persoone kleinEn tant qu’ancienne secrétaire générale adjointe d’ACV-Puls, l’homologue néerlandophone de la Centrale nationale des employés (CNE), Marijke Persoone a mené et accompagné de nombreux combats syndicaux. Avec d’autres, elle a été à l’initiative de «Hart Boven Hard», et plus récemment de «Het Groot Verzet»2 . Aujourd’hui pensionnée, mais toujours très active au sein de ces coalitions syndicales et citoyennes, elle revient dans le livre Wiens Belang? (L’intérêt de qui?)(EPO, 2024) sur son expérience et sur la montée inquiétante du Vlaams Belang en Flandre.

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Pourquoi avoir écrit ce livre?

Je remarque que beaucoup de gens sont en colère ou frustrés parce qu’ils n’ont plus les moyens de contrôler leur vie. Ils ont du mal à joindre les deux bouts, ne trouvent pas de garderie, attendent un logement social ou une place dans une institution de soin pour leur enfant handicapé, voient les arrêts de bus supprimés par le gouvernement flamand. Un parti comme le Vlaams Belang (VB) détourne cette réaction de mécontentement face à l’effondrement des acquis sociaux et des droits fondamentaux vers un bouc émissaire : cette situation serait causée par «des étrangers et des profiteurs», qui « nous volent ce qui nous appartient et ce qui nous est destiné ». Le VB propose de «fausses solutions», rendant l’accès aux services sociaux plus difficile, voire impossible, pour certains groupes. Nombreux·ses sont ceux et celles qui n’ont pas les arguments pour s’y opposer. Alors que les véritables causes de l’inégalité – comme l’absence d’une fiscalité équitable, par exemple – ne sont pas abordées. C’est l’une des raisons qui m’ont poussée à écrire ce livre, afin d’apporter un soutien à ce type de discussion. Ce que j’ai également remarqué, c’est que de plus en plus de gens se disent en Flandre qu’il faudrait les laisser cogouverner, pour qu’ils s’exposent. Mais c’est naïf, parce que pendant ce temps, ils détruisent tant de choses.

Pourtant, le Vlaams Belang se présente comme un parti social. S’agit-il alors d’apparences ?

Jugez-en par vous-même. Au Parlement européen, ils votent systématiquement contre l’amélioration des droits sociaux. Ils ont voté par exemple contre un salaire minimum au niveau européen. Ils n’ont pas soutenu un meilleur statut pour les travailleur·ses des plateformes. Ils ont voté contre la directive sur la transparence des salaires, qui vise à mettre en évidence l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes et à y remédier. Au niveau belge, ils ont voté en faveur de mesures visant à sanctionner plus rapidement les malades de longue durée qui ne reprennent pas le travail assez rapidement. Ils ont voté en faveur d’un renforcement de la loi sur la norme salariale, qui fait que les salaires restent pratiquement bloqués. Ils ont voté contre des propositions visant à faire contribuer davantage les riches à la société. Et ils font des propositions pour vider la Sécurité sociale de sa substance, ce qui revient à exclure certains groupes. Ils créent un climat dans lequel les gens se montent les uns contre les autres. C’est contraire à l’ADN d’un syndicat qui organise les gens pour parvenir à l’égalité et à la solidarité.

Comment cela se manifeste-t-il en Flandre?

Karel Dillen, le fondateur du Vlaams Blok disait: «Les gens sont inégaux et le resteront.» La brochure «Enseignement» de 2021 du Vlaams Belang accusait les idées d’égalité d’être responsables des problèmes en matière de qualité de l’enseignement en Flandre. Pourtant, les témoignages de l’enseignement professionnel en Flandre donnent un tout autre son de cloche. L’une des cinq «stadsdichters» (poètes officiels) de la ville d’Anvers, la poétesse Ruth Lasters avait ainsi coécrit un texte avec des élèves de l’école technique et professionnelle Spectrum en 2021 autour du thème de la stigmatisation dans l’enseignement. Ils y parlaient notamment de la labélisation des élèves A ou B. «On devrait alors parler de ministres A et B, alors ils comprendraient peut-être comment on le vit quand on se ressent comme de seconde zone», écrivaient les élèves. Ou encore : « à la Flandre, on adresse cette question: quand la société s’arrête-telle de tourner ? Quand les notaires et sénateurs font grève ou bien lorsque les plombiers, boulangers et dockers cessent de travailler ? » L’échevine de la Culture (NV-A) a estimé que ce n’était pas le rôle d’un poète d’écrire ce genre de texte... Hart Boven Hard, l’initiative citoyenne, a heureusement repris ce poème qui a alors reçu une attention tout autre et nouvelle. Bieke Purnelle, directrice du centre de documentation féministe RoSa explique aussi les pressions que connait la société civile en Flandre : «Le “middenveld”, littéralement le “champ intermédiaire”, peut encore faciliter le vivre-ensemble et ici et là offrir des services. Mais il ne peut ni déranger ni secouer. » C’est ce qu’elle appelle l’érosion du «middenveld». Le Vlaams Belang cible encore davantage dans ses discours la société civile, remet en question les subsides et ce qu’il considère comme l’activisme «woke ».

Au Parlement européen, les représentants du Vlaams Belang votent systématiquement contre l’amélioration des droits sociaux. Par exemple, ils ont voté contre un salaire minimum au niveau européen. Ils n’ont pas soutenu un meilleur statut pour les travailleur·ses des plateformes. Ils ont voté contre la directive sur la transparence des salaires, qui vise à mettre en évidence l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes et à y remédier.

 

Devons-nous vraiment craindre l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite?

J’ai vérifié comment les choses se passent dans d’autres pays comme en Italie et en Hongrie, où les partis d’extrême droite mènent la danse. En Italie, Meloni a fait campagne autour du travail. Cela pourrait sembler positif, si vous lisez cela comme «droit au travail». Mais la première chose qu’elle a faite en arrivant au pouvoir a été de retirer le revenu d’intégration à des centaines de milliers de familles. Parce qu’il ne s’agissait en réalité pas de «droit au travail», mais de la contrainte de travailler et d’accepter n’importe quel travail, comme ramasser des fruits pour trois ou quatre euros de l’heure. On voit la même chose en Hongrie avec Viktor Orbán. Le chômage a été limité à trois mois. Après cette durée, on vous propose un travail communautaire (nettoyage, jardinage...). Si vous le refusez, vous n’avez rien. Pour ce travail d’intérêt général, vous êtes payé la moitié du salaire minimum. Orbán se vante d’avoir déjà mis 200.000 personnes au travail de cette manière, mais c’est de l’exploitation pure et simple. Dans mon livre, je consacre un chapitre à la façon dont l’éducation a dérapé. Il y a 16.000 postes vacants qui ne sont pas pourvus. Les enseignant·es gagnent très peu. S’ils·elles font grève, ils·elles sont licencié·es. Les manuels scolaires imposent une vision très étroite du monde. Il n’y a pas de ministre de l’Éducation. C’est le ministre de l’Intérieur qui s’en charge. Il s’agit bien plus de maintien de l’ordre que d’émancipation de la jeunesse. Les annonces du Vlaams Belang ne sont en rien rassurantes. Elles ne se démarquent pas de ces politiques. Au contraire… À l’occasion de la rentrée scolaire de 2021, Tom Van Grieken, le président du Vlaams Belang, déclarait sur TikTok «vouloir présenter la facture à tous ces enseignants de gauche après les élections de 2024».

Devons-nous craindre pour notre Sécurité sociale ?

Les exemples comme l’Italie de Meloni montrent très clairement que les politiques antisociales de l’extrême droite peuvent toucher d’un jour à l’autre des parties importantes de la population. Le revenu citoyen, destiné à toute personne ayant des revenus très modestes, y compris les jeunes, a ainsi été supprimé du jour au lendemain, et même le 1er mai 2023! Il avait pourtant permis de sortir un million de personnes de la pauvreté. Par SMS, 480.000 personnes ont été informées qu’elles n’allaient plus percevoir une allocation qui pouvait aller jusqu’à 780euros, pourtant si nécessaire pour vivre plus dignement. Environ 200.000 personnes en plus ont été touchées quand les mesures ont été aggravées. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on peut se retrouver d’un jour à l’autre, avec l’extrême droite au pouvoir. Très vite, on peut faire partie d’une composante de la société qui n’a plus de droits. Les collègues des entreprises Van Hool ou Callebaut (en faillite, NDLR) voient hélas aujourd’hui en Flandre comment on peut avoir besoin d’un jour à l’autre d’un cadre de droit social et d’une Sécurité sociale forte ! Avec l’extrême droite, il y a des risques de basculement! Au niveau belge, avec l’extrême droite au pouvoir, le point de basculement serait avant tout que la Sécurité sociale nationale soit démantelée, avec de graves dangers pour de nombreux·ses travailleur·ses et citoyen·nes. Cela nous priverait de notre mécanisme de solidarité construit depuis si longtemps!

En tant que représentant·e syndical·e sur le terrain, collègue ou voisin·e, vous devez vous tenir à côté des gens et écouter leur peur ou leur colère, les comprendre et entamer une conversation à partir de là. Il est important de rester ouvert dans les conversations. Les conversations les plus difficiles sont celles au cours desquelles des arguments liés à la migration sont soulevés, parce qu’elles sont les plus émotionnelles. Il ne faut pas les éviter, mais examiner pourquoi les gens pensent ainsi.

Dans votre livre, on lit très souvent que nous devons écouter davantage les gens. Est-ce la clé?

J’ai inclus des témoignages dans le livre. C’est fondamental selon moi. Il ne sert à rien d’entamer de grandes discussions idéologiques ou théoriques avec les gens. Comme le dit Dominique Willaert dans son livre Niet alles maar veel begint bij luisteren (L’écoute, tout ou presque commence par là). En tant que représentant·e syndical·e sur le terrain, collègue ou voisin·e, vous devez vous tenir à côté des gens et écouter leur peur ou leur colère, les comprendre et entamer une conversation à partir de là. Il est important de rester ouvert dans les conversations. Les conversations les plus difficiles sont celles au cours desquelles des arguments liés à la migration sont soulevés, parce qu’elles sont les plus émotionnelles. Il ne faut pas les éviter, mais examiner pourquoi les gens pensent ainsi. C’est surtout dans les situations de pénurie que les gens pensent que «j’ai plus de droits que toi». En supprimant cette pénurie, vous avez déjà éliminé une partie du problème. En tant que syndicat et délégué·e dans votre entreprise, vous pouvez jouer un rôle important à cet égard. En organisant les travailleur·ses et en tirant à la même corde, vous obtiendrez de meilleurs résultats. Ces dernières années, les syndicats se sont fortement concentrés sur les personnes en situation d’emploi précaire, comme les travailleur·ses temporaires ou les travailleur·ses des plateformes. En défendant de meilleures conditions de travail pour elles·eux et en plaidant pour une législation qui leur accorde plus de droits: c’est ainsi que l’on donne aux gens plus de sécurité et de confiance dans la société. Ces victoires syndicales doivent être soulignées, car elles vont à l’encontre du discours de division et d’exclusion des leaders d’extrême droite. Ils peuvent dire qu’ils défendent le « hardwerkende vlaming/le travailleur dur flamand», mais pendant ce temps, ils lancent des propositions pour plus de flexibilisation, veulent rendre les heures supplémentaires moins chères. Que faire dès lors ? Il faut s’informer et s’organiser, créer des alliances et coalitions larges. C’est dans ce sens qu’on a lancé en Flandre l’initiative «Het Groot Verzet», «La Grande Résistance», avec des groupes locaux qui sont en train de se constituer. Il y a aussi des dynamiques avec des ami·es à Bruxelles ainsi qu’avec des collègues francophones. Mais vu l’urgence côté flamand, on a décidé, pour cette initiative, de concentrer toutes nos énergies sur la Flandre. Le 22 septembre de cette année, on prévoit une manifestation à Bruxelles. Vous y êtes cordialement invité·es!#

Propos recueillis par Karin DEBROEY, Thomas MIESSEN et Patrick VAN LOOVEREN 

En complément de l’entretien avec Marijke Persoone proposé dans ce numéro, voici quelques extraits de l’appel de «Het Groot Verzet». «Êtes-vous aussi à bout de souffle dans un monde où tout va plus vite, plus fort, plus brutalement ? Êtesvous indigné·es lorsque des personnes sont abandonnées en raison de leur âge, de leur maladie, de leur couleur, de leur religion, parce qu’elles n’ont pas d’emploi ou n’ont pas les bons papiers ? Êtes-vous inquiets de ces voix politiques qui promettent des solutions en semant la haine ? Nous aussi. Nous sommes des “gens ordinaires ”, mais nous avons décidé de ne plus nous taire. Il faut vraiment que les choses changent! L’attention portée à chaque être humain et à la planète doit figurer parmi les priorités de l’agenda politique. Pour une société qui a du cœur. Maintenant et après les élections de 2024. Ensemble, nous formons la Grande Résistance. La lame de fond, c’est nous. Avec le soutien du mouvement citoyen “Hart Boven Hard”, nous voulons le montrer et l’entendre. (…) Partout en Europe, nous voyons comment les partis d’extrême droite tirent profit de la peur, de l’insécurité et des inégalités. Ils promettent des solutions en montrant du doigt les personnes en situation de vulnérabilité et en semant le racisme. Une fois au pouvoir, les droits sociaux et démocratiques sont rapidement érodés. Les personnes issues de l’immigration en sont victimes, mais aussi les femmes, les militants syndicaux, la communauté LGBTQI+, les enseignant·es, les jeunes... (…) C’est pourquoi nous tendons également un miroir aux partis de gouvernement actuels. Il est grand temps qu’ils se demandent pourquoi nous en arrivons à une politique qui laisse de plus en plus de gens sur le carreau, à une politique qui démolit de plus en plus de droits et met en œuvre de plus en plus de points du programme de l’extrême droite. Nous pouvons renverser cette politique de démolition!» #

Crédit photo : Guy Puttemans

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