La crise touche davantage les femmes que les hommes. C’est le constat établi par de nombreuses organisations féministes réunies au sein de la Marche Mondiale des Femmes.
Ce mouvement de femmes s’est réuni le 4 octobre au Parlement européen pour dénoncer
les coupes budgétaires réalisées dans le financement de programmes sociaux et la manière dont l’austérité affecte des secteurs où l’emploi est fortement féminisé (soins à domicile, maisons de repos...). Marcela de la Peña Valvidia (Le Monde selon les femmes) nous explique le combat mené par ce mouvement international et dénonce le retour d’une vision « patriarcale » de la société.



Comment est née la Marche Mondiale des Femmes ?
La Marche Mondiale des Femmes est un réseau international d’action et de lutte contre la pauvreté et la violence envers les femmes. C’est une initiative féministe lancée par la fédération des femmes du Québec en 1996. Les femmes canadiennes ont été le fer de lance de ce mouvement, à la suite d’une attaque antiféministe à l’École polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989 qui coûta la vie à quatorze femmes 1. Ce massacre a suscité de très vives réactions de la part des milieux féministes québécois. Il est devenu le symbole d’un système machiste et des violences contre les femmes. Les femmes québécoises ont donc commencé à se mobiliser. En 1995, 850 femmes ont marché pendant dix jours autour de neuf revendications à caractère économique et social. La marche se termina par un rassemblement de 15.000 personnes. En 2000, ce mouvement a recueilli l’adhésion de près de 6.000 groupes de femmes à travers 163 pays. Depuis lors, tous les 5 ans, des marches sont organisées dans différentes régions du monde. Il existe également un secrétariat national tournant. Il va quitter le Brésil pour se rendre pour la première fois en Afrique, au Mozambique. C’est un mouvement qui a beaucoup de libertés d’action et qui comprend des femmes de tous âges. Une attention particulière se porte sur les femmes issues de communautés traditionnelles et la manière dont elles peuvent se mobiliser politiquement. 

Quel a été l’objet de votre rencontre au Parlement européen ?
Il s’agissait d’une action politique dans le cadre de la rencontre des déléguées de la Marche Européenne des Femmes. Elle avait pour but de réfléchir et de débattre sur l’actuelle situation de violence envers les femmes, les impacts des mesures d’austérité qui frappent particulièrement les femmes en Europe et sur la défense des droits reproductifs et sexuels. Nous avons aussi commencé à coordonner notre prochaine action qui se tiendra en 2015. Nous allons mettre sur pied une caravane des femmes qui partira de Londres et qui sillonnera plusieurs pays. L’enceinte du Parlement européen est symbolique, car la Commission
« Femmes » de ce parlement a récemment manifesté son inquiétude dans un rapport qui évoquait les répercussions de la crise économique sur l’égalité entre les hommes et les femmes (voir encadré).  

Justement, en quoi les politiques d’austérité touchent-elles particulièrement les femmes ?
Les différents ajustements budgétaires ont ciblé des services sociaux et de santé spécialement destinés aux femmes. Je pense ici aux centres qui accueillent les femmes désireuses de mettre un terme à leur grossesse. Derrière ces politiques, il y a clairement une remise en question de droit à l’avortement et donc du droit à disposer de son corps. En France, on assiste également au regroupement de certains services de santé : les petits hôpitaux disparaissent. Cela peut entraîner des risques pour la santé des femmes enceintes, car elles doivent effectuer de longs trajets pour accéder à une maternité. Les politiques d’austérité menacent également le financement des campagnes de dépistage, comme celles concernant le cancer du col de l’utérus. Au niveau de l’emploi, on remarque que des secteurs tels que les soins à domicile ou les maisons de repos sont également visés par des coupes budgétaires. L’équation est simple. Si on diminue le financement public, le coût d’un placement en maison de repos va reposer sur la famille, ce qui pourrait inciter à maintenir la personne âgée dans le cercle familial. Dans ce cas-là, ce sont généralement les femmes qui se sacrifient.

Vous dénoncez également l’offensived’une vision patriarcale de la société.
Tout à fait, le conservatisme moral s’articule en général assez bien avec les politiques d’austérité. C’est une réalité historique. Depuis la révolution industrielle, le modèle capitaliste est pensé pour que l’homme travaille à l’extérieur, reçoive un revenu et que la femme reste à la maison. En période de crise, on encourage les femmes à rester chez elles. Au moment des guerres ou des phases de reconstruction, on les autorise à travailler. Et puis, de nouveau, en temps de crise, on les pousse à rester à la maison. La structure du modèle capitaliste est historiquement comme cela. C’est pourquoi, en tant qu’organisation féministe, nous voulons remettre la vie au coeur de la société et non pas le profit. Pour cela, il faut évidemment parler de la répartition des rôles qui va plus loin que la division des tâches ménagères.

Comment se positionnent le monde politique et particulièrement les femmes politiques par rapport à vos revendications ?
Il n’y a pas d’automaticité entre le fait d’être femme politique et féministe. Néanmoins, nous avons plusieurs alliées, dont Isabelle Durant, la Vice-présidente du Parlement européen. Au niveau bruxellois, on a effectué un travail de formations et de rencontres avec des parlementaires pour évaluer les avancées et obstacles sur l’égalité femmes-hommes des politiques économiques et de l’emploi de la Région bruxelloise. En termes d’action, le Parlement bruxellois se transformera le temps d’une journée (le 5 novembre) en Parlement des femmes où nous pourrons interpeller le monde politique bruxellois et faire part des conclusions de notre travail politique.

Comment s’organiser mondialement alors que la situation politique varie d’un pays à l’autre ?
Ce n’est pas évident, mais la crise nous unifie. Ce que l’Europe connaît pour l’instant, l’Amérique latine l’a connu dans les années 80 et 90 à travers les plans d’ajustement structurel. Ceux-ci ont fait disparaître de nombreux services sociaux justement destinés à aider les femmes. Ce qui nous soude également, c’est notre opposition à un retour des fondamentalismes. Partout dans le monde, des groupes extrêmement conservateurs exigent que soient remis en question des droits fondamentaux acquis par les femmes au fil de leur lutte. Le droit à l’avortement est particulièrement visé par ces groupes. Nous tirons donc la sonnette d’alarme : rien n’est acquis, il faut continuer à se battre. Encore et toujours.

 L’austérité budgétaire:


une double peine pour les femmes
Le 26 septembre dernier, la Commission « droits de la femme et égalité des genres » du Parlement européen a rendu un rapport 1 inquiétant concernant les répercussions de la crise sur l’égalité entre les hommes et les femmes. On y découvre que les femmes travaillant dans le secteur public, où elles représentent près de 70 % des employés en moyenne, sont les principales victimes des coupes budgétaires décidées par les gouvernements des États membres. Autre effet négatif : les mesures de réduction des allocations familiales, du congé de maternité, des allocations pour les familles monoparentales, ont accru le risque de pauvreté des femmes et renforcé leur degré de dépendance à l’égard des autres membres de la famille. En termes de contrats de travail, il apparaît que 31,6 % des femmes travaillent à temps partiel contre 8 % des hommes. Le phénomène est tel que la Commission européenne ne parle plus de travail à temps partiel, mais de chômage à temps partiel.



1. L’ ensemble du rapport est consultable sur :
http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/femm/reports.htm



1. Le 6 décembre 1989, un homme, Marc Lépine, entra armé d’un fusil dans l’École polytechnique de Montréal. Il pénétra dans une salle de cours et en fit sortir les hommes. Ensuite, il cria aux femmes
« je hais les féministes » et tira sur elles. Il perpétra ce geste dans d’autres salles de cours tuant au total quatorze femmes, avant de se suicider. L’assassin portait sur lui une lettre dans laquelle il exprimait sa haine des féministes et sa vision discriminatoire d’une société où les femmes devraient rester « à leur place », c’est-à-dire à la maison. Ces femmes ont été assassinées parce qu’elles étaient des femmes et qu’elles faisaient des études traditionnellement masculines, ce que l’assassin (qui avait échoué à entrer dans cette école d’ingénieur(e)s)
ne pouvait supporter.