Photo Dossier Avril 2014 1  copyright Martin Caulier

 Depuis la dernière réforme de l’État (2011), les entités fédérées (Régions et Communautés) sont appelées à recevoir de plus en plus de compétences, qui étaient exercées auparavant par l’Autorité fédérale. Conséquences : leurs budgets explosent et leurs champs d’action se multiplient considérablement. Les élections régionales du 25 mai dernier valaient donc leur pesant d’or. Dans cette optique, cet article analyse successivement les résultats de ces élections, la formation et la composition des gouvernements wallon et bruxellois ainsi que leurs répercussions sur le paysage institutionnel belge.

Que ce soit en Wallonie ou à Bruxelles,
le PS sort gagnant des scrutins régionaux.

À l’instar de ce qui s’est passé en 1999, les élections belges de 2014 concernaient les principaux échelons de pouvoir : l’Europe, l’Autorité fédérale et les Régions et Communautés. Les résultats de l’élection fédérale, plus particulièrement en Flandre, cristallisaient principalement l’attention. En effet, après les crises issues des élections de 2007 et de 2010, la question du maintien d’un État fédéral belge se trouvait posée et le score des partis nationalistes flamands – Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA) et Vlaams Belang (VB) – ayant le séparatisme comme objectif était attendu avec inquiétude. Néanmoins, dans une Belgique fédérale, dont la dernière réforme de l’État a encore renforcé le poids des entités fédérées, la compétition électorale au sein de celles-ci revêtait également une grande importance. Nous essayerons donc ici d’évaluer dans quelle position se trouvent les différents partis à la Région wallonne, à la Région de Bruxelles-Capitale et à la Communauté française (appelée aussi Fédération Wallonie-Bruxelles) au lendemain des dernières élections et des négociations politiques qui les ont suivies. Cela, sans perdre de vue les répercussions que la constitution des majorités dans ces entités peuvent avoir sur l’ensemble institutionnel belge.
En Wallonie, le paysage politique se présentait comme suit durant la campagne précédant les élections du 25 mai dernier :  deux forces dominantes  –  le PS et le MR –, deux forces moyennes –  Écolo et le CDH  –, des formations non représentées au parlement sortant1, dont deux qui, selon les sondages, émergeaient : le Parti du travail de Belgique (PTB), situé à la gauche du PS, et le Parti populaire (PP), situé à la droite du MR.
S’il apparaissait que le MR pourrait difficilement supplanter le PS en tant que premier parti wallon, il convenait d’observer si l’écart entre ces deux formations allait se réduire. Écolo et le CDH se disputaient la troisième place. Enfin, les listes PTB-GO!2 et PP pouvaient espérer atteindre le nombre de votes valables exprimés requis dans une circonscription électorale pour y décrocher un siège.
À Bruxelles, les choses se présentaient différemment du côté francophone. En effet, si là aussi le PS et le MR dominaient l’espace politique, l’écart entre ces deux formations était nettement plus ténu qu’en Wallonie et chacune d’elles pouvait espérer obtenir la première place, alors détenue par le MR. En outre, suite à la rupture intervenue le 25 septembre 2011 entre le MR et les FDF, en raison de leur désaccord sur la dernière réforme de l’État, trois formations étaient en concurrence pour la troisième place : Écolo, le CDH et les FDF. Des partis non représentés au Parlement bruxellois pouvaient, comme en Wallonie, prétendre y faire leur entrée. Ils avaient l’opportunité de bénéficier, à cette fin, d’un mécanisme propre à la Région de Bruxelles-Capitale : le groupement de listes. Il s’agit d’un mécanisme dérivé de l’apparentement provincial qui permet à différentes listes qui se présentent chacune de leur côté de faire une déclaration de groupement. Les groupements de listes ainsi constitués participent à la répartition des sièges sur la base du total des voix obtenues par les différentes listes composant le groupement et ce sont ces groupements qui doivent franchir le seuil des 5 % des votes valablement émis dans un groupe linguistique requis pour y décrocher une représentation. On répartit ensuite, à la proportionnelle selon le système D’Hondt, les sièges obtenus par le groupement entre ses différentes listes constitutives. Bien évidemment, constituer un groupement de listes est facultatif et les grands partis francophones ne voient pas la nécessité d’y recourir.
Au niveau des partis flamands de Bruxelles, la principale question qui se posait était de savoir si les formations classiques (Open VLD, SP.A, CD&V et Groen) pourraient constituer une majorité sans la N-VA, si possible une majorité regroupant seulement deux ou trois d’entre elles, compte tenu du fait qu’il n’y a que trois postes exécutifs à pourvoir pour les néerlandophones de Bruxelles (deux ministres et un secrétaire d’État).

Les résultats électoraux

Au Parlement wallon, le PS (30,9 %) subit un recul de près de 2 %, le MR (26,7 %) gagne plus de 3 %, le CDH (15,2 %), malgré un léger recul d’environ 1 %, reprend la troisième place aux dépens d’Écolo, sévèrement sanctionné par l’électeur (8,6 % des voix, soit une perte de près de 10 %).Deux formations font leur entrée au parlement : le PTB-GO! (5,8 % sur l’ensemble de la Wallonie) et le PP (4,9 %).
À l’issue du scrutin, les 75 sièges que compte le Parlement wallon se répartissent ainsi :

PS 30
MR 25
CDH 13
ÉCOLO 4
PTB-GO 2
PP 1


Au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, le PS (23,5 %), en très léger progrès par rapport à 2009 (+ 0,2 %), obtient la première place. Le MR (20,4 %) arrive deuxième, en recul de 6 % par rapport à son score de 2009, mais, cette fois, sans l’apport des FDF. Ces derniers (13,1 %) remportent la bataille de la troisième place. On notera que l’addition des scores du MR et des FDF (33,5 %) donne un résultat nettement supérieur(+ 7 %) à celui qu’avait obtenu en 2009 la liste MR, sur laquelle libéraux et FDF se présentaient alors unis. Le CDH (10,4 %), qui enregistre une perte de 2,8 %, se classe quatrième. Comme en Wallonie, Écolo (8,9 %) est le grand perdant de l’élection, récoltant à peine la moitié des suffrages obtenus en 2009.Le PTB*PVDA-GO! réalise un score de 3,4 %.Toutefois, ce parti a signé une déclaration de groupement de listes avec d’autres formations (ProBruxsel, Pirate, le Rassemblement R et BUB).Ces listes atteignant ensemble 4,99 % du total des votes valables, soit 5,5 % de ceux émis au sein du groupe linguistique français, elles franchissent le seuil électoral3 et décrochent 4 sièges. Tous sont octroyés à la liste PTB-GO!, les autres membres du groupement de listes réalisant des scores trop faibles (0,1 % à 0,7 %) pour prétendre en obtenir un. Viennent ensuite les partis flamands : Open VLD (3,9 %), SP.A (2,3 %), Groen (2,1 %), N-VA (2,0 %), CD&V (1,3 %) et Vlaams Belang (0,7 %, en fort recul).
Les 72 sièges que compte le groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale se répartissent ainsi :

PS 21
MR 18
FDF 12
CDH 9
ÉCOLO 8
PTB*PVDA-GO! 4

Quant aux 17 sièges du groupe linguistique néerlandais, ils se partagent ainsi :

Open VLD 5
SP.A 3
Groen 3
N-VA 3
CD&V 2
VB 1

Le Parlement de la Communauté française est constitué des 75 membres du Parlement wallon et de 19 élus du groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, répartis de façon proportionnelle en fonction des chiffres électoraux obtenus par les différentes listes. Sa composition est désormais la suivante :

PS 36 (dont 6 à bruxellois)
MR 30 (dont 5 bruxellois)
CDH 16 (dont 3 bruxellois)
Écolo 6 (dont 2 bruxellois)
FDF 3 (tous bruxellois)
PTB-GO! 2 (tous wallons)
PP 1 (wallon)

Signalons que le PTB a contesté la sélection opérée dans le groupe linguistique français du Parlement bruxellois, considérant, en s’appuyant sur une interprétation de la législation, qu’il avait droit à un représentant bruxellois au Parlement de la Communauté française en vertu du résultat du groupement de listes auquel il participait. Ce recours a été rejeté lors de l’installation du Parlement.

La formation des majorités

Au Parlement wallon, où la majorité est de 38 sièges, le PS, arrivé en tête, occupe la situation la plus confortable, mais il n’est pas incontournable, une coalition MR-CDH, éventuellement élargie à Écolo, étant possible.
À Bruxelles, où le groupe linguistique français du parlement régional compte 72 sièges et où la majorité est de 37 sièges, on se retrouve dans une configuration analogue, le PS pouvant aussi y être contourné par une alliance MR-FDF-CDH ou, cas de figure plus improbable, par un axe MR-FDF-Écolo. Rappelons qu’à Bruxelles, la majorité francophone doit s’entendre avec la majorité se dégageant dans le groupe linguistique néerlandais. Dans ce groupe, c’est l’Open VLD qui est maître du jeu avec 5 sièges sur 17.
Alors qu’au niveau fédéral, Bart De Wever est désigné comme informateur par le roi le 27 mai, les présidents du PS Elio Di Rupo et Paul Magnette entament des consultations pour dégager une majorité wallonne et francophone, la présidente de la fédération bruxelloise du PS, Laurette Onkelinx, faisant de même au niveau bruxellois. Au départ, les formateurs socialistes donnent l’impression de ne pas vouloir se précipiter et d’observer comment les choses vont se décanter au niveau fédéral. Les choses s’accélèrent le 5 juin 2014 lorsque le PS et le CDH annoncent qu’ils vont négocier la formation d’une coalition en Wallonie et au niveau de la Communauté française, et que les mêmes partenaires, auxquels s’ajoutent les FDF, se mettent à table pour constituer une majorité bruxelloise du côté francophone.

« Il semble évident que la perspective pour le PS d’être écarté du pouvoir fédéral a influencé la désignation des membres socialistes des gouvernements wallon et francophone. »

Dans la foulée, un communiqué de presse émanant du cabinet du ministre régional bruxellois Guy Vanhengel (Open VLD), chargé de former une majorité au sein du groupe linguistique néerlandais du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, fait état d’un accord entre l’Open VLD, le SP.A et le CD&V pour contribuer à la formation d’un gouvernement bruxellois. Malgré un blocage passager des états-majors du CD&V et de l’Open VLD relatif à la présence des FDF dans la majorité, le 11 juin, les trois partis francophones (PS-FDF-CDH) et les trois partis néerlandophones (Open   VLD-SP.A-CD&V) affirment leur détermination à négocier ensemble un projet pour Bruxelles. Un accord de gouvernement pour la Région bruxelloise est présenté à la presse le 14 juillet 2014. Il faut attendre quelques jours supplémentaires pour que les accords de gouvernement de la Région wallonne et de la Communauté française soient scellés. Ceux-ci sont présentés à la presse le 18 juillet 2014.
Les gouvernements bruxellois, wallon et de la Communauté française sont constitués dans la foulée. Les ministres et secrétaires d’État bruxellois prêtent serment le 20 juillet, les ministres wallons et de la Communauté française,
le 22.

La composition des gouvernements

Au niveau fédéral, les négociations visant à former une coalition associent dans un premier temps la N-VA, le CD&V, le MR et le CDH. Toutefois, le 24 juin, ce dernier refuse de poursuivre les discussions sur la base de la note remise par Bart De Wever. Le 27, Charles Michel, président du MR, est chargé par le roi d’une mission d’information. Le 22 juillet est présenté l’accord de gouvernement flamand. L’inclusion, outre la N-VA et le CD&V, de l’Open VLD dans la coalition mise sur pied en Flandre ouvre la voie, au niveau fédéral, à la formation d’un gouvernement associant ces trois partis flamands au seul MR du côté francophone.
Il semble évident que la perspective pour le PS d’être écarté du pouvoir fédéral a influencé la désignation des membres socialistes des gouvernements wallon et francophone. Le doute a d’ailleurs plané à Bruxelles quant à l’arrivée de la vice-Première ministre fédérale socialiste sortante, Laurette Onkelinx, au poste de ministre-présidente à la place de Rudi Vervoort. Alors que, durant la campagne électorale, les commentateurs évoquaient la rivalité entre le Hennuyer Rudy Demotte et le Liégeois Jean-Claude Marcourt pour le poste de ministre-président wallon, c’est le bourgmestre de Charleroi et président faisant fonction du PS, Paul Magnette, qui prend la tête du gouvernement wallon, Elio Di Rupo, Premier ministre en affaires courantes, redevenant seul président du PS. Le gouvernement wallon compte 8 membres –  5 socialistes et 3 démocrates humanistes  –, dont une seule femme. Le gouvernement de la Communauté française demeure quant à lui présidé par le socialiste Rudy Demotte ; il compte 7 membres – 5 socialistes et 2 démocrates humanistes –, dont 2 Bruxellois et 2 femmes 4.
On remarquera que, comme durant la législature précédente, mais avec un parti de moins (Écolo), 15 portefeuilles sont répartis entre les partenaires des deux gouvernements (Région wallonne et Communauté française). Mais ils sont distribués entre un nombre total plus important de personnes pour les deux entités puisqu’on dénombre dorénavant 13 ministres au lieu de 11, seuls 2 des 7 ministres de la Communauté française siégeant également au gouvernement wallon au lieu de 4 lors de la législature précédente5. Une telle configuration paraît liée à la prise en compte par le PS et le CDH du risque d’être relégués dans l’opposition au niveau fédéral et à la volonté de ces partis de conserver un certain nombre de ministres. Elle contribue également à réaffirmer l’existence politique d’une entité, la Communauté française, qui fait l’objet d’une contestation croissante dans les milieux régionalistes6.

À la Région bruxelloise, les FDF sont de retour au pouvoir après dix ans d’opposition.

C’est également le socialiste Rudy Vervoort qui continue à diriger le gouvernement bruxellois. Les autres membres francophones du gouvernement sont 2 FDF (1 ministre et 1 secrétaire d’État), 1 ministre CDH et 1 secrétaire d’État PS. Les 2 ministres flamands sont 1 Open VLD et 1 SP.A, le CD&V recevant 1 poste de secrétaire d’État. Ce gouvernement compte autant d’hommes que de femmes. Aucun des ministres régionaux bruxellois ne siège dans le gouvernement de la Communauté française.
Enfin, relevons que le PS conserve également la présidence des parlements bruxellois et de la Communauté française et obtient la présidence du Collège de la Commission communautaire française (Cocof) pour Fadila Laanan, tandis que le CDH conserve la présidence de l’Assemblée de la Cocof et obtient la présidence du Parlement wallon ; l’Open VLD conserve la présidence de l’Assemblée de la Commission communautaire flamande (VGC).

 

Photo Maigain 1 copyright Martin Gillet

 

Bilan des différents partis

Le bilan des différents partis politiques est assez contrasté. Sur le plan électoral, on ne peut identifier clairement qu’un seul vrai perdant, à savoir Écolo, qui subit un très sérieux recul. Le PS recule en Wallonie, mais y reste le premier parti ; il progresse très légèrement à Bruxelles, mais, surtout, y arrive en tête. Le MR réussit un beau score en Wallonie, où il réduit sensiblement l’écart avec le PS ; sans l’apport des FDF, il recule par contre à Bruxelles et perd le leadership. En y devenant troisièmes, les FDF atteignent leur objectif à Bruxelles, mais ils ne réussissent pas à percer en Wallonie. Le CDH recule en Wallonie, mais y redevient le troisième parti ; ses pertes sont plus importantes à Bruxelles, mais il profite de la défaite d’Écolo pour conserver la quatrième place. Le PTB est en net progrès et tire bien son épingle du jeu en s’introduisant dans les différents parlements. Le PP, dont le score n’est pas très nettement inférieur à celui du PTB, mais qui semble avoir moins bien géré les règles du jeu électoral et la constitution de ses listes7, n’obtient pour sa part qu’un élu en Wallonie (et donc un à la Communauté française) et aucun à Bruxelles.
Toutefois, la position post-électorale des principaux partis ne peut réellement s’appréhender qu’après les négociations visant à constituer les majorités dans les différentes entités. Au niveau de la Région wallonne, de la Communauté française et de la Région de Bruxelles-Capitale, le PS, qui était contournable dans ces entités, sort gagnant puisqu’il y reste au pouvoir, qu’il y conserve les postes de ministre-président et que ses ministres sont chargés de compétences substantielles. En se maintenant avec le précédent dans les gouvernements wallon, francophone et bruxellois, le CDH s’expose au reproche de trop se lier au PS. Toutefois, l’importance des portefeuilles obtenus pour ses ministres (Éducation, Culture et Enfance pour la seule Joëlle Milquet, ou les compétences des trois ministres wallons du CDH) témoigne de l’habileté du CDH dans la négociation. Les FDF ont réussi, quant à eux, à revenir au pouvoir à la Région bruxelloise après dix ans d’opposition. Le MR apparaît, par contre, comme le grand perdant dans les entités wallonne, francophone et bruxelloise. Son objectif, clairement affirmé durant la campagne électorale, était en effet d’y retrouver le pouvoir dont il était exclu depuis 2004.Les alliances nouées entre le PS, le CDH et les FDF (à Bruxelles) ne lui permettent pas de l’atteindre. Finalement, c’est sa participation au pouvoir fédéral, dans une coalition où il est le seul parti francophone, avec les dangers que cela comporte, qui pourrait lui permettre d’éviter que les élections de 2014 ne débouchent pour lui sur une cruelle défaite, malgré sa bonne tenue électorale.

Une asymétrie belge prononcée

La décision du PS et du CDH de constituer des majorités dans les entités fédérées (avec les FDF à Bruxelles) sans attendre l’issue des négociations fédérales a suscité nombre de commentaires. Certains ont reproché à ces partis, et plus particulièrement au PS, d’être entrés dans une dynamique confédérale et d’avoir fait ainsi le jeu de la N-VA8. D’autres, en revanche, considèrent que l’essence même d’un système fédéral est de permettre l’existence de majorités différentes dans ses différentes entités9. Pour Christian Behrendt, constitutionnaliste à l’ULg, « on ne mesurera que plus tard les effets profonds de ce choix socialiste »10.
S’il appartiendra aux historiens d’en évaluer toute la portée, on peut déjà avancer quelques réflexions sur l’évolution politique actuelle. En dehors de considérations sur le risque couru par le MR d’entrer dans une majorité à laquelle participe la N-VA et dont il est le seul partenaire francophone, ou sur l’éventuel intérêt du PS de se replier dans l’opposition à l’heure où se profile un renforcement des mesures d’austérité budgétaire, on se posera évidemment la question du risque que peut faire courir l’existence de majorités différentes à la bonne collaboration entre l’Autorité fédérale et les entités fédérées wallonne, francophone et bruxelloise, en particulier dans la délicate mise en œuvre de la 6e réforme de l’État. À cet égard, on remarquera que les trois partis flamands qui seraient présents au pouvoir fédéral dans une coalition dite « suédoise »11 le sont également au niveau flamand, alors que le seul parti francophone qui serait membre de cette coalition est dans l’opposition en Wallonie, à la Communauté française et à Bruxelles.

À l’issue de la composition des majorités régionales, le MR apparaît comme le grand perdant dans les entités wallonne, francophone et bruxelloise. 

Plus fondamentalement, il sera utile d’observer si, à supposer qu’une coalition « suédoise » se mette en place au niveau fédéral, le face-à-face entre des majorités fédérale et flamande de droite et des majorités wallonne, francophone et bruxelloise de centre-gauche n’aura pas pour conséquence, à terme, de modifier la perception de l’opinion wallonne et francophone à l’égard du cadre institutionnel belge. En ce sens, il convient de ne pas sous-estimer l’avancée significative que son entrée dans une coalition fédérale pourrait représenter pour la N-VA, en dépit du fait que cette formation devrait consentir une trêve institutionnelle. En effet, le politologue Bart Maddens indiquait en janvier 2014 à propos de la stratégie de la N-VA que « l’idée sous-jacente est : si on réussit à former un gouvernement fédéral de droite, c’est la meilleure façon de préparer le coup suivant, le confédéralisme. Parce qu’alors les francophones se poseront eux-mêmes en demandeurs d’une nouvelle grande réforme de l’État »12.

 Et en Flandre ?

Les élections du 25 mai dernier y ont incontestablement consacré la N-VA. Avec 31,88 % des voix (+18,82 % !), elle termine premier parti, loin devant le CD&V (20,48 %, en baisse de 2,38 % par rapport au scrutin régional précédent). En troisième position, on retrouve l’Open VLD (14,15 % [-0,84 %]). Viennent ensuite le SP.A (13,99 % [-1,28 %]), Groen (8,7 % [+1,93 %]), le Vlaams Belang (5,92 % [-9,36 %]) et le PVDA (2,53% [+1,49 %]).
Ces résultats se traduisent fort logiquement dans l’attribution des sièges au Parlement flamand puisque sur un total de 124 sièges à pourvoir, la N-VA en reçoit 43 (+ 27 sièges !), le CD&V 27, l’Open VLD 19, le SP.A 18, Groen 10, le Vlaams Belang 6 (- 15 sièges !) et l’Union des francophones 1.
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ce scrutin : grâce à sa victoire retentissante, la N-VA était quasiment incontournable (politiquement, du moins) dans la future majorité régionale et le bilan en demi-teinte de ses ministres lors de la précédente législature n’a pas été sanctionné par l’électeur. Par ailleurs, le Vlaams Belang subit un très lourd revers, tout comme le parti de Jean-Marie Dedecker, Lijst Dedecker, qui ne compte plus aucun député dans l’hémicycle.
Au lendemain des élections, des négociations s’ouvrent rapidement entre la N-VA et le CD&V pour former un gouvernement. Ce dernier sera toutefois fortement influencé par les discussions qui se déroulent au niveau fédéral. En effet, le CD&V et la N-VA se rendent compte que l’inclusion de l’Open VLD dans la majorité flamande pourrait faciliter la conclusion d’un accord pour la constitution d’un gouvernement fédéral. Le 22 juillet, le couperet tombe : l’Open VLD fera bel et bien partie du prochain gouvernement flamand.
La composition de ce dernier est alors la suivante : 4 ministres N-VA (dont le ministre-président, Geert Bourgeois), 3 ministres CD&V et 2 ministres Open VLD. #

Nicolas Vandenhemel

Jean-Paul Nassaux est collaborateur scientifique du CRISP


 

Photo Maingain : copyright Martin Gillet

Phot Magnette : copyright Martin Caulier


1. Voir à ce sujet : J. DOHET, J. FANIEL, S. GOVAERT, C. ISTASSE, J.-P. NASSAUX, P. WYNANTS, « Les partis sans représentation parlementaire fédérale », Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 2206-2207, 2014.
2.  L’acronyme signifiant « Parti du travail de Belgique-Gauche d’ouverture! ». Ces listes comprenaient, outre des membres du PTB, des personnalités indépendantes, des militants syndicaux et des représentants d’autres partis de gauche (Parti communiste et Ligue communiste révolutionnaire).
3. Le seuil est fixé par rapport au groupe linguistique.
4. La composition de ces gouvernements et de leurs prédécesseurs est disponible sur : www.crisp.be.
5. Si l’on ajoute à ces 4 ministres régionaux wallons la ministre régionale bruxelloise Évelyne Huytebroeck (Écolo), on ne comptait que 2 ministres uniquement communautaires sous la précédente législature.
6. Voir à ce sujet le dossier de Politique, revue de débats, n° 84, mars-avril 2014, « La réforme inachevée », notamment l’article de J.-P.  NASSAUX, « Communauté française : les raisons d’un procès ».
7. Voir, à ce sujet, la carte blanche publiée dans Le Soir du 12 juin 2014 par les chercheurs du Cevipol R. FOUCART, M. GASSNER, É. VAN HAUTE, « Du comportement stratégique des “petits partis” ».
8. Tel est notamment l’avis du politologue flamand, professeur à la KUL, Bart Maddens (La Libre Belgique, 28 juin 2014).
9. C’est la thèse de Marc Uyttendaele, constitutionnaliste à l’ULB (La Libre Belgique, 28 mai 2014).
10. LeVif/L’Express, 13 juin 2014.
11. Le bleu est la couleur traditionnelle des libéraux belges (MR et Open VLD), tandis que la N-VA emploie le noir et le jaune. Dans cette référence au drapeau du pays scandinave, la croix symbolise le CD&V, parti chrétien-démocrate flamand (dont la couleur est l’orange).
12. Le Soir, 27 janvier 2014.