Année après année, l’Union européenne voit son étoile pâlir auprès de ses citoyens. La crise de la zone euro et sa gestion ne l’ont pas aidée à redorer son blason, au contraire. Le taux de participation au dernier scrutin européen a d’ailleurs atteint son plus bas niveau historique. Au-delà de cette dimension, cet article revient en détail sur le verdict des urnes, l’évolution de la composition des groupes politiques européens et pointe, en filigrane, les gagnants et les perdants de ces élections.
Après une législature européenne marquée par la gestion de la crise de la zone euro et la réforme de la gouvernance économique européenne – visant à renforcer le contrôle des déséquilibres économiques, accélérer les réformes structurelles, renforcer les règles budgétaires et la coordination des politiques économiques ainsi que le contrôle des États en difficulté –, les élections européennes du 22 au 25 mai 2014 ont été caractérisées par un taux de participation d’à peine 42,5 % en moyenne, soit moins que son taux historique le plus bas (43 % en 2009).
Les résultats des différentes listes nationales à l’élection du Parlement européen (PE) sont, pour leur part, plus complexes à analyser. En Belgique, c’est la droite (libérale du côté francophone, nationaliste du côté flamand) qui sort renforcée de ce scrutin. Au niveau européen, trois phénomènes globaux peuvent être mis en évidence : le déclin du poids des familles politiques européennes traditionnelles, la percée fort médiatisée des eurosceptiques et les résultats contrastés de l’extrême droite.
La droite belge renforcée
En vertu de l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne (UE), et dans le cadre de la limite de 751 membres du PE fixée par le Traité de Lisbonne1, la représentation belge au PE est désormais constituée de 21 élus (et non plus 22). Pour la première fois, et pour des raisons démographiques, la perte du siège belge est comptabilisée dans le collège néerlandais. Ce sont donc un député germanophone, 8 députés francophones et 12 députés néerlandophones qui ont été élus au sein des collèges germanophone, français et néerlandais.
Dans le cas germanophone, il n’y a qu’un seul siège à pourvoir. Le député sortant, Mathieu Grosch du Christlich Soziale Partei (CSP, aile germanophone du PSC puis du CDH), ne se représentait pas, après vingt ans passés au PE. C’est le candidat du même parti, Pascal Arimont, qui remporte le plus de voix. Si le siège reste donc aux mains du parti social-chrétien, ce dernier continue sa lente érosion en pourcentages de suffrages exprimés, en se tassant autour de 30 %.
Au sein du collège français, les 8 sièges se partagent entre, d’une part, deux partis représentés par 3 élus – soit le PS et le MR – et, d’autre part, deux partis qui ne disposent que d’un unique élu – Écolo et le CDH. Le PS maintient ses 3 élus et est à égalité avec le MR qui obtient un siège supplémentaire, au détriment d’Écolo qui perd ainsi son deuxième siège et la moitié des suffrages obtenus en 2009, tombant à moins de 12 % des votes valablement exprimés. Le CDH parvient à garder son siège, qui revient au candidat en tête de liste, Claude Rolin, ancien secrétaire général de la CSC. Hormis ce dernier et deux élus socialistes (Marie Arena et Hugues Bayet), les députés francophones élus en mai 2014 disposent d’une expérience européenne, soit parce qu’ils sont députés sortants, soit parce qu’ils l’ont déjà été.
Dans le collège néerlandais, la hiérarchie des partis politiques a été sensiblement modifiée : avec 4 sièges – soit 3 de plus qu’en 2009 –, la N-VA devance l’Open VLD – qui maintient ses 3 sièges – et relègue, pour la première fois, le CD&V en troisième place avec 2 élus, soit un siège de moins qu’en 2009. Faute de candidature, la Lijst Dedecker perd toute représentation parlementaire ; le SP.A et le Vlaams Belang (VB) perdent chacun un élu et envoient un seul député au PE, tout comme Groen, qui maintient son unique siège. En dehors de 3 représentants de la N-VA et du représentant du VB, les députés flamands élus en mai 2014 sont des députés européens sortants.
Sur les 21 députés belges au PE, 10 sièges peuvent donc être comptabilisés au sein de la droite, libérale ou nationaliste (à l’exclusion de l’extrême droite), contre 7 en 2009.
Un tassement des familles politiques traditionnelles
Le PE fonctionne depuis son origine, et alors qu’il n’était encore qu’une assemblée parlementaire non élue2, sur la base de groupes politiques transnationaux qui rassemblent des députés issus de pays différents mais partageant des affinités politiques. Faire partie d’un groupe politique permet aux députés de disposer de ressources matérielles, financières et procédurales supplémentaires.
Pour cette nouvelle législature, les 751 élus européens se sont constitués en sept groupes politiques : le groupe du Parti populaire européen (PPE, 221 élus), celui de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au PE (S&D, 191 élus), les Conservateurs et réformistes européens (ECR, 70 élus), l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ADLE, 67 élus), la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL, 52 élus), le groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE, 50 élus) et le groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD, 48 élus). Marine Le Pen ayant échoué à constituer un groupe politique européen, il n’y a pas de groupe d’extrême droite. Cinquante-deux députés, dont ceux du Front national français (FN), sont « non inscrits », appellation officielle désignant les élus qui ne se sont pas affiliés à un groupe politique européen.
Ce sont donc des groupes politiques européens de poids inégal qui se côtoient au sein du PE : les deux premiers groupes dépassent les 150 élus, loin devant les deux groupes intermédiaires qui en comptent plus de 60, et les trois derniers groupes qui se tiennent dans un mouchoir de poche. À eux deux, les groupes d’origine démocrate-chrétienne et sociale-démocrate composent plus de la majorité de l’hémicycle (412 sur 751 élus). Mais ils subissent une érosion depuis les premières élections européennes. En 1994, le groupe du Parti socialiste européen (PSE), alors premier groupe politique en taille, atteignait son meilleur score avec 34,9 % des suffrages, alors que l’actuel groupe S&D peine à réunir 25,4 % des votes à l’échelle de l’Union3. Le groupe du PPE, premier groupe depuis 1999, alors soutenu par 37,2 % des électeurs ne rassemble plus désormais que 29,4 % des suffrages exprimés.
Ce déclin des deux grands groupes s’accompagne d’un renversement dans la hiérarchie des groupes politiques. Jusqu’à aujourd’hui, les familles politiques traditionnelles (sociale-démocrate, démocrate-chrétienne élargie et libérale) dominaient nettement le PE en formant le trio de tête des groupes politiques en taille. Le PE issu des urnes en 2014 apporte, à ce titre, une nouveauté : pour la première fois depuis 1958, le troisième groupe politique non seulement n’est plus le groupe libéral, mais il est, de plus, constitué d’élus critiques envers l’intégration européenne, les Conservateurs et réformistes européens (ECR). Cette nouvelle hiérarchie s’explique par la reconfiguration post-électorale des groupes politiques. Durant le mois de juin, et avant la première session plénière du PE, les groupes se reconfigurent en fonction du nombre d’élus qu’ils envoient au PE – afin de respecter les critères de formation des groupes politiques 4 – et des négociations visant à intégrer les nouveaux élus. En effet, au lendemain des élections, à groupes politiques constants, les libéraux restaient la troisième force politique. C’est le ralliement d’élus au groupe ECR (et particulièrement des 4 élus flamands de la N-VA) qui lui a permis de dépasser le groupe des libéraux.
La montée des euroscepticismes
Si la présence d’élus eurosceptiques au PE n’est pas neuve5, le poids électoral de ceux-ci ne peut se mesurer sur la seule base du résultat des urnes. D’une part, parce qu’il n’y a pas « un » euroscepticisme uniforme et, d’autre part, parce que les eurosceptiques sont présents dans plusieurs groupes politiques : ECR, EFDD, GUE/NGL, sans oublier ceux qui siègent parmi les « non inscrits ».
Premièrement, il convient de resituer l’euroscepticisme dans sa pluralité. Loin de former un ensemble homogène, l’euroscepticisme se caractérise par des courants très différents, allant du rejet pur et simple de l’intégration européenne (les europhobes) à la critique de l’Europe telle qu’elle se construit – critique qui peut être d’inspiration libérale autant que communiste, anarchiste... –, en passant par les euro-réalistes, qui peuvent soutenir la libéralisation économique européenne mais refuser d’octroyer plus de compétences aux institutions européennes. Certains partis vainqueurs des élections dans leur pays sont ouvertement contre l’intégration européenne et veulent faire sortir leur pays de l’Union : c’est le cas du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) de Nigel Farage, qui a créé en 2009 le groupe Europe liberté démocratie (ELD), devenu EFDD. D’autres sont des formations qui critiquent les politiques de l’UE, particulièrement en matière économique et monétaire, avec parfois des propositions diamétralement opposées entre, par exemple, le Mouvement 5 étoiles (M5S) de l’Italien Beppe Grillo, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et la plateforme de gauche radicale grecque Syriza.
«Pour la première fois depuis 1958, le troisième groupe politique au Parlement européen n’est plus le groupe libéral. »
Deuxièmement, cette diversité explique en partie l’impossibilité des eurosceptiques de s’allier en un seul et grand groupe politique. Depuis 2009 déjà, deux groupes politiques rassemblent les élus eurosceptiques au sein du PE : les groupes ECR et EFDD. Tous deux et le FN français – dans sa tentative de constitution d’un nouveau groupe – ont courtisé les nouveaux députés européens issus de partis nationaux critiques envers l’UE. Au terme de ces négociations, le groupe ECR a remporté une nette victoire en élargissant son groupe, mais il est très disparate. Il inclut dans ses rangs, outre les conservateurs britanniques de David Cameron, des formations politiques situées sur l’extrême droite de l’échiquier politique, mais qui ont refusé de s’allier avec Marine Le Pen (FN) : le Parti du peuple danois (Dansk Folkeparti) et les Vrais Finlandais (Perussuomalaiset) par exemple. Il comprend également des partis plus modérés, quoiqu’ouvertement euro-réalistes, tels que la N-VA. Le premier parti belge en nombre de sièges rejoint donc, pour la première fois dans l’histoire de la Belgique, un groupe politique euro-critique.
Une extrême droite contrastée
La victoire éclatante du FN aux élections européennes – premier parti français avec presque 25 % de votes et 24 sièges décrochés 6 sur les 74 dévolus à la France – masque une réalité très contrastée de l’extrême droite sur le territoire européen, assez éloignée de l’image véhiculée par les médias, celle d’une vague brune déferlant sur l’Europe.
Hormis le cas français, l’extrême droite a, certes, connu, lors de ces élections européennes de 2014, quelques succès – au Danemark, en Autriche et Hongrie ou encore en Finlande – mais surtout des revers dans la petite dizaine de pays – dont la Belgique – qui avaient jusqu’ici envoyé un ou plusieurs membres d’extrême droite dans l’hémicycle européen, certains se trouvant privés de toute représentation parlementaire européenne. C’est le cas d’Ataka en Bulgarie, du Partidul Romania mare (PRM) en Roumanie, du Slovenská národná strana (SNS) en Slovaquie, du British national party (BNP) au Royaume-Uni et du Λαϊκός ορθόδοξος συναγερμός (LAOS) en Grèce.
Voilà donc des résultats nationaux contrastés, sans compter les divergences idéologiques qui affectent les formations d’extrême droite. L’échec de Marine Le Pen à constituer un groupe politique autour du FN n’est ainsi pas lié au nombre de sièges nécessaires à la formation d’un groupe – le FN à lui seul comptabilisant presque les 25 députés requis – mais bien au nombre de pays représentés dans le groupe, la plupart des formations d’extrême droite nordique ayant refusé de s’allier au FN et ayant préféré rejoindre les groupes eurosceptiques existant sous la précédente législature.
Le renouvellement des représentants des citoyens européens doit donc être appréhendé en deux temps, celui des suffrages exprimés (en mai) et celui de la recomposition des groupes politiques européens (en juin). Et cette deuxième étape, par les regroupements qu’elle opère, permet de mieux comprendre les positions de certains nouveaux élus, notamment celles des députés critiques envers l’UE, qu’ils soient europhobes, euro-critiques, euro-réalistes ou d’extrême droite.
Vaïa Demertzis est chargée de recherche au CRISP
Photo : copyright Européan Parliament
1. Pour plus d’informations, cf. V. DEMERTZIS, « Élire le Parlement européen », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2211-2212, 2014.
2. Jusque 1979, les députés européens étaient désignés par les parlements nationaux en leur sein.
3. Sur le total des voix récoltées à travers les 28 États membres par les partis composant ce groupe, tel que calculé lors de la première session plénière de Strasbourg le 1er juillet 2014.
4. Deux conditions sont requises pour former un groupe politique au PE : réunir au minimum 25 députés, lesquels doivent être issus d’au moins un quart des États membres, soit, à l’heure actuelle, 7 pays.
5. La première élection directe des députés européens, en 1979, a ouvert l’hémicycle européen à des élus moins favorables à l’intégration européenne que ceux jusque-là envoyés par les parlements nationaux.
6. Devenus 23 sièges avec le départ d’une élue FN vers le groupe EFDD lors de la reconfiguration des groupes politiques.