PhotoCIRE - copiePour Caroline Intrand, co-directrice du CIRE (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), le bilan du secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Theo Francken (N-VA), est négatif. Amalgames, dissuasion et gestion des flux migratoires sont ses leitmotivs. Là où il faudrait une politique d’accueil humaine et positive. Explications.

Quelles sont les mesures phares du gouvernement Michel en matière d’asile et de migration ?

Dans ces domaines, l’accord de gouvernement donnait d’emblée le ton : les étrangers y sont en permanence considérés soit comme des abuseurs (des gens qui viennent profiter du système), soit comme des criminels. En mélangeant l’un et l’autre allégrement. Entre-temps, depuis l’été dernier, se déroule ce que d’aucuns aiment appeler une « crise migratoire ». En Belgique, cette crise est plutôt d’ordre politique. En effet, à la fin de l’année 2015, le nombre de demandeurs d’asile n’atteignait que 35.000 personnes dans notre pays. S’il s’agit bien d’une augmentation notable, ce nombre n’atteint pas celui des années 2000, lors de la guerre du Kosovo. À l’époque, les arrivées n’avaient pourtant pas autant marqué les esprits qu’aujourd’hui. Au CIRE, nous préférons donc plutôt parler d’« embouteillage » que de crise, car, pendant l’été 2015, beaucoup de candidats réfugiés sont arrivés au même moment.
En ce qui concerne leur accueil, il a uniquement été question de « gestion » de la part du gouvernement, avec, il faut bien l’admettre, l’ouverture de places en nombre suffisant pour que les demandeurs d’asile ne dorment pas à la rue. À titre de comparaison, en France, deux tiers de ceux-ci n’ont pas cette « chance » ! Un bémol toutefois : chez nous, l’ouverture de ces places s’est faite dans l’urgence, sans anticipation. Il n’y a dès lors pas beaucoup de places structurelles qui répondent aux normes nécessaires d’accompagnement des demandeurs d’asile.
Autre point : le plan de répartition des demandeurs d’asile dans chaque commune a été activé très tardivement. Sans ce retard, les choses seraient bien moins compliquées aujourd’hui.

Plus précisément, comment le secrétaire d’État a-t-il géré le grand nombre de demandes d’asile ?

Theo Francken (N-VA) a d’emblée mis en place une politique de dissuasion à l’égard des Irakiens, qui étaient les plus nombreux à frapper à nos portes, puis de façon plus générale, à l’égard de l’ensemble des demandeurs d’asile. Cette politique de dissuasion s’est notamment manifestée par des lettres et communiqués diffusés sur Facebook. Comme souvent depuis le début de la législature, Theo Francken a agi sans forcément modifier l’arsenal législatif, mais en privilégiant des pratiques qui ont insufflé un climat de suspicion à l’égard des demandeurs d’asile. L’objectif, à peine dissimulé, est de faire passer ces derniers pour de faux demandeurs d’asile qui, dès qu’ils ont compris que les conditions d’accueil sont mauvaises, s’empresseront de retourner volontairement chez eux.
En réalité, la dissuasion s’est faite sur des points qui sont à la limite de la légalité : menace d’enfermement systématique en cas de passage préalable par un autre pays de l’Union européenne (UE) 1, information selon laquelle leur titre de séjour ne serait valable que cinq ans (avant même que la loi à ce sujet ne soit votée), difficultés à faire venir leur famille (alors qu’il n’y a pas de réforme en ce sens), difficultés à faire reconnaître le statut de réfugié ou la protection subsidiaire... Avant cela, le taux de reconnaissance était de 80 %, ce qui est énorme 2 ! Ces effets d’annonce et cette politique de dissuasion ont eu un impact très fort : les retours volontaires ont été nombreux et le bruit a couru que la Belgique n’était pas aussi ouverte qu’annoncée... En agissant ainsi, le pouvoir exécutif se situe à limite du respect du droit d’asile.
Pour résumer, le gouvernement s’est limité à une tentative de gestion des flux migratoires alors qu’il se devait de mener une politique de défense et de mise en œuvre du droit d’asile.

L’action de Theo Francken se situe donc presque uniquement dans la communication...

La communication, c’est vraiment la manière d’agir et la marque de fabrique du secrétaire d’État depuis le début de la législature, avec une sortie tous les deux jours, systématiquement en lien avec l’actualité directe, sans aucune prise de recul. Étant donné qu’il existe, dans ce domaine, une surenchère politique permanente, chaque annonce crée des polémiques (les cours sur les femmes, les badges pour reconnaître les migrants, etc.). Au final, on est coincé dans des débats très limités qui mènent à un sentiment grandissant de suspicion envers l’étranger.


Qu’en est-il des centres fermés ?

L’accord de gouvernement prévoyait clairement d’augmenter la capacité des centres fermés. Celle-ci avait été un peu réduite en raison de la fermeture, dans le passé, d’ailes de certains centres. L’idée est de les rouvrir. Ce qui a aussi été annoncé, mais qui n’est pas encore clair, c’est l’éventuelle ouverture de nouveaux lieux de détention. Tout comme, n’est pas très claire non plus, l’idée de remettre les enfants en détention via l’ouverture d’une aile spéciale pour les familles dans les centres. Ce serait toutefois un non-sens alors que la Belgique a récemment été condamnée sur cette question par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
De plus, on maintient un système dans lequel les demandeurs d’asile sont systématiquement détenus à la frontière, ce qui n’est pas légal ! Par ailleurs, jusque-là, la loi belge fixait la limite de détention à la frontière à maximum deux mois. Le droit européen a réduit cette durée à un mois, ce qui n’a pas encore été transposé en droit belge. Et, en pratique, on constate que l’Office des étrangers 3 permet de renouveler cette détention sur d’autres bases juridiques qui sont, à nouveau, à la limite de la légalité. Cela étend la détention, dans certains cas, à plus de trois mois...
Enfin, en cas d’expulsion d’un demandeur d’asile, le dispositif actuel ne permet pas un recours suspensif. Pourtant, en la matière, notre pays a également été condamné plusieurs fois par la CEDH. Ce gouvernement joue donc avec les dispositifs, les transpositions. Il applique la loi à la carte.

Un mot sur le pré-accueil 4

Cela a été l’occasion de constater le manque de prévoyance du gouvernement en la matière, mais aussi de voir naître un soutien citoyen assez extraordinaire, qui a eu un impact fondamental. Cette mobilisation citoyenne a permis la création de places et l’ouverture du WTC 5.

Que penser de la privatisation de l’accueil ?

Le secteur privé est effectivement un nouvel acteur dans le dispositif des demandeurs d’asile. Après plusieurs appels d’offres de Fedasil 6, neuf centres sont actuellement gérés par le privé. On n’a pas encore de véritable bilan de leur action, mais d’après nos informations, cette gestion est catastrophique. En termes d’accueil, on y trouve le strict minimum. On pouvait s’en douter, car l’objectif d’une entreprise privée n’est pas de venir en soutien aux demandeurs d’asile ! Elles se limitent donc à fournir un lit et à manger, dans un strict respect du cahier des charges, mais sans aucun accompagnement.

Retenez-vous du positif de l’action de Theo Francken ?

Ce qui est certain, c’est qu’il connaît parfaitement le dossier. Il l’avait d’ailleurs suivi en tant que parlementaire. Mais il n’agit qu’en tant que gestionnaire des flux migratoires. Or c’est un domaine où l’on ne peut pas se permettre d’être uniquement gestionnaire. Il joue la soi-disant carte de l’humanité et de la fermeté, tout comme ses prédécesseurs (Maggie De Block...). Mais on sait aussi à quel parti il appartient et, indéniablement, son discours est stigmatisant sur les réfugiés. Pour résumer, il se dit humain dans sa manière de gérer son secrétariat d’État... mais se félicite d’avoir expulsé 111 Irakiens !

Peut-on qualifier la politique du gouvernement Michel de raciste ?

De xénophobe en tout cas. Au sens de la peur de l’étranger. Mais aussi de la peur de l’envahissement, de la peur de l’Autre dans toute sa différence...
Bart De Wever insiste aussi régulièrement sur la menace que représente l’arrivée des étrangers sur l’aide sociale. L’Autre est donc en permanence considéré comme une menace.

Quelles sont les alternatives du CIRE par rapport à ces politiques ?

Il y a des urgences. La première, c’est de mettre en place, à l’échelle de l’UE, des voies légales et sûres pour les demandeurs d’asile afin d’éviter de nouveaux naufrages. Cela passe par la délivrance de visas humanitaires à l’échelon européen ou par l’activation de la directive « protection temporaire » 7 qui peut être déclenchée à partir du moment où il y a un afflux massif de migrants, ce qui est évidemment le cas pour l’instant. Malheureusement, la seule obsession de la Belgique (et de l’UE) est de faire en sorte que les gens ne rentrent pas dans l’espace Schengen.
Au niveau belgo-belge, l’objectif est de sortir de la logique de rejet dans laquelle se situe le gouvernement et de faire en sorte que les messages véhiculés vers l’opinion publique soient des messages d’accueil. Il est indispensable de mettre un terme aux liens que l’on fait entre migrants et voleurs d’emplois, migrants et pilleurs de sécurité sociale, migrants et violeurs de petite fille, migrants et terroristes. Au nom de ces amalgames erronés, on se permet alors des pratiques odieuses, qui ne respectent ni la dignité des migrants ni celle des citoyens européens. C’est nocif pour l’ensemble de la société.
Plus globalement, pour le CIRE, il faut penser l’ouverture des frontières comme une alternative. Nous sommes conscients qu’en proposant cela, nous ne répondons pas à toutes les questions que cela soulève. Mais il est nécessaire de décaler le regard, d’oser ce discours d’ouverture et de permettre une égalité des droits. Il faut faire cheminer cette utopie. Parce que c’est quand on travaille sur des utopies que l’on peut avancer. Très concrètement, il y a aujourd’hui une inquiétude qui gagne la côte belge : celle d’un nouveau Calais. Nous non plus ne voulons pas d’un nouveau Calais ! Mais pour cela, ouvrons les frontières, dont celles de la Grande-Bretagne, en autorisant notamment les regroupements familiaux qu’un grand nombre de ces réfugiés attendent. Faut-il rappeler que le gouvernement de David Cameron n’a accueilli presque aucun réfugié ces derniers mois ?


Propos recueillis par Nicolas ROELENS


1. Le règlement de Dublin stipule que le pays d’arrivée du migrant est responsable pour le traitement de sa demande d’asile. Il a notamment pour but d’empêcher les arrivants de faire des demandes d’asile dans plusieurs pays de l’Union européenne. Il constitue actuellement l’une des raisons les plus courantes de refus du statut de réfugié.
Si on peut effectivement détenir des demandeurs d’asile qui relèvent du « Règlement Dublin », ces détentions ne peuvent pas être systématiques et doivent être motivées. Il doit par exemple y avoir suspicion d’un risque de fuite qui doit être prouvé, au cas par cas. Un demandeur d’asile issu d’un autre pays européen n’est donc pas systématiquement enfermé. Or les courriers rédigés par le gouvernement mentionnaient le contraire...
2. Le taux a diminué à 70 %, car le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) a estimé que les Bagdadis (habitants de Bagdad) ne pouvaient plus obtenir systématiquement la protection subsidiaire. Aujourd’hui, elle est examinée au cas par cas. C’est un changement de pratique qui ne repose sur aucun texte de loi !
3. Placé sous la tutelle du Service public fédéral Intérieur, l’Office des étrangers est notamment responsable de l’enregistrement des demandes d’asile introduites sur le territoire belge ou à la frontière [NDLR].
4. Le pré-accueil est la phase qui précède l’enregistrement des demandeurs d’asile auprès de l’Office des Étrangers. Or, l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile, conjuguée à la suppression de places d’accueil de la part de ce gouvernement fédéral et de son prédécesseur, a provoqué un manque de places et, donc, une crise du pré-accueil [NDLR].
5. Le 1er octobre 2015, le gouvernement a effet ouvert un centre pré-accueil dans le bâtiment du WTC III, à proximité de la gare du Nord à Bruxelles [NDLR].
6. L’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile [NDLR].
7. En cas d’afflux massif de personnes, la « protection temporaire » assure aux personnes ne pouvant rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire pour une durée d’un an. Cette protection peut être ensuite prolongée par période de 6 mois. L’État doit s’assurer que la personne puisse avoir accès à un logement, aux soins médicaux, doit lui fournir un visa, etc. Cette protection n’implique pas l’octroi d’un statut de réfugié à la personne qui en bénéficie [NDLR].