La réforme de la politique de soutien à la filière photovoltaïque (Solwatt) continue à faire parler d’elle. Si le gouvernement wallon s’est accordé, avant la trêve pascale, sur les principes qui doivent guider cette réforme ainsi que sur la mise en place d’une tarification progressive de l’électricité, la menace de nombreux recours juridiques brandie par certains détenteurs de panneaux photovoltaïques continue à faire des remous dans le monde politique, majorité et opposition confondues 1. Pourtant, la facture de 2,5 milliards d’euros d’ici 2025, annoncée par la CWAPE 2, devra être prise en charge. Face à cette situation, comment maîtriser et répartir les coûts de façon équitable ? Et comment permettre l’accès de tous à la production ? Le point...

Avant d’entrer dans le vif du sujet, prenons le temps de revenir brièvement sur le dispositif actuel de l’octroi de certificats verts (CV). Ceux-ci constituent une politique de soutien à la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables et à la cogénération de qualité, en vigueur en Wallonie depuis le 1er janvier 2003. En 2007, dans le cadre de cette politique, le ministre de l’Énergie de l’époque, André Antoine (cdH), lançait le plan « Solwatt », octroyant un soutien plus élevé à la filière solaire photovoltaïque relativement aux autres filières (biomasse, éolien, etc.). L’objectif wallon est alors d’atteindre une production de 8 TWh d’électricité produite à partir de sources renouvelables d’ici 2020, soit un peu plus de 25 % de la consommation finale d’électricité estimée à cette date.
Pratiquement, les CV sont octroyés chaque année par la CWAPE à chaque producteur d’électricité verte, en fonction de la quantité produite et de la filière de production. Parallèlement, les fournisseurs d’énergie ont l’obligation d’acheter à ces producteurs un quota de certificats verts croissant d’année en année. Les fournisseurs d’énergie répercutent ensuite la charge du rachat des CV sur les prix facturés aux consommateurs3.
Les CV constituent en fait un mécanisme de marché : ce sont les variations de l’offre (les CV mis en vente par les producteurs) et de la demande (les quotas imposés aux fournisseurs) qui déterminent le prix des CV. Le mécanisme est cependant encadré : en cas de surplus de l’offre, Elia, le gestionnaire du réseau de transport, a l’obligation de racheter les CV au prix minimum garanti de 65 €. Le prix maximal de revente du CV est quant à lui fixé à 100 €. Les prix ne peuvent donc varier qu’à l’intérieur de cette fourchette.

Un contexte explosif qui appelle des réformes

On est ainsi passé de 3.000 installations par an en 2008 à plus de 46.000 pour l’année 2012 !

Depuis 2008, on a constaté une augmentation importante du nombre d’installations solaires photovoltaïques de moins de 10 kWc 4. On est ainsi passé de 3.000 installations par an en 2008 à plus de 46.000 pour l’année 2012 ! La CWAPE relève que cet accroissement était inévitable étant donné le soutien trop élevé accordé à cette filière5. Si le degré de soutien a été revu à la baisse à plusieurs reprises depuis fin 2009, il apporte cependant aux ménages des taux de rendement sur investissement particulièrement élevés, voire dans certains cas totalement excessifs. Ce soutien élevé a créé un déséquilibre important sur le marché des CV et a contribué à la création d’une bulle de CV.
Conformément à l’obligation de service public en vigueur, Elia a dès lors été contraint de racheter le surplus de CV au prix minimum garanti de 65 €. L’impact financier de cette obligation s’est traduit par une augmentation des tarifs de transport : d’un surplus d’environ 1 €/MWh début 2012, on est passé à 6 €/MWh le 1er octobre 2012 et à 13,8 €/ MWh à partir du 1er janvier 2013 ! Cette surcharge est donc devenue très élevée et impacte fortement les ménages. Les entreprises sont également touchées, car certaines d’entre elles – les entreprises électro-intensives et « en accord de branche » 6, si elles sont exonérées de la « contribution à l’énergie verte », n’échappent pas à l’augmentation des tarifs de transport. Pour un ménage moyen (consommation annuelle de 3.500 KWh), le poste « contribution à l’énergie verte » s’élève à un montant compris entre 50 et 70 € par an, et atteint 110€ par an si on y ajoute l’augmentation des tarifs pratiqués par Elia. Au final, la facture totale à charge des consommateurs d’ici 2025 a été estimée par la CWAPE à 2,5 milliards d’euros !
Tous les éléments étaient donc réunis pour faire de cette question un dossier explosif pour l’exécutif wallon. Si les annonces successives d’augmentation des tarifs de transport ont commencé à mettre le feu aux poudres, c’est la sortie médiatique7 du ministre de l’Énergie Jean-Marc Nollet (Ecolo) au sujet de l’instauration d’une tarification progressive qui a fini d’enflammer le débat. Et à entendre les partis de la majorité et ceux de l’opposition, on a bien cru qu’on allait jeter le bébé (la tarification progressive) avec l’eau du bain (les CV). À cette occasion, le MOC a rappelé, dans son communiqué de presse du 25 février dernier, son attachement à la mise en place d’une tarification progressive et solidaire de l’électricité (voir encadré). Et a également plaidé pour une réforme du trop généreux système des CV qui doit être menée parallèlement (et non en remplacement) de l’instauration d’une tarification progressive de l’électricité.
Le gouvernement a finalement décidé de travailler dans l’urgence à la résolution conjointe de ces deux dossiers. S’il nous parait en effet important de prendre à bras-le-corps ces deux questions, l’intérêt de les lier entre elles n’est pas si évident. En effet, contrairement à la manière dont on l’a présentée, la tarification progressive ne constitue pas une réponse au surcoût engendré par les CV : elle n’a pas pour objectif de réduire ou d’augmenter les tarifs, mais plutôt de réorganiser la structure tarifaire en vue de la rendre plus juste socialement. Il aurait dès lors été plus cohérent de lier la tarification progressive avec l’instauration de mesures soutenant les ménages à petits revenus afin qu’ils puissent réduire leur consommation d’énergie.

Un accord sur les principes

Quoi qu’il en soit, le 28 février dernier, le gouvernement wallon s’est accordé sur les grands principes qui devront guider la réforme du soutien au photovoltaïque et l’instauration d’une tarification progressive de l’électricité.
Les objectifs de la réforme sont les suivants : le maintien du soutien au photovoltaïque en garantissant aux ménages qui investissent une rentabilité raisonnable, mais non spéculative ; la réduction de la facture des CV pour les consommateurs ; l’allégement de la charge du coût de l’énergie pour les entreprises. Par ailleurs, la réforme comporte 3 volets :
la mise en place d’un nouveau mécanisme de soutien à la filière : « Qualiwatt » ;
la gestion de l’ancien système « Solwatt » (qui a pris fin le 31 mars) et de la dette des CV ;
les modalités de la période transitoire.
Le premier volet concerne le remplacement du système actuel par un mécanisme de Soutien Global Garanti (SGG) dénommé « Qualiwatt ». Il visera à assurer le remboursement de l’installation, puis un rendement garanti sur 20 ans et variera en fonction du revenu du ménage. Trois catégories de revenus ont ainsi été définies et des modalités spécifiques sont prévues pour chacune d’elles :
– Pour les ménages à revenus précaires, le retour sur investissement se fera sur 7 ans et le taux de rentabilité global sur 20 ans sera de 7 %.
– Pour les ménages à revenus moyens et modestes, le retour sur investissement se fera sur 8 ans et le taux de rentabilité sera de 5 %.
– Pour les revenus supérieurs, le retour sur investissement se fera sur 9 ans et le taux de rentabilité sera de 4 %.
Une distinction est également établie en fonction de la taille de l’installation. Les plus petites d’entre elles (moins de 5 kWc) seront ainsi favorisées par rapport à celles dont la puissance est comprise entre 5 et 10 kWc, en bénéficiant d’une aide complémentaire à la production en fonction des temps de retour et des taux de rentabilité recherchés. L’objectif est de favoriser les installations qui correspondent davantage à la consommation réelle des ménages et ne demandent pas d’adaptations lourdes au niveau du réseau.
Une mesure complémentaire intéressante prévue par le gouvernement est sa volonté d’instaurer un mécanisme de tiers-investisseur de type public (financement des travaux et remboursement sur les gains réalisés) auquel pourraient faire appel les ménages à revenus précaires et modestes, voire ceux à revenus moyens. Cette mesure pourrait être largement positive, en permettant à des ménages à petits revenus d’avoir accès à ce type de production renouvelable, tout en restant neutre pour les pouvoirs publics.
Le second volet de la réforme prévoit que les ménages concernés (c’est-à-dire ceux qui ont investi dans leur installation avant le 31 mars) reçoivent des CV au prix minimum de 65 € jusqu’au remboursement intégral de leur installation. Pour la suite, ils ont la certitude d’un rendement non spéculatif, mais supérieur au taux du marché. Un taux de 7 % est évoqué et qualifié d’acceptable par le gouvernement. Le principe retenu est donc de réduire le niveau de soutien initialement prévu en maintenant cependant une certaine rentabilité, de manière à diminuer la dette des CV (évaluée pour rappel à 2,5 milliards d’euros). On pourrait dire également qu’il s’agit de répartir autrement cette dette, en mettant à contribution, à côté des consommateurs (ménages et entreprises), les producteurs qui ont bénéficié de taux de rendement très élevés.
Le troisième volet concerne la période transitoire, courant donc depuis le 1er avril jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau système. Pendant cette période, le nombre de CV octroyés par MWh est fortement revu à la baisse.
À l’heure actuelle, si les principes de la réforme sont connus, les modalités concrètes de son application ne le sont pas. En ce qui concerne les modifications du système « Solwatt », un cabinet d’avocat a été chargé par le gouvernement de proposer une méthodologie. Et on comprend cette précaution à l’heure où de nombreux propriétaires de panneaux se groupent en ASBL et confient à un avocat, Me Misson, le soin de préparer un recours contre la réforme prévue. Il est dès lors difficile de se prononcer à ce stade sur le caractère équitable des mesures envisagées, même s’il semble que les adaptations prévues continueront à garantir aux détenteurs de panneaux un rendement tout à fait acceptable.

Conclusions provisoires

Dans un contexte de crise environnementale et d’augmentation présente et à venir des coûts énergétiques, le développement des énergies renouvelables est un enjeu stratégique. Que les pouvoirs publics soutiennent ce développement est donc tout à fait pertinent. Cependant, le coût de ce soutien doit être soutenable pour la collectivité et réparti de façon juste. Et toutes les catégories de ménages doivent pouvoir accéder aux mécanismes mis en place.
Pour rencontrer ces principes, la réforme du mécanisme des CV était une nécessité. Et les mesures prévues vont a priori dans le bon sens. Elles devraient en effet permettre de réduire à l’avenir le niveau de rentabilité des installations photovoltaïques, en basant à présent le mécanisme de soutien sur un niveau de rendement recherché et non plus sur une aide en valeur absolue. Par rapport aux installations en place à ce jour, il est clair qu’il aurait été préférable de revoir le système en profondeur bien plus tôt, ce qui aurait évité la création d’une dette d’une telle ampleur. En l’état actuel de la situation, revoir les avantages excessifs accordés jusqu’ici aux propriétaires de panneaux apparaît comme une mesure essentielle en vue d’une plus juste répartition des coûts liés au soutien à cette filière.
Si les mesures envisagées semblent aller dans le bon sens, il conviendra cependant de rester attentif aux modalités concrètes de leur application, car ces modalités seront déterminantes dans le caractère plus ou moins ambitieux de la réforme.

 La mise en place d’une tarification progressive et solidaire de l’électricité est une revendication portée par le MOC depuis plusieurs années. Elle doit mettre fin à la situation actuelle où les tarifs sont dégressifs : aujourd’hui, plus on consomme d’électricité, moins on paie cher son kWh ! Cette situation est injuste socialement, car les petits consommateurs, qui paient donc plus cher l’unité d’électricité consommée, sont aussi les ménages qui disposent de petits revenus. Cette situation est également un non-sens environnemental puisqu’elle n’incite pas à réduire sa consommation.
Pour ces raisons, le MOC estime qu’il est urgent de mettre en place une tarification progressive de l’électricité et se réjouit de l’accord de principe intervenu en gouvernement wallon le 28 mars dernier. La proposition sur la table constitue une réelle avancée : elle permet d’offrir aux ménages wallons un paquet de KWh correspondant à leurs besoins de base et elle prévoit des dispositions spécifiques pour éviter les effets pervers : protection des ménages qui se chauffent à l’électricité et de ceux qui ne disposent pas d’un compteur individuel ; octroi de l’allocation aux détenteurs de panneaux photovoltaïques uniquement s’ils disposent d’un compteur mesurant la consommation réelle.


1. En témoignent les longs débats parlementaires à ce propos au moment où ces lignes sont écrites (16 avril 2013).
2. Commission wallonne pour l’énergie, régulateur wallon des marchés du gaz et de l’électricité.
3. C’est le poste « contribution à l’énergie verte » sur la facture du consommateur.
4. Le KWc (Kilowatt-crête) est une unité de mesure représentant la puissance maximale d’un dispositif. Pour bénéficier du soutien à la filière phovoltaïque (« Solwatt »), les installations ne peuvent dépasser une puissance de 10KWc. À titre d’exemple, une installation de 5KWc correspond à une production annuelle d’environ 4.250 kWh, soit davantage que la consommation moyenne d’un ménage belge établie à 3.500KWh.
5. « L’évolution du marché des certificats verts », Rapport annuel spécifique 2011, CWAPE, 03 août 2012.
6. Entreprises qui se lancent, dans le cadre d’un accord conclu avec la Région wallonne sur base volontaire, dans des démarches de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre ou d’amélioration de l’efficacité énergétique.
7. La Libre Belgique du 16 février 2013.