Photo Belfius copyright Le.MatLes risques inconsidérés pris par le secteur bancaire ont provoqué, en 2008, l’une des plus graves crises financières et bancaires. Ses stigmates se font d’ailleurs encore douloureusement ressentir. Sauvée in extremis par l’État belge en 2011, la banque Belfius gravite aujourd’hui dans son giron, sans pour autant être une banque publique. Pourtant, doter Belfius de ce statut regorge d’avantages pour l’économie belge. Explications.

 

B ien que propriété à 100 % de l’État belge depuis son rachat en 2011, la gestion de Belfius s’exerce comme une banque privée, sans contrôle gouvernemental ou parlementaire. Aucun débat public de fond sur le rôle de la banque n’a eu lieu, que ce soit sur sa gestion ou son futur depuis la prise de contrôle. Les nombreux intérêts concernés (usagers, employés, collectivités, communes, entreprises, etc.) ne sont d’ailleurs pas représentés dans l’appareil décisionnel. Il en résulte que les seules informations reprises dans les médias portent sur la bonne santé retrouvée de la banque et sa vente éventuelle.
Par ailleurs, depuis son rachat, Belfius est soumise jusqu’en 2016 à un plan imposé par la Commission européenne qui inclut pour la banque :
l’interdiction de conquérir de nouveaux marchés ;
l’obligation de réduire les coûts ;
l’obligation de faire la démonstration que la banque est viable et pérenne.
Ce plan a contraint le personnel de Belfius à d’importants sacrifices, que ce soit en termes de pertes d’emplois (-20%), de réduction de salaire (-5%) ou de restructurations permanentes. Cette situation très inconfortable engendre une explosion de la charge de travail, du stress et des absences de longues durées (burnouts).

Quid après 2016 ?

Plusieurs choix s’offriront à l’État. Les options varieront entre la vente pure et simple et le maintien dans le giron public. Passons ces options en revue.

La vente de Belfius

Il faut tout d’abord préciser qu’une vente (même partielle) de Belfius priverait :
les Belges de leur seule banque publique. Or, une telle banque est essentielle, car c’est la seule qui pourrait avoir comme priorité une mission d’intérêt général : soutenir le secteur coopératif, social, associatif ; servir les instances publiques en leur garantissant de bonnes conditions de financement ; soutenir les investissements en faveur de la transition énergétique ; assurer un travail de qualité à ses collaborateurs et diriger ses efforts commerciaux en fonction de l’intérêt des clients.
les finances belges de revenus futurs : le prix de vente correspondrait à quelques années de profits, après quoi les profits futurs seraient définitivement perdus. Il s’agit donc d’une vision de court terme.
l’État belge d’une entité particulièrement utile en cas de nouvelle crise financière – un événement qui a de fortes chances de se produire, selon des personnes telles que Christine Lagarde, la directrice du FMI. Une banque d’intérêt général, aux engagements limités sur les marchés financiers, serait non seulement plus résistante à une prochaine crise, mais serait également à même de poursuivre ses activités de financement de l’économie au lieu d’alimenter une spirale négative, comme cela a été le cas en 2008-2009 avec le « credit crunch » (resserrement du crédit).

À partir de là, différents scénarios sont envisageables :


La vente à un groupe étranger
La vente aurait certes pour effet de réduire la dette publique et d’octroyer un gain à court terme. Toutefois, l’État perdrait le contrôle sur un outil financier intéressant sans garantie que les profits engendrés bénéficient à l’économie belge. L’exemple de BNP Paribas Fortis en est le parfait exemple : des bénéfices équivalant à deux milliards viennent d’être transférés à la maison-mère française !
Par ailleurs, une vente de Belfius à un groupe bancaire étranger accroîtrait encore la soumission du secteur bancaire belge à des capitaux étrangers et sa vulnérabilité dans le cas d’une prochaine crise.
Or, l’internationalisation du secteur financier a conduit en Belgique à une perte de contrôle progressive sur notre secteur bancaire. Depuis vingt ans, les banques belges sont de plus en plus intégrées à de grands groupes internationaux, dont les centres de décision sont localisés dans un autre pays. Ainsi, selon Febelfin (association du secteur financier), 80% du marché bancaire belge est contrôlé par des intérêts établis hors de Belgique. Or, il est évident que les activités belges de ces groupes internationaux ne visent pas en priorité le soutien aux besoins économiques et sociaux locaux. Il est donc nécessaire aujourd’hui d’infléchir cette tendance et de retrouver un certain contrôle sur les activités bancaires de notre pays.

La vente à un groupe belge
Une vente à un groupe établi en Belgique accroîtrait encore la concentration du secteur et conduirait à de nouvelles réductions du nombre d’agences et de personnel. Actuellement déjà, les quatre grandes banques belges ont atteint une taille très importante, avec des bilans de centaines de milliards. Une plus forte concentration représenterait un risque encore plus important pour l’État et n’apporterait aucun avantage pour les clients.

Une mise en bourse partielle
Par ailleurs, une mise en bourse, même partielle (type Proximus), mettrait les citoyennes et les citoyens hors-jeu, puisque l’objectif de maximalisation du profit des actionnaires serait institué dans la gestion de la banque. L’histoire récente de Dexia a démontré le coût énorme d’une telle privatisation. En effet, la mise en bourse et la mégalomanie des dirigeants de l’époque, voulant faire de Dexia la plus grande banque des collectivités locales, ont causé la perte de la banque qui a pris d’énormes risques en intégrant des éléments dangereux (comme FSA aux États-Unis 2) pour tenter de réaliser cet objectif.

 

 L’internationalisation du secteur financier
a conduit en Belgique à une perte de contrôle progressive de notre secteur bancaire. 


 Le maintien dans le giron de l’État

Il faut préciser que la législation européenne n’interdit pas la création d’une banque publique pour autant qu’elle ne bénéficie pas de soutiens de l’État qui iraient à l’encontre des dispositions du traité européen de la concurrence. D’ailleurs, certaines banques publiques sont déjà à l’œuvre dans d’autres pays, comme l’Allemagne où les banques publiques locales et les banques coopératives prédominent3. Ce que ces alternatives nous montrent, c’est qu’il est possible d’intégrer une banque au sein de la société dans laquelle elle opère.
En Belgique, des voix s’élèvent pour que cette option soit privilégiée. Ainsi, interrogé par référendum sur le sujet, le personnel de Belfius affilié à la CNE a plébiscité le maintien de la banque dans le giron de l’État à une très large majorité. Forte de ce mandat, la délégation syndicale a sollicité et obtenu le soutien de la CNE dans son ensemble et des Comités régional wallon et communautaire francophone de la CSC.
Par ailleurs, plus récemment, un collectif citoyen piloté par FairFin et regroupant une série d’associations 4 a décidé de défendre cette option en organisation une campagne médiatique sur le thème « Belfius est à nous ».


                                             Un peu d’histoire

1860 

Le Crédit communal de Belgique est créé. Il est chargé d’octroyer des crédits aux communes pour leurs investissements. Il s’agit d’une banque à caractère coopératif dont les communes sont actionnaires.  Celles qui voulaient emprunter devaient prendre des actions pour au moins 5 % du montant de leur emprunt.

1996

Le Crédit communal de Belgique s’allie au Crédit local de France pour donner naissance à Dexia.

2001 

Acquisition d’Artesia Banking Corporation.

2002 

Le réseau d’agences BACOB en Belgique est intégré au groupe bancaire.

2008

Suite à la crise financière, les États français, belge et luxembourgeois doivent venir au secours de Dexia

2011

Début septembre, Dexia est au bord du gouffre. Les marchés ne veulent plus lui prêter d’argent.

À la fin de la première semaine d’octobre, les clients retirent un total de 2,5 milliards d’euros.



2012 

Le 10 octobre, annonce de la reprise du pôle belge du Groupe Dexia (Dexia Banque Belgique) par l’État belge, pour 4 milliards d’euros environ1.

Le 1er mars, Dexia Banque Belgique devient Belfius Banque et Assurances.



L’objectif de ce changement de nom est de distinguer la nouvelle entité bancaire du holding Dexia, en démantèlement, mais toujours coté en bourse.



Belfius, banque publique

Le statu quo est également loin d’être idéal parce que la mission de Belfius n’a pas été modifiée et qu’aucun contrôle sociétal n’est exercé sur la banque. Pour qu’il y ait de la substance, ce contrôle de la société doit s’inscrire dans la gouvernance et la propriété de la banque. Sans cela, difficile donc de parler de banque « publique ».
Ce n’est pourtant pas un processus gagné d’avance. Le gouvernement fédéral a déclaré à plusieurs reprises qu’un État n’a pas vocation à gérer une banque. En réalité, l’argument est purement idéologique. Même si la législation a évolué et que le contexte a changé, l’histoire nous montre que les Institutions publiques de crédit (IPC) qu’étaient la CGER, le Crédit communal, le Crédit à l’industrie, l’Office central du crédit hypothécaire (OCCH),... ont fonctionné sans problème pendant des décennies. Ce sont les politiques libérales de privatisation et les fusions successives des années 1990 et 2000 destinées à atteindre des tailles très (trop) importantes qui ont abouti à la crise financière de 2008. Cela a démontré que l’autorégulation de la finance n’était qu’un leurre. Une intervention des États a d’ailleurs été indispensable pour garantir l’épargne des petits épargnants.
Dans ce cadre, la création d’une vraie banque publique aurait pour objectif de réguler le secteur, de garantir les dépôts et de stimuler les investissements dans l’économie réelle. Mais pas de naïveté, une gestion publique n’est pas synonyme de garantie : il faut y adjoindre un contrat de gestion qui inclut des missions, telles que la maximalisation de la valeur sociétale, l’engagement à devenir une banque durable, les investissements dans des niches importantes comme la recherche et le développement...
Belfius peut exercer ce rôle économique essentiel pour infléchir l’économie, les investissements, l’utilisation de l’épargne belge (collecter en Belgique pour investir en Belgique).
Cette option va bien au-delà d’une position de principe, car une partie de l’autonomie économique de la Belgique est en jeu. En effet, en appartenant et en étant gérée professionnellement par la collectivité via ses représentants, Belfius permettrait à l’État belge de garder la mainmise sur une part importante de ses investissements qu’ils soient publics et/ou sociaux. Ce choix permettrait également de réaffecter l’épargne collectée dans l’économie belge, notamment dans les PME souvent délaissées par les banques et favoriserait ainsi la création d’emplois.

Belfius, une opportunité

Belfius est une des quatre plus grandes banques de Belgique. Elle est entièrement détenue par l’État, quasi exclusivement dédiée à l’économie belge et première banque du secteur public. Actuellement, elle fournit déjà un service personnalisé adapté aux communes, régions, provinces, hôpitaux, associations... tels que l’établissement d’un profil financier et sociodémographique des communes, une gestion dynamique des dettes et de la trésorerie et, contrairement aux autres institutions financières, propose également des produits sociaux pour les CPAS.
Bien que la loi sur les marchés publics soit d’application, Belfius est la seule institution financière à se présenter systématiquement sur les marchés publics financiers. Il arrive même régulièrement que Belfius soit la seule à remettre une offre. De même, Belfius est la seule banque qui répond aux marchés lancés par le Centre régional d’aide aux communes (CRAC).
Mais pour qu’elle puisse remplir un réel rôle sociétal, la banque doit se doter de trois éléments. Premièrement, elle doit développer des missions d’intérêt général, notamment en assurant le développement économique, en étant au service des communes et du secteur associatif et en soutenant la transition écologique. Deuxièmement, elle doit se parer de statuts qui lui permettent, tout en tenant compte des objectifs de viabilité et de stabilité de la banque, de donner priorité, dans la durée, à sa mission sociétale plutôt qu’à un objectif de maximisation du profit. Troisièmement, elle doit mettre sur pied des structures décisionnelles adaptées, par exemple la mise en place de comités sociétaux qui veilleront à la bonne mise en œuvre des missions sociétales de la banque.

Diversification du secteur

Favoriser la multiplicité des institutions bancaires peut aider à une meilleure sécurité et une plus grande stabilité de l’ensemble du système. Par définition, les petites banques, si elles peuvent avoir des difficultés au même titre que les grandes, posent de moindres risques à l’État, garant des dépôts. Une plus grande diversité de banques est aussi utile pour donner le meilleur choix aux clients.
Pour arriver à cette diversité/multiplicité, il faut encourager la réapparition de banques coopératives et de banques publiques. Toutes deux présentent des avantages indéniables pour la solidité du système financier et pour l’économie, au sens large.

Banques coopératives

Diverses études montrent que les banques coopératives absorbent mieux les chocs et les crises bancaires et ont des politiques de crédit plus stables. La proximité en matière de sélection de crédit permet aussi de meilleures décisions 5. Le rapport « Liikanen » de la Commission européenne rappelle d’ailleurs ces divers éléments 6.
D’autres études montrent qu’aux États-Unis également, ce sont les banques régionales et locales qui financent le mieux l’activité économique et les particuliers. Par ailleurs, des systèmes prêts à l’emploi (comme c’est le cas aujourd’hui pour NewB qui, à ce stade, ne propose que des produits standards) d’un coût très abordable permettent d’envisager la création de banques nouvelles ayant des coûts de fonctionnement très raisonnables.

 NewB, l’initiative coopérative
NewB est une coopérative qui rassemble des organisations et des citoyens désireux de créer une autre banque, une banque qui appartient à ses clients. L’objectif de cette coopérative est de créer une banque coopérative participative, transparente, sobre et simple. Sans produits financiers complexes, ni de spéculation sur les marchés mondiaux ou de parachutes dorés pour les managers, cette banque se veut différente et au service de ses clients, en proposant des produits « attendus » d’une banque et en favorisant des investissements dans l’économie réelle, locale et durable.

Banques publiques

De leur côté, les banques publiques s’inscrivent dans une logique différente des institutions classiques. Elles visent à soutenir le développement industriel de leur pays d’origine. Ces institutions ont comme dénominateur commun d’intervenir dans les domaines souffrant d’insuffisances de financement de long terme et de privilégier des projets porteurs d’externalités, notamment environnementales ou sociales 7. Elles assurent ainsi le financement d’investissements rentables pour la collectivité, mais sur lesquels les investisseurs privés sont trop peu présents. Suivant la même logique, certaines ont développé des spécialités complémentaires comme le tourisme, le numérique, l’ingénierie territoriale, les forêts, les industries culturelles, les catastrophes naturelles...
Le développement économique s’inscrivant toujours dans un territoire, ces institutions contribuent au financement des collectivités locales et de leurs projets. En Europe, la plupart d’entre elles gèrent, pour le compte de l’État, une partie des fonds structurels européens 8, qu’elles peuvent éventuellement compléter par des prêts sur leurs propres ressources. Enfin, la plupart soutiennent des entreprises nationales à l’export. C’est notamment le cas de la banque publique allemande KWF.
L’utilité de ces institutions financières publiques est de répondre aux besoins de financement non couverts par le marché. On le constate, les institutions publiques contribuent activement aux priorités des pouvoirs publics. Cette capacité découle d’un modèle économique tourné non plus sur le profit immédiat, mais sur l’intérêt général au travers d’une gouvernance efficace et avec une politique de long terme qui fait actuellement défaut aux institutions bancaires classiques. Les avantages d’une banque publique sont donc indéniables. Il incombe désormais aux responsables politiques d’oser ce choix volontariste à l’heure où les banques privées ont abondamment démontré les dangers qu’elles font peser sur le système financier. #


Jean-Luc REVELARD : Délégué syndical CNE Belfius et président de la CSC Namur-Dinant.

Credit photo : Le.Mat


1. Rapporté à la population belge, cela correspond à 363 euros par personne.
2. FSA était la filiale américaine de DEXIA très impliquée dans les crédits hypothécaires (subprimes), ce qui a entraîné le groupe dans sa chute.
3. On peut citer l’exemple de la banque KFW. Celle-ci a pour vocation de mettre en œuvre les missions d’intérêt public telles que le soutien aux PME et à la création d’entreprises, la mise à disposition de crédits d’investissement aux petites et aux moyennes entreprises ainsi que le financement de projets de création d’infrastructures, de logements, le financement de techniques permettant d’économiser l’énergie, le financement d’infrastructures communales, etc.
4. Parmi celles-ci, on retrouve notamment : FairFin, le Réseau Financité, Attac Wallonie-Bruxelles, SAW-B, le CADTM, le MOC, le Gresea, le CEPAG, la FGTB wallonne, le Masereelfonds, ITECO, l’ACiDe, la CNE, la CSC Wallonne, la LBC Finances, etc.
5. Voir : http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_210354/lang--fr/index.htm
6. Voir : http://ec.europa.eu/finance/bank/structural-reform/index_fr.htm
7. Comme le logement social, les infrastructures, le financement de l’innovation et le développement des PME, mais aussi notamment en Europe, la rénovation thermique des bâtiments, les énergies renouvelables, la politique climatique...
8. Fonds européen de développement régional (FEDER) ou Fonds social européen (FSE).

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