Une fois le choc de la crise digéré, l’Union européenne et les dirigeants de différents états n’ont pas hésité longtemps sur la recette miracle pour sortir du marasme : l’austérité. En comprimant les dépenses publiques à tout va, la croissance économique était censée revenir rapidement. Il n’en fut évidemment rien. Or, les conséquences de ce choix sont quotidiennement tragiques pour des centaines de milliers d’Européens. La nouvelle campagne du CIEP fait le point sur la situation de différents secteurs qui sont tous confrontés à de sérieuses impasses. Il y a donc urgence de changer de paradigme. La société civile doit se réapproprier les termes du débat économique. Et oser la solidarité.

Le 25 mai 2014, nous voterons pour élire les représentants du Parlement européen alors que la crise touche toujours une partie de la zone euro. Tous les États membres se sont engagés à réduire, dans des délais très (trop) serrés, leurs déficits et leur dette publique afin de sauver la monnaie unique, l’euro. Pour y parvenir, deux solutions sont envisagées : augmenter les impôts ou réduire de manière drastique les dépenses publiques. Dans les faits, c’est surtout cette dernière alternative qui est appliquée, car c’est la solution la plus « rapide » et politiquement la plus facile à mettre en œuvre.
In fine, les populations en subissent les conséquences avec une réduction de la qualité de vie, une diminution des services publics, un affaiblissement de la sécurité sociale et une fragilisation de la cohésion sociale.
La Commission européenne dirigée par José Manuel Barroso n’a jamais été capable de proposer d’autres alternatives que celles de l’austérité pour sortir de la crise. Pourtant, un nombre croissant d’économistes (soutenant jusqu’alors les politiques néolibérales, et même le FMI et l’OCDE) émettent des doutes sur les recettes européennes, voire les critiquent publiquement. Cette stratégie de sortie de crise par le bas a reçu l’aval du Conseil européen, lui-même dépassé par une tempête financière qui s’est formée outre-Atlantique et qui a déferlé sur le reste du monde, menaçant même la survie de l’euro. Une trentaine de sommets « de la dernière chance » (sic) se sont succédé sans réellement jamais convaincre les citoyen(ne)s, les entreprises ou les marchés.
Sous la pression de certains gouvernements comme ceux de la France et de l’Allemagne, la crise de l’euro a été l’occasion de renforcer les pouvoirs de contrôle de la Commission européenne. Contrairement au Parlement, cette dernière n’est pas directement élue et n’a pas de réel compte à rendre devant les citoyens. Elle est, régulièrement, influencée par divers lobbies protégeant davantage les intérêts des multinationales que ceux des citoyens.
Par ailleurs, de nouveaux instruments tels que le Pacte budgétaire européen ou le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), le Mécanisme européen de stabilité (MES), ont été créés en dehors des traités et/ou sans consultation du Parlement européen, ni débats citoyens et médiatiques... Ces décisions posent, à tout le moins, de sérieuses questions de légitimité démocratique.
Comment, dès lors, ne pas comprendre la méfiance du citoyen à l’égard de l’Europe et de ses institutions ? Dans plusieurs pays de l’Union européenne (UE), les mouvements populistes et les partis « extrêmes » utilisent ce climat d’euroscepticisme, pour renforcer leur visibilité sur la place médiatique et politique.
La crise de la zone euro met clairement en évidence une Europe à deux vitesses : celle des pays riches et stables, et celle des pays pauvres et fragiles. Ce clivage est aussi présent à l’intérieur même des pays. En Allemagne, par exemple, 22 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et 7 millions de salariés à temps plein gagnent 400 € par mois. Malgré sa complexité, l’Europe n’est cependant pas que l’affaire de fonctionnaires, d’experts et d’hommes politiques. Elle est aussi l’affaire de tous et de toutes, et ce, dans tous les domaines de la vie quotidienne qu’il s’agisse de santé, d’égalité homme-femme, de travail, de jeunes, de fiscalité...

Allo l’Europe ? Quel travail pour les jeunes ?

L’Europe de l’austérité ou de la solidarité se joue notamment dans les domaines du travail et des jeunes. Environ 25 % des jeunes européens (soit 7,5 millions de personnes) sont sans emploi. C’est même pire en Espagne, en Grèce et au Portugal où un jeune sur deux est dans ce cas. Depuis la crise financière de 2008, les perspectives économiques et sociales en Europe sont devenues très sombres. L’avenir des jeunes est de plus en plus précaire. Ces derniers représentent désormais la variable d’ajustement d’un système économique aux abois.
En 2013, le Conseil européen décide d’investir 6 milliards € sur deux ans pour aider les jeunes sans emploi qui ne suivent ni études ni formation (les « NEET »). Les États membres se sont engagés à ce que tous les jeunes de moins de 25 ans se voient proposer l’offre d’un emploi, d’un apprentissage ou d’un stage de qualité dans les quatre mois suivant la perte de leur emploi ou leur sortie de l’enseignement formel. En Belgique, cela correspond à quelque 120 millions €, soit environ 520 € par jeune sans emploi par an. Une somme dérisoire au vu de ce qui a été décidé pour renflouer les banques. En effet, entre octobre 2008 et octobre 2011, la Commission européenne a approuvé environ 4.500 milliards € d’aides d’État en faveur des établissements financiers, ce qui équivaut à 37 % du PIB de l’UE.
En Belgique, les fonds alloués par l’UE serviront à mettre en place des stages de transition (d’une durée de 3 à 6 mois). Ainsi, 10.000 places seront créées pour des jeunes de moins de 25 ans (moins de 30 ans à Bruxelles) qui n’ont pas trouvé d’emploi après 6 mois au chômage et qui disposent au maximum du CESS. Dans ce cas, l’employeur paiera seulement 200 € par mois au jeune en stage et n’aura aucune obligation d’insertion à la fin du stage. Le jeune, quant à lui, bénéficiera de 350 à 800 € d’allocations d’insertion.
Si la mesure a le mérite de proposer un stage d’insertion concret aux jeunes, elle est inquiétante à plusieurs égards : aucune information sur les critères qualitatifs du stage, le réel accompagnement et la formation du jeune en entreprise, le caractère obligatoire ou non pour un jeune d’accepter un stage et les garanties de création d’emplois pérennes via cette mesure.
Ce type de mesure rejoint celles défendues par nos actuels dirigeants politiques, à savoir les politiques d’activation. Selon cette logique, si les jeunes (et les autres) sont au chômage, c’est parce qu’ils ne sont pas « activés ». Ils sont donc « passifs » et non employables. Il faut un certain culot pour aller dire aux 60 % de jeunes chômeurs espagnols que leur avenir dépend uniquement de leur employabilité.

Le MOC et ses organisations revendiquent une Europe sociale et militent pour …

... des emplois ! Mais pas des mini jobs à l’allemande qui font baisser les chiffres du chômage, mais qui, surtout, appauvrissent les travailleurs.

Ce qui est nécessaire, ce sont des emplois de qualité, des emplois durables, avec une sécurité sociale, et la possibilité pour les jeunes de se projeter dans l’avenir afin que la génération actuelle ne soit pas sacrifiée sur l’autel de l’austérité !

Allo l’Europe ? Ici la fiscalité

L’Europe de l’austérité ou de la solidarité se joue aussi dans le domaine de la fiscalité. Octobre 2013. Le journal anglais, The Guardian, révèle les pratiques de la multinationale Google. Celles-ci provoquent l’indignation en Angleterre. En 2012, avec un chiffre d’affaires global d’environ 36,2 milliards € et une capitalisation boursière globale d’environ 133 milliards €, la filiale anglaise n’a payé qu’approximativement 13,5 millions € d’impôt de société. Si l’entreprise avait respecté le taux d’imposition de 20 % d’impôt sur les sociétés en vigueur en Angleterre, elle aurait dû débourser 780 millions € supplémentaires. Cette somme représente un salaire pour 22.000 infirmièr(e)s ou une allocation de chômage pour 220.000 travailleurs sans emploi pendant un an. Les ventes de l’entreprise sont, entre autres, déclarées en Irlande alors que les bénéfices sont transférés à une filiale dans les Bermudes.
Dans ce type de situation, on parle d’optimisation, voire d’évitement fiscal. Ces techniques « d’ingénierie fiscale » légales sont néanmoins utilisées abusivement dans le but de réduire ou d’éviter l’imposition. Ce que l’on nomme « fraude » et « évasion fiscale » concerne, par contre, des activités qui sont illégales et qui visent à échapper à l’impôt. Au printemps 2013, l’affaire des « offshore leaks » et d’autres révélations sur ces paradis fiscaux ont fait prendre conscience à tous de ce phénomène et surtout de son envergure. « Ce manque à gagner fiscal » interpelle, mais plus encore cette concurrence fiscale dommageable entre pays de l’UE.

Qu’est-ce que la concurrence fiscale ?
On parle de « concurrence fiscale » lorsqu’un État prend des mesures en fonction des décisions prises par ses pays voisins plutôt qu’en fonction de ses propres besoins et choix. De plus en plus souvent, leurs responsables politiques surenchérissent pour pratiquer dans leur pays un taux inférieur à celui de leurs voisins. À ce jour, l’UE n’a pas réussi à protéger ses travailleurs et ses citoyens contre une telle surenchère, bien au contraire.
De 1997 à 2007, les taux d’imposition des entreprises des pays de l’UE ont baissé de 38 % à 29 %. Pour les pays membres depuis 2003, la situation s’est encore aggravée. De 2003 à 2007, les taux sont passés en moyenne d’environ 32 % à 19 %. Pendant cette période et au niveau mondial, c’est en Europe que la baisse des taux d’imposition a été la plus forte. L’absence d’une politique d’harmonisation fiscale et d’une jurisprudence adéquate est la cause principale de cette diminution de recettes fiscales des États et de leurs services aux collectivités.

Le MOC et ses organisations revendiquent une Europe sociale et militent pour…
... un changement de cap profond des politiques européennes. Face à un tel nivellement fiscal vers le bas : pas de statu quo ni de repli national. Recherchons ensemble des stratégies pour utiliser les institutions européennes et les solutions qu’elles pourraient apporter à l’égard de cette ingénierie fiscale mondialisée. Avec ses organisations, le MOC soutient les revendications syndicales qui exigent :
•    un plan d’action solide et contraignant pour lutter contre la concurrence, l’évasion et la fraude fiscales;
•    une harmonisation de l’assiette fiscale des entreprises et du taux d’imposition réel sur les sociétés.

Allo l’Europe ? Vous avez dit égaux ?

L’Europe de l’austérité ou de la solidarité se joue également dans le domaine de l’égalité entre les hommes et les femmes. Saviez-vous qu’une part importante de la législation belge favorisant l’égalité entre les sexes provient de l’UE ? En effet, la majorité de ces lois puise leurs sources dans les directives européennes : par exemple, les lois sur l’égalité de rémunération, l’égalité de traitement dans l’emploi au sens large (conditions de travail, formation, promotion, etc.) ou dans la sécurité sociale. Des mesures de protection de la maternité ou de conciliation vie professionnelle/vie familiale proviennent aussi de directives européennes : récemment le congé parental est passé de 3 à 4 mois, mais sans obligation de le rémunérer.
D’ailleurs, historiquement, l’inscription de l’égalité de rémunération dans le Traité de Rome en 1957 avait un objectif plus « économique » que social. En effet, certains pays de la Communauté économique de l’époque, comme la France, avaient déjà une législation sur l’égalité de rémunération entre hommes et femmes et avaient peur d’une concurrence déloyale d’autres États membres qui acceptaient la discrimination salariale. Dans ce cas, le standard européen a donc tiré tous les États membres vers le haut.
Malheureusement, l’influence européenne sur les politiques nationales est loin de se traduire toujours par une égalité à l’avantage des femmes. Par exemple, sous pression européenne, la Belgique a fait disparaître l’écart d’âge pour la pension (auparavant 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes). L’alignement sur le standard masculin de 65 ans a été choisi. Pourtant, les responsables politiques savaient pertinemment bien que de nombreuses femmes n’auraient que des carrières incomplètes et donc des montants de pension « indécents ».
Liées à la crise, les mesures dites « de rigueur » prises en matière de chômage, de pension et d’aménagement du temps de travail frappent de plein fouet les personnes les plus vulnérables et celles qui vivent dans des situations socioéconomiques précaires. Or, les femmes sont majoritaires dans ces catégories. Les mesures prises au niveau des crédits-temps, par exemple, concernent plus spécifiquement les femmes qui « concilient » travail et famille. Par ailleurs, les politiques d’austérité imposent des économies dans les secteurs sociaux ou les services publics. Et là également, les femmes sont les premières victimes en tant que bénéficiaires ou travailleuses.

Comme d’autres mouvements, le MOC et ses organisations revendiquent une Europe sociale et militent pour…
... que le principe d’égalité homme-femme, proclamé par les Traités, passe devant les impératifs budgétaires. La situation économique ne doit pas servir de prétexte à un arrêt des progrès en matière d’égalité. Par ailleurs, les politiques menées dans le contexte d’austérité doivent être analysées en termes d’effets sur les femmes et sur l’égalité. #

 

Construire NOTRE Europe

 

En tant que citoyen, nous pouvons nous réapproprier l’Europe. Voter pour un parti politique qui promeut et défend une Europe sociale est un préalable indispensable. Interpeller les instances en tant que citoyen européen est une nécessité. Des réseaux et des mouvements s’activent en ce sens : ils interpellent nos ministres par rapport aux positionnements défendus (ou non) lors des Conseils de l’UE. Ils investissent la Commission par un travail de lobby au service du citoyen européen...Le MOC et ses organisations veulent un renforcement de la souveraineté européenne combiné à une démocratisation accrue, pour une Europe sociale qui sache se faire entendre et faire voix commune. Pour cela, ils revendiquent une harmonisation des règles sociales, fiscales et environnementales. A cet égard, il faut se méfier et nous mobiliser contre le Partenariat transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) 1. Les négociations l’entourant sont tenues dans le plus grand secret. Pourtant, cet accord risque de porter gravement atteinte aux réglementations sociales ainsi qu’aux normes environnementales et phytosanitaires européennes. À quand la viande aux hormones provenant des États-Unis dans nos assiettes ?
Pour la sauvegarde de la qualité de notre alimentation, de l’environnement et la préservation de nos acquis sociaux, le MOC interpellera les parlementaires européens sur les dangers du PTCI et appelle à la mobilisation pour que les intérêts des citoyens passent avant ceux des multinationales. #

1. Le PTCI est un accord de libre-échange que la Commission européenne, mandatée par le Conseil des ministres, négocie actuellement avec les États-Unis.
Voir : Dupret Xavier, « Un accord de libre-échange très suspect », Démocratie, Novembre 2013, pp. 2-4.

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