requins ? Diffusé le 17 février 2016 sur La Une, RTBF.
5. Cela crée une spirale inflationniste des primes d’assurances. Plus les assurances hospitalisation couvrent des plafonds d’honoraires élevés, plus les médecins augmentent leurs tarifs et plus les primes d’assurance augmentent.
6. https://kce.fgov.be/fr/publication/report/organisation-des-soins-pour-les-adultes-avec-un-cancer-rare-ou-complexe
7. Cette enquête a été réalisée en collaboration avec Altéo et Ziekenzorg CM, deux mouvements sociaux de personnes handicapées et malades chroniques liés à la Mutualité chrétienne.

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