Schone kleren 9 copyright Guy PuttemansAu Cambodge, les conditions de travail des employé(e)s de l’industrie du textile sont extrêmement difficiles malgré les bénéfices réalisés par les grandes enseignes qui nous habillent. Partenaire de l’ONG Solidarité mondiale 3, Athit Kong fait le point sur la difficulté de son combat syndical pour obtenir un salaire vital.

 



Quelle est la situation des travailleurs de l’industrie de l’habillement au Cambodge ?

Pour contextualiser, nous comptons aujourd’hui environ 700.000 travailleurs dans le secteur, dont 90 % de femmes. En 2014, les exportations s’élevaient à plus de 5,7 milliards de dollars ! Malgré ce chiffre, la situation des travailleurs est très problématique : les salaires sont très bas, les contrats de travail sont de courte durée, la protection sociale est insuffisante, etc. En outre, les syndicats sont véritablement discriminés : le droit de grève, par exemple, est quasiment inexistant ! Pour autant, début 2014, nous avons pu mobiliser près de 200.000 personnes lors de manifestations nationales pour protester contre des négociations sur le salaire minimum qui n’allaient pas dans le bon sens.

Quelle fut la réaction du gouvernement cambodgien face à ces mobilisations ?

Elle a été très violente. Plusieurs travailleurs ont même été tués et de nombreux autres emprisonnés. Grâce à une campagne internationale d’actions devant les ambassades du Cambodge, nous avons toutefois obtenu leur libération. Au final, ces mobilisations nous ont permis de faire pression sur les autorités et d’augmenter le salaire mensuel minimum de 28 % pour atteindre 128 dollars. Un mieux si on compare cela avec la proposition initiale du gouvernement, mais qui reste toutefois bien loin des besoins vitaux des travailleurs. Et de la revendication portée par les syndicats qui demandaient un salaire mensuel minimum de 177 dollars. Pourtant, ces bas salaires ont des conséquences catastrophiques. D’après une étude récente de l’Organisation internationale du travail (OIT), 43 % des travailleurs du textile souffrent d’anémie parce qu’ils n’ont pas assez à manger. On constate également de fréquents évanouissements sur le lieu de travail. De plus, faute d’argent, la plupart des travailleurs ne sont pas en mesure de mettre leurs enfants à l’école ni de les emmener à l’hôpital quand ils sont malades.

Comment votre syndicat tente-t-il de répondre à cette situation ?

Dernièrement, nous avons réalisé une grande étude, notamment avec IndustriALL 4, qui a révélé que les dépenses de consommation médianes pour un travailleur du vêtement s’élevaient à 207,5 dollars. Mais les tensions sont telles que les chercheurs associés à l’étude se sont fait menacer par le gouvernement. Ce même gouvernement, soutenu par les syndicats « jaunes » 5 et le GMAC 6, a balayé notre analyse d’un revers de main. Leur argumentation est toujours la même : une augmentation des salaires dans le secteur pousserait les grandes marques à quitter le Cambodge pour des pays de la région qui bénéficient d’une main d’œuvre encore moins chère ou d’un meilleur niveau de productivité. Ce qui impliquerait la fermeture de nos usines... D’où l’importance fondamentale de mettre en place un front commun le plus large possible, qui impliquerait toute la filière du textile de la région ainsi que les pays qui achètent notre production. Mais c’est évidemment très complexe à organiser.

Récemment, vous avez toutefois obtenu une petite victoire...

Oui, début octobre, nos dernières mobilisations ont permis d’obtenir une nouvelle augmentation du salaire minimum pour l’amener à 140 dollars, soit une augmentation de 12 dollars. Mais notre objectif à court terme est d’atteindre les 177 dollars. C’est l’une de nos trois revendications majeures, en plus de la limitation des contrats de courte durée et de notre combat pour plus de libertés syndicales. Reste qu’au Cambodge, la négociation est actuellement impossible tant le rapport de force nous est défavorable. Au niveau syndical, nous luttons d’ailleurs tous les jours pour pouvoir négocier sur un pied d’égalité avec les marques et avec le gouvernement. Cela nécessite un front commun avec d’autres secteurs (construction, automobile, tourisme...), mais aussi des soutiens internationaux, comme c’est notamment le cas de la CSC ou du réseau international Clean Clothes Campaign. À terme, grâce à notre lutte, notre objectif est de pouvoir obtenir un salaire minimum pour l’ensemble des secteurs.

Finalement, votre combat n’est-il pas plus efficace quand il vise les grandes marques plutôt que le gouvernement ?

Ce qui est certain, c’est qu’au Cambodge, il est très difficile de mener notre combat au niveau politique. Nous sommes dans une configuration où il n’existe, par exemple, qu’un seul parti d’opposition ! Et quand le gouvernement apprend que nous travaillons avec celui-ci, sa réaction est d’autant plus brutale. Il faut donc être très prudent. Par ailleurs, sans un soutien des grandes marques, il est paradoxalement impossible d’obtenir des améliorations au niveau salarial ou au niveau des conditions de travail.
Si les marques peuvent faire partie de la solution, il ne faut pas pour autant être dupe. Il y a en effet un fossé entre leurs beaux discours et leurs actes. Elles ont une stratégie d’image et de relations publiques très bien ficelée. Leur politique de communication est ainsi axée sur leurs efforts en termes d’amélioration des conditions de travail. C’est clairement de la poudre aux yeux ! Une catastrophe comme celle du Rana Plaza (Bangladesh) pourrait tout aussi bien se produire au Cambodge. Souvent, les grandes marques ne veulent pas savoir ce qui se passe réellement dans les usines asiatiques.

Qu’attendez-vous des grandes marques ?

Elles doivent payer un prix correct aux usines, un prix suffisamment élevé pour permettre aux employeurs de payer un salaire décent. Dans la foulée, elles doivent aussi s’engager à maintenir les volumes d’achat au Cambodge si le salaire minimum venait à augmenter !

Des actions avec les syndicats des autres pays de la région sont-elles envisageables ?

On essaie de mettre ça sur pied, mais c’est très compliqué. Pour prendre l’exemple du Vietnam et du Cambodge, la concurrence entre les deux pays est réelle. Entre travailleurs, nous avons tout intérêt à regarder plus loin et être bien conscients que notre adversaire prioritaire et commun, ce sont les marques !

Quel(s) rôle(s) peuvent jouer les syndicats et mouvements sociaux européens ?

La conscientisation du grand public. Mais le plus important est probablement que les délégations syndicales actives en Europe dans la distribution de ces grandes marques tentent de convaincre ces dernières de discuter avec les syndicats cambodgiens. Le rapport de force est en effet meilleur entre syndicats et patronat en Europe que chez nous. Cette pression doit d’ailleurs se faire dans tous les secteurs qui sont partie prenante de la chaîne d’approvisionnement des vêtements.

Quel message souhaitez-vous faire passer auprès des consommateurs européens ?

C’est une question extrêmement difficile. On me pose souvent la question de la pertinence d’un boycott. Mais est-ce vraiment la solution ? Le risque est qu’au final, nos usines ferment et que ce soient les travailleurs qui en paient le prix... Je pense que la priorité pour les consommateurs européens, c’est d’être informés correctement de ce qui se passe chez nous, dans nos usines, loin du discours marketing des grandes marques. Que les consommateurs soient conscients que nous ne bénéficions pas d’un salaire décent. Qu’ils sachent aussi que les marques dépendent de leurs consommateurs. Et qu’ils ont donc un pouvoir d’influence ! #
Propos recueillis par Nicolas ROELENS

 149.251 fois NON !
AchACT et le réseau international Clean Clothes Campaign (Vêtements Propres) ont remis, le 13 octobre dernier, 149.251 signatures de citoyens européens à des représentants de la Commission européenne et à des enseignes de mode. Huit marques internationales (H&M, Inditex-Zara, C&A, Tchibo, Tesco, N’Brown, New Look, Pentland) et 5 marques belges (E5 Mode, JBC, Lola&Liza, Stanley&S tella, Bel&Bo) ont ainsi reçu les pétitions qui étaient présentées dans un colis « retour à l’expéditeur pour défaut de fabrication ». Ces milliers de consommateurs ont ainsi signifié qu’ils ne voulaient pas de vêtements fabriqués avec un défaut de salaire vital.
La remise de cette pétition s’est déroulée lors du forum Living Wage Now. Du 12 au 14 octobre, celui-ci a rassemblé pour la première fois des responsables de grandes marques de mode, des représentants des travailleurs venant des pays de production (Asie, Europe de l’Est), des décideurs politiques européens, des membres de la Clean Clothes Campaign et d’autres mouvements de défense des droits des travailleurs. La plupart des intervenants se sont accordés sur le fait qu’un cadre contraignant et structurel était nécessaire.
La balle est maintenant dans le camp de la Commission européenne : celle-ci doit s’impliquer afin de s’assurer que les entreprises européennes prennent leurs responsabilités concernant les abus constatés dans leur chaîne d’approvisionnement. #





1. Coalition of Cambodian Apparel Workers Democratic Union (ou Coalition syndicale démocratique des travailleurs de la confection du Cambodge).
2. Cambodian Labour Confederation (ou Confédération cambodgienne du travail).
3. Solidarité mondiale est l’ONG du Mouvement ouvrier chrétien.
4. Il s’agit de la fédération syndicale mondiale représentant les ouvriers du textile.
5. Les syndicats « jaunes » sont des syndicats inféodés au gouvernement.
6. Les représentants du secteur de l’habillement au Cambodge.
5. Les représentants du secteur de l’habillement au Cambodge.

Credit photo :shone kleren 9 copyright Guy Puttemans

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