Entre 2000 et 2010, la durée moyenne de séjour en maison de repos a considérablement augmenté en Belgique. Les chiffres sont révélateurs: alors qu’en 2000, 12 % des membres de la Mutualité chrétienne décédés en maison de repos y avaient résidé plus de 5 ans, ce pourcentage culmine à 20 % en 2010. Comment expliquer ce phénomène ? Et quelles sont ses conséquences pour les résidents des maisons de repos et sur le budget de l’assurance maladie ? Cet article décrypte ces enjeux et appelle à des décisions politiques rapides, a fortiori dans le cadre des futurs transferts de compétences aux entités fédérées.

[Note à l'attention des internautes : les graphiques de cet article ne sont disponibles que sur la version papier de la revue. Voir sur cette page en haut à droite : "Pour recevoir Démocratie"]


Depuis longtemps déjà, la Mutualité chrétienne (MC) s’intéresse de près aux enjeux liés au vieillissement de la population et à la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie. En Belgique, une personne membre de la MC de plus de 80 ans sur cinq séjournait en maison de repos en 2011. Si nous savons qu’un nombre de plus en plus important de seniors sera amené à séjourner en maison de repos suite au vieillissement de la population, le comportement de ces résidents en termes de durée de séjour est encore peu connu. La MC s’est donc saisie de cette question pour en comprendre les tenants et aboutissants.

Quelques chiffres

Afin d’étudier les durées de séjour en maison de repos de la manière la plus réaliste possible, les parcours en institution des membres de la MC décédés en 2000 et 2010 ont été analysés et comparés. Les constats sont les suivants : en 2010, plus de 14.000 membres de la MC 1 sont décédés dans une maison de repos. Parmi ceux-ci, 20 % y avaient séjourné plus de 5 ans 2. Ce pourcentage a presque doublé en l’espace de 10 ans. En effet, en 2000, seuls 12 % des membres de MC décédés cette année-là 3 avaient séjourné plus de 5 ans en maison de repos.
On constate que ce phénomène s’est produit dans les trois Régions bien que dans des proportions différentes. Actuellement, c’est à Bruxelles que les longs séjours sont les plus fréquents. Dans la capitale, la proportion de séjours de plus de 5 ans est passée de 11,5 % à 23,5 % en l’espace de 10 ans. En Wallonie, ce pourcentage a également progressé de 11,9 % à 22,7 % sur la même période. C’est en Flandre que l’augmentation des séjours de plus de
5 ans a été la moins importante en passant de 12,4 % à 19 % 4.

Facteurs explicatifs

L’ensemble du territoire belge connaît donc une hausse de la proportion de longs séjours en institution. Mais comment expliquer cette tendance ?
Premièrement, la professionnalisation des soins et la prise en charge croissante dans des institutions du type « maison de repos » jouent certainement un rôle. Dans une certaine mesure, ces phénomènes sont le résultat d’une volonté accrue du système de soins de santé d’offrir aux personnes âgées une offre de plus en plus développée de soins de longue durée. Toutefois, il ne faut pas non plus sous-estimer l’impact de nombreux phénomènes sociétaux, tels que la diminution du nombre potentiel d’aidants proches, les progrès de la médecine, mais également des facteurs tels que le coût et l’état du logement ou l’aménagement du territoire.
Tous ces facteurs influencent la demande de soins de longue durée : l’assurance maladie finance davantage la prise en charge en maison de repos qu’il y a 20 ans, le nombre d’aidants potentiels diminue parce qu’on ne peut pas se permettre d’arrêter de travailler pour prendre soin de ses aînés ou parce que les enfants ne vivent plus près de leurs parents. De plus, dans certaines zones géographiques, et particulièrement à Bruxelles, les soins infirmiers à domicile, alternative à la maison de repos lorsque l’état de la santé de la personne n’exige pas une institutionnalisation, ne sont pas assez développés.
D’autres éléments indirectement liés à la politique de santé peuvent également jouer un rôle. De nombreux logements classiques ne sont, par exemple, pas adaptés aux besoins des personnes en perte d’autonomie (escaliers dangereux, salles de bains mal adaptées, couloirs trop étroits...). Ainsi, après une hospitalisation ou un accident, le logement peut s’avérer inadapté et accélérer l’entrée en maison de repos. Par ailleurs, l’aménagement du territoire peut également s’avérer problématique. Un accès difficile aux commerces, des transports en commun inadaptés, des trottoirs en mauvais état, peuvent favoriser une entrée plus rapide en maison de repos, en particulier pour des résidents dont le niveau de dépendance est faible 5. Ces constats se révèlent particulièrement vrais dans les grandes villes. À Bruxelles, une part importante des résidents de maisons de repos présentent de tels profils de dépendance. En 2010, la proportion de membres de la MC bénéficiant d’un forfait de soins O (peu ou pas de dépendance) était de 23,92 % à Bruxelles contre 11,62 % en Flandre et 16,37 % en Wallonie. Des raisons autres que médicales jouent donc un rôle important dans la prise en charge en maison de repos de ces personnes (isolement social, logement non adapté, sous-consommation de soins à domicile…). Or, c’est précisément dans cette catégorie-là que les durées de séjour se sont le plus fortement allongées entre 2000 et 2010.
Ce phénomène d’allongement des durées de séjour est, par contre, beaucoup moins prononcé en Flandre. La mise en place ces dernières années d’une politique d’institutionnalisation ciblée sur les personnes lourdement dépendantes et le développement plus soutenu des soins infirmiers à domicile expliquent ce résultat. Pour bien comprendre, il faut préciser que les personnes présentant un degré de dépendance élevé séjournent généralement moins longtemps en institution. On observe ainsi clairement que les personnes admises en maison de repos avec un forfait C (grosse dépendance pour s’habiller, se laver, se nourrir, se déplacer et/ou incontinent) ont une proportion de longs séjours beaucoup plus faibles (16 %) que les résidents admis avec un forfait O (33 %). Vu les politiques qu’il a mises en œuvre, le nord du pays pourrait donc connaître une inversion de la tendance à la hausse des durées de séjour.
Un dernier facteur doit être pris en compte: certaines études internationales 6 démontrent que depuis une dizaine d’années, nous sommes entrés dans une phase d’extension de la période de vie avec des incapacités. Leurs conclusions sont unanimes : nous vivons aujourd’hui plus longtemps, mais aussi plus longtemps en mauvaise santé. S’en suit donc un allongement de la période de notre vie durant laquelle nous nécessitons des soins médicaux.

Impact budgétaire

L’allongement de la durée de séjour n’est pas sans conséquence sur le portefeuille des résidents et sur le budget de l’assurance maladie. En effet, depuis le début des années 2000, la part allouée au financement des maisons de repos a connu une croissance particulièrement soutenue. Si, en moyenne, le budget de l’assurance maladie a crû de 5,8 % entre 2000 et 2011, les dépenses du secteur des maisons de repos ont, elles, augmenté de 7,3 % en moyenne par an sur la même période. Ce secteur représente actuellement le 4e poste de dépenses de l’INAMI 7.
La question du financement public de ce secteur se pose d’ailleurs avec une acuité de plus en plus pressante puisque cette compétence sera prochainement transférée aux Communautés/Régions dans le cadre de la 6e Réforme de l’État. Dans ce cadre, l’ensemble des compétences relatives aux maisons de repos (programmation du nombre de lits, octroi de l’agrément, financement, etc.) sera transféré aux entités fédérées alors qu’elles se répartissent actuellement entre les différents niveaux de pouvoir (fédéral et entités fédérées). La répartition des moyens devrait se faire selon une clé censée garantir la continuité du financement du secteur 8. À y regarder de plus près, les doutes les plus légitimes sont de mise : la situation risque d’être véritablement catastrophique dans les années à venir ! En effet, l’accord prévoit que les moyens prévus pour ce secteur évolueront en fonction d’une clé de répartition qui dépendra de l’évolution de la population de plus de 80 ans, de l’évolution du PIB (82,5 % de son évolution) et de l’inflation. Afin d’évaluer les risques liés à cette nouvelle formule de répartition des moyens, la MC a simulé ce qu’aurait été l’évolution des moyens du secteur des maisons de repos si, sur la période 2000-2011, cette clé de répartition avait été appliquée. Il en ressort que le secteur aurait connu une croissance annuelle de seulement 4,6 % 9 entraînant un déficit de plus de 500 millions d’euros. Indéniablement donc, le transfert de compétences risque de s’accompagner d’un déficit structurel du financement du secteur, et il faudra se battre pour changer cette donne. Cela dit, la réforme prévue offre l’occasion de revoir le système dans sa globalité et d’en renforcer la cohérence puisque de fait, l’ensemble des compétences relatives à ce secteur sera dorénavant aux mains des entités fédérées.
Un dernier aspect concerne l’accessibilité financière aux résidents des institutions, car les montants que ceux-ci doivent débourser sont souvent très élevés. En moyenne, les résidents belges dépensent mensuellement un montant plus important que leur pension pour régler leur facture de séjour en maison de repos 10. À l’avenir, il faudra donc veiller à ce que l’éventuel sous-financement public du secteur ne se répercute pas davantage sur le portefeuille des résidents. Actuellement, c’est le SPF Économie qui est compétent pour le contrôle des prix d’hébergement au niveau fédéral. Afin d’éviter une hausse soudaine des tarifs lorsque cette compétence sera transférée aux entités fédérées, il faudra veiller à ce que cette fonction de contrôle soit intégrée dans le nouveau modèle de gestion.
En moyenne, les résidents belges dépensent mensuellement un montant plus important que leur pension pour régler leur facture de séjour en maison de repos

Conclusions

L’avenir du secteur des maisons de repos n’est donc pas tout rose. Si le budget dédié à ce secteur a beaucoup augmenté ces dernières années, il ne faut pas oublier que le véritable boom démographique aura lieu après 2025, lorsque la génération du baby-boom atteindra les 80 ans. Il reste donc encore 10 ans pour nous y préparer et adapter notre système de soins de santé aux nouveaux besoins de cette population.
Dans cette optique, et depuis longtemps déjà, la MC articule ses revendications autour de deux axes. Le premier concerne le développement des soins et des aides à domicile ainsi que des infrastructures intermédiaires de soins, tels que les centres de courts séjours, les centres de soins de jour, les centres de revalidation afin de permettre ainsi à chacun de rester le plus longtemps chez soi. Mais une telle politique ne pourra voir le jour que si le financement (déjà largement insuffisant) du secteur des soins à domicile est complètement revu. Il faut, de plus, veiller à ce que toutes ces formes de soins soient financièrement abordables pour les membres.
D’autre part, l’institutionnalisation restera la réponse la plus adaptée aux besoins de certaines personnes en grande perte d’autonomie et nécessitant des soins lourds. Il est donc impératif de prévoir également une offre de qualité et un financement suffisant du secteur des maisons de repos.
Alors que nous commençons progressivement à ressentir les effets du vieillissement de la population, les conséquences les plus marquées de celui-ci ne se manifesteront que d’ici une dizaine d’années. Dès lors, à politique inchangée, le pire est à craindre. Il est donc important de s’y préparer dès aujourd’hui : il faut repenser notre système de soins de santé pour créer un réel continuum de soins centré sur les besoins des personnes, accessible, abordable financièrement et de qualité. Dans ce cadre, la 6e Réforme de l’État est un défi de taille auquel nous devrons faire face, mais dont nous pourrions tirer parti si nous en profitons pour mettre en place une politique de santé plus cohérente pour les personnes âgées.
Cependant, l’avenir des personnes âgées ne dépend pas uniquement de ces facteurs. Afin d’améliorer leur avenir, et notre avenir à tous, c’est d’une réelle vision transversale dont nous avons urgemment besoin. Il faudra agir aussi bien sur les politiques relatives au logement, à la mobilité et à l’aménagement des espaces publics que sur les politiques relatives aux soins de longue durée et à la lutte contre l’isolement croissant pour permettre aux personnes âgées de vivre longtemps, mais surtout en toute sérénité.


1. Sur ces 14.000 membres décédés, près de 70 % étaient des femmes. Celles-ci avaient, en moyenne, séjourné plus longtemps en maison de repos que les hommes avant de décéder. En 2010, 24,3 % des femmes y avaient séjourné plus de 5 ans contre 11% d’hommes; ces chiffres sont également en augmentation depuis 2000 (14,5 % et 7 % respectivement).
2. En Belgique, les résidents d’une maison de repos y séjournent en moyenne un peu plus de deux ans pour les hommes et plus de 3 ans pour les femmes avant de décéder. Une durée de séjour de plus de 5 ans constitue dès lors un long séjour par rapport à la moyenne nationale. (La prise en charge des personnes âgées en Wallonie et à Bruxelles 2004-2011, IMA, 2013 et Transitie naar ouderenvoorziening, IMA, 2013).
3. Un peu plus de 12.000.
4. Autre constat intéressant : les pensionnaires bénéficiant de l’intervention majorée séjournent également plus longtemps en maison de repos avant leur décès (21,8 % de séjours de plus de 5 ans contre 16,9 %).
5. Les personnes de dépendance faible représentent des individus étant encore capables de se laver, de s’habiller, de manger sans aide et ne présentant pas de trouble psychologique.
6. Voir, par exemple, celles menées par l’European Health and Life Expectancy Information System (EHLEIS).
7. Derrière les honoraires des médecins, le remboursement des médicaments et le financement des hôpitaux.
8. Les moyens seront répartis en fonction de la population de plus
de 80 ans de chaque entité.
9. À comparer aux 7,3 %
réellement observés.
10. Étude sectorielle maison de repos, SPF Économie, 2009.

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