C’est dans le cadre de la sixième réforme de l’État que le Groupe des partenaires sociaux de Wallonie (GPSW) a été mis sur pied. Il se compose de quatre représentants syndicaux de Wallonie (deux issus de la CSC et deux de la FGTB) et de quatre représentants patronaux (un de l’Union wallonne des entreprises, un de l’Union des classes moyennes, un représentant du secteur non marchand [UNIPSO] et un représentant du monde agricole [FWA]).
La création de cet organe a ouvert la voie du passage de la concertation (dont la remise d’avis au Conseil économique et social de Wallonie) à la négociation entre partenaires sociaux d’accords à part entière 1. Ce type d’accords engagera plus les différentes parties dans une défense collective des textes. Le gouvernement wallon a, quant à lui, officialisé le choix de la concertation socioéconomique en s’engageant à respecter les accords unanimes du GPSW.
Les premiers dossiers de ce processus décisionnel portent actuellement sur les questions d’emploi, de chômage et d’aides à l’emploi.
Un pacte parcellaire
En mars 2015, le gouvernement wallon a mandaté sa ministre de l’Emploi, Éliane Tillieux (PS), pour qu’elle présente un Pacte pour l’emploi et la formation. Dans ce cadre, la ministre a demandé au GPSW de lui rendre un avis sur la question des aides à l’emploi, de la politique des « Aides à la promotion de l’emploi » (APE), du contrat « Jeunes insertion » 2 et des places de stages en entreprise.Ces diverses thématiques sont particulièrement importantes en Wallonie, car elles concernent au moins 250.000 demandeurs d’emploi, les travailleurs âgés de 55 ans et plus et environ 60.000 personnes sous contrat APE. À cela se rajoutent environ 4.500 personnes sous contrat PTP (« Programme de transition professionnelle ») dans les Pouvoirs locaux, à la Fédération Wallonie-Bruxelles et dans le non marchand.
Le gouvernement wallon a toutefois fixé des balises au périmètre des sujets soumis au GPSW. Il en a ainsi exclu de manière explicite la politique des titres-services (environ 40.000 travailleurs wallons) et la politique fiscale qui lui est liée, la politique d’emploi des CPAS wallons avec les articles 60 et 61 (environ 5.000 personnes), les autres mesures CPAS pour environ 800 personnes (mesures Activa et Sine).
Ces restrictions constituent un premier obstacle à une vision cohérente et globale d’une politique d’emploi wallonne. Ce premier mandat est très, voire trop limité.
Cela dit, on peut rester optimiste et voir le côté positif : la phase actuelle n’est pas une fin en soi, mais une première étape. Cela induira une continuité des débats au sein du GPSW et avec le Gouvernement wallon. Un élément plaide dans ce sens : les échéances de décisions et d’applications ne se limiteront pas à une législature. La continuité des Plans Marshall, dans leurs volets « économique » et « recherche », doit être aussi d’application pour les politiques d’emploi.
Emploi ou compétitivité ?
Il faut toutefois admettre que les débats sont difficiles au sein du GPSW, car des conceptions différentes entre banc patronal et banc syndical se confrontent.
Les enjeux sont importants. Ils concernent notamment le soutien aux politiques d’emploi. Dans ce cadre, une enveloppe d’environ 300 millions d’euros venant du fédéral doit être répartie. En la matière, les organisations syndicales veulent mettre l’accent sur le public des jeunes demandeurs d’emploi et des exclus des allocations de chômage. La qualité d’un emploi durable et la question de la formation font également partie des priorités. Les organisations patronales défendent, quant à elles, des réductions de cotisations de sécurité sociale, sans obligation, comme solution unique et efficace.
Les négociations ont débouché sur des propositions en matière de contrats APE. Unanimement, les interlocuteurs sociaux proposent qu’une grosse partie de ces contrats soit affectée aux ministres fonctionnels, c’est-à-dire aux différents ministres selon leurs responsabilités (Enfance, Insertion, Enseignement...). En effet, les personnes sont nécessaires au fonctionnement même de nombreux secteurs professionnels. En l’espèce donc, les besoins des secteurs supplantent les choix de politiques d’emploi.
L’autre volet des négociations concerne les montants d’aide octroyés aux travailleurs ou aux entreprises lors d’une mise au travail des demandeurs d’emploi ou au maintien au travail des travailleurs âgés. Les techniques d’octroi de ces aides ne font pas consensus. Les dissensions sont liées à des conceptions économiques et sociales diamétralement opposées. En effet, le banc syndical ne croit pas en la main invisible du marché qui résoudra la question du chômage par effet naturel d’une croissance économique espérée par certains. Dès lors, si les questions de conditions de travail, de formation, de responsabilisation des entreprises irritent les représentants des employeurs, elles sont incontournables pour les organisations syndicales.
Le banc patronal, lui, a toujours, aujourd’hui, tendance à confondre mesures d’emploi et mesures de compétitivité. La calculette est de mise pour tous les débats. La question du « combien cela rapporte » domine sur celle des retombées en faveur de la « Wallonie des entreprises et des travailleurs ». Il ne faut pourtant pas perdre de vue que l’argent public issu des contributions sociales et fiscales est (et doit rester) un outil commun de développement socioéconomique.
À partir de cette réalité, le GPSW pourra (et devra) rebondir afin que chaque composante dépasse ses tabous pour une construction collective profitable aux travailleurs, citoyens et entreprises de Wallonie.
« Le banc patronal a toujours tendance à confondre mesures d’emploi et mesures de compétitivité. »
La formation, élément clé
Le dossier de la formation (dont celui de l’alternance) est également sur la table du GPSW.
En la matière, combattre les clichés réducteurs sur les jeunes afin de ne pas les stigmatiser est primordial. Il convient également d’intégrer les questions de formation dans les esprits des entrepreneurs. Il n’est plus possible de demander une flexibilité maximale aux travailleurs et demandeurs d’emploi, mais de leur refuser, dans le même temps, une liberté de mobilité professionnelle rendue possible grâce à l’acquis de compétences et de l’expérience.
Les gouvernements wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles veulent chacun mettre l’accent sur un apprentissage par l’alternance. Beaucoup d’initiatives se prennent à cet égard. À titre d’exemples, citons le Pacte pour un enseignement d’excellence, une plateforme de stages, des incitants financiers, le tutorat, l’immersion de jeunes étudiants en milieu de travail durant des vacances scolaires, un comité de pilotage de l’orientation tout au long de la vie, les bassins emploi-formation, etc.
Le GPSW est également interpellé sur la question des stages en entreprises. Il faudra être plus ambitieux que d’organiser techniquement une adéquation entre l’offre et la demande. Une réelle coordination entre niveaux de pouvoir devra dégager un plan d’action opérationnel construit avec les acteurs locaux au sein des bassins (enseignement, IFAPME, entreprises et interlocuteurs sociaux).
Indéniablement, les mentalités de tous les acteurs doivent évoluer sur cette question, car celle-ci apparaît toujours comme secondaire ou périphérique, alors qu’elle est essentielle pour le futur de la Wallonie.
« Par choix délibéré, des personnes décident de ne plus collaborer à un système social incompréhensible et vide de sens. »
Septième réforme larvée
Tant le gouvernement wallon que le GPSW doivent, par ailleurs, oser le débat de la septième réforme de l’État. Non celle qui pourrait être mise sur la table lors d’une prochaine échéance électorale, mais celle qui est déjà en cours suite à des décisions tant du précédent gouvernement fédéral que de l’actuel. Il s’agit principalement des mesures de dégressivité et/ou de réduction des allocations de chômage, du contrôle de la disponibilité des demandeurs d’emploi avec les exclusions qui vont de pair et de la limitation aux droits aux allocations d’insertion pour certains jeunes sortant des études.Dans ce cadre, parler du chômage et des demandeurs d’emploi indemnisés n’est pas suffisant. Il est indispensable d’évoquer également les demandeurs d’emploi inscrits et/ou relevant des CPAS. En effet, les politiques de contrôle de la disponibilité des demandeurs d’emploi, les critères d’admission aux allocations de chômage, la complexité des démarches administratives, le manque de « sens » de ces dernières amènent les personnes demandeuses d’emploi à une bifurcation des circuits du chômage vers les CPAS.
Dans les faits, cette évolution pourrait être interprétée comme une étape « non dite » d’une régionalisation de la branche « chômage » de la sécurité sociale. Les personnes concernées quittent la sécurité sociale fédérale et solidaire à la suite de décisions politiques. Elles rejoignent alors un système, non régional, mais communal qui ne garantit aucune équité entre les habitants de Wallonie. Rappelons en effet que les politiques des CPAS sont décidées par des pouvoirs locaux avec des sensibilités diverses, mais aussi avec des moyens liés au niveau économique de la commune et à celui de ses habitants. Les citoyens habitant une commune peu fortunée risquent donc une double peine : celle de l’exclusion du chômage et celle du peu de moyens à disposition du CPAS.
Pourtant, ce sujet n’est abordé nulle part de manière collective et avec une vision prospective du « qui fait quoi » en matière de politiques d’emploi et de cohésion sociale. Il y a urgence de remédier à cela.
De manière générale, nous sommes passés des questions traditionnelles de chômage - emploi (compétitivité pour certains) à l’interrogation de la place nécessaire ou non des politiques d’insertion des CPAS. Il n’est pas question ici de mettre en doute le travail réalisé par les travailleurs sociaux des CPAS. Le débat doit plutôt porter sur la nécessité de conserver deux types de politiques d’emploi qui cohabitent au lieu de se complémenter (Forem et CPAS).
La forêt de Sherwood 3
Il y a, par ailleurs, un public qui disparaît complètement des radars sociaux : les personnes exclues des allocations de chômage et qui n’ont pas droit aux allocations du CPAS. C’est le cas pour deux tiers des personnes qui sont exclues des allocations d’insertion chômage après trois ans. Ce n’est qu’un exemple d’exclusion, mais il nous impose de sortir de la croyance que tout le monde a un droit individuel et inconditionnel à toutes les aides du CPAS.
Un autre public s’évanouit dans la nature et entre dans la « clandestinité » : par choix délibéré, des personnes décident de ne plus collaborer à un système social incompréhensible et vide de sens, selon elles. De plus en plus de jeunes adhèrent à cette vision.
L’esprit de la sécurité sociale garantissait un bien-être social par le travail ou par la couverture sociale dans une époque de plein-emploi depuis l’après-guerre jusqu’aux années 70. Les devoirs et les droits des personnes se concrétisaient dans un filet solidaire de sécurité au sens large. Aujourd’hui, le demandeur d’emploi qui est « activé » doit prouver qu’il cherche du travail. Par contre, la société dans laquelle il baigne ne doit pas prouver qu’elle offre suffisamment d’emplois. Droits et devoirs de chacun ne se complètent plus.
Dès lors, l’emploi, comme norme sociale unique d’intégration, n’est plus la seule référence et est de moins en moins homogène. Cette évolution est trop peu réfléchie entre interlocuteurs sociaux et entre GPSW et gouvernement. Les vieilles recettes prônées en période de plein-emploi et de croissance aveugle restent la référence en Wallonie et encore plus dans les politiques européennes. Mais aujourd’hui, la donne a changé et l’impasse guette.
Dès lors, ces lanceurs d’alerte de la forêt de Sherwood doivent être entendus, car ils ne représentent pas une menace, mais une opportunité d’évolution pour la Wallonie. Les organisations syndicales et patronales doivent donc s’ouvrir à l’écoute de ces personnes, les parlementaires et ministres aussi.
D’autres indicateurs
Aujourd’hui c’est bien l’emploi convenable, à temps plein, pour tous qui est indisponible. Pourtant, les résultats « emplois » du volet économique du Plan Marshall sont toujours définis au sein d’une économie traditionnelle non remise en débat. Il y a donc urgence de reconsidérer l’économie comme un moyen, plutôt que comme une finalité. Le Gouvernement wallon doit dès lors implémenter des indicateurs de progrès social si pas en opposition au seul PIB, à tout le moins complémentaire à ce dernier. Il est temps non plus de parler uniquement de taux de chômage et de taux d’activité, mais d’avoir des indicateurs qui nous révèlent, par exemple, le nombre d’heures de travail rémunérées en Wallonie ainsi que le salaire mensuel moyen payé par personne 4.Pour un Pacte social wallon
La question du chômage, autant importante qu’elle soit, n’est qu’un élément du débat sur le travail, l’emploi, le bien-être au sens global et le sens d’une vie en société.La complexité du projet collectif wallon ne peut se cantonner un Pacte pour l’emploi et la formation tel que défini par le gouvernement wallon. Ce Pacte ne peut être qu’une première pierre à un édifice plus ambitieux. Il faut construire de gré ou de force un « Pacte social wallon ». Par « social », il y a lieu d’entendre la définition du Larousse : « Qui concerne l’amélioration du niveau de vie et qui vise à créer une solidarité entre tous les membres d’une société ».
Les tabous tels que la fiscalité, les conditions de travail, la responsabilité des entreprises, la lutte contre les pauvretés, un développement durable pour toutes et tous devront tomber.
Pour les interlocuteurs sociaux, il s’agira de décider de passer de l’adolescence, avec le Pacte pour l’emploi et la formation, à sa maturité en initiant la trame d’un Pacte social wallon. Nous pourrons ainsi passer d’un statut d’interlocuteur social à un statut de partenaire social. Le GPSW devra alors s’allier et élaborer avec les autres forces de progrès un pacte complet et co-construit. Et nul doute que le Parlement de Wallonie sera évalué sur sa capacité à réussir ce défi. #
(*) Secrétaire fédéral de la CSC Luxembourg et membre du GPSW
1. À ce stade, et jusqu’à évaluation de résultats tangibles d’accords, mieux vaut parler d’interlocuteurs sociaux plutôt que de partenaires sociaux.
2. Ces contrats concernent les jeunes de moins de 25 ans n’ayant pas eu accès à une vraie expérience professionnelle dans les 18 mois suivant la sortie des études.
3. Selon Bernard Van Asbrouck, conseiller général au Forem, la forêt de Sherwood, « c’est un phénomène plus complexe que la rue, c’est le réseau d’amis, les bandes, les réseaux alternatifs (habitats groupés, communautés, sectes, errance urbaine) ».
4. Rappelons en effet que la baisse du nombre de chômeurs n’est pas nécessairement signe de travail rémunéré supplémentaire. Pour y remédier, le salaire mensuel moyen par personne est un des indicateurs de qualité de l’emploi disponible.
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